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mercredi 26 octobre 2011

249. Doctor Clayton: "Pearl Harbor blues"

Tour surplombant le camp d'internement de Poston (Arizona). 17 000 Américains d'origine japonaise y furent internés entre 1942 et 1945.
Profondément isolationnistes depuis leur participation à la grande guerre, les Etats-Unis se gardent bien de s'immiscer dans les affaires européennes durant l'entre-deux-guerre. Aux yeux de beaucoup, la Société des nations ne sert à rien. La terrible crise économique qui frappe de plein fouet le pays au cours des années 1930 convainc d'ailleurs les New Dealers de l'entourage de Franklin D. Roosevelt (FDR) de sortir en priorité le pays de l'ornière économique dans laquelle il se trouve, sans être détournés de cette priorité par la montée des périls en Europe. L'armée américaine est d'ailleurs presque inexistante!
La marge de manœuvre de FDR reste de toute façon très limitée puisque le Congrès adopte une série de lois de neutralité de 1935 à 1937, préconisant le recours à l'embargo sur les armes en cas de conflit.
En octobre 1937, alors que la Japon vient d'attaquer la Chine, le président se risque timidement à proposer la mise en quarantaine de tout agresseur. Cette modeste suggestion suscite pourtant un immense tollé qui le convainc de se détourner autant que possible des affaires du vieux continent. La diplomatie américaine brille ainsi par sa discrétion lors des accords de Munich conclus entre le Royaume-Uni, la France, l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie. Or, cet isolationnisme fragilise avant tout les régimes démocratiques menacés par la poussée des dictatures d'extrême droite (la République espagnole). 
Avec la montée des périls, Roosevelt obtient difficilement quelques crédits supplémentaires pour les forces armées. 




Le pays conserve cette position avec le début de la guerre en Europe début septembre 1939. A la fin de l'année Roosevelt obtient la suppression de l'embargo total, mais les isolationnistes imposent au Congrès la clause cash and carry. (1) Rasséréné par la tournure que prennent les combats sur le front de l'ouest au cours des premiers mois du conflit ("drôle de guerre"), FDR et son administration sont en revanche traumatisés par les victoires éclairs allemandes et la déroute de l'armée française, considérée par beaucoup comme la plus forte au monde.
La guerre paraît désormais inéluctable au président qui réussit à vendre à un prix avantageux une cinquantaine de navires de guerre à l'Angleterre. L'opinion américaine reste toutefois très divisée. Le comité White, milite en faveur d'un soutien accru au Royaume uni, alors que le comité America First encourage le maintien de l'isolationnisme et ne cache pas ses sympathies pro-nazi. Pour ne pas hypothéquer ses chances de succès, Roosevelt, qui brigue alors un troisième mandat, biaise, se gardant bien de prendre clairement position pour ou contre l'intervention dans la guerre. Brillamment élu avec 55% des suffrages en décembre 1940, il renforce sa politique d'aide à l'Angleterre et affirme vouloir faire des Etats-Unis le "grand arsenal des démocraties". La loi prêt-bail (lend-lease) dont bénéficient le Royaume uni, puis l'URSS après le déclenchement de l"opération Barbarossa, est adoptée en mars 1941 en lieu et place de la loi Cash and Cary(2) La signature de la Charte de l'Atlantique en août confirme l'engagement clair de Roosevelt aux côté des Britanniques et constitue un pas important vers la participation du pays à la guerre 'sans toutefois que l'opinion n'en ait vraiment conscience)...


"The Big Push", caricature de Packer parue dans le Daily Mirror. Le fauve Hitler avec sur l'épaule Mussolini précipitent le tigre japonais dans le conflit mondial. Cette caricature anti-japonaise fut reproduite dans le magazine américain Life.

Reste que, si l'isolationnisme recule au sein de l'opinion publique, c'est bien l'attaque japonaise sur la base américaine de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941 qui entraîne l'entrée en guerre des Etats-Unis.
La violence de l'opération stupéfie nombre d'observateurs, mais ne surprend qu'à moitié, tant les relations américano-nippones s'étaient détériorées.


"Japonais, passez votre chemin. Ici, c'est un quartier d'hommes blancs." Photo prise en 1920. 
C'est au cours du dernier tiers du XIXème siècle qu'arrivent les premiers immigrés japonais. La plupart s'installe sur l'archipel d'Hawaï (1) et en Californie. Les Américains accueillent avec méfiance cette population accusée d'accepter des salaires de misère et de tirer ainsi les salaires vers le bas. La victoire du Japon sur la Chine accroît encore les tensions et entraîne l'adoption de mesures discriminatoires à l'encontre de ces immigrés. Néanmoins, le regroupement familial et la forte natalité de cette communauté expliquent la forte augmentation de leur nombre aux Etats-Unis (ils passent de 10 000 en 1900 à 41 000 en 1910 et 75 000 en 1920, dont 60 000 à Hawaï). Les Issei, immigrés de la première génération nés au Japon, et leurs enfants, Nissei ("deuxième génération" nés aux États-Unis), s'installent principalement en Californie, en Oregon et dans l'Etat de Washington. Une loi de 1924  interdit l'entrée des Japonais sur le territoire américain et rend très difficile leur naturalisation (dans le cadre d'une politique restrictive en matière d'immigration). Les tourments dont sont victimes les 126 947 Japonais (4) installés aux Etats-Unis aux lendemains des attaques de Pearl Harbor s'insèrent donc dans une longue histoire tourmentée.


