mardi 26 juin 2012

Loca Virosque Cano (11). Charles Trenet "Le jardin extraordinaire" (1957)

C'est un jardin extraordinaire 
l y a des canards qui parlent anglais 
Je leur donne du pain, ils remuent leur derrière
 En m'disant " Thank you very much Monsieur Trenet " 
On y voit aussi des statues 
Qui se tiennent tranquilles tout le jour dit-on 
Mais moi je sais que dès la nuit venue 
Elles s'en vont danser sur le gazon 
Papa, c'est un jardin extraordinaire 
Il y a des oiseaux qui tiennent un buffet 
Ils vendent du grain des petits morceaux de gruyère
Comme clients ils ont Monsieur le maire et le Sous-Préfet 
Il fallait bien trouver, dans cette grande ville maussade 
Où les touristes s'ennuient au fond de leurs autocars 
Il fallait bien trouver un lieu pour la promenade 
J'avoue que ce samedi-là je suis entré par hasard 
Dans dans dans 
Un jardin extraordinaire 
Loin des noirs buildings et des passages cloutés 
Y avait un bal qu'donnaient des primevères 
Dans un coin d'verdure deux petites grenouilles chantaient
Une chanson pour saluer la lune
Dès que celle-ci parut toute rose d'émotion 
Elles entonnèrent je crois la valse brune 
Une vieille chouette me dit: " Quelle distinction! " 
Maman dans ce jardin extraordinaire 
Je vis soudain passer la plus belle des filles 
Elle vint près de moi et là me dit sans manières 
Vous me plaisez beaucoup j'aime les hommes dont les yeux brillent ! 
Il fallait bien trouver dans cette grande ville perverse 
Une gentille amourette un petit flirt de vingt ans 
Qui me fasse oublier que l'amour est un commerce 
Dans les bars de la cité :
Oui mais oui mais pas dans... Dans dans dans 
 Mon jardin extraordinaire
 Un ange du Bizarre un agent nous dit 
Etendez-vous sur la verte bruyère 
Je vous jouerai du luth pendant que vous serez réunis 
Cet agent était un grand poète 
Mais nous préférions Artémise et moi 
La douceur d'une couchette secrète 
Qu'elle me fit découvrir au fond du bois 
Pour ceux qui veulent savoir où ce jardin se trouve 
Il est vous le voyez au coeur de ma chanson 
J'y vol' parfois quand un chagrin m'éprouve 
Il suffit pour ça d'un peu d'imagination 
Il suffit pour ça d'un peu d'imagination 
Il suffit pour ça d'un peu d'imagination !





Dans mon jardin extraordinaire, les canards ne parlent pas anglais mais on croise au détour d'un chemin un piège à tigre d'Asie. Dans mon jardin extraordinaire, il y a longtemps, des éléphants ont fait du toboggan. Dans mon jardin extraordinaire, les statues, vestiges d'un autre temps, sont parfois cassées, et l'on est pas tout à fait sûrs de vouloir les voir, la nuit venue, les voir danser sur le gazon. Dans mon jardin extraordinaire, Persée est tout seul dans son coin, Artémise l'a abandonné.
Persée, statute du jardin d'agronomie
tropicale. (@vservat)
Non loin de Persée triomphant de la Gorgone, un obélisque de pierre blanche se dresse pour rendre hommage aux soldats coloniaux morts pour la France. Dans mon jardin extraordinaire, point de verte bruyère mais des graines exotiques à semer dans des serres pour les acclimater en des terres inconnues ; sur l'une, on lit le nom du Dahomey, sur l'autre celui de l'Indochine. Dans mon jardin extraordinaire, avec un peu d'imagination, on remonte le temps de quelques siècles, et on voyage entre Afrique, Asie et ou dans les îles de l'Océan Indien, aux quatre coins de l'empire colonial français. 
Dans ce jardin extraordinaire un belle fille, la République française, a célébré l'étendue de son empire et y a installé des laboratoires permettant de le faire fructifier. En 1907, il abrita même une exposition coloniale bien avant que le musée des colonies ne soit construit non loin de lui, aux abords de la porte Dorée, entre Vincennes et Paris, pour être le centre névralgique de la grande exposition de 1931. (1)
Le piège à tigres est installé dans l'espace
indochinois du jardin (@vservat)
Mon jardin extraordinaire a failli disparaitre. Abandonné, squatté, pillé, incendié, il a été sauvé par la mairie de Paris en 2004 et est aujourd'hui, en passe d'être restauré. Secret et méconnu des parisiens, il dégage un parfum indéfinissable issu du croisement des époques et des lieux qui constituent son identité. La biodiversité y a repris ses droits, les jardiniers veillent à son épanouissement. Peu fréquenté par les visiteurs et les touristes, on y devine le travail pointu de scientifiques spécialisés en agronomie, en développement et coopération avec les pays du Sud, mais d'autres voix résonnent encore dans les détours sinueux de ses sentiers ;  celles d'hommes et femmes qui venaient de l'autre bout du monde, pour servir d'amuses-bouches à destination de métropolitains en quête de saveurs exotiques. La République française a bien songé, un temps, à les oublier, mais la demande sociale en a  décidé autrement. Un pan fondamental de notre histoire y est resté tapi. Passons la porte chinoise et entrons dans mon jardin extraordinaire.

