mercredi 11 avril 2012

260. Maxime Leforestier : "La vie d'un homme" (1975)



A ceux qui sont dans la moyenne,
A ceux qui n'ont jamais volé,
A ceux de confession chrétienne,
A ceux d'opinion modérée,
A ceux qui savent bien se plaindre,
A ceux qui ont peur du bâton,
A tous ceux qui n'ont rien à craindre,
Je dis que Pierre est en prison.

Dormez en paix, monsieur le juge.
Lorsque vous rentrez du travail,
Après le boulot, le déluge,
Tant pis pour les petits détails.
Aujourd'hui, cette affaire est close.
Une autre attend votre réveil.
La vie d'un homme est peu de chose
A côté de votre sommeil.

Soyez contents, jurés, notables,
Vous avez vengé proprement
La vie tristement respectable
Que vous meniez depuis longtemps.
Qu'on vous soit différent suppose
Par obligation qu'on ait tort.
La vie d'un homme est peu de chose
A côté de votre confort.

Soyez satisfait, commissaire,
Vous n'avez pas eté trop long
Pour mettre un nom sur cette affaire.
Tant pis si ce n'est pas le bon.
Tant pis si chez vous, on dispose
De moyens pas toujours très clairs.
La vie d'un homme est peu de chose
A côté d'un rapport à faire.

Rassurez-vous, témoins du drame,
Qui n'étiez pas toujours d'accord
Puisqu'aujourd'hui on le condamne
C'est donc que vous n'aviez pas tort.
Vous êtes pour la bonne cause.
Vous avez fait votre devoir.
La vie d'un homme est peu de chose
A côté de votre mémoire.

Tu n'aimes pas la pitié, Pierre,
Aussi je ne te plaindrai pas.
Accepte juste ma colère,
J'ai honte pour ce peuple-là.
Je crie à ceux qui se reposent,
A ceux qui bientôt t'oublieront.
La vie d'un homme est peu de chose
Et Pierre la passe en prison.


Le corps recouvert d'un drap du cadavre de Pierre Goldman
le 20 septembre 1979.


Pierre, à qui Maxime Leforestier dédie cette chanson,  est mort abattu  non loin de chez lui, au bout de la rue des peupliers lorsqu'elle débouche sur la place de l'abbé Hénocque, dans le XIIIème arrondissement de Paris, le 20 septembre 1979. Quelques heures plus tard, sa femme Christiane donnait naissance à leur fils. A ses obsèques, le 27 septembre, se pressent 15 000 à 20 000 personnes qui remontent le chemin de l'institut médico-légal, situé Quai de la Rapée à Paris, vers le Père Lachaise. Le cortège s'élargit place Léon Blum et se resserre dans la rue de la Roquette pour une dernière ascension vers son terme.  La foule est silencieuse, elle se déplace sans banderoles,  sans slogans, mais elle n'est pas anodine. On y reconnait, en effet, Sartre et de Beauvoir, Signoret et Montand, Regis Debray, Serge July , ou encore Alain Krivine et Daniel Cohn-Bendit.


Obsèques de P. Goldman septembre 79.
Obsèques de P. Goldman septembre 79.













L’intelligentsia parisienne ne s'est pas déplacée pour un anonyme, la plupart de ses membres  connait et a accordé son soutien à Pierre, lors du procès qui, en 1974, l'a condamné à la réclusion perpétuelle pour le double meurtre survenu dans une pharmacie du boulevard Richard Lenoir. C'est autour de ce procès que Maxime Leforestier tisse sa chanson sous forme de dénonciation d'une erreur judiciaire patente. Le "Pierre" de la chanson c'est Pierre Goldman. Sa mort revendiquée par un obscur supposé groupuscule d'extrême droite appelé "Honneur de la police" reste à ce jour un mystère non élucidé.


