mercredi 28 octobre 2015

300. Queen: "We are the champions"


Pour cette 300ème contribution de l'Histgeobox, l'équipe a choisi de vous présenter à sa manière le titre de Queen We are the champions. Il nous a semblé tout d'abord que notre aventure commune sur le net, partagée avec nos lecteurs fidèles ou occasionnels méritait bien - arrivés à ce nombre respectable d'articles - un brin d'autosatisfaction. Ce titre nous offre l'occasion d'une petite pirouette.  

Certain.e.s d'entre nous sont aussi versé.e.s dans la musique que dans le sport (football, cyclisme, boxe, rugby etc) et il nous semblait plutôt intéressant de croiser deux objets emblématiques des évolutions de la culture de masse de la fin du XXème siècle : le sport et le rock. 

En la matière, les stades sont devenus les lieux privilégiés pour entendre les hymnes des équipes sportives ou ceux des stars de la pop mondiale. Le sport et la musique se retrouvent, si l'on peut dire, sur un certain nombre de terrains  : liesse collective, adoration des idoles ou figures mythiques, culture, sociabilité et ferveur populaires, marchandisation et mondialisation. Deux objets d'histoire, de sociologie, de réflexion aux dynamiques comparables, aux spécificités fortes. 

Nous avons donc pensé à Queen qui est vraisemblablement le deuxième groupe le plus populaire de Grande-Bretagne après les Beatles. Né au début des années 1970 dans la banlieue de Londres, la formation musicale entre dans une phase de succès planétaire à partir de la fin de cette décennie. Groupe très singulier affublé d'un guitariste parti pour être astrophysicien, et d'un chanteur d'origine indienne né à Zanzibar, fantasque et déshinibé, mort prématurément du SIDA en 1991, Queen a façonné sa musique à partir d'une multitude de genres musicaux : glam rock, rock progressif, opéra rock etc.  

Tube le plus accrocheur de tous les temps d’après une étude scientifique de 2011, We are the champions a contribué à écrire la légende de Queen. Dans le sillage de Led Zepellin, Queen devient un des groupes phares du stadium rock et de ces spectacles monstres qui enivrent les foules rassemblées dans les arènes sportives du monde entier. Lors des live de Queen, We are the champions succédait à We will rock you - commercialisés sur les deux faces du même 45 tours en Grande Bretagne - lors des rappels. Bouquet final du show, les deux chansons commençant par ‘We’ scellaient la communion du public autour du groupe. Mais la vie d’un classique du rock peut prendre parfois d’étranges tournures. Si We are the champions ne semble pas avoir été récupéré pour entretenir la liesse d’une victoire électorale, le titre est utilisé comme  instrument de torture musicale, répété en boucle auprès des prisonniers du camp Guantanamo

D'aucuns nous opposeront que We are the champions a plus à voir avec les arènes de foot qu'avec celles de l'événement sportif dont nous parlerons ensuite. Certes, et le fait qu'il ait retenti au Stade de France après que les bleus aient gagné la coupe du monde de football en 1998 en est la confirmation. Lorsqu'on dit Queen et We are the champions on pense surtout à Wembley, stade que le groupe remplit à de nombreuses reprises. L'une d'entre elle a revêtu une importance particulière, moment tout à fait symbolique du Charity Business et de la mondialisation culturelle : le Live Aid de 1985. 


Le rugby et le rock ont donc parfois cela en commun qu'on y joue dans des stades.  Alors que le Coupe du Monde de Rugby 2015 se termine, les matchs se succèdent dans des arènes sportives rutilantes du Royaume-Uni. De Londres à Cardiff  la légende des stades mythiques du rugby peine à survivre à la marchandisation de plus en plus poussée de ce sport mais aussi tout simplement à l'usure du temps. Twickenham est rénové, Murrayfied à Edinburgh porte désormais le nom de la grande compagnie de télécommunications britannique, le millenium stadium de Cardiff a remplacé l'Arms Park, l'Aviva stadium de Dublin supplée Lansdowne road. 

Au début de chaque match en compétition internationale les hymnes sont chantés, moment de solennité et de ferveur qui cimente l'union de l'équipe et des supporters. Si le XV de France entonne l'hymne national, certaines équipes ont du s'adapter à des réalités géopolitiques un peu plus complexes : ainsi les Irlandais ont-ils fait composer l'Ireland's Call pour les compétitions internationales de façon à ne pas aviver la partition du pays au sein du groupe des XV avant d'entamer un match ; les Ecossais quant à eux ne chantent plus le God Save the Queen depuis 1990, lui ayant préféré le magnifique Flower of Scotland

A l'issue de la compétition, l'équipe gagnante  -  qui sera forcément issue de l'hémisphère sud - pourra justifier du choix qui fut le nôtre. Elle pourra entonner en brandissant la coupe William Webb Ellis l'hymne des vainqueurs We are the champions
En attendant, et comme l'histgeobox, c'est aussi de l'histoire, nous nous devons de revenir sur la genèse et l'essor du rugby.