La porte chinoise, héritage de l'exposition
coloniale de Marseille en 1906 (@vservat).
  • Un jardin d'essai colonial devenu Centre International de Recherche en Agronomie et Developpement.
Quand on pénètre dans mon jardin extraordinaire, on comprend immédiatement que l'on est dans un lieu à l'héritage singulier. Il mêle intimement histoire et mémoire,  celles de la France et de ses anciennes colonies, mais aussi agriculture coloniale et la préservation de la biodiversité. La porte chinoise garde les stigmates d'une exposition prolongée aux intempéries, ses blessures sont celles de l'âge : couleurs passées, sculptures abîmées.


Les dégâts du temps sur la porte chinoise
(@vservat)
Quand on suit l'allée dont elle constitue l'ouverture monumentale, on entrevoit un bâtiment plus moderne, haut et vitré, entouré de préfabriqués, que nous identifions facilement comme un centre universitaire (les préfabriqués sont un indice fort) consacré à la recherche en agronomie tropicale. En quelques dizaines de pas, on vient de parcourir plus d'un siècle d'histoire de ce lieu envoûtant.

Détails de la porte chinoise (@vservat)
On entend parfois parler d'une passion particulière qu'auraient développé français et anglais pour les plantes. Plusieurs éléments se sont conjugués pour donner naissance à mon jardin extraordinaire. Au XVIII° et XIX°siècles, l'exploration de nouvelles régions, les progrès enregistrés dans les domaines de la  botanique et de l'horticulture, mais aussi la mode de l'exotisme, ou les besoins impérieux de reboisement de la France décuplent cet engouement. De fait, la naissance de sociétés d'horticultures et leurs précieuses publications attestent de l'enthousiasme et de la curiosité pour cette discipline. Leur importance est telle que la société nationale d'horticulture obtiendra l'autorisation d'utiliser les prestigieuses serres du jardin du Luxembourg comme jardin d'essai. 

Alger, le jardin d'essai en 1897.
(source@CDHA)
Cette "mondialisation" en devenir des échanges d'espèces végétales, dans leur identification, reproduction, propagation et acclimatation nécessite des structures adaptées. Il n'y a pas qu'en France que l'on créé des jardins permettant aux plantes de s'acclimater à leur nouveau milieu. En effet, le XIX siècle étant celui des conquêtes coloniales, d'autres jardins d'essais voient le jour dans les colonies. Un des plus célèbre est le jardin de Hamma à Alger mais d'autres ouvrent à Saïgon en 1863, ou Hanoï en 1886, à Libreville l'année suivante ou encore à Tunis en 1891. Ces jardins d'essai se multiplient au fur et à mesure que se constitue et se structure l'empire colonial français : protectorat de Tunisie en 1881, d'Aman et de Madagascar en 1885, AEF(2) en 1890, AOF(3) en 1895, protectorat du Maroc en 1910.  Les bases d'un prospère business sont posées puisque depuis 1829 et l'invention de la caisse Ward, on peut transporter les plants en caisse sans souci (voir ci dessous).  Dès lors, il devient plus simple  de transporter, et éventuellement  d'acclimater des espèces végétales ; les eucalyptus australiens sont ainsi implantés en Algérie, les bambous dans le Rhône, la riziculture au Sénégal. Les plantations s'étendent, produisent avec une main d'oeuvre indigène disponible et corvéable, aussi exploitable que les richesses naturelles des territoires colonisés. 