La tombe de Pierre Goldman au Père Lachaise.
Il est bien difficile d'emprunter toutes les routes qui mènent à Pierre Goldman, qu'il s'agisse de celles qui vont le conduire devant les tribunaux puis dans une cellule de prison. Car son parcours emprunte  des voies étonnantes : il entre en littérature durant son incarcération (1), devient journaliste par la suite, fréquente les mondains alors qu'il a déjà un  riche et dense passé de militant d'extrême gauche, de révolutionnaire, mais également de malfrat. De toutes ses identités, on signalera aussi la première, celle donnée par des parents  juifs d'origine polonaise qui combattent au sein de la résistance dans la FTP-MOI (2). Pierre Goldman, est, accessoirement, le demi frère du chanteur J-J Goldman, la carrière de ce dernier n'est, toutefois,  pas encore vraiment lancée quand son frère est victime de l'attentat qui lui ôtera la vie.


Pierre Goldman.
Pierre Goldman n'est pas un homme ordinaire. Ce n'est pas  un héros, encore moins  un martyr, c'est sans aucun doute un homme au parcours exceptionnel, entré dans le deuxième vingtième siècle comme on entre en campagne, avec des convictions, mais aussi des contradictions cheminant selon un itinéraire semé d'autant d'erreurs que de moments de grâce. Une vie qui a basculé de nombreuses fois avant 1974  en  ce moment où l'énoncé du verdict émis par un jury d'assises provoque une quasi émeute dans le tribunal. Une existence qui se termine dans un bain de sang un matin de septembre 79, 3 ans à peine après que Pierre Goldman ait été innocenté d'une partie des crimes qu'on lui reprochait.



Les multiples visages de Pierre Goldman.


Quand on se plonge dans la vie de Pierre Goldman, on se demande dans quelle mesure il aurait pu échapper à l'engagement qui fut le sien. Il y a comme une pente naturelle qui relie son ascendance à l'homme qu'il devint. Pierre Goldman est le fils d'Alter Goldman et de Janine Sochaczewska, tous deux juifs polonais ayant émigré en France pour fuir les flambées antisémites qui sévissent dans leur pays natal durant l'entre deux guerres. Dans la mouvance communiste, ils s'engagent tous deux dans la résistance pendant le conflit. 


Marcel Rajman membre du groupe Manouchian.
Pierre Goldman est Juif, c'est un des aspects fondamentaux de son identité. Le fait de louvoyer dans les milieux d'extrême gauche qui comptent de nombreux sympathisants de la cause palestinienne est parfois source de vives tensions  avec ses amis proches (3). C'est surtout, comme le dit son ami Tiennot Grumbach, l'historicité de l'engagement des Juifs dans la résistance qui est la pierre angulaire de son identité : Juif, révolutionnaire, patriote. Son modèle est Marcel Rajman, membre du groupe Manouchian, fusillé par les allemands au Mont Valérien avec les autres membres de la FTP-MOi de région parisienne arrêtés en février 1944. D'ailleurs n'intitulera-t-il pas son livre autobiographie "Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France" ? Animé par une haine viscérale de l'antisémitisme, il mènera une passe d'arme audacieuse avec  Me Garraud, représentant la partie civile lors de son second procès ;  l’affrontement entre les deux hommes en plein tribunal sera vif et tranchant. A l'avocat de l'association "Légitime défense" Goldman  lance  " Oui je vous ai traité de fasciste ! vous "sentez" les métèques , mais moi je sens les racistes et les fascistes ! espèce de pourri, je vous emmerde".

Pierre Goldman se tient à gauche, très à gauche même et y milite. Parmi ses amis beaucoup sont  ont commencé leur engagement politique au temps de la guerre d'Algérie. C'est le cas, par exemple, de  Prisca Bachelet (4). Le quartier latin est le terrain de prédilection de Pierre Goldman. Durant ses années d'études à la Sorbonne, il fréquente les cercles de l'UEC (5) dont il assure notamment  le service d'ordre. Il donne du poing contre les membres des groupes d'extrême droite tels "Occident" dans lesquels se font remarquer  quelques jeunes promis à un avenir politique certain : parmi eux Alain Madelin et Gérard Longuet. Il y croise à cette époque  les figures emblématiques de l'activisme d'extrême gauche comme R. Linhart, Benny Levy qui sera un des fondateurs de la Gauche prolétarienne.


Sur cette photo deux compagnons de lutte très proches de Goldman
à droite Tiennot Grumbach qui sera son avocat en 74 et à ses côtés
Marc Kravetz lors de la manifestation du 1er mai 1968.
Comme d'autres, en ces temps de contestation, Goldman porte son regard, vers Cuba  et plus largement l'Amérique Latine ce continent qui fut un bouillant laboratoire révolutionnaire tout au long des années 60. Il s'embarque pour Cuba en 63, mais finit en prison  à la Nouvelle Orléans. Il y est de nouveau fin 1967 lorsque sont célébrées les obsèques du Che mais rentre en France peu après. Il garde un goût prononcé pour ces terres sud américaines. Le Vénézuela, où il séjourne également au cours de ce périple, a été une échappatoire autant qu'une école de la lutte armée révolutionnaire et accessoirement une manne financière de courte durée. En prison, Pierre Goldman validera une licence d'Espagnol qui atteste de son attachement au voies du continent. A sa libération, à la chapelle des Lombards il introduit un artiste cubain qui fait les délices des soirées de cette bonne adresse parisienne, Goldman adore la salsa. Pierre Goldman voue enfin un attachement indéfectible à la Guadeloupe dont il a suivi l'émergence des luttes syndicales. Ce lien s'incarne en une solide amitié avec Joel Lautric, l'homme qui est aussi son alibi pour l'affaire de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir.


Juif, militant et révolutionnaire ne sont que quelques uns des visages de Pierre Goldman. On en découvre encore d'autres en se penchant sur ses "relations" avec la justice.


Le tournant 1974 : Pierre est en prison.


C'est le soir du 19 décembre 1969. Un homme entre dans la pharmacie située au n°6 du boulevard Richard Lenoir, il est aux alentours de 20h10. Une des deux femmes présentes dans l'officine tente de s'emparer du téléphone. Le braqueur tient un pistolet dans la main gauche, il tire sur la pharmacienne, Mme Delaunay,  puis sur sa préparatrice, Mlle Aubert. Elles sont mortellement atteintes. Il blesse un client qui se trouvait là, Raymond Trocard. Les coups de feu ont alerté le voisinage et les clients du café tout proche, prévenus par les époux Carel qui ont assisté à la scène en passant devant la pharmacie. Le malfaiteur s'échappe mais est rattrapé par le jeune agent de police Quinet alors agé de 22 ans. Sur le terre plein central du boulevard, les deux hommes s'affrontent au corps à corps. Avec un deuxième pistolet, le braqueur blesse l'agent Quinet qui reste au sol puis prend la fuite. Le docteur Pluvinage est témoin de la scène qu'il observe sans appeler les secours ni porter assistance à l'agent Quinet du  4° étage de l'immeuble situé au n°8 du boulevard. 

Le 8 avril 1970, Pierre Goldman est arrêté rue Saint Sulpice alors qu'il se rend chez Marc Kravetz, son ami. Goldman a été dénoncé par un indic (dont il ne livrera pas l'identité qu'il connait pourtant). Il est transféré au commissariat, mélangé à d'autres personnes, identifié par l'agent Quinet. Goldman, pour tenter de s'innocenter, avoue trois agressions à main armée : la 1ère contre une autre pharmacie, un braquage aux magasins Vog situés dans le quartier de la Madeleine et une autre contre un agent des allocations familiales. 


Pierre Goldman lors de son procès à Paris en 1974.
Quatre années et demi s'écoulent avant l'ouverture du procès à la cour d'assises de Paris. Goldman a pour lui de nombreux avocats parmi lesquels son ami Tiennot Grumbach et Marianne Merleau-Ponty (6). Le représentent également Me Pollak, une "figure" de la corporation qui gère son ego bien mieux que le dossier de son client et Me Libman, qui a mal préparé la défense de Goldman. Les témoins passent à la barre et les contradictions qu'ils énoncent ne sont pas relevées par les avocats. Goldman a un alibi, il était à cette heure là chez son ami Joel Lautric. Les armes utilisées ne correspondent pas aux siennes, les témoins sont formels dans une identification qui relève parfois de l'exploit. Ainsi, deux femmes disent reconnaître formellement Goldman a deux endroits différents du boulevard. Alors qu'il l'a vu du 4° étage, de nuit, un soir de brouillard et entrain de se débattre avec un autre homme, Pluvinage reconnait lui aussi très formellement Goldman. De même, l'agent Quinet qui a entrevu furtivement à l'issue de leur corps à corps, est formel : Pierre Goldman est l'assassin. Très mal défendu, Goldman s'en tient à une ligne de défense unique "Je ne suis pas coupable parce que je suis innocent". 