Depuis le début des années 1930, le Japon entend se doter d'une "sphère de coprospérité" en Asie qui lui permettrait de se procurer les ressources qui lui font cruellement défauts ( fer, pétrole). Ces volontés d'expansions (conquête de la Mandchourie en 1931 et de vastes territoires en Chine à partir de 1937), la signature du pacte tripartite avec l'Allemagne et l'Italie en septembre 1940, l'immixtion japonaise en Indochine inquiètent de plus en plus à Washington qui décrète un embargo sur de nombreuses matières premières fournies jusque là aux entreprises nippones. L'occupation totale de l'Indochine en juillet 1941 décide Roosevelt à geler les fonds japonais aux Etats-Unis et à instaurer un embargo pétrolier total. D'interminables négociations s'ouvrent alors entre les deux capitales et se poursuivent encore au moment même où l'aviation japonaise déclenche l'attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, à l'aube. Le bombardement de la base navale américaine des îles Hawaï, met hors de combats 8 cuirassés, 3 croiseurs, de nombreux autres bâtiments et anéantit au sol 247 avions. Les pertes humaines s'élèvent à plus de 2400 morts. L’effet de surprise est total.  
La flotte américaine du Pacifique est paralysée ce qui permet aux Japonais de poursuivre librement leur politique d'expansion dans le Pacifique. Simultanément, l'aviation nippone attaque les autres possessions américaines de Guam et des Philippines, mais aussi l'empire britannique (à Hong-Kong et en Malaisie) et les Indes néerlandaises. Les Japonais enclenchent ici une prodigieuse série de victoires, jusqu'au coup d'arrêt de Midway en juin 1942.


 Fin décembre 1941, Life propose un article permettant de distinguer les amis Chinois des ennemis japonais. La Chine, alliée des États-Unis, est alors en guerre contre le Japon.
Dès le début de l'année 1941, l'état-major japonais envisage une offensive éclair contre la flotte américaine du Pacifique pour empêcher les États-Unis de contrer l'invasion planifiée de l'Asie du Sud-est. L'attaque surprise est aussi motivée par les sanctions économiques imposées par les Américains.
 Le 7 décembre 1941 devient un "jour d'infamie" et, dès le lendemain, les États-Unis entrent en guerre contre le Japon. Le 11 décembre, L'Allemagne et Italie, qui ont promis leur soutien indéfectible au Japon en tant que membre de l'Axe, déclarent à leur tour la guerre aux États-Unis. Dès lors, le conflit devient réellement mondial.
L'état major à Washington ne s'attendait pas à une attaque aussi rapide. L'offensive témoigne en tout cas de l'impréparation des Etats-Unis et précipite le retournement de l'opinion américaine. Grâce à ce véritable électrochoc, Roosevelt bénéficie désormais  d'une union sacrée contre l'ennemi japonais. (5)

 
Le camp de Manzanar en Californie.


A de rares exceptions près, l'attaque japonaise atténue les divisions du peuple américain, convaincu désormais de mener une guerre juste contre un adversaire cruel et fourbe.
Partout dans le pays le sentiment anti-japonais est exacerbé. (6)
A cet égard, Pearl Harbor blues, enregistré par le Docteur Clayton au lendemain de l'attaque, s'avère tout à fait représentatif d'une opinion publique américaine désormais prompte à accuser les Nippo-américains de former une "cinquième colonne", prête à se retourner contre son pays d'accueil.
Aussi, sous la pression des élus locaux, Roosevelt signe en février 1942 le décret 9066, instituant des zones militaires où doivent être neutralisés les citoyens présentant un danger pour la sécurité nationale. (7) Concrètement, il permet à l'armée d'arrêter séance tenante les Américains d'origine japonaise de la côte Ouest et de les transférer vers des camps spécialement construits pour l'occasion (relocation centers). Plus de 110 000 personnes sont ainsi acheminés en train dans 10 camps isolés, situés dans des zones désertiques disséminées sur tout le territoire. Parqués dans des baraques de fortune, les détenus y mènent une détention rude. 


 Carte des 10 camps d'internement (figurés par des triangles noirs): Tule Lake, Manzanar en Californie, Gila River, Poston (Arizona), Topaz (Utah), Granada (Colorado), Heart Moutain (Wyoming), Minidoka (Idaho), Rohwer et Jerome (Arkansas). Cliquez sur la carte pour l'agrandir.

Tous les Américains d'origine japonaise ne sont pas internés. Certains parviennent à quitter d'eux-mêmes les zones militarisées pour se réfugier dans l'est du pays. Progressivement, les autorités distribuent des questionnaires à l'intérieur des camps avec la possibilité pour les détenus jugés loyaux de les quitter pour l'armée, en particulier le 442ème régiment de combat composé d'anciens internés.
Pour les autres, il faudra attendre la fin de l'année 1944 pour être libérés. La réinsertion s'avère souvent délicate dans la mesure où la plupart des détenus ont perdu tous leurs biens lors de l'internement.   De retour des camps, et de manière somme toute assez comparable à ce que vécurent nombre de déportés européens, les Américains d'origine japonaise, avant tout soucieux de se faire une place dans la société américaine, se murent dans le silence et renâclent à évoquer la sombre période de l'internement. Leurs descendants, les Sansei (la "troisième génération"), aspirent au contraire à mieux connaître cette page sombre de leur histoire. 
Pour leur part, les autorités américaines ne s'y confrontent qu'à la fin des années 1970, lorsque la Cour suprême reconnaît la violation flagrante des droits des citoyens d'origine japonaise (après avoir donné son aval à l'opération en 1942). Il faut attendre 1988 pour que des excuses officielles soient formulées. A cette occasion, chaque ancien interné encore en vie se voit attribuer 20 000 dollars en compensation du préjudice subi. Cinq ans plus tard, Bill Clinton inaugure un mémorial en hommage aux prisonniers des camps et aux 33 000 Américains d'origine japonaise ayant combattu dans l'armée américaine. A cette occasion, il annonce la préservation de plusieurs relocations centers. 


Doctor Clayton. Formé au contact des chanteurs-pianistes de Saint-Louis, le bluesman enregistre à partir de 1935 une série de blues aux textes corrosifs, souvent à double sens. Il connaît une brève gloire grâce à plusieurs compositions consacrées second conflit mondial. Très affecté par le décès de sa femme et de ses enfants dans un incendie, le "doctor" sombre dans l'alcoolisme. Il meurt d'une pneumonie en 1947, quelques jours après s'être endormi dehors par une nuit glaciale.
Notes
1. Les Américains pourront vendre des armes aux belligérants, à condition que ceux-ci paient comptant (cash) et se chargent du transport (carry). 
2. la loi permet aux Anglais de payer les armements achetés après la guerre ou de les restituer.
3.une véritable république bananière alors sous protectorat américain. Hawaï est annexé au territoire américain en 1898.
4. dont 62% possèdent la citoyenneté américaine.
5. Des historiens révisionnistes accuseront même à tort FDR d'avoir volontairement négligé la défense de Pearl Harbor afin de provoquer le choc psychologique permettant de vaincre les réticences isolationnistes.
6. Les liste d'"étrangers ennemis" dressées lors de l'entrée en guerre, comprennent des ressortissants de toutes les puissances de l'Axe. Tous doivent être évacués des côtes occidentales du pays. Dans les faits, seuls les populations d'origine japonaise sont visées. 
7. La décision d'interner la population a aussi pour motif de protéger les Nippo-américains de la violence populaire et des lynchages.



  Doctor Clayton: "Pearl Harbor blues"

December the seventh, nineteen hundred and forty one
On December the seventh, nineteen hundred and forty one
The Japanese flew over Pearl Harbor, dropping bombs by the ton

This Japanese is so ungrateful, just like a stray dog on the street
Yes the Japanese is ungrateful, just like a stray dog on the street
Well he bite the hand that feeds 'm, soon as he get enough to feed

Some say the Japanese is hard fighters, but any dummy ought to know
Some say the Japanese is hard fighters, but any dummy ought to know
Even a rattlesnake won't bite you in your back, he will warn you before he strikes his blow

I turned on my radio and I heard mister Roosevelt say
I turned on my radio and I heard mister Roosevelt say
We wanted to stay out of Europe and Asia, but now we all got a debt to pay

We even sold the Japanese brass and scrap iron, and it makes my blood boil in the vein
We sold the Japanese brass and scrap iron, and it makes my blood boil in the vein
Cause they made boms and shells out of it, and they dropped it on Pearl Harbor just like rain.

******
Le 7 décembre1941, (2X)
Les Japonais ont survolé Pearl Harbor et ont lâché des tonnes de bombes.

Le Japonais est si ingrat, tout comme un chien perdu dans la rue, (2X)
Oui, il mord la main qui l'an nourri dès qu'il a mangé à sa faim.

Certains disent que les Japonais savent se battre, mais n'importe quel imbécile devrait savoir (2X)
que même un serpent à sonnette ne mordra pas par-derrière,
il avertira avant de frapper.

J'ai mis la radio et j'ai entendu M. Roosevelt dire: (2X)
"Nous avons voulu rester à l'écart de l'Asie et de l'Europe, 
mais maintenant nous avons une dette à payer.

nous avons vendu aux Japonais du laiton et de la ferraille, cela me fait tourner les sangs (2X)
car ils en ont fait des bombes et des obus qui se sont abattus sur Pearl Harbor comme une averse.


 
1942. Derrière les barbelés de l'"assembly center" de Santa Anita en Californie, des Nippo-américains rassemblée  attendent d'être transférés vers un camp d'internement.        [Julian F. Fowlkes. © CