Parvenus à fuir l'Europe, certains nazis se réfugient en Amérique latine. Cachés derrière des pseudos discrets, ils tentent alors de s'y faire oublier. En Argentine, Ricardo Klement, alias Eichmann, monte une blanchisserie, puis un élevage de lapin, avant de travailler dans une succursale de Daimler Benz. [Photo prise dans les années cinquante.]
C'est au cours de la conférence de Potsdam, réunie en juillet 1945, que les vainqueurs de la guerre décident de démilitariser, décartelliser, décentraliser, démocratiser et surtout dénazifier l'Allemagne nazie (les "5 D"). Extirper cette idéologie mortifère devient une priorité absolue au lendemain du conflit. Il faut alors rééduquer une population soumise à l'intense propagande de Goebbels. Les médias sont épurés, les fonctionnaires révoqués.
* La dénazification comprend d'abord un volet punitif.
L'épuration du pays implique l'identification des anciens nazis. Les alliés établissent donc une liste d'individus (178 000) à arrêter et organisent des procès afin de juger les dignitaires nazis survivants.
Le tribunal militaire international, procès des “grands criminels de guerre nazis”, s'ouvre à Nuremberg le 20 novembre 1945. Il est suivi des procès instruits par les tribunaux militaires de chaque zone. Ainsi, entre 1945 et 1948, le tribunal militaire américain de Nuremberg instruit tour à tour le procès des médecins, auteurs d'expérimentations "médicales" dans les camps de concentration, le procès des juges et juristes, responsables des politiques et lois raciales, le procès des Einsatzgruppen...
Cette épuration juridique se poursuit pendant des décennies en vertu de l'imprescriptibilité du crime contre l'humanité qui permet à des tribunaux allemands et nationaux de juger les crimes commis sur leur territoire des décennies après les faits reprochés (Barbie, Demjanjuk).
"Dénazification", caricature de Stury parue dans la revue allemande Das Wespennest, 7 octobre 1948. Après les hommes, reste à rééduquer les esprits. Dans les secteurs occupés par les occidentaux, ce rôle échoit aux journaux, syndicats et à l'école. Les ouvrages à la gloire du III ème Reich sont écartés.
Les alliés ordonnent aux populations civiles avoisinantes de se rendre dans les camps de la mort afin de constater l'ampleur des crimes du nazisme. Ainsi à Buchenwald, une visite du camp est imposée à la population de Weimar.
* L'épuration de l'administration, des médias, de la vie intellectuelle et culturelle dans les quatre secteurs d'occupation de l'Allemagne.
- Les Occidentaux s'emploient à instaurer un régime démocratique et libéral. Dans leurs zones, un million de fonctionnaires et de militaires sont renvoyés avec interdiction d'exercer une fonction publique. Les Américains instaurent un système de notation administrative du niveau d'implication des suspects dans l'appareil nazi. Pour y parvenir, la population majeure doit remplir des questionnaires permettant d'établir le niveau de compromission de chaque citoyen. Les catégories 1 et 2 rassemblent les principaux coupables qui relèvent de l'épuration juridique (voir précédemment). Les catégories 3 et 4 regroupent les individus "peu compromis" et les "suiveurs", renvoyés de leurs postes administratifs. La catégorie 5 concerne les "non coupables". Ces derniers obtiennent le précieux certificat d'exonération qui permet d'obtenir un emploi ou un logement.
- Pour leur part, les soviétiques attribuent le triomphe du nazisme aux structures capitalistes de la société allemande et préconisent la révolution sociale, utilisant ainsi la dénazification pour imposer leur modèle et éliminer les adversaires politiques. Ils posent les bases d'une société communiste grâce à l'expropriation des propriétaires terriens ou des industriels. Le processus se déroule de manière brutale avec la déportation de 40 000 personnes dans les camps de travail soviétique. Les autorités est-allemandes suppriment rapidement les commissions de dénazification.
* un contexte peu favorable à la poursuite de la dénazification.