L'avocat général Langlois, pour sa part,  a l'honnêteté de formuler des doutes sur certaines parties du dossier, mais il les impute davantage à un manque d’informations qu'à une erreur de l'enquête. Au final, il déclame devant la cour son intime conviction : il est persuadé, malgré les flottements, que c'est Goldman qui a fait le coup. 

Le jury prononce le 14 décembre 74, la condamnation de Pierre Goldman à la réclusion à perpétuité. Dans la salle c'est un tonnerre de protestations. Son ami Marc Kravetz livre dans "Libération" cette intéressante analyse : 


"Pierre Goldman a été condamné sur une "intime conviction", par une "majorité d'au moins huit voix", comme le veut la loi.
L'"intime conviction" c'est la conviction que même s'il n'est pour rien dans ce dont on l'accuse, "il aurait bien pu".Ce n'est pas une "majorité d'au moins huit voix" qui a condamné Pierre. C'est un monde qui juge un autre, qui juge sans connaître, qui juge parce qu'il a peur de l'autre et qui se venge, par la réclusion perpétuelle, de cette peur. C'est un monde pour qui la résistance juive, celle qui fut la mère de Pierre ne peut être qu'une "exaltée", un monde qui dit "l'Amérique du Sud" par ce qu'il ne sait pas que l'Amérique latine existe comme il dit le Tonkin ou l'Indochine, pour ne pas parler du Vietnam. Un monde qui dit "mulâtre" dans les dépositions mais "métèque" quand il parle"
"Libération", lundi 16 décembre 1974.



Simone Signoret, Moïshe et Jean Jacques Goldman lors
d'une conférence du presse du comité "Justice pour Pierre Goldman'
15 décembre 1974.
La problématique de l'affaire est résumée en ces quelques lignes. Pour le pouvoir, le verdict est respectable et incontestable car c'est un jury d'assises, un jury populaire, qui l'a rendu. Jean Lecanuet usera d'ailleurs sans restriction de cet argument dans les jours qui suivent le verdict. De l'autre,  Goldman, symbole d'un monde qui change à toute allure, dont il est lui même un acteur-précurseur, qui cristallise toutes les peurs liées à ces changements est jugé pour ce qu'il est plus que pour ce qu'il a fait


Le combat pour la libération de Pierre Goldman est engagé, le 17/12/1974 un comité de soutien "Justice pour Pierre Goldman" se créé. Parmi les signataires du texte de soutien on trouve, MM Pierre Mendés France, Joseph Kessel de l'Académie française, Claude Bautet, Patrice Chéreau, Jean-Michel Folon, François Périer, Eugène Ionesco de l'Académie française, Régis Debray, Mme Françoise Sagan, MM Yves Montand, Roger Planchon, Mmes Anne Philippe, Simone Signoret et M. Chris Maker, Mmes Ariane Mnouchkine, Myriam Anissinov, MM Pierre Gaudibert, André Cayatte, Jeam-Marie Domenach, Philippe Sollers, Julien Kristena, Jacques et Yvonne Rispal. MM. Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Chevènement, Claude Estier, Louis Aragon, Paul Flamant, Jean-Paul Sartre, Alain Geismar, de Mmes Simone de Beauvoir et Evelyne Pisier.


Pierre Goldman se pourvoit  en cassation. Un second procès s'ouvre devant les assises de la Somme en avril 76, à Amiens. C'est alors Me Kiejman qui le représente pour sa défense (Pollak est encore présent, Libman non. Il a abandonné le dossier).  Brillant avocat, il relève toutes les contradictions laissées en suspens lors du premier procès. Goldman est reconnu coupable des 3 agressions avouées et innocenté du crime du boulevard Richard Lenoir. Condamné à 12 ans de prison il en a déjà purgé 6. 


A la sortie du procès d'Amiens
en mai 1976.

Pierre Goldman : une page d'histoire française.