Jardin Colonial, années 1910
Expédition de plants en « caisses de Ward », destinés aux jardins d’essai de Bingerville (Côte d’Ivoire), Sor (Sénégal), Papetee (Tahiti)© Bibliothèque historique du CiradInventée en 1830 par un médecin londonien, cettecaisse a la particularité d'être totalement étanche.
Alors que les jardins d'essai se multiplient en Europe et aux colonies, stimulant les échanges, les enjeux de l'agriculture coloniale se précisent (ils sont tout à la fois économiques, politiques et philosophiques- la domestication de la nature par l'européen prouvant sa supériorité).  Le moment  est donc venu de donner une tutelle officielle à l'ensemble de ces activités, de les relier à un pôle central. Le ministère des colonies s'y emploie. Ménageant les intérêts des marchands autant que les susceptibilités des scientifiques, il publie en janvier 1899 un décret créant le jardin colonial de Paris dont l'existence est officialisée en mars. J. Dybowski en est le premier directeur, M. Bernard le jardinier en chef. Il s'installe sur des terrains au sud du Bois de Vincennes, mis à disposition par la ville de Paris qui en exige toutefois le clôturage  et demande un droit de regard sur tous  les plans  des installations futures. 

Dans les années qui suivent la création du jardin colonial ses missions sont définies, ses installations prennent forme et ses institutions se développent.
Serres, remises, laboratoires, maison des jardiniers sortent de terre progressivement. Un parc paysager y est aménagé à la manière de ce qu'on fait à l'époque un peu  comme aux Buttes Chaumont,  des pelouses sont installées. L'été venu on expose temporairement des espèces tropicales à l'extérieur (avocatiers, manguiers, caféiers, sisals, vétiver etc.). Le jardin d'essai se veut un centre de ressources (publication de revues, conservation d'études, base de données sur les autres jardins qui constitue une grande partie du fond documentaire de la bibliothèque historique du CIRAD aujourd'hui), de culture (comprenant la réception et l'envoi de plantes et semences aux 4 coins de l'empire), et un laboratoire scientifique qui évalue le potentiel des produits coloniaux (en matière commerciale, industrielle mais travaille aussi sur les moyens de les faire fructifier à l'aide d'engrais, par exemple).


Jardin Colonial, années 1910Photographie sur plaque de verre© Bibliothèque historique du Cirad
En 1902, l'école nationale supérieure d'agriculture coloniale qui forme des ingénieurs spécialisés dans cette discipline est implantée au jardin d'essai. Les premières promotions d'à peine une dizaine d'élèves s'étofferont au fil du temps. De leurs rangs sortiront quelques prestigieux spécialistes, l'un des plus célèbre étant paradoxalement l'un des plus virulents détracteurs du colonialisme, mais aussi un très grand agronome français, inventeur de l'écologie politique : René Dumont.(4) 