Rapidement, la paix retrouvée incite à tourner la page des années de souffrance, refouler les mauvais souvenirs, oublier les années noires. Le processus de dénazification s’enraye et les poursuites judiciaires se raréfient. La compromission de la grande majorité des élites, politiques, économiques, culturelles, avec le régime hitlérien, pose en effet un problème insoluble aux forces d'occupation qui ne savent comment reconstruire le pays en l'absence de personnels compétents.
Face à l'ampleur de la tâche et confrontés à une nouvelle priorité (l'endiguement du communisme), les Occidentaux ne poussent pas très loin les interrogatoires et permettent alors parfois à des criminels de se faire passer pour de modestes "suiveurs". Français et Britanniques sanctionnent les principaux responsables, mais épargnent relativement industriels et ingénieurs, indispensables au redémarrage de l'économie allemande, tout comme les savants, récupérées par les puissances occupantes.
Avec la fondation de la RFA, la responsabilité de la dénazification est transférée aux autorités allemandes jusqu'à l'arrêt du processus en décembre 1950. La remise en marche des services et de l'économie ouest-allemande nécessite aux yeux des vainqueurs la réintégration d'anciens "dénazifiés". Des fonctionnaires, révoqués en 1945, sont ainsi rapidement réintégrés.
Certains, contre la dénonciation d'anciens collègues, obtiennent la fin des poursuites quand ils ne sont pas recrutés par les services de renseignement occidentaux.
* Le processus de dénazification tel qu'il fut mené soulève rapidement de nombreuses critiques. La dénazification reste incomplète et se heurte aux lourdeurs administratives ainsi qu'à l'exaspération croissante de la population allemande.Une majorité d'Allemands refuse toute responsabilité en se réfugiant derrière le devoir d'obéissance ou l'ignorance. Les plus compromis échappent parfois aux poursuites car les preuves s'avèrent difficiles à réunir ou parce qu'ils sont utiles aux vainqueurs. L'intense trafic de certificats de bonne conduite permet d'échapper facilement aux sanctions. (1) En outre, l'encombrement des tribunaux profite aux plus compromis dont les dossiers se noient dans la masse des cas à instruire.
Stig Dagerman constate dans Automne allemand (1946):
"L'Allemagne tout entière pleure ou rit devant le spectacle de la dénazification, cette comédie dans laquelle les Spruchkammen jouent pitoyablement le rôle ambigu de l'ami de la famille, ces tribunaux dont les procureurs présentent leurs excuses à l'accusé avant que la sentence ne soit rendue, ces énormes moulins à papier qui offrent fréquemment, dans cette Allemagne qui manque de papier, le spectacle d'un accusé qui présente une vingtaine de certificats attestant une conduite irréprochable et qui consacrent un temps considérable à des milliers de cas absurdes et sans importance tandis que les cas véritablement graves semblent disparaître par quelque trappe secrète."
Enfin, l'épuration touche avant tout l'Allemagne, alors que l’Autriche, qui comptait pourtant son lot de nazis, est relativement épargnée. Aussi la découverte dans les années 1980 du passé peu glorieux d'un de ses présidents, Kurt Waldheim, ancien Waffen SS ayant participé à des massacres en Yougoslavie, constitue un véritable électrochoc.
Exceptionnelle caricature de Max Radler parue dans Simplissimus en 1946 (cliquez sur l'image pour l'agrandir): "Le Noir deviendra Blanc, ou la dénazification automatique". La légende sous le dessin indique: "Sautez là-dedans! Que peut-il vous arriver, vous les moutons noirs de la maison brune! Vous serez réhabilités sans douleur. Nous le savons: vous ne serez pas impliqués! (Les coupables se sont toujours les autres) Admirez la transformation immédiate du Mal en Bien. Ici vous pouvez le voir en noir et blanc."