Lire le parcours de Pierre Goldman permet d'explorer la courte, dense, passionnante et tragique trajectoire d'un individu à travers le deuxième XX° siècle, certes. Mais au delà de ce destin singulier, c'est bien une page de l'histoire de la France d'après guerre que son parcours nous révèle.

Il faut partir de l'identité familiale juive engagée malgré et en raison des circonstances, dans le combat de la résistance pour la libération de la France. Elle constitue racines de l'engagement, son origine, reçue  en héritage. Il faut aussi insister sur le rôle de la guerre d'Algérie qui alimente directement ou indirectement l'éveil politique d'une génération et annonce  sa radicalisation. Cette guerre, que le pouvoir politique ne nommera comme telle qu'en 1999, est présente dans l'actualité au cours des années 50. Elle rythme , en effet, la vie des français soit par ses échos médiatiques, soit par ses prolongements au sein du quotidien de la population qui voit partir à la guerre, une part croissante de sa jeunesse.

Elle s'ancre davantage encore dans l'espace public métropolitain au tournant des années 60, lorsque les affrontements liés à la guerre d’indépendance algérienne s'exportent dans la capitale. On pense à la grande manifestation des algériens de Paris d'octobre 1961 ou à celle de Charonne de février 1962 qui se solde par 9 morts dont 8 membres du parti communiste. De nombreux militants des partis de gauche se positionnent contre le maintient de la présence française en Algérie et contre un de ses porte-flingues les plus violent, l'OAS (7). Ces militants se forment dans le combat en France pour l’indépendance algérienne et contre l'OAS, entretiennent la mémoire des évènements (8). C'est par ce truchement et parce qu'ils  ne se reconnaissent plus dans le PCF que certains, plus jeunes, vont se radicaliser et contribuer à l'émergence de cette extrême gauche qui va s'échauffer  dans les rues du quartier latin contre les groupes d'extrême droite. Ces mêmes jeunes gens que fréquentent Goldman dans l'immédiat avant 68, qui s'opposent à "Occident", intègrent l'UEC, ou d'autres groupuscules plus constitués sur des nuances de rouge.

Quelle que soit la participation de Goldman à 68 (en fait il se tient relativement à l'écart des évènements), ses convictions politiques anti-fascistes vont naturellement trouver un prolongement dans la lutte anti impérialiste qui anime une partie de la jeunesse de l'époque. Baignée dans le tumultueux océan des affrontements est-ouest, elle élargit l'horizon de ses combats à l'échelle du théâtre de la guerre froide : la planète. La guerre du Vietnam mobilise la jeunesse française qui en cela emboîte le pas à sa  soeur aînée d'Outre Atlantique. Les combats de l'Amérique Latine contre son grand voisin états-unien, qui considère ce continent comme sa chasse gardée géopolitique, attirent aussi l'attention de l'avant garde d'extrême gauche. 
Puis après ce moment 68, vient le temps, sinon de la désillusion, du moins du retour à un autre quotidien. Chacun choisit  sa voie de reconversion. Beaucoup disent la difficulté de dépasser l'engagement de ces années là et la portée de l'évènement : certains intègrent l'establishment, d'autres sombrent dans la dépression (R. Linhart) (9), d'autres encore poursuivent la radicalisation entamée et plongent dans la lutte politique armée ou le banditisme.

Goldman représente un des parcours possibles à l'intérieur de cette génération. Se frottant violemment à la justice et à la loi, cela ne l'empêche pas une fois le tumulte des procès passé, de s'insérer dans le grand processus de recyclage  post 68 investissant la presse et l'édition. Il devient un membre influent de la rédaction de "Libération", puis intègre le comité de rédaction de la revue "Les temps modernes" dirigée par Jean-Paul Sartre. Toutefois, sous cette apparente normalisation, Goldman reste un homme de l'ailleurs, continuant à parler créole, à se délecter des rythmes sud américains. En perpétuel questionnement identitaire, il demeure un fascinant caméléon, relativement insaisissable, produit de la grande cassure du siècle, compagnon de ses convulsions, symbole de ses peurs et de reflet ses contradictions




L'enquête sur la mort de Goldman n'en finit pas de rebondir : les dernières pistes conduisent aux réseaux policiers parallèles proches du pouvoir en place, le SAC (Section d'Action Civique), ou encore à la piste des groupes para-militaires basques du GAL (Groupes Anti-terroristes de Libération)(10). Quelles qu'en soient les conclusions, si elles émergent un jour d'une façon certaine, la vie de Pierre Goldman, "La vie d'un homme", restera un objet de controverse autant que de fascination  et de débat puisqu'elle se même intimement à quelques  unes des questions vives de notre temps : celle de l'identité multiple, celle de l'engagement, qu'on en étudie ses modalités ou ses limites, mais aussi celle de la citoyenneté et de ses contours dans une démocratie qui en donne une lecture de plus en plus aride la limitant à l'adhésion là où il devrait y avoir participation et questionnement critique.




Notes :

(1) Il écrit alors "Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France", Seuil, 1975.
(2) FTP MOI = Franc Tireur et Partisan Main d'Ouevre Immigrée, le groupe dirigé par M. Manouchian auquel appartient M. Rajman en est la branche pour la région parisienne.
(3) Voir l'entretien accordé par Catherine Lévy à Emmanuel Moynot dans "Pierre Goldman, la vie d'un autre", p 32-34, Futoropolis, 2012.
(4) Prisca Bachelet a connu Pierre Goldman au cours des années 60 dans les organisations étudiantes, elle a alors derrière elle l'expérience du soutien actif à la cause de l'indépendance algérienne.
(5)UEC = Union des étudiants Communistes.
(6)Voir l'entretien accordé conjointement à E. Moynot dans "Pierre Goldman : la vie d'un autre" p 123-130, Futuropolis, 2012.
(7) OAS = Organisation de l'Armée Secrète fondée en 1961 et recrutant chez des militaires déserteurs  qui mena des actions violentes allant de l'attentat contre de Gaulle, à celui perpétré contre la villa d'A. Malraux, mais aussi contre des anonymes français et algériens, pour maintenir l'Algérie dans l'empire colonial français.
(8) Lire les travaux de Sylvie Thénault, en particulier la partie "atelier de l'historien" du dernier volume de "l'Histoire de France" Belin de Zancarini-Fournel et Delacroix.
(9) Voir V. Linhart "Le jour où mon père s'est tu", seuil, 2008
(10) La thèse du SAC a notamment été exposée dans un documentaire siugné M. Depratx pour Canal plus diffusé en 2010. La piste du Gal a été levée en 2006 par un journaliste de "Libération".


Bibliographie/sitographie :

P. Goldman ""Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France", Seuil, 1975.
S. Zancarini Fournel, C. Delkacroix "Histoire de France 1945-2005", éditions Belin.
H. Hamon, P. Rotman, "Génération" Seuil 2008 pour l'édition de poche.
H. Hamon, P. Rotman, D. Edinger "Génération" série documentaire, 1998.
E. Moynot "Pierre Goldman : la vie d'un autre", Futuropolis, 2012. L'ouvrage contient en particulier une série d'entretiens très complets avec des proches de P. Goldman et la reproduction de deux articles parus dans les "Temps Modernes", l'un de J Rémy datant de 1980 et l'autre de Wladimir Rabi datant de la même année.

A consulter pour les nombreux articles de presse parlant de P. Goldman le site consacré à son frère Jean-Jacques "Parler de sa vie".

12 commentaires:

DM a dit…

Une petite nuance : si JJ Goldman n'est pas en 1979 la vedette qu'il est devenue dans les années 1980, il avait déjà eu un certain succès au sein du groupe Taï Phong.

blottière a dit…

"Je suis né Juif et en danger de mort. Je n'avais pas l'âge de combattre, mais, à peine en vie, j'eus l'âge de pouvoir périr dans les crématoires de Pologne. Les enfants étaient les premiers à être assassinés."

ça y est, je replonge dans les "souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France."
Merci Vero.