Ses activités ont traversé le temps et s'y sont adaptées. Le CIRAD (5) est en d'une certaine façon l'héritier.  En 1921Albert Sarraut, ministre des colonies, transforme l'école d'origine en l'INAC (Institut National d'Agronomie Coloniale) dont les activités sont particulièrement prolifiques au cours des années 30. L'institut devient l'INAFOM (6) en 1934, le terme "Outre-Mer" venant remplacer celui de "colonies" dans la terminologie officielle. En 1958, les constructions actuelles du campus destinées alors à abriter l'Institut National d'Agronomie Tropicale sont inaugurées. Aujourd'hui, le site universitaire trouve un nouveau souffle en abritant les activités de différents laboratoires et institutions autour du thème "Mondialisation et développement durable". Ici, on travaille en particulier sur les problématiques croisant agriculture-alimentation et croissance démographique et développement durable. On le voit, l'agriculture et l'agronomie tropicales n'ont rien perdu de leur importance dans un monde qui a pourtant considérablement changé.
Les installations actuelles du campus du CIRAD derrière le
monument en hommage aux soldats indochinois de confession
chrétienne morts pour la France (@vservat)
  • Le moment des expositions coloniales au début du siècle.
La fin du XIX siècle est marquée par le phénomène des expositions universelles et coloniales. Elles sont pour les nations européennes aussi bien l'occasion de montrer leur puissance impériale que de permettre à leurs ressortissants d'avoir un aperçu d'ailleurs exotiques. En 1889, la France fête le centenaire de la Révolution Française ; c'est la première fois qu'une exposition universelle intègre un espace dédié au monde colonial. L'architecture des pavillons est le vecteur privilégié pour transporter les visiteurs vers d'autres continents sans quitter la capitale. En 1900, l'exposition suivante joue un rôle important dans l'histoire du jardin d'essai colonial. Son directeur est partie prenante dans l'aménagement des serres exposées. En échange il récupèrera certaines installations une fois l'exposition close, en particulier la serre du Dahomey et ses poteaux totems qui ornent aujourd'hui la magnifique bibliothèque du CIRAD, ainsi que la case malgache. Le kiosque de la Réunion entièrement construit en bois exotique échoit également au jardin d'essai de Nogent.


Le kiosque en bois exotique de la Réunion.
(@vservat)
De grands industriels dont les activités sont liées à l'agriculture coloniale mettent aussi la main à la poche ; ainsi l'influent Menier (7) (qui exploite la chocolaterie du même nom à Noisiel) offre-t-il des serres. Henri Hammelle (8) l'accompagne dans son élan  : dans les siennes, sont  installés cacaoyers, caféiers et vanilliers et enfin cocotiers à partir de 1902. C'est ainsi que petit à petit, le jardin d'essai prend forme.

La petite serre du Dahomey au premier plan.
(@vservat)
La 1ère exposition coloniale se tient en 1905 au jardin d'essai. On y  présente les merveilles de l'industrie d'outre-mer autant que les produits son l'agriculture ou de l'élevage ;  le visiteur peut y découvrir de véritables innovations comme la végétaline matière grasse fabriquée à partir d'huile de noix de coco. En 1906, c'est au tour de Marseille, cité phocéenne, elle même issue d'un processus de colonisation (9), d'accueillir l'exposition coloniale. Pour le jardin d'essai colonial c'est encore une occasion de récupérer des installations qui agrémentent agréablement le site : c'est ainsi que la porte chinoise traverse la France jusqu'à Nogent. Il en va de même du grand pavillon du Congo aussi dénommé factorerie aujourd'hui ruiné par un incendie survenu en 2004.
Le pavillon du Congo lors de l'exposition de 1907, et
son état actuel après l'incendie qui l'a détruit en 2004.
(photo@gestiondesrisquesintercuturels)
L'année suivante le site est prêt pour abriter une nouvelle exposition coloniale. Différents villages y sont reconstitués  dont il reste de nombreuses traces aujourd'hui au jardin d'agronomie tropicale. Parmi toutes les attractions proposées se distinguent des villages indochinois, tunisien ou du Dahomey peuplés d'indigènes recrutés pour le "spectacle". Il est vraisemblable qu'il s'agisse là de personnes sous contrat. Ainsi, on sait que les Touaregs  qui animent  les fantasias et effectuent des démonstrations de danse orientale ont été recrutés expressément pour cette manifestation.  Non loin du village indochinois qui donne à voir un piège à tigres, le spectacle est aussi assuré par des éléphants dressés qui, entre autres choses extraordinaires, font du toboggan. Ils ont, semble-t-il, apporté leur contribution à l'installation du site, arrivés en avance, ils furent particulièrement utiles pour procéder au dégagement nécessaire de quelques arbres. 