Après être passés dans le "dénazificateur" sous l'oeil des forces d'occupation, les moutons de la maison brune ressortent blanchis avant d'être adoubés par le gouvernement de Bavière et les représentants de l'Eglise installés dans une chaire. Au dessus d'eux, une banderole annonce: "Il y aura plus de joie pour un pécheur repenti que pour dix justes." [Cliquez sur l'image pour l'agrandir]
* Recyclage des anciens nazis.
La guerre froide naissante clôt prématurément les poursuites et permet la réinsertion de nombreux Allemands compromis.
Dans la zone soviétique, les nouveaux dirigeants recrutent savants et anciens responsables nazis dont certains se reconvertissent dans le nouveau régime est-allemand.
Dans le camp occidental, le secrétaire d’Etat américain Byrnes affirme lors d’un déplacement à Stuttgart en 1946, que la période répressive de la dénazification doit s’achever. Une loi d’amnistie votée en 1949 en Allemagne Fédérale, complétée par une seconde loi en 1954, prescrit tous les délits inférieurs à 3 ans liés à l’appartenance au nazisme.
C'est que, dans la lutte contre le communisme, il s'agit désormais de faire du nouvel Etat un allié sûr dans la lutte contre l'ogre soviétique. Or, si la renaissance de la vie politique permet l'émergence d'un personnel politique nouveau et non compromis, nombre d'anciens nazis parviennent à "rebondir". (2)
De nombreux scientifiques ayant collaboré avec les nazis réussissent facilement à se recycler à l'instar de l'ingénieur en astronautique Wernher von Braun, concepteur pour les nazis des fusées V2. Récupéré par les services secrets américains à la fin de la guerre, il devient un des principaux dirigeants de la NASA pour laquelle il participe à la conception de la fusée Saturne V qui conduit les premiers hommes sur la lune en 1969.
Ce nouveau contexte permettra même à d'anciens criminels de guerre d'échapper aux poursuites. Ainsi, Heinz Lammerding, général commandant de la division SS Das Reich condamné à mort par contumace pour les pendaisons de Tulle et le massacre d'Oradour sur Glane les 9 et 10 juin 1944, poursuit une carrière d'entrepreneur à Düsseldorf la paix revenue. Il meurt en 1971 sans jamais avoir été extradé.
Wernher von Braun, créateur des fusées V2 qui bombardèrent Londres, catapulté par les américains directeur de leurs recherches spatiales.
* Les réseaux d'exfiltration.
Le cas Lammerding reste une exception puisque les plus compromis des nazis sont jugés ou contraints de s’éloigner discrètement vers des refuges sûrs (l’Amérique latine, le Moyen Orient) à l'issue de la guerre. Pour ce faire, ils profitent de la situation chaotique de l'Europe en 1945, tout en bénéficiant de complicités.
Le sas de sortie se situe en Italie. Profitant du chaos ambiant, nombre de nazis s'y rendent en passant par les Alpes (par le Tyrol sud puis le Haut-Adige via le col de Brenner, régions restées sentimentalement proche des régimes fascistes) où ils savent pouvoir compter sur de nombreuses complicités ou négligences . Plusieurs réseaux d'exfiltration permettent alors aux criminels de guerre nazis de fuir le vieux continent.
Parmi les mieux connues et les plus importantes, citons:
1. Mgr Hudal.
Profondément anticommuniste et adepte du national-socialisme, l’évêque catholique Alois Hudal, recteur d’un séminaire pour prêtres autrichiens et allemands à Rome, permet à de nombreux criminels de guerre nazis de s'échapper. (3)
Dans une lettre adressée au dictateur argentin Juan Peron en août 1948, Mgr Hudal écrit:
"(...) Ma conscience d'évêque et de patriote me pousse à soumettre à l'extraordinaire bienveillance de votre Excellence la proposition respectueuse d'accorder volontairement et généreusement, à titre exceptionnel, un quota spécial de 5 000 visas [...] à des réfugiés autrichiens et allemands qui ont particulièrement souffert de la période de l'après-guerre et qui sont recommandés par leurs évêques.[...]
Alors que beaucoup de gens, souvent munis de papiers douteux, continuent à quitter l'Europe aux frais de l'IRO [Organisation internationale des réfugiés], on en refuse le droit à nos pauvres officiers et soldats, malgré le fait indiscutable que, sans leurs sacrifices, l'Europe que nous voyons aujourd'hui serait sûrement bolchevique."
Adolf Eichmann s’échappe à deux reprises de prison et parvient à rallier l'Italie en 1950. Il s'embarque à Gênes pour l’Argentine grâce à un passeport fourni par la Croix Rouge grâce à l’entremise d’un franciscain hongrois, E. Dömöter, curé d’une église de Gênes. Ci -dessus, la déclaration d'authenticité de la fausse carte d'identité au nom de Ricardo Klement.
2. Le père Draganovic.
La principale filière d’exfiltration se situe au séminaire San Girolamo degli Illirici à Rome. Dirigé par le père Draganovic, ce réseau de franciscains permet la fuite de nombreux criminels de guerre (4), notamment oustachis (mouvement pro-nazi croate). Disposant de nombreux liens en Autriche, Draganovic prend sous sa coupe les fuyards. L’exfiltration vers le nouveau monde s'effectue à partir du port de Gênes.
« Draganovic se chargeait de toutes les phases de l’opération après que les personnes soient arrivées à Rome, tels que la fourniture de documents italiens et sud-américains, visas, timbres, arrangements pour le voyage par terre ou par mer » affirme un rapport déclassifié des services de renseignement américain de 1950.
Ces derniers sont d'autant mieux informés qu'ils utilisent dès 1947 le réseau de Draganovic pour évacuer d'anciens nazis jugés utiles, introduits clandestinement aux États-Unis par les services spéciaux sous de fausses identités. (5)
Comment expliquer l'enrôlement des ennemis d'hier par un pays qui se targue de diffuser son modèle démocratique au monde?
Dans le contexte de la guerre froide naissante, le président Truman entend renforcer les services secrets américains. Or, ces derniers partent de zéro et leur connaissance de l’Armée rouge, du NKVD (l’ancêtre du KGB), reste très lacunaire. Les nazis, au contraire, ont espionné les Soviétiques pendant une dizaine d’années et possèdent les informations et informateurs qui font cruellement défauts aux services de renseignement américain en gestation ( National Intelligence Authority et Central Intelligence Group). Cette situation explique l'enrôlement d’anciens (plusieurs dizaines) tortionnaires nazis, spécialisés dans la traque et le renseignement. (6)
Auschwitz, juillet 1944.De gauche à droite, Josef Mengele, Rudolf Hoess et Joseph Kramer. Le premier échappe aux recherches et parvient à se réfugier en Amérique latine en 1949. Le second est livré par les Britanniques aux Polonais qui le jugent , le condamnent à mort et l'exécutent en avril 1947. Quant au dernier, il subit le même sort après avoir été jugé par les Britanniques à Bergen-Belsen en 1945.
* Les refuges des nazis.
Les anciens nazis qui parviennent à fuir l’Europe se réfugient massivement en Amérique latine (7) où ils savent qu’ils ne seront pas inquiétés, à de rares exceptions près.
Par son éloignement, son immensité, le nouveau monde attire de nombreux fuyards qui y bénéficient de l'accueil bienveillant et intéressé de régimes autoritaires. En effet, la prolifération des dictatures d’extrême droite dans le Cône sud permet aux anciens tortionnaires nazis de proposer leur savoir-faire. Spécialistes de la traque et du renseignement, ces hommes se révèlent fort utiles pour traquer les opposants, communistes ou autres.
