jeudi 9 octobre 2008

104. François Béranger: "une ville".

Chanteur contestataire, François Béranger peut-être considéré comme un "chanteur libertaire".
Fils d'un militant syndicaliste chrétien, résistant puis député, il devient ouvrier aux usines Renault de Boulogne-Billancourt avant de faire ses premiers pas en tant que chanteur dans le circuit des clubs folk. En 1969, il sort le 33 tours intitulé "une ville". Sa chanson titre revient sur le printemps de Prague et sa répression impitoyable par les chars soviétiques, en 1968.

A partir de 1967, le secrétaire du PC tchèque, le stalinien Novotny, est critiqué par un groupe de communistes libéraux mené par Alexandre Dubcek. Ce dernier remplace Novotny en janvier 1968. Les difficultés ne manquent pas en Tchécoslovaquie. La déstalinisation reste très superficielle et la croissance économique atone. Dubcek se montre favorable à une démocratisation du pays et à une plus grande liberté d’expression. La popularité de celui qui entend développer un " socialisme à visage humain » grandit chez les ouvriers, les intellectuels, les étudiants, mais aussi chez les défenseurs de l’identité slovaque.




La nouvelle direction supprime quasiment la censure, libère les écrivains emprisonnés et réhabilite les victimes des purges staliniennes, adopte une attitude favorable à l’égard de l’Eglise, autorise les voyages à l’étranger et réforme les statuts du PC, prévoyant même le droit à l’existence de minorités contestataires. Elle envisage la généralisation du vote secret, la limitation de la durée d’exercice des fonctions dirigeantes. A la glaciale ère Novotny succède le Printemps de Prague.
Ces choix suscitent un immense enthousiasme et attisent la curiosité en Occident pour cette tentative de réforme, inédite dans le bloc soviétique. A Moscou, l’inquiétude grandit. L’exemple de la Tchécoslovaquie risque de contaminer rapidement toutes les autres démocraties populaires et remettre en cause la pérennité du bloc lui-même. Aux yeux des dirigeants soviétiques, ce Printemps n'a que trop duré.




"Et pourtant oui, ça vient c'est là / c'est gros, c'est noir, ça hurle, ça crache / c'est chenillé, armé, blindé
c'est surmonté d'un fort canon / et de plusieurs gueules casquées."

Aussi l’Armée rouge et les troupes du pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie avec quelques 300 000 hommes, 7000 chars, dans la nuit du 20 au 21 août 1968. L’occupation est rapide, d’autant plus que le gouvernement Dubcek renonce à la résistance militaire, même si les Soviétiques doivent compter avec une importante résistance passive. On dénombre 58 morts et des centaines de blessés.
Après avoir emprisonné l’équipe dirigeante, les Soviétiques doivent la remettre au pouvoir (26 août), mais maintiennent leur tutelle sur le pays et prolongent l’occupation militaire. Les Occidentaux assistent passifs à ces événements. Fait plutôt rare, cette intervention suscite de vives critiques au sein du camp communiste. La Chine, la Yougoslavie, mais aussi la Roumanie la condamnent.

Le gouvernement Dubcek ne peut poursuivre sa politique de libéralisation, mais réalise néanmoins une réforme importante en faisant de la Tchécoslovaquie un Etat fédéral où les Slovaques jouissent d’une grande autonomie régionale (janvier 1969). Progressivement, Le remplacement de Dubcek par Gustav Husak au poste de premier secrétaire du PC tchécoslovaque (avril 1969), l’épuration du parti (500 000 exclusions), l'éviction des collaborateurs de Dubcek des fonctions dirigeantes, achèvent la "normalisation".


Le 21 août 1968, il est midi et l’ordre règne à Prague (cliché: Josef Kudelka, 1968).

Les conséquences de la répression du printemps de Prague sont multiples:
- Les PC occidentaux connaissent une nouvelle vague de défection, ce qui conduit certains d’entre eux à s’éloigner du modèle soviétique (eurocommunisme).
- Afin de mettre un terme aux contestations qui fragilisent le bloc (Berlin 1953, Poznan 1956, Budapest 1956), Brejnev développe la « doctrine de la souveraineté limitée » ou doctrine Brejnev. Théoriquement souverains, les Etats d’Europe de l’Est sont dépendants idéologiquement du modèle imposé par Moscou. Autrement dit, la défense du socialisme passe avant celle de la souveraineté nationale, ce qui justifie le maintien sous tutelle des démocraties populaires par l’URSS.
- La répression soviétique souligne l’absence de réaction des Occidentaux et constitue une terrible contre publicité pour le modèle communiste. Ainsi, l’immolation du jeune étudiant tchèque Jan Palach émeut le monde entier et révèle les impasses du modèle proposé par Moscou.

Sources: 

- C. Hocq “Dictionnaire d'histoire et de géographie”.
- F. Armand et F. Barthélémy:”Le monde contemporain_ l'histoire en terminale”, Seuil, Paris, 2004.
- Le petit Mourre.

"Une ville" François Béranger. (1969)

Construis dans ta tête une ville
dans la chaude torpeur d'un été
les robes de coton des filles
leurs tresses nattées de fleurs coupées
en riant elles fuient les garçons
des jardins viennent des flonflons.

Construis dans ta tête une ville
dans la chaude torpeur d'un été
le soir en terrasse le vin brille.
La nuit prend tout. Sérénité.
Elle fait lever une rumeur,
berce les coeurs, marque les heures.
Dans les cheveux blonds d'une fille,
la main qui caressait s'arrête
on se dit: "c'est impossible".
Et pourtant oui, ça vient c'est là
c'est gros, c'est noir, ça hurle, ça crache
c'est chenillé, armé, blindé
c'est surmonté d'un fort canon
et de plusieurs gueules casquées.

Ferme les yeux et vois la ville
au matin blême et déprimé,
le sang qui passe du rouge au noir,
séchant sur les rues labourées,
maisons éventrées et fumantes
stupeur, colère, haine cachée


Ferme les yeux, entends la ville
d'abord elle pleure, puis se reprend
et s'interroge: pourquoi? Comment?
Qu'avons nous fait? Pourquoi ce viol?
Et qui sont-ils tous ces truands?
? pavé, arbre coupé
les gars, les filles, les vieux, les jeunes
font une ronde qui rend fou
?
qui ne comprennent vraiment pas.
Le monde entier, d'abord crédule, en reste
assis sur son petit cul.
Et oui, ça y est, c'est arrivé
les cosaques ont été défaits.

Construis dans ta tête une ville
dans la chaude torpeur d'un été.
Faut jamais se réjouir trop tôt,
les cosaques reviendront bientôt.
Et si demain c'était ta ville?
Mieux vaut ne dormir qu'à moitié
et si demain c'était ta ville ?
mieux vaut ne dormir qu'à moitié.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un grand, grand merci pour cet auteur....
Grasse a lui et Michel Corringe Je suis un résistans. merci leur vie...

Florian a dit…

Je continue de signaler les liens morts au gré de ma visite, manière de contribuer.
https://www.youtube.com/watch?v=ERUcKQfZxac
N'hésitez pas à me signaler si ce travail paraît superflu.

Anonyme a dit…

Merci pour ce partage historique qui a tant d’écho depuis un an en Ukraine…