Dans le village du Dahomey les hommes et femmes venus de différentes régions d'Afrique de l'ouest endossent le costume de l'artisan local ou du griot. Autour du village tunisien, puisque nous sommes aussi dans un jardin, orangers, palmiers et figuiers de barbarie contribuent à donner l'illusion d'une enivrante Afrique du Nord. Le pavillon qui y est construit abrite en fait un grand bazar dans lequel tapis et tentures sont exposés ainsi que de l'huile d'olive ou du miel. Inaugurée le 8 juin 1907 cette exposition n'accueille pas moins de 1,8 millions de visiteurs jusqu'en octobre. 


Le pavillon de la Tunisie. On identifies le croissant
au niveau du dôme central. (@vservat).
L'après exposition plonge le jardin dans d'importantes difficultés d'entretien et problèmes financiers. En 1931, le centre de gravité de l'exposition coloniale se déplace plus au nord en direction de la porte Dorée et du lac Daumesnil. Là est inauguré le musée des colonies et est installée la gigantesque exposition qui promet aux visiteurs de faire "le tour du monde en un jour". Le jardin d'essai reste assez en retrait servant essentiellement d'arrière boutique à cette manifestation dont elle récupère (encore) quelques vestiges aujourd'hui en piteux état : parmi eux un portique constitué de deux côtés de baleines qui git aujourd'hui dans l'herbe.

  • Lieux de mémoire voué à l'oubli, le jardin d'agronomie tropicale victime du passé colonial français?


La déflagration de la première guerre mondiale va constituer une rupture dans l'histoire du jardin colonial puisque pour la première fois les activités liées à l'agronomie vont céder le pas à celles liées aux impératifs militaires. Durant le conflit, un hôpital destiné aux soins des blessés issus des troupes coloniales est installé  sur le site. Les serres sont reconverties pour l'accueil médical.

C'est à cette occasion qu'est  construite la première mosquée de Paris bien avant celle qui sera érigée à l'orée du jardin des plantes. Faite de bois, il n'en reste guère de traces aujourd'hui, l'édifice n'étant pas destiné à durer, une stèle et des plans ainsi que quelques photos attestent de son existence. Beaucoup de blessés issus des troupes coloniales sont soignés ici, et il est important à plus d'un titre, à l'époque,  d'en reconnaitre l'engagement soit à des fins de propagande, soit à des fins militaires. Ainsi, les blessés et convalescents bénéficient-ils d'une nourriture adaptée à leurs convictions religieuses et de lieux de cultes. Quelques 4800 soldats coloniaux passeront par cet hôpital doté d'un service de radiologie, de plusieurs salles d'opération, d'une pharmacie et de bâtiments de fonctionnement (blanchisserie, réfectoire) au cours du conflit. Les plantes trouvent encore quelque utilité en cette sombre période ; certains espaces des jardins d'essai sont reconvertis en potager permettant d'approvisionner en nourriture le site,  la culture du kapok est largement expérimentée pour remplacer le coton hydrophile nécessaire aux soignants.
Une simple plaque atteste de la
 transformation du jardin en
  hôpital pour les soldats coloniaux. 
On distingue le tracé de la mosquée
 qui y fut construite. (@vservat)
Le socle de l'obélisque dédié aux
 soldats coloniaux morts 
pour la France. (@vservat).





















Après la guerre, le jardin colonial connait une nouvelle phase de son histoire en devenant un important lieu de mémoire. Un simple obélisque blanc est érigé en 1919 et inauguré l'année suivante. Il rend hommage aux soldats coloniaux morts pour la France. Grâce à l'action des  associations d'anciens combattants indochinois et à leurs contributions financières, tout un pan du jardin est réaménagé. Un mémorial aux combattants indochinois bouddhistes est érigé, ce qui justifiera la demande quelques temps plus tard de l'évêque du Tonkin d'en ériger un second à la mémoire des combattants indochinois chrétiens. Puis, un dinh (maison commune traditionnelle) est construit en guise de lieu dédié à la mémoire des combattants indochinois qui furent environ 100 000 soldats ou travailleurs dans les usines d'armement à apporter leur contribution au conflit. Ce magnifique édifice, richement décoré, est aujourd'hui détruit. Il fut pillé en 1984 et incendié, vraisemblablement pour maquiller le vol.
Le monument aux morts
 indochinois bouddhistes. 
(@vservat)