Ainsi, le leader populiste argentin Juan Peron, fervent admirateur des fascismes européens, encourage, via ses diplomates et officiers de renseignement, les criminels de guerre nazis et fascistes à s’installer dans un pays qui compte déjà une importante colonie allemande (240 000 personnes). Grâce aux passeports fournis par la Croix Rouge Internationale de Gênes et par l’ambassade d’Argentine à Vienne, 60 000 à 80 000 Allemands, Autrichiens, Croates, Lettons trouvent refuge en Argentine dans les dix années qui suivent la Seconde Guerre Mondiale. (8) Beaucoup s’installent dans la province des Misiones à la frontière avec le Paraguay et le Brésil ou au pied des Andes, dans la petite ville de San Carlos de Bariloche, véritable colonie allemande en terre argentine.
Le Paraguay de Stroessner (1954-1989), le Chili de Pinochet (1973-1990), la Bolivie de Banzer constituent autant de destinations très prisées. Jusqu’à son extradition vers la France en 1983, Klaus Barbie, chef de la gestapo lyonnaise et tortionnaire de Jean Moulin, met ses compétences de bourreau au service des dictateurs boliviens Barrientos (1964-1971), puis Banzer (1971-1978).
Autre exemple, l'ancien SS Paul Schaefer fonde en 1966 la communauté Dignidad sur le versant chilien des Andes. Un camp retranché y abrite, jusqu'à son démantèlement, de nombreux fuyards et sert de centre d’entraînement aux militaires chiliens et à la DINA (les sinistres services de renseignement chilien en charge du plan Condor).
La plupart des nazis coulent des jours paisibles dans leurs nouvelles patries, se cachant à peine. Mengele, le médecin sadique d'Auschwitz est dans l’annuaire ! Il meurt de noyade au Brésil, après des séjours en Argentine et au Paraguay, sans jamais avoir été inquiété par la justice.
L'importante communauté allemande de Bariloche ne mégote pas son soutien au nazisme comme le prouve cette vieille photographie.
* L'Allemagne et ses mémoires.
Deux mémoires de la guerre se sont affrontées en raison de la séparation de l'Allemagne en deux Etats au cours de la guerre froide.
Au sortir du conflit, en RFA, un grand nombre d'Allemands se considèrent avant tout comme des victimes de la guerre et tentent de refouler le souvenir du IIIème Reich. Ils reportent ainsi la responsabilité des exactions commises sur les SS et le régime nazi. Il paraît alors essentiel de «supprimer» les traces d'un passé honteux auquel il est difficile de se confronter (des synagogues endommagées sont détruites dans l'urgence).
Dès la création de la RDA (1949), les autorités est-allemandes rejettent sur la RFA l'héritage nazi, exonérant du même coup les populations est-allemandes de toute compromission avec l'ancien régime. Si bien qu'en dépit d'une dénazification plus radicale qu'à l'ouest, le travail de mémoire y est inexistant jusqu'à la chute du régime.
Une relance de la dénazification en RFA est perceptible à partir de la fin des années 1950. Les attaques incessantes de la RDA dénonçant la réintégration d'anciens nazis à des postes de responsabilité, l'arrivée à l'âge adulte des enfants du baby boom, le retentissement exceptionnel du procès Eichmann en 1961 contribuent à cette relance des recherches de criminels.
La création en 1958 d'un Office central d'investigation sur les crimes nazis à Ludwigsburg permet en outre de poursuivre de nombreux individus parvenus jusque là à passer inaperçus. (9)
Cette relance du processus de dénazification doit aussi beaucoup à la ténacité de « chasseurs de nazis », isolés et longtemps incompris, comme Simon Wiesenthal ou les époux Klarsfeld. Survivant du camp de Mauthausen, le premier, épaulé par des volontaires, r
Beate et Serge Klarsfeld comprennent que le scandale constitue un bon moyen de pression. Ainsi, en 1968, Beate s'en prend à Kurt Kiesinger, le chancelier ouest allemand élu en 1966 (voir note 2). En plein Bundestag, elle hurle « Kiesinger, nazi ! » et parvient même à le gifler lors d’un congrès de la CDU à Berlin. La découverte du parcours d'ancien nazi du dirigeant ouest-allemand met un terme rapide à sa carrière politique.(10)
Leurs démarches insistantes conduisent en outre à faire modifier les procédures d’extradition des criminels de guerre nazis et jouent un rôle essentiel dans la tenue des procès de Klaus Barbie (que Beate est parvenue à localiser en Bolivie dès 1971), Paul Touvier, Maurice Papon.
