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vendredi 3 octobre 2008

99. Julien Clerc:"L'assassin assassiné".

En 1978, Jean-Loup Dabadie compose la chanson "L'assassin assassiné", un plaidoyer tout en finesse contre la peine de mort. La France giscardienne ne semble pourtant vraiment pas prête à mettre un terme aux exécutions capitales. L'opinion publique se montre, à un large majorité, hostile à toute abolition. En cette même année 1978, Michel Sardou chante "je suis pour", une ode à la loi du talion: 

"Tu as volé mon enfant,/ 
Versé le sang de mon sang.
Aucun Dieu ne m'apaisera. / 
J'aurai ta peau. Tu périras. /
 Tu m'as retiré du cœur
Et la pitié et la peur. / 
Tu n'as plus besoin d'avocat. /
 J'aurai ta peau. Tu périras.
Tu as tué l'enfant d'un amour. /
 Je veux ta mort. / 
Je suis pour."

Une fois son morceau achevé, Dabadie parvient à convaincre Julien Clerc, un de ses plus brillants interprètes, de chanter cette chanson en direct dans une émission sur FR3.
Aussitôt, le titre connaît un fort impact. Robert Badinter, farouche partisan de l'abolition envoie une lettre de félicitations au chanteur. Clerc enregistre la chanson l'année suivante, qui sort sur l'album "Sans entracte". Le chanteur prend à nouveau position contre la peine de mort lors d'une interview accordée à Paul Lefebvre pour Antenne 2, le 11 mars 1980. Il lance:"On ne peut pas répondre à la mort par la mort". Son attitude est courageuse à un moment où une large majorité de Français s'avère favorable au maintien de la guillotine (un sondage réalisé par la Sofres le 10 septembre 1981 donne 62 % de la population française favorable à la peine de mort).


Caricature de Plantu.

En 1981, la question de la peine capitale se trouve au cœur de la campagne des présidentielles. François Mitterrand, le candidat des socialistes, se prononce contre le maintien de la peine de mort et promet l'élaboration d'un projet abolitionniste en cas de victoire. Il confie logiquement ce dossier épineux à Robert Badinter, le nouveau garde des sceaux. 
En 1972, Badinter entame son combat contre la guillotine en prenant la défense de Bontems, un prisonnier accusé d'avoir tué un de ses geôliers. L'avocat ne parvient pas à sauver la tête de son client, mais se jure de consacrer le restant de son existence à lutter contre la peine capitale. En 1976, il défend Patrick Henry, qui a enlevé et assassiné un enfant. Ce procès devient celui de la peine de mort. Grâce à sa brillante plaidoirie, l'avocat réussit à sauver la tête de son client qui est condamné à la prison à perpétuité. 

En septembre 1981, le ministre de la justice défend son projet de loi devant l'Assemblée. Le débat, particulièrement houleux, se solde par l'adoption de la loi Badinter par 369 voix contre 113. 

"Voici la première évidence : dans les pays de liberté l'abolition est presque partout la règle ; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée. Ce partage du monde ne résulte pas d'une simple coïncidence, mais exprime une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l'Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes totalitaires. [...]
Quant au droit de grâce, il convient, comme Raymond Forni l'a rappelé, de s'interroger à son sujet. Lorsque le roi représentait Dieu sur la terre, qu'il était oint par la volonté divine, le droit de grâce avait un fondement légitime. Dans une civilisation, dans une société dont les institutions sont imprégnées par la foi religieuse, on comprend aisément que le représentant de Dieu ait pu disposer du droit de vie ou de mort. Mais dans une république, dans une démocratie, quels que soient ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun homme, aucun pouvoir ne saurait disposer d'un tel droit sur quiconque en temps de paix."


La France, "pays des droits de l'Homme", était alors le seul pays d'Europe occidentale à encore appliquer la peine de mort. Ultime hommage, Badinter affirma à Julien Clerc que sa chanson avait compté beaucoup plus dans le débat contre la peine de mort que tous les débats parlementaires.




"L'assassin assassiné" Julien Clerc.

C'était un jour à la maison
Je voulais faire une chanson
D'amour peut-être
À côté de la fenêtre
Quelqu'un que j'aime et qui m'aimait
Lisait un livre de Giono
Et moi penché sur mon piano
Comme sur un établi magique
J'essayais d'ajuster les mots
À ma musique...

Le matin même, à la Santé
Un homme... un homme avait été
Exécuté...
Et nous étions si tranquilles
Là, au coeur battant de la ville
C'était une fin d'après-midi
À l'heure où les ombres fidèles
Sortant peu à peu de chez elles
Composent doucement la nuit
Comme aujourd'hui...

Ils sont venus à pas de loup
Ils lui ont dit d'un ton doux
C'est le jour... C'est l'heure
Ils les a regardés sans couleur
Il était à moitié nu
Voulez-vous écrire une lettre
Il a dit oui... il n'a pas pu
Il a pris une cigarette...

Sur mon travail tombait le soir
Mais les mots restaient dans le noir
Qu'on me pardonne
Mais on ne peut certains jours
Écrire des chansons d'amour
Alors j'ai fermé mon piano
Paroles et musique de personne
Et j'ai pensé à ce salaud
Au sang lavé sur le pavé
Par ses bourreaux
Je ne suis président de rien
Moi je ne suis qu'un musicien
Je le sais bien...
Et je ne prends pas de pose
Pour dire seulement cette chose
Messieurs les assassins commencent
Oui, mais la Société recommence
Le sang d'un condamné à mort
C'est du sang d'homme, c'en est encore
C'en est encore...

Chacun son tour, ça n'est pas drôle
On lui donne deux trois paroles
Et un peu... d'alcool...
On lui parle, on l'attache, on le cache
Dans la cour un grand dais noir
Protège sa mort des regards
Et puis ensuite... ça va très vite
Le temps que l'on vous décapite

Si je demande qu'on me permette
À la place d'une chanson
D'amour peut-être
De vous chanter un silence
C'est que ce souvenir me hante
Lorsque le couteau est tombé
Le crime a changé de côté
Ci-gît ce soir dans ma mémoire
Un assassin assassiné
Assassiné...
Assassiné...

1 commentaire:

  1. C'est à ce moment là que j'ai aimé le Julien Clerc (chanteur de charme) pouvant s'engager dans un projet humaniste au côté de Jean-Loup Abadie. Cette action a certainement contribué (avec Robert Badinter) à la mise à mort de la peine de mort. Merci une fois de plus à Julien Clerc et sa très belle et émouvante interprétation du texte de Jean Loup Abadie.

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