* Au temps de la Queen Victoria : de Rugby à l'empire

Un beau jour de 1823, sur le terrain de sport du prestigieux public school de Rugby, le jeune William Webb Ellis, 16 ans, joue au football avec ses condisciples. C'est alors que, prétend la légende, Ellis décide de changer la règle. Devant ses camarades hébétés, il s'empare du ballon avec les mains, puis se met à courir en direction des buts adverses. Sans le savoir, William Webb Ellis venait d'inventer le rugby... Cette histoire à dormir debout s'impose en tout cas de nos jours comme le mythe fondateur du rugby moderne.  Si William Webb Ellis n'est sans doute pas le géniteur de ce sport dont la genèse demeure assez mystérieuse, une chose est sûre, c'est bien à Rugby que la nouvelle discipline voit le jour dans le premier tiers du XIXème siècle. 

Sise dans le comté du Warwickshire, au coeur des Midlands, à une centaine de km au nord de Londres, la bourgade de Rugby compte environ 70 000 habitants et abrite une école très renommée. C'est sur la pelouse de cette public school qu'apparaît ce que l'on appelle aujourd'hui le rugby. Paradoxalement, ces "Public schools" n'ont rien de public puisqu'elles sont privées et très chères ! Elles accueillent en leur sein les enfants de l'élite du pays, de manière sélective. Le public school boy qui en sort a son avenir assuré en même temps qu'un rapport au reste de la société empreint d'une certaine condescendance. La fréquentation de ces établissements scolaires engendre un certain formatage du mode de pensée. L'éducation reçue permet aux élèves d'acquérir une capacité d'adaptation à toute situation. L'apprentissage du rugby n'est pas étranger à cette propension à garder la tête haute tout en ayant les pieds dans la gadoue !


A l'automne 1823, en pleine partie de football, un lycéen rebelle 
de la Rugby School, William Webb Ellis, se serait saisi à la main du ballon 
pour échapper à la charge de ses adversaires. 
Une plâque commémore « l'exploit de William Webb Ellis qui, 
avec un beau mépris pour les règles du football pratiquées à son époque, 
fut le premier à prendre le ballon dans ses bras et à courir avec, 
en étant ainsi à l'origine des caractéristiques distinctes du jeu de rugby. » 
Dès 1895, une enquête démontre pourtant qu'il n'existe aucune preuve 
de la véracité de l'incident. L'affaire n'est rapportée que dans un article 
du journal de la Rugby School (The Meteor) en 1876, 
soit plus de 50 ans après les faits! 
Mais comment faire l'impasse sur une si jolie histoire...



Si la Rugby School et ses vieux bâtiments georgiens sont devenus un lieu de pèlerinage incontournable, c'est qu'à peu près tout ce qui touche à l'Ovalie y a été inventé. (1)
C'est sur les terrains de sport de la prestigieuse public school que les matchs de football évoluent vers une forme qui donnera naissance au rugby. Les premières parties de "football-rugby" - comme on appelle alors ce sport - sont très peu codifiées. Deux équipes, comprenant un nombre de joueurs quasi-illimité s'affrontent parfois pendant plusieurs jours ! Ces joutes ressemblent encore à de vastes empoignades collectives où les combats prédominent. En 1845, pour mettre un peu d'ordre dans ces gigantesques mêlées, d'anciens « Rugbeians » dotent le football-rugby de règles. Pour faciliter l'extraction du ballon, l'habitude est prise de le talonner dans son propre camp, puis de le faire circuler de main en main. 

Ce sont encore d'anciens élèves de la Rugby School qui fondent en 1871 la Rugby Football Union. Or, c'est cette fédération qui légifère pour fixer les règles et le lexique caractéristique du rugby moderne: essai, mi-temps, hors-jeu, mêlée, adoption de la forme ovale du ballon, limitation du nombre de joueurs (à 15)... (2)

Pour se procurer les ballons, il suffit de pénétrer dans l'échoppe de William Gilbert, située à quelques encablures seulement des terrains de jeu. Le maître des lieux n'est autre que l'inventeur du ballon ovale de rugby (en 1835) et le fournisseur officiel de la Rugby School. Gilbert se trouve bientôt à la tête d'une entreprise florissante dont le succès ne s'est jamais démenti. A proximité immédiate de la boutique de Gilbert se trouve une maroquinerie. Dans les années 1840, Richard Lindon, son propriétaire,  parvient à y mettre au point une chambre en caoutchouc qui se gonfle grâce à une pompe. La traditionnelle vessie de porc a vécu.


 Le trophée récompensant les vainqueurs de la coupe du monde 
se nomme la Webb Ellis Cup. Les mythes ont la vie dure...

A partir de cet épicentre, le rugby gagne de proche en proche les autres public schools du centre et du sud de l'Angleterre (Cambridge, Oxford...). L'apparition et l'épanouissement du rugby au sein des bâtiments scolaires fréquentés par des enfants de la bonne société victorienne, expliquent que le rugby ait été, à l'origine, un sport amateur. Dès les années 1880 cependant, d'autres groupes de population s'emparent de ce jeu collectif. Les comtés industriels du nord de l'Angleterre, en particulier le Lancashire, deviennent des hauts-lieux du rugby. De nombreux internationaux sont ainsi des mineurs et ouvriers des aciéries qui doivent quitter leur lieu de travail pour participer aux matchs. C'est la raison pour laquelle, ils en viennent à réclamer un dédommagement à la fédération. Devant le refus des dirigeants de la fédération - partisans d'un amateurisme pur et dur car issus des classes dirigeantes - les clubs du Nord de l'Angleterre décident de fonder leurs propres instances: la Northern Union, fédération de rugby à 13 en 1895.

A partir du foyer anglais, le rugby gagne le reste de la Grande Bretagne et l'Irlande, avant de se diffuser dans l'ensemble de l'empire britannique. Dès les années 1880, Anglais, Écossais, Gallois et Irlandais s'affrontent dans le cadre d'une compétition opposant les différentes nations entre elles (International Championship). Il s'agit bien sûr de l'ancêtre du tournoi des cinq nations (lorsque la France intègre la compétition en 1910), puis des six Nations (avec l'arrivée de l'Italie en 2000).

En 1886, l'International Rugby Board (IRB) est créé à l'initiative de l'Ecosse, du Pays de Galles et de l'Irlande. Cet organisme conserve la haute main sur la gestion du jeu, la fixation des règles et des statuts, l'organisation des rencontres officielles. Ces dernières impliquent de nombreux déplacements et mettent en présence des joueurs d'origines sociales très différentes. Les tenants de l'entre-soi  et de la perpétuation d'un noble game réservé à l'élite et totalement amateur, en sont pour les frais.


Le rugby poursuit sa diffusion dans l'ensemble de l'empire britannique, emboîtant le pas des colons. 
- En Nouvelle-Zélande, le rugby s'impose comme le sport de prédilection des colons européens, mais aussi des Maoris, à tel point qu'il devient un facteur de rapprochement entre ces deux groupes de population. A la faveur des premiers matchs internationaux, les All Blacks (3) se forgent la réputation de guerriers invincibles. En 1905-1906, les joueurs néo-zélandais réalisent une tournée de 7 mois sur le vieux continent et ne subissent qu'une seule défaite sur les trente-trois rencontres jouées. 
Face aux All Blacks, la confrontation débute dès les hymnes avec le haka. Cette danse de guerre maorie adoptée par tous les néo-zélandais, cherche à déstabiliser l'adversaire, apeuré par la détermination affichée.

- En Afrique du Sud, les éleveurs du Transvaal s'adonnent les premiers au rugby. Au XXème siècle, le régime d'apartheid réserve la pratique de ce sport aux seuls Blancs et il faudra attendre 1981 pour qu'un joueur noir (Errol Tobias) puisse intégrer l'équipe nationale (Springboks).  

- Très tôt introduit en Australie, le rugby peine cependant à s'y développer et reste longtemps pratiqué par les seuls rejetons de la bonne société formés dans les public schools de la Nouvelle-Galles du Sud et du Queensland. La concurrence du football australien, du cricket et du rugby à XIII - qui rétribue les joueurs - empêche longtemps le plein essor du jeu à XV, demeuré amateur. Dans ces conditions, il ne se démocratise que très lentement. 
C'est seulement au cours des années 1980, avec la création de la coupe du monde et la professionnalisation que, sous la houlette d'entraîneurs inventifs, les Wallabies australiens s'imposent comme une des équipes phares de la planète-rugby.

De nos jours, les équipes d'Afrique du Sud, d'Australie et de Nouvelle-Zélande dominent les compétitions internationales et possèdent les meilleurs joueurs au monde. Elles s'affrontent tous les ans lors du Rugby Championship, ex-Tri-nations.  


Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

* La Guerre de 100 ans se (re)joue à XV.



Le rugby s'implante parfois avec succès hors de la sphère d'influence britannique, mais toujours cependant dans le sillage des Anglais comme l'atteste le cas de la France. Marchands et étudiants britanniques fondent ainsi le Havre Athletic Club en 1872, puis le Paris football Club quelques années plus tard.  Comme en Angleterre, la pratique du rugby en France reste d'abord cantonnée à la bonne société, des milieux universitaires et grandes écoles. Les élèves du lycée Condorcet sont par exemple à l'origine de la fondation du Racing Club de France (1882), quand ceux du lycée Saint-Louis créent le Stade français (1883).  

L'avènement d'une société de loisirs qui plébiscite le sport et les pratiques hygiénistes, l'anglomanie très en vogue expliquent pour une large part le succès fulgurant que remporte le rugby en ce dernier quart du XIXème siècle. A partir de Bordeaux, où la présence britannique est très marquée, le nouveau sport se propage en province et en particulier dans le Sud-Ouest (4) où les clubs se multiplient: stade olympique des étudiants toulousains en 1893 (futur Stade Toulousain), Biarritz, Agen, Perpignan, Lourdes, Brive, Béziers... La pratique du ballon ovale se diffuse petit à petit à toutes les classes sociales.   Ainsi, "en un quart de siècle, ce jeu de Parisiens fortunés sera devenu une pratique de paysans d’Occitanie." constate Jean Lacouture. La retransmission des matchs à la radio, puis la télévision, la gouaille de commentateurs sportifs de la trempe de Roger Couderc - et son classique "allez les petits!" - contribuent à populariser davantage encore le rugby dans l'hexagone. Cette médiatisation contribue à l'émergence d'un panthéon de grands noms du rugby: Spanghero, Prat, Rives, Blanco et consorts. Les samedis après-midi d'hiver, de nombreuses familles françaises prennent ainsi l'habitude d'admirer leurs exploits lors des matchs du tournoi des cinq nations diffusés à la télévision.