Le dinh reconstruit après l'incendie
 de 1984 bien plus modeste que
 la construction d'origine.
Les grilles ont été retrouvées
 et rachetées chez un antiquaire
 après leur usurpation (@vservat)



L'ensemble indochinois : le
 pont des najas.(@vservat)

Autour de lui à partir de 1921, un véritable "ensemble indochinois" se structure : y est ajoutée une maison des gardiens cachée par un portique qui dissimule aussi le grillage du parc, mais aussi un Cao ou urne en bronze posée sur trois pieds, héritage de l'exposition marseillaise. Cette copie d'une des 9 urnes funéraires du palais impérial de Hué est installée sur l'esplanade entre le portique et le dinh. Deux grands pilonnes surmontés de toits évoquant des pagodes se dressent sur un des côtés formant une sorte d'entrée monumentale qui dirige notre regard vers le pont dit des Najas construit en 1928.

L'esplanade devant le dinh avec le portique qui cache la
maison
des gardiens, le Cao (urne tripode) et les pilonnes
 à toits pagodes. (@vservat)
Dans une autre partie du parc un monument aux soldats noirs morts pour la France est construit. La date exacte de son édification reste incertaine. A l'ouest de la porte chinoise enfin, un monument aux morts  malgaches de la guerre surmonté d'un aigle est installé en 1925. 


Ces nouvelles installations modifient l'identité première du jardin colonial. Alors que se poursuivent les travaux de recherche en agronomie et en agriculture tropicales, une partie du site est reconvertie en lieu de mémoire et d'hommage aux combattants issus de l'empire français. 




Monument aux soldats noirs morts pour la France.
(@vservat).
Monuments aux morts de Madagascar.
(@vservat)
Si après le second conflit mondial, les installations liées à la recherche en agronomie se modernisent, on comprend qu'à l'heure de la conquête des indépendances par les colonisés notre jardin extraordinaire subisse les revers de l'histoire et sombre lentement dans l'oubli. Avec lui débute le délabrement progressif mais certain de constructions témoignant d'un pan de notre histoire mal assumé. 
C'est peut être dans cet ensemble statuaire monumental déposé en 4  morceaux au jardin d'agronomie tropicale en 1961 que se trouve résumé le devenir de cet étonnant endroit dans le second XXème siècle. Sur les 3 parties qui constituaient le socle de la statue on voit une africaine allongée nue dans une pose lascive (la tête de la statue décapitée est conservée autre part), un asiatique au visage lisse et paisible qui s'affaire avec une jatte remplie d'eau à la main. A coté de lui un coq gaulois placé fièrement sur un globe, des armes, outils de la conquête, l'accompagnent.  Une femme en habit traditionnel antillais tient sa robe. A ses pieds un régime de bananes. La partie haute de la statue est, elle, constituée d'une allégorie de la République française drapée dominant son empire colonial, sûre de sa puissance, infaillible dans sa mission. 
Antillaise (@vservat)


Socle de la statue, africaine nue 
aujourd'hui décapitée (@vservat)














La République s'est pourtant cassé les dents sur une mission civilisatrice qui n'était q'un écran de fumée destiné à masquer une exploitation économique des ressources naturelles et humaines des régions colonisées. C'est un peu de cette histoire qui est restée enfouie dans mon jardin extraordinaire, le lierre et la mousse recouvrant lentement les statues symboliques de cette époque.
Asiatique avec une
 jatte (@vservat)
On peut lancer l'hypothèse que la reprise en main du site par la mairie de Paris depuis 2004 est un signe de changement de posture. Le jardin d'agronomie tropicale est un livre vert à ciel ouvert qui nous dit les relations de la France à son empire colonial et à ses habitants. Il renait peu à peu. Cela atteste-t-il d'un certain apaisement pouvant faire émerger et reconnaitre à partir de ce lieu une histoire à parts égales (10) celle de scientifiques passionnés d'agronomie, d'hommes d'ici et d'ailleurs pris dans cette entreprise coloniale menée par la France aux 4 coins du monde. Il faudra alors veiller scrupuleusement à restituer le point de vue des colonisés - travailleurs des plantations, indigènes des expositions, soldats enrôlés dans les troupes françaises - dont l'histoire n'est en ces lieux que furtive ou inversée, car toujours observée du point de vue de la puissance impériale.  Quelle que soit la réponse à cette question, le jardin d'agronomie tropicale reste un endroit unique, aux bruissements particuliers, dans lequel le flâneur peut assouvir autant son désir d'histoire qu'étancher sa soif de quiétude. Dans un cadre verdoyant propice à la méditation et à la réflexion, on peut s'y interroger sur le rapport de nos sociétés à leur passé colonial, et sur ce qu'il leur reste à en révéler. 
La république drapée
 (@vservat)
A Laurence, qui affectionne aussi cet endroit et à Anne, sans qui je ne l'aurais jamais découvert.