Beate Klarsfeld appréhendée après avoir giflé le chancelier allemand Kurt George Kiesinger lors d'une réunion le 7 novembre 1968.
Au cours des années 1970, la volonté politique du chancelier ouest-allemand Willy Brandt (geste de repentance officiel devant le mémorial des combattants du ghetto de Varsovie en 1970), les travaux d'une nouvelle génération d'historiens mettant en évidence l'implication de larges secteurs de la société allemande dans le fonctionnement du régime national-socialiste, le succès de la série télévisée Holocaust permettent véritablement aux Allemands de l'ouest de se confronter à leur passé en levant les silences entretenus sur ce sujet.
La question du nazisme et de la responsabilité individuelle et collective reste aujourd'hui très présente dans la vie publique et intellectuelle allemande. Si il existe un consensus général sur l'exigence d'un devoir de mémoire envers les victimes de la Shoah, c'est désormais le sort des victimes allemandes de la guerre (civiles et militaires) qui alimente encore les controverses. Ces débats récurrents attestent en tout cas de l'attachement de la société allemande à la démocratie et sa condamnation sans retour du nazisme.
* SS in Uruguay.
Alors dans le creux de la vague, Serge Gainsbourg sort en 1975 Rock Around the Bunker, sorte de concept-album autour du thème de l'Allemagne nazie. Sur fond de rock rétro, le chanteur enchaîne les jeux de mots légers, et pas toujours très inspirés. Avec le morceau SS in Uruguay, Gainsbourg adopte le point de vue d'un SS réfugié en Amérique Latine après la seconde guerre mondiale. La chanson ironise sur les membres de la Schutzstaffel (SS) ayant trouvé refuge en Amérique latine après la Seconde Guerre mondiale. L'accent espagnol forcé permet d'enchaîner les rimes ridicules en "aie" ( Il y a des couillones / Qui parlent d'extraditione). Le décalage est bien sûr de rigueur.
Eichmann dans la région de Tucuman (Argentine) en 1955. Le Mossad enlève Adolf Eichmann à Buenos Aires en 1960. Jugé à Jérusalem en 1961, il est pendu en 1962.
1. Persilscheine = certificat de "blancheur Persil" qui font passer du brun des nazis au blanc de l'innocence.
4. Ce recyclage est connu sous le nom de ratline ("la piste des rats").
5. Les Américains se débarrassent de cette manière d'un Barbie devenu gênant (car recherché activement par la France et jugé peu utile par les services secrets). Grâce à un sauf-conduit provisoire au nom de Klaus Altmann délivré par les Américains, le "boucher de Lyon" parvient à quitter l’Allemagne. A Gênes, il bénéficie de l’aide du père Draganovic et s’embarque pour l’Amérique latine en 1951.
De même, Josef Mengele, médecin SS d’Auschwitz et auteur d’expériences médicales épouvantables sur les prisonniers du camp, Gerhardt Bohne, chargé d’organiser la politique eugéniste du IIIème Reich par Hitler, Ante Pavelitch, criminel de guerre croate, quittent l’Europe grâce à ces filières.
6. Ainsi, le général Reinhard Gehlen qui a dirigé l’Abwehr (le service de renseignement de l’armée allemande) sur le front de l’est, met son organisation au service des EU dès juillet 1945. En remerciement de ses talents, il devint le chef du BND, les services de renseignements ouest-allemands, jusqu'en 1968. Dans les réseaux de Gelhen se trouvent d’anciens SS et gestapistes tels que le capitaine Emil Augsburg, expert du monde communiste, recherché pour crime de guerre en Pologne. Il travaille pour l’US Army de 1947 à 1956, puis pour les services secrets de l’Allemagne de l’ouest (BND) jusqu’en 1966.
C'est encore le cas du major SS Wilhelm Höttl, responsable de la déportation de 440 000 juifs hongrois vers Auschwitz. Arrêté par les Américains en 1945, il doit à sa libération en 1947 à sa grande connaissance du communisme de l’Europe de l’est. Il rejoint alors le bureau du CIG de Vienne, avant d’être recruté par la CIA.
7. L’Amérique Latine n’est pas le seul refuge possible. Alois Brunner, responsable du camp de Drancy, condamné par contumace à perpétuité pour crime contre l’humanité, vécut en Syrie. L’Espagne franquiste accueille Louis Darquier de Pellepoix, le commissaire aux questions juives du gouvernement de Vichy. Otto Skorzeny, véritable héros du régime après avoir délivré Mussolini capturé par les partisans italiens, loue ses services militaires au caudillo.
Enfin d’anciens nazis ou complices parviennent à se cacher ou à se recycler dans leurs pays « d’exercice ». Paul Touvier, chef de la milice de Lyon, condamné à mort par contumace en 1945 et 1947, réussit à échapper à la justice jusqu’en 1989, profitant d’un soutien dans les milieux catholiques intégristes qui lui ouvrent leurs couvents.
8. dont Eichmann, Mengele, l'assassin des fosses Adréatines Erich Priebke, Klaus Barbie, le führer croate Ante Pavelic, le « boucher de Riga »…
9. Au cours des années 1960 et 1970, de longs procès aboutissent:
- Entre octobre 1963 et août 1965, 20 criminels de guerre ayant sévi à Auschwitz sont jugés à Francfort. - Entre 1975 et 1981, neuf anciens gardiens du camp d'extermination de Maïdanek répondent de leurs actes devant le tribunal de Düsseldorf.
- Le procès de Cologne en 1979 aboutit à la condamnation de Lischka, Hagen et Heinrichsohn, trois hauts responsables de la déportation juive en France.
10. Willy Brandt, authentique résistant au nazisme, l’emporte aux élections de 1969.
Serge Gainsbourg: "SS in Uruguay" (1975)
SS in Uruguay, sous un chapeau de paille,
Je siffle un jus de papaye, avec paille,
SS in Uruguay, sous le soleil du rail,
Les souvenirs m'assaillent, aie aie aie,
Il y a des couillonnes, qui parlent d'extraditionne,
Mais pour moi pas questionne de payer l'additionne.
SS in Uruguay, je n'étais qu'un homme de paille,
Mais je crains des représailles ou que j'aille,
SS in Uruguay, sous un chapeau de paille,
Je siffle un jus de papaye, avec paille,
SS in Uruguay, j'ai gardé de mes batailles,
Croix gammée et médailles en émail
Et toujours ces couillonnes, qui parlent d'extraditionne,
Mais pour moi pas questionne de payer l'additionne.
SS in Uruguay, J'ai ici de la canaille,
Qui m'obeit au doigt, Heil !, et à l'oeil.
-
- Le Patriote résistant n°844, juillet-août 2010, Jean-Luc Bellanger: "Comment de nombreux criminels nazis ont pu quitter l'Europe après 1945."
- ResistansS.be: "Nazis et Amérique du sud".
- Jacques Serieys : «Alfred Stroessner, cas type du général pro-américain de culture fasciste».
- Gérard Devienne : « Les nazis de la Pampa», L’Humanité, du 5 mai 1998.
- Article consacré à la dénazification sur le blog de R. Tribouilloy.
Liens:
- Arte.tv.fr: "Klaus Barbie: la cavale".
- L'Humanité: "Les nazis de la Pampa".
- Critique de l'album rock around the bunker (1975) dont est issu la chanson SS in Uruguay.