Le Rugby à XIII (ou Rugby League), à bien des égards plus populaires en Angleterre, reste peu pratiqué en France, notamment victime d'une politique répressive de la part du régime de Vichy qui y voyait une perversion du sport amateur qu'était encore le Rugby à XV. 

Le rugby français se distingue par ses aspects plus populaires ou moins aristocratiques que le rugby d'Outre-Manche. Rugby des villages et des bourgs du sud ouest de la France, il se fond avec l'identité sociologique de la population (voir article de Mondes sociaux sur Graulhet). Le rugby français aurait aussi des particularités de jeu, moins technique, plus fantasque; il mobilise les joueurs arrières de l'équipe qui déploient un jeu de passe et de champ. La course et la passe sont mises en avant / au contact viril et puissant du jeu des avants. On parle de rugby champagne dont le quinze de France cru 2015 n'a - lui - manifestement jamais entendu parlé. Quoi qu'il en soit, l'hégémonie britannique dans les compétitions reste cependant indiscutable: 37 victoires (dans le tournoi des IV, puis V, puis VI nations)  pour les Gallois, 36 pour les Anglais et 25 pour les Français (5).  La France parvient ainsi de temps à autre à faire revenir le titre de champion du tournoi sur le continent. Il lui arriva même sous la voix émue de Roger Couderc de commenter la victoire du XV de Jean Pierre Rives pour un 3ème granchelem d'anthologie remporté sur les terres anglaises de Twinkenham en 1981. L'affrontement entre la France et l'Angleterre porte d'ailleurs un titre distinctif dans le tournoi : le crunch.


* Le Rugby à l'heure du monde


Assez curieusement, il faut attendre très longtemps avant que ne soit organisée une compétition rassemblant les meilleures nations de l'ovalie. La première coupe du monde se déroule en 1987, en Nouvelle-Zélande. La compétition, qui se déroule dans des stades relativement petits (35 000 spectateurs seulement pour le match d'ouverture), demeure assez confidentielle. Au fond, la compétition peine à susciter un intérêt au delà du cercle des aficionados. 

Dès les compétitions suivantes cependant, le succès semble au rendez-vous; le rugby devient  un des sports les plus populaires. Aujourd'hui, la coupe du monde s'est imposée comme un événement sportif incontournable, au retentissement mondial.  Alors, que la compétition rassemblait environ 600 000 spectateurs en 1991, elle en attire plus du triple en 1997. De même, quand la première coupe du monde ne rassemble que 230 millions de téléspectateurs, celle de 2007 en attire 4,2 milliards (en audience cumulée). Enfin, le budget dont disposent les organisateurs augmente dans des proportions vertigineuses, passant en 20 ans de 5 millions d'euros à 255 millions en 2007...

Bref, le rugby a su se diffuser, gagner des adeptes. Longtemps réservé aux petits cercles fermés de l'aristocratie blanche, le rugby a su se démocratiser et s'ouvrir aux joueurs de minorités ethniques longtemps marginalisées ou discriminées. En Australie, il faut attendre la seconde moitié du XXème siècle pour que les Aborigènes, puissent enfin fouler les terrains de jeu. En Afrique du Sud, ce n'est qu'avec la fin du système raciste de l'apartheid et l'arrivée au pouvoir de Nelson Mandela que le rugby s'ouvre enfin aux Noirs dans le pays. Mieux, c'est aussi par le truchement de ce sport et à la faveur de la réception de la coupe du monde de rugby que la société sud-africaine, a pu - un temps - se souder derrière les Springboks

Le processus de mondialisation est aussi à l’œuvre dans le monde de l'ovalie comme en atteste la diffusion du jeu à XV loin de ses bastions traditionnels. L'Argentine, l'Italie se sont imposées sur la scène internationale au cours des années 2000. Le récent succès du Japon sur l'Afrique du Sud -même sans lendemain - montre que les cartes peuvent être rebattues à tout moment. Vous n'êtes pas convaincu(e)? Regardez donc cette vidéo...



Même la notion d'équipe nationale n'a plus vraiment de sens aujourd'hui puisque les équipes nationales peuvent désormais intégrer des joueurs étrangers dans leurs rangs, à condition qu'ils jouent depuis au moins trois ans en championnat national



* Conclusion.
 
Sport télégénique et très spectaculaire, le rugby a incontestablement le vent en poupe, mais doit se garder de certains écueils. Le passage à la professionnalisation en 1995 a permis l'entrée de l'argent et des sponsors dans le rugby. Ce nouveau modèle économique a pour corollaire l'augmentation faramineuse des chiffres des droits télévisés, ainsi que des salaires des joueurs. Chaque année, le nombre de rencontres disputées augmente et conduit à des calendriers démentiels. Ces transformations économiques ont d'incontestables répercussions sur le jeu en lui-même. Pour s'en persuader, il suffit de comparer la morphologie des joueurs de rugby dans les années 1970 et aujourd'hui. Les entraînements passent désormais autant par le terrain que par la salle de musculation. Désormais, sur un match, les contacts sont plus violents, le jeu plus rapide, intense, avec désormais la tentation du dopage et les claquages à répétition.