Notes : 
1 : L'exposition coloniale de 1931 se déroule de mai à novembre autour du lac Daumesnil et du musée des colonies (aujourd'hui Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration). Elle accueille 6 à 8 millions de visiteurs.
2 : AEF = Afrique Equatoriale Française, regroupement fédéral de plusieurs colonies de l'empire français s'étendant du centre du Sahara à l'ouest du Golfe de Guinée.
3 : AOF = Afrique Occidentale Française, regroupent fédéral de plusieurs colonies françaises d'Afrique de l'Ouest.
4 : Une stèle lui rend hommage au jardin d'agronomie tropicale. Grand agronome, expert auprès de la FAO, il est le premier candidat écologiste à se présenter à l'élection présidentielle en 1974. Membre fondateur d'Attac, R. Dumont est décédé en 2001 à 97 ans. L'Afrique noire est mal partie (1962) est un de ses ouvrages les plus connus.
5 : Cirad, pour définir les activités de ce centre de recherche, le mieux est de consulter son site internet.
6 : Institut National d'Agronomie de la France d'Outre Mer, créé par décret du président de la République Albert Lebrun en 1934.
7 : La famille des industriels Menier qui donna son nom à la chocolaterie établie à Noisiel et au célèbre chocolat  a débuté sa carrière dans les produits pharmaceutiques. Comme beaucoup de ses élites  du XIX siècle issues de l'industrialisation, leur ascension dans la sphère économique s'est rapidement doublée d'un accès aux responsabilités politiques.
8 : Henry Hammelle est un industriel dont la fortune s'est en partie établie grâce à la vente de divers matériaux aux armées, mais aussi aux chemins de fer : caoutchouc, aciers, huiles et graisses.
9 : Rappelons que Marseille est fondée par les habitants de la cité de Phocée, en Asie Mineure, au VI siècle avant JC.
10 : J'emprunte l'expression à R. Bertrand dont la récente publication intitulée "L'histoire à parts égales", restitue la rencontre entre l'Occident et l'Orient lorsqu'en 1596 un expédition néerlandaise accoste en Indonésie. Son travail s'appuie autant sur des sources asiatiques qu'européennes et constitue une des pistes de travail les plus prometteuse et excitante de l'histoire connectée en ce qu'elle permet la déconstruction de tout une série de stéréotypes ancrés dans une historiographie uniquement issue de travaux européens.




Sources :


Ferro Marc, Le livre noir du colonialisme, 2003
Levêque Isabelle, Pinon Dominique, Griffon Michel, Le jardin d'agronomie tropicale, de l'agriculture coloniale au développement durable,2005.
Ferro Marc, Le livre noir du colonialisme, 2003
Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, Vergès Françoise, La république coloniale, 2006.


Les collections de l'Histoire,  Le temps des colonies, mai 2001.


Liens.
http://www.paris.fr/loisirs/paris-au-vert/bois-de-vincennes/jardin-d-agronomie-tropicale/rub_6566_stand_10127_port_14913
http://bft.cirad.fr/cd/BFT_206_81-88.pdf
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1036
http://www.musee-nogentsurmarne.fr/expositions/expositions-realisees/expositions-universelles-et-coloniales.html
http://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/BANCEL/14145
http://www.baudelet.net/paris/jardin-tropical.htm
http://islamenfrance.canalblog.com/archives/2007/01/20/3745707.html







1 commentaire:

jsb a dit…

Bravo pour la documentation ! En tant que ciradien je suis heureux d'apprendre tout ça ;)