Servane a dit…

Bravo Véronique ! Ta plume, toujours aussi alerte et précise, fait encore mouche.

marie b bloom a dit…

le tueur qui a flingué pierre goldman s'appelle jean-pierre maïone-libaude membre de l’oas commando delta couvert par le numéro 2 de la mondaine
lucien aimé-blanc alias le commissaire griffon du nom de son QG bistrot rue saint honoré dans ce temps là fumeurs
marie borel (publié dans la revue LIGNE 13 n°4)

Anonyme a dit…

Goldman est un personnage symbolique de cette époque, un "caméléon" dont on ne peut faire un martyr. Son innocence dans l'affaire du Boulevard Richard Lenoir est toujours incertaine (cf les recherches de Prazan, troublantes).
Bref, l'article pourrait être un peu plus nuancé. Le fait que l'intelligentsia de gauche de l'époque ait fait front commun ne constitue en rien un gage d'innocence.

véronique servat a dit…

Cher anonyme je ne crois pas avoir développé cet argument relisez bien. J'ai lu quel'alibi de Goldman avait été récemment remis en cause mais aussi que lors du procès de 74 beaucoup de doutes subsistaient sur les témoignages en particulier (doutes repris par Langlous) en aucun cas je n'affirme que la
Mobilisation des intellis de gauche innocente Goldman. Merci de ne pas déformer mes propos.

véronique servat a dit…

Merci pour cette info. Je n'ai pas eu lopportunité de me pencher sur ces derniers développements.

Ibn Anatole a dit…

Article très intéressant, comme souvent, mais il serait peut-être utile d'évoquer toutes les facettes du personnage.Facettes contradictoires que l'on retrouve toujours chez beaucoup de militants dits de gauche. "Anti-impérialiste" écrit-tu, donc. Sauf peut-être pour ce qui concernait Israël....Au moment même où celui-ci envahissait ces fameux Territoires qui n'étaient, pas encore, occupés. Car c'est cette même grande figure du panthéon de l'extême-gauche de papier qui se promettait, je cite, de "casser la gueule" à tout ceux qui auraient osé émettre une seule critique contre ce fabuleux État, "seule démocratie" de cette région barbare. Les Anglo-Saxons appellent ce genre de militant-de-Gooche un PEP, Progressive Except Palestine. Dans cette superbe hagiographie, il serait peut-être utile de le rappeler.

véronique servat a dit…

Bonjour,
S'il était utile de la rappeler, vous vous en êtes chargé merci donc pour cette remarque et ces précisions. Mais pourquoi parler d'hagiographie ?Juste parce que je n'ai fait qu'évoquer les prises de position de Goldman sur Israël à travers les conflits que cela provoquait avec ses amis militants pro palestiniens dont Catherine Lévy, sociologue qui milita aussi pour l'accession à l'indépendance de l'Algérie ? (ah là là rien n'est simple on peut donc être Juif et pro Palestinien).
Il y a plein de choses critiquables dans le parcours de Goldman(y compris ses positions sur la politique d'Israël). Goldman est un type bourré de contradictions, qui s'engage et se perd dans ses propres cheminements. Qui, hier ou aujourd'hui, peut se targuer d'être un parfait militant de quoi que ce soit ? C'est un Pep, et alors ? c'est aussi un malfrat, un intellectuel brillant, un homme de gauche qui ne va pas au bout de ses convictions anti impérialistes, certes. C'est bien ça qui le rend très intéressant non?
Ne me pâmant pas toutes les deux lignes ni sur ses idées, ni sur ses hauts faits, ni sur ses moments de doute, je n'ai pas à juger de ses positions. Je tente les exposer et de les mettre en perspective dans ce que son parcours dit de notre histoire récente. C'est louable que vous souhaitiez apporter des précisions que j'ai omises, mais ne me faites pas endosser des démarches qui ne m'aminent pas en rédigeant cette modeste contribution. Merci.

Anonyme a dit…

Prazan est un escroc mythomane…

Anonyme a dit…

Goldman est innocent, il savait qui avait commis les meurtres et ne les a pas “balancer”. Certainement des connaissances.

Anonyme a dit…

Qu’y a t il d’incompréhensible à défendre la création de l état d’israel quand bébé tu risquais le camp d’extermination, que tes parents étaient de valeureux résistant , sa mère dirigeait des réseaux de résistants et cachaient des armes dans des berceaux ! Leur époque et leur statut n’est pas le votre !