Gagner en visibilité pour plaire au sponsor peut-il se faire sans renier ses valeurs?
Le rugby peine à concurrencer sérieusement le football car ses règles, en constante mutation, restent bien plus complexes. Aussi, le nombre de licenciés progresse lentement. En outre, la greffe du rugby ne prend pas partout. Ce sport reste encore très marginal en Afrique (si l'on excepte les Springboks et la Namibie), en Amérique (Argentine mise à part) et en Asie. Encore très marqué par l'amateurisme, le rugby ne suscite pas pour les jeunes l'espoir de devenir professionnel voire même une star planétaire comme peut le faire le football aujourd'hui.

L'équipe de l'histgeobox: Véronique Servat, Jean-hristophe Diedrich, Etienne Augris, Emmanuel Grange et Julien Blottière.

Notes:

1. Des jeux très anciens s'apparentent au rugby à l'instar de la soule. D'aucuns voient dans ce jeu collectif, pratiqué dans les campagnes françaises du XVIème siècle, l'ancêtre du rugby. Les membres des deux équipes qui s'affrontent doivent porter à la main une vessie de porc jusqu'à un but donné (porche d'église, orée d'un bois...). Le jeu, très violent, relève du rite initiatique et oppose souvent les célibataires aux hommes mariés.

2. Au tout début, les parties pouvaient durer plusieurs jours et mettaient aux prises un nombre de joueurs prodigieux, donnant aux rencontres un aspect très brouillon, celui d'un vaste entassement de joueurs agglutinés les uns aux autres. La forme ovale du ballon est peut-être due au fait qu'au départ on jouait avec une vessie de porc qui n'était pas ronde et s'est progressivement aplatie. L'habitude se prend en tout cas de donner cette forme au ballon.  

3. Au moment de l'envoi de sa copie, un journaliste du Daily-mail se trompe. « They're all backs » [« ils sont tous derrière »] devient « They're all blacks » [« ils sont tout de noir vêtu »]. 

 4. Pour quelle raison le rugby s'épanouit-il particulièrement dans le sud-ouest ? Les historiens sont divisés sur la question. Certains considèrent que les lendits organisés par le docteur Tissié à Bordeaux jouèrent un rôle décisif.  Lors de ces épreuves sportives organisés à Bordeaux, des lycéens originaires de tout le sud-ouest (Pau , Bergerac, Mont-de-Marsan) s'affrontent dans des jeux variés dont la barette, forme édulcorée de rugby sans contact. De retour dans les Landes, le Pays Basque, le Lot-et-Garonne, ces jeunes gens aurait continué à pratiquer ce sport...

5. Ce tournoi est organisé pour la première fois en 1883, la France est admise une première fois en 1910 mais exclue entre 1932 et 1939 pour violences. Le palmarès complet est ici



Liens et sources:
- Jean Lacouture: "Rugby: du combat celte au jeu occitan", in L'Histoire n°8, janvier 1979.
- Olivier Thomas: "le sacre des Wallabies", in les Collections de l'Histoire n° 66, janvier 2015. 
- La jeune histoire de la coupe du monde de rugby.
- La rugby school, l'école à l'origine du rugby.
- L'émission 2000 d'Histoire consacrée au rugby.
- Michka Assayas (dir.), Le nouveau dictionnaire du rock, Paris, Robert Laffont, 2014, p. 2170 à 2174

vendredi 16 octobre 2015

Loca Virosque Cano (15): Orly

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la question du logement devient cruciale tant la situation en ce domaine est préoccupante. A l'aube des années 1950, le mal logement affecte un tiers des Français. Cette situation s'explique à la fois par les très nombreuses destruction au cours du conflit (1 million de logements) et parce que les efforts de reconstruction s'avèrent nettement insuffisants dans les années d'après-guerre. Entre 1945 et 1950, seuls 200 000 logements sont réalisés, alors même que le pays connaît un début de croissance démographique.
Or les logements existants manquent singulièrement de confort, leur équipement demeure très rudimentaire. En 1954, quatre habitations sur dix ne disposent pas de l' eau potable sur l'évier, 72% ne possèdent pas de W.C. intérieurs, 82% n'ont ni salle de bains ni douche. 
En région parisienne, le logement populaire souffre du surpeuplement. 65% des ménages ouvriers disposent de moins de 10m² par personne. Les taudis sont alors légions (on en dénombre 350 000 en 1959!).

 
L’État engage une véritable politique nationale de construction avant que l'abbé Pierre ne lance son appel en faveur des mal-logés sur les ondes de Radio Luxembourg, le 1er février 1954. Cet appel n'en contribue pas moins fortement à la prise en compte du problème du mal-logement. (1)


* "On dit caserne? C'est beaucoup plus une chartreuse."
Or, en dépit des premières réalisations, la pénurie de logements s'installe dans la durée. La demande de toits augmente sans cesse dans le contexte du baby boom. A cette croissance démographique soutenue s'ajoute le développement industriel qui caractérise le début des Trente Glorieuses.  Par conséquent, l'exode rural amorcé au XIXème siècle s'accélère et s'achève. Enfin, l'arrivée de près d'un million de "rapatriés d'Algérie" en 1962, constitue un autre défi de taille pour les pouvoirs publics. Tous ces éléments expliquent l'engagement de la France dans un énorme programme de construction de logements collectifs auxquels on a donné le nom de "grands ensembles". (2)

A la tête du ministère de la Reconstruction et de l'urbanisme de septembre 1948 à janvier 1953, Eugène Claudius-Petit incarne mieux que quiconque la politique du logement de l'après-guerre. Considérant qu'il faut construire et plus seulement rebâtir l'existant, le ministre propose un programme de construction de 100 000 logements annuels dont une part substantiel (40% des logements neufs) bénéficie d'un financement public (secteur dit "aidé"). En avril 1953, Pierre Courant - successeur de Claudius-Petit - lance un plan de construction ambitieux prévoyant la sortie de terre de 240 000 logements par an. "Pour la première fois les aspects fonciers, financiers et techniques sont pris en compte simultanément." [Zancarini-Fournel & Delacroix] Au total cela représente un million de logements construits entre 1953 et 1963. 
Cette politique volontariste de construction de logements sociaux (3) s'appuie sur des organismes spécifiques (la Caisse des dépôts et consignations et la Société Centrale Immobilière de la Caisse des dépôts, filiale technique de la précédente) et sur de nouveaux mécanismes de financement avec la mise en place du 1% patronal, en 1953 (4).
En août 1957, le vote d'une loi-cadre prévoit la construction de 300 000 logements sur cinq ans (première mouture de la loi de décembre 1958 sur les zones à urbaniser en priorité).
 Compte tenu de l'ampleur de la pénurie, il fallait construire vite et à bon marché ce qui décida les pouvoirs publics à opter pour l'habitat collectif et le béton. Le choix du logement collectif devait aussi permettre à l’État de mieux peser sur les décisions en matière d'aménagement du territoire. 

Au delà de leur grande diversité, les grands ensembles possèdent un certain nombre de traits caractéristiques communs: des barres et des tours intégrées dans des plans géométriques traversés et délimités par des avenues et des rues perpendiculaires. Ils prennent place dans des zones éloignées des centre-ville, là où le coût des terrains reste accessible.

Eugène Claudius-Petit et Le Corbusier devant le chantier de la Maison de la Culture à Firminy. [vers 1957] Dans un discours prononcé en 1952, le ministre de la construction  déclare:" On dit caserne? C'est beaucoup plus une chartreuse. Il n'y a pas de bruit, il n'y aura pas de bruit. Il y aura l'intimité des foyers, totalement accordée aux habitants de cette cité. On a dit obscurité? Ces appartements sont baignés de lumière. Et nous bâtissons pour que les hommes vivent mieux dans leurs cellules primitives, dans la famille, afin que le foyer soit abrité vraiment, et profite des joies essentielles que sont: le soleil, l'espace, la verdure... Nous voulons ramener la nature au milieu de la cité. C'est la volonté des hommes de notre temps de ne pas accepter d'être enfermés toute la vie dans une muraille de pierres."
* "un très chouette appartement"
Dans un premier temps, les grands ensembles sont présentés comme "le fleuron de la modernité urbaine". Tenants d'une "idéologie moderniste hygiéniste, rationalisatrice et 'anti-pavillonnaire'" [Zancarini-Fournel & Delacroix], leurs défenseurs les conçoivent comme un" espace égalitaire" où régnerait quiétude et harmonie.
Du côté des habitants, les témoignages des "pionniers" des grands ensembles semblent confirmer qu'ils gardent un bon souvenir de leur installation dans les grands ensembles. Il faut se rappeler que les nouvelles constructions améliorent incontestablement les conditions de vie. Plus propres et plus vastes, le nouveaux appartements remplacent avantageusement les logements populaires vétustes des centres-villes, rendant accessibles à leurs habitants le confort moderne (sanitaires et chauffage central). 
Deux habitants arrivés dans la cité des Courtillières, à Pantin, à la fin des années 1950 se souviennent ainsi de leur installation: 
"- ça a été une découverte pour moi les Courtillières, la verdure, si près de Paris, c'était le miracle pour nous. [Jusque là] on était dans une pièce, quatre, sans eau et sans écoulement. Donc quand on est arrivés ici avec mon frère on courait partout dans la "maison". D'abord c'était immense, la première fois qu'on a visité, ça paraissait immense par rapport au 16 m² qu'on avait. Et ensuite... il y avait l'eau! Il y avait les toilettes. Tout ce qu'on avait pas connu jusque là. C'était un rêve.
- Je me rappelle de la première baignoire. C'était une baignoire sabot. (...) Nous, on était tellement contents d'avoir c't petite baignoire. (...) Le chauffage au sol, on ne voulait même pas dormir sur les lits, on mettait les paillasses par terre parce que c'était chaud. On avait pas l'habitude. Celui qui s'achète une villa avec une piscine, il n'est pas plus heureux que nous quand on est entrés dans ce HLM. Ça fait la même impression... Toute proportion gardée bien sûr..." [témoignages de deux habitants des Courtillières diffusés dans le documentaire "le bonheur est dans le béton" sur France 3 IDF]

