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dimanche 15 mars 2009

147. Emmanuel Jal : "Ninth Ward" (2008)

Pour compléter l'article de Julien Blottière sur les inondations du Mississipi depuis le XXème siècle jusqu'à Katrina, je vous propose d'étudier le titre du rappeur d'origine soudanaise Emmanuel Jal. Ancien enfant-soldat dans le Sud du Soudan, il a réussi à s'enfuir au Kenya avant de se lancer dans le rapgame. Dans son titre "Ninth Ward", il s'intéresse à un quartier de la Nouvelle-Orléans particulièrement touché lors du passage de l'ouragan Katrina en 2005, le South Ninth Ward.

"America the great became America the clown"

Petit rappel : Août 2005. Un ouragan menace la ville de la Nouvelle-Orléans en Louisiane. Ordre est donné à la population d'évacuer la ville. Tous les habitants prennent leur voiture et leurs biens les plus précieux. Tous... sauf ceux qui n'ont pas de voiture. A la Nouvelle-Orléans comme dans tout le pays, les plus pauvres sont souvent les noirs. Dans les quartiers les plus touchés par les inondations, les noirs représentaient 75 % de la population (67% dans toute la ville au recensement de 2000). Comme souvent, les catastrophes naturelles touchent prioritairement et de manière plus grave les populations les plus pauvres qui habitaient les zones les plus exposées au risque. Parmi les quartiers les plus touchés, celui du South Ninth Ward, se situe à l'est de la ville. En cause, la force de l'ouragan, mais aussi la faiblesse des digues protégeant la ville, située sous le niveau de la mer. Le quartier est de nouveau inondé un mois plus tard lors du passage de Rita. En 1965, le quartier avait déjà reçu la visite du président Johnson après le passage de l'ouragan Betsy.

Voyez ci-dessous le cyclone Katrina traversant le Golfe du Mexique jusqu'à La Nouvelle-Orléans :






[L'hélicoptère présidentiel survole la Nouvelle-Orléans le 2 septembre, 5 jours après la catastrophe; source]

La chanson d'Emmanuel Jal insiste surtout sur la gestion déplorable de la crise par les autorités fédérales : de la négligence dans l'entretien des digues à l'incurie de la FEMA (autorité chargée de la gestion des situations d'urgence) en passant par l'indifférence apparente de Georges Bush qui fit débat. Beaucoup datent le basculement de l'opinion vis-à-vis de Bush de cette période. Seules quelques autorités locales comme le maire républicain et noir Ray Nagin (depuis réélu, en photo ci-contre) ont gagné en popularité grâce à leur courage lors de la crise.

Une partie des critiques a également été portée contre les médias, décrivant les noirs comme des pillards et les blancs comme des personnes cherchant à manger.

Pour comprendre le couplet où Jal évoque Bush et les télévangélistes, il faut savoir qu'Emmanuel Jal est un chrétien évangélique convaincu. Mais il ne se reconnaît pas dans la charité telle qu'elle est prêchée par les télévangélistes et par Georges Bush. C'est une sorte de critique du "aide-toi le Ciel t'aidera". Jal reproche aux télévangélistes leur peu d'aide concrète à ceux qui en avaient besoin.


Emmanuel Jal mentionne également les inscriptions en orange sur les maisons. Il s'agit des maisons où des personnes sont décédées lors du passage de Katrina. Selon le bilan officiel, 1500 personnes ont perdu la vie lors du passage de Katrina. 770 000 logements ont été endommagés par Katrina et Rita, qui a également frappé la ville en septembre 2005 [Photo : David Metraux]


Les lenteurs de la reconstruction

La ville de La Nouvelle-Orléans compte aujourd'hui deux fois moins d'habitants qu'en 2000 et une proportion de noirs beaucoup plus faible (seulement 50%). Le débat fait rage entre ceux qui veulent reloger les habitants ailleurs, arguant d'une nécessaire prévention des risques à venir et ceux qui souhaitent reconstruire les quartiers dévastés et qui accusent les premiers de vouloir "blanchir" la ville en menant une sorte de gentrification.

La Nouvelle-Orléans est redevenue en 2008 l'une des villes où la criminalité est la plus forte. Certains quartiers comme le Lower Ninth Ward où seule une maison sur quatre a été reconstruite, ressemblent à des zones de guerre.[graphique : Alternatives internationales]

Mais revenons à la chanson d'Emmanuel Jal. Le début est une référence à une autre chanson bien connue sur un bordel de la ville de la Nouvelle Orléans : "The House Of The Rising Sun". Le titre, dont on ne connait pas avec certitude l'auteur, a été repris de nombreuses fois notamment par The Animals (la plus connue) et en français par Johnny Hallyday ("Le pénitentier"). Retrouvez-les dans la playlist en fin d'article.