- Le site très sûr de Dominique Natanson: "Que sont-ils devenus? Le sort de 1.386 criminels nazis, complices et collaborateurs."
Xcellent article, comme toujours (de précieuses pistes, précises, à aller continuer de fouiller).
RépondreSupprimerMêêêê !
« * Les réseaux d'exfiltration.
Le cas Lammerding reste une exception puisque les plus compromis des nazis sont jugés ou contraints de s’éloigner discrètement vers des refuges sûrs (l’Amérique latine, le Moyen Orient) à l'issue de la guerre. Pour se faire [...] »
Naaan ! « Pour ce faire » ! (= pour faire cela).
Himmler, un petit lapin dans les bras, trop mignon, je ne connaissais pas cette image (le petit lapin, il est vrai, est bien entendu destiné à être tué) !
Karl-Groucho Divan.
aaaargh. Merci pour ta vigilance KGD.
RépondreSupprimerPetite précision, c'est Eichmann qui tient le lapin (il se lance dans l'élevage à son arrivée en Argentine). Arrêté en mai 1945, Himmler se suicide en avalant sa capsule de poison.
"soleil duraille", je dirais...
RépondreSupprimerY'a du très bon dans "rock around the bunker"! Tout de même!
les goûts musicaux d'Eva Braun et les pannes sexuelles d'Adolf, "Otto est une tata teutonne qui s'au-tate à tatons", ouaaah...
Non, sérieusement, c'est undes trois bons albums de Gainsbourg, il devrait être obligatoire en cours d'histoire géo!:)
Bon ok. Je suis peut-être un peu dur. Je vais réécouter. Pour ceux qui ne connaissent pas et souhaitent se faire une idée, voici un lien pour l'écouter:
RépondreSupprimerhttp://www.deezer.com/fr/music/serge-gainsbourg/rock-around-the-bunker-103905
Merci M'sieur, super article ! business as usual donc (et après on m'accuse d'être dopée mais je rêve !)
RépondreSupprimerBravo Julien! belle mise au point. Je ne connaissais pas du tout ce morceau.
RépondreSupprimerUne précision concernant Josef Kramer qui est sur une des photos. Il a dirigé le KL de Natzweiler (Struthof) avant d'aller à Auschwitz. Il a effectivement été jugé par les Britanniques mais pas au Royaume-Uni. Je crois qu'il a été pendu à Bergen-Belsen après avoir dû aider à l'enterrement des corps de déportés.
Merci Etienne de nous faire profiter de ton érudition. Je corrige ça très vite.
RépondreSupprimerPoint d'érudition de ma part. C'est juste que je vais tous les ans au Struthof avec mes élèves et qu'à force, je connais bien le parcours de Kramer, qui fut un des seuls commandants à résider tout près du camp (villa avec piscine...).
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJuste quelques mots sur Wernher Von Braun (et non pas Werner)...
Il a dirigé l'équipe qui a développé la fusée A4 (V2) mais en aucun cas le Fieseler 102 (V1).
A la NASA, Von Braun a été directeur du Centre Spatial Marshall qui a conçu notamment les lanceurs de la classe "Saturn".
Quant a Grottrüp il n'a jamais été le maître d'oeuvre du programme spatial soviétique (Le responsable était Sergueï Korolev). Lorsque les soviétiques eurent assimilés les connaissances des quelques 5000 ingénieurs allemands déportés en Union Soviétique en octobre 1946 il ont été renvoyés en Allemagne... Grottrüp en 1955 !
Quant à mettre ces scientifiques allemands au même niveau que les Eichmann,Babor, Becker, Bousquet, Papon, etc !!!
Après vérifications, je reconnais des erreurs ou approximations (corrigées).
RépondreSupprimerPour autant, à la relecture du post, je n'ai pas l'impression d'avoir fait d'amalgame entre les scientifiques et les principaux criminels nazis.
Ce n'était en tout cas certainement pas mon intention.
Merci pour cette relecture vigilante.
JB