Rapidement toutefois, les difficultés et défauts de conception apparaissent: problèmes d'insonorisation et d'isolation thermique, trop grande promiscuité avec le voisinage, augmentation des charges avec le renchérissement de l'énergie...
 A partir du début des années 1960, la composition sociologique des habitants des grands ensembles change. Les "pionniers", qui appartenaient surtout à une "petite classe moyenne" en phase d'ascension sociale, déménagent vers des zones pavillonnaires. Ils sont remplacés par des populations généralement plus pauvres composée d'ouvriers et de petits employés.  Le gouvernement renforce au même moment"son offre de logement pour les familles les plus modeste et défavorisée. Cette politique d'homogénéisation sociale des HLM est sans doute un des facteurs qui expliquent que se développe dans les grands ensembles, à partir des années 1960, un sentiment de relégation sociale." [Zancarini-Fournel & Delacroix p488] (5) Appelées pour reconstruire le pays, les populations immigrées ne bénéficient, quant à elles, d'aucune politique du logement et ne sont donc guère concernées par les grands ensembles. "Trop souvent, les ouvriers étrangers qui bâtissent pour les autres n'ont d'autre logement que l'abri en tôle ou en planches", peut-on lire dans Le Monde du 15 février 1967. De fait, ces travailleurs habitent où ils le peuvent, c'est-à-dire dans les bidonvilles, "hôtels meublés", "garnis" et foyers. Ce n'est qu'avec la résorption (partielle) des bidonvilles et la nécessité du relogement au début des années 1970, que les populations immigrées bénéficient enfin d'un accès au logement social.


* "véritables murailles de béton"
 Dès la fin des années 1950 - et alors même que les grands ensembles sont en cours de réalisation - des débats s'engagent sur la qualité de vie dans ces nouveaux logements collectifs. En 1957, une commission se penche sur "les problèmes de la vie dans les grands ensembles d'habitation", afin d'éviter que ces derniers ne deviennent un échec humain et pour offrir les meilleures conditions d'une vie possibles à leurs habitants.
Désormais les nouvelles réalisations font l'objet de vives critiques. Émanant principalement d'architectes, de sociologues et des milieux médicaux; elles rencontrent un écho certain dans les médias. En janvier 1960, le Figaro considère les grands ensembles comme "un univers concentrationnaire". La même année, en décembre, un journaliste du Parisien libéré envisage Sarcelles comme une "géométrie glacée de blocs livides"!
Les critiques émanent bientôt du monde politique. Pierre Sudreau, commissaire à la construction et à l’urbanisme pour la région parisienne, puis ministre évoque "certains grands immeubles, véritables murailles de béton, longs de plusieurs centaines de mètres, hauts de plus de douze étages [qui] annihilent le côté humain de la construction", dans un entretien accordé au Figaro littéraire en 1959.


Dans les années 1960, les grands ensembles font partie du paysage de nombreuses périphéries urbaines et particulièrement de Paris: construction de Sarcelles à partir de 1955, les Bleuets à Créteil (1959-1962); la Pierre Collinet à Meaux (1958-1963), Les Grandes-Terres à Marly-le-Roi (1955-1958); le Haut-du-Lièvre à Nancy (1956-1962), les Courtilières à Pantin (1955-1960). Ici le Val Fourré à Mantes la Jolie dont la construction débute en 1959.





* "Escalier C bloc 21"
Les promesses ne résistent pas au temps. Construits au moindre coût, les logements aérés et lumineux se détériorent. "Ce qui semblait merveilleux sous les crayons des architectes n'est plus aussi vivable que prévu. Le tout béton connait ses dérives." La déception est donc à la hauteur des attentes.
 A cet égard, l'ironie douce amère du dimanche à Orly de Gilbert Bécaud, chanson beaucoup moins innocente qu'il n'y paraît, est tout à fait symptomatique. Le morceau date de 1963, alors même que les premiers grands ensembles sont sortis de terre depuis peu. Les paroles de Delanoë décrivent à merveille les sentiments ambivalents des premiers résidents des grands ensembles. Certes "c'est un très chouette appartement" qui dispose du "confort au maximum" avec "un ascenseur et un´ sall´ de bain", mais aussi "la télé, le téléphone"...
Autant d'objets caractéristiques de cette nouvelle société de consommation qui donnent l'illusion de la liberté, mais l'illusion seulement... Toutes ces "Choses" dont Georges Pérec souligne la vacuité dans son livre à succès.
Le jeune homme de la chanson cherche à échapper à cet univers étriqué, ces appartements sans âme et standardisés, situés en banlieue, assez près de Paris pour l'apercevoir "au lointain", mais trop loin pour s'y rendre aisément. Aussi, pour s'évader loin de "l'escalier 6 bloc 21", le garçon part admirer sur les terrasses d'Orly les caravelles et les premiers avions à réaction. Tout juste inauguré (en 1961), l'aéroport incarne alors la modernité, un lieu d'évasion - par procuration certes -, mais un lieu qui permet de se changer les idées. Les avions s'envolent et strient les cieux de leurs silhouettes effilées. Regardant par les hublots de ces oiseaux métalliques, le jeune homme imagine le ridicule bloc 21, minuscule, enfoncé dan la glaise. ["Un jour, de là-haut, le bloc vingt et un / Ne sera qu´un tout petit point."]
L'aéroport offre du rêve au jeune homme, loin de l'appartement et de ses parents, déjà confits dans leurs petites habitudes de vieux. [Le dimanche, ma mère fait du rangement / Pendant que mon père, à la télé, / Regarde les sports religieusement] Bien conscient de l'étroitesse de cet avenir dans le très "chouette appartement / Que [son] père, si tout marche bien, / aura payé en moins de vingt ans", le fils préfère imaginer un départ vers l'ailleurs, loin de son train-train quotidien, de l'atroce métro-boulot-dodo, quand, " à sept heures vingt-cinq, tous les matins", Nicole et lui prennent le métro.


 Conclusion: 
Au total, les grands ensembles ont permis de résoudre en partie la crise du logement d'après-guerre. (5) On est passé de 14 millions de logements en 1954 (pour 43 millions d'habitants) à 21 millions en 1975 (pour 53 M d'hb). A cette date, presque tous ces logements disposent de l'eau courante, 3 sur 4 de W.C. intérieurs, 7 sur 10 d'une salle de bains...
Il n'en demeure pas moins que ces grands ensembles ne "sont pas parvenus à incarner pleinement le volet 'logement' de la société des Trente Glorieuses" (Thibault Tellier cité par Zancharini). La modernité sociale qu'ils étaient censés incarner n'est pas au rendez-vous. Les grands ensembles ont notamment buté sur le processus d'individualisation et plus profondément peut-être sur la révolution culturelle silencieuse d'un "individualisme" caractérisé par la quête de l'épanouissement et qu'illustrerait à sa manière la montée en puissance de la 'société des loisirs'." [cf: Zancarini-Fournel et Delacroix]

Merci à Pierre...



Dimanche à Orly 

- Paroles: Pierre Delanoë - Musique: Gilbert Bécaud - 1963

A l´escalier 6, bloc 21,
J´habite un très chouette appartement
Que mon père, si tout marche bien,
Aura payé en moins de vingt ans.
On a le confort au maximum,
Un ascenseur et un´ sall´ de bain.
On a la télé, le téléphone
Et la vue sur Paris, au lointain.
Le dimanche, ma mère fait du rangement
Pendant que mon père, à la télé,
Regarde les sports religieusement
Et moi j´en profit´ pour m´en aller.


Je m´en vais l´ dimanche à Orly.
Sur l´aéroport, on voit s´envoler
Des avions pour tous les pays.
Pour l´après-midi… J´ai de quoi rêver.
Je me sens des fourmis dans les idées
Quand je rentre chez moi la nuit tombée.


A sept heures vingt-cinq, tous les matins,
Nicole et moi, on prend le métro.
Comme on dort encore, on n´se dit rien
Et chacun s´en va vers ses travaux.
Quand le soir je retrouve mon lit,
J´entends les Bœings chanter là-haut.
Je les aime, mes oiseaux de nuit,
Et j´irai les retrouver bientôt.


Oui j´irai dimanche à Orly.
Sur l´aéroport, on voit s´envoler
Des avions pour tous les pays.
Pour toute une vie… Y a de quoi rêver.
Un jour, de là-haut, le bloc vingt et un
Ne sera qu´un tout petit point.



Notes
1. 1. A la suite de cet appel, le gouvernement adopte un programme de 12 000 logements en cités d'urgence.
2. L'expression est véritablement utilisée pour la première fois dans la circulaire Guichard de 1973 qui met un terme au programme de construction des grands ensembles pour privilégier le logement individuel!
3. La moitié des nouveaux logements construits sont des HLM (habitations à loyer modéré). Continuation d'une politique de l'entre-deux-guerres (loi Sarraut de 1928 sur les HBM).
4. 1% des salaires doivent être versés pour l'investissement dans le logement social; le patronat est ainsi associé aux politiques publiques de logement.  
5. même si en 1965 leur population ne représente que 2% de la population totale.  

Sources et liens:
- S. Zancarini-Fournel, C. Delacroix: "Histoire de France 1945-2005", éditions Belin, 2010.
- Panique au Mangin Palac: "tu es banlieue".
- La construction des grands ensembles de banlieues: l'exemple de Sarcelles (INA).
- Entretien avec Thibault Tellier.
- Les grands ensembles. 50 ans d'une politique fiction française.
- Libération: "Au lieu de 'l'homme nouveau', on récolta la haine."
- Libération: "Le grand ensemble peut faire du grand et de l'ensemble."
- Libération: "Le documentaire "le bonheur est dans le béton."
- France 3: Doc 24: "Le bonheur est dans le béton.
- Les grands ensembles: de la ville moderne à la ville durable. (pdf)
- Gilbert Bécaud et son ode à l'aéroport d'Orly.
- Les grands ensembles en images
- Ressources intéressantes sur le site du Musée de l'histoire de l'immigration