Pour des questions de droit, il est difficile de trouver la chanson sur internet, mais vous pouvez acheter l'album, il est très agréable et passionnant.




Découvrez Emmanuel Jal!

Une version live du titre :



Voici les paroles avec une traduction par mes soins :


There is a place in New Orleans Il y a un endroit à la Nouvelle-Orléans

They call the Ninth Ward Ils l'appellent le Ninth Ward

Death and pain from the hurricane La mort et la douleur à cause de l'ouragan

Now folks don't live there no more Maintenant il n'y a plus âme qui vive


(chorus)

America the Great became America the Clown La Grande Amérique est devenue le clown américain

While the whole world frowned Tandis que le monde entier fronçait les sourcils

America the Great became America the Clown La Grande Amérique est devenue le clown américain

While Americans drowned Alors que des Américains se noyaient

They were shouting and screaming and calling on God Ils criaient et hurlaient et appelaient Dieu

Can you help us down here ? Peux-tu nous aider ici-bas ?

Coz in the home of the land of the brave and the free Parc'qu'au pays-même des courageux et des libres

Nobody don't care Tout le monde s'en fiche


Welcome to the Ninth Ward Bienvenue dans le Ninth Ward

Was how the sign read Disait le panneau

Ghost town, land of the dead Ville-fantôme, pays des morts

No one around, no one at all Personne alentour, pas un chat

Just the orange writing Juste ces écritures orange

That they sprayed on the wall Qu'ils ont écrites sur les murs

Representing all the swollen corpse that they found Représentant tous les corps gonflés qu'ils ont trouvé

Corpse of the poor too poor to leave town Corps des pauvres trop pauvres pour quitter la ville

Everybody else was safe and sound Tous les autres étaient sains et saufs

While men, women, and children of the Ninth Ward drowned Alors que les hommes, les femmes et les enfants du Ninth Ward étaient noyés


repeat chorus


I could imagine George Billy and the Hilly Bush crew Je pouvais imaginer George Billy et l'équipe Hilly Bush [allusion probable à Georges Bush]

Who have so much money till they don't know what to do Qui ont tant d'argent qu'ils ne savent qu'en faire

One more finger for the Christian TV too Un peu plus pour la télé chrétienne [télévangélistes ?]

Who say give us your money and God will bless you Qui disent donnez-nous votre argent et Dieu vous bénira

Charity my friend is a Christ like thing La charité, mes amis, est un acte à la manière de Christ

Show love to God by how you treat Human beings you Montrez de l'amour pour Dieu par la manière dont vous traitez les êtres humains, Vous

Speak in tongues prophesize until your cows come home Parlez en langue et prophétisez jusqu'à ce que le vaches rentrent au bercail

And you're holding season tickets to the silver dome Et vous achetez des tickets pour aller au silver dome

There is a place in New Orleans

They call the Ninth Ward

Death and pain from the hurricane

Now folks don't live there no more




D'autres titres qui parlent aussi de Katrina et/ou du Ninth Ward :


  • Dans un style très différent mais également pour dénoncer l'abandon de ce quartier, un groupe de Chicago du nom de Blue Meanies a écrit "The Devil Came to the Ninth Ward" (les paroles ici).
  • Kanye West, habitué des coups de gueule (pas toujours justifiés d'ailleurs...) s'était distingué en affirmant alors que "Georges Bush s'en fiche des noirs" et en dénonçant les médias montrant une famille noire et une famille blanche, l'une "pillant" l'autre "cherchant à manger"... :

  • Dans la chanson "Flashing Lights" (Album Graduation), il dit cette phrase : "Feeling like Katrina with no FEMA". Autre rappeur de Chicago (mais du West Side) Lupe Fiasco, démarre son album The Cool par un petit speech dit par sa sœur qui évoque Katrina.
  • Le rappeur qui vend le plus en ce moment aux Etats-Unis, Lil Wayne, figure de proue du rap Dirty South, est né à La Nouvelle-Orléans. Il a réalisé avec Juelz Santana plusieurs mixtapes qui ont pour titre 'From 911 to Katrina". Vous pouvez en écouter des extraits ici.
  • 9th Ward est aussi le nom d'un rappeur de la Nouvelle-Orléans, né dans le quartier. Il y a grandit à l'époque où le Ninth Ward avait l'un des taux de criminalité les plus élevés.
  • Enfin le rocker Tom Waits aurait souhaité être à la Nouvelle-Orléans (dans le Ninth Ward)... en 1976.
Tous ces titres dans la playlist :


Découvrez la playlist Katrina avec Tom Waits


Pour prolonger sur ces aspects, plusieurs ressources sur le net, notamment sur les Cafés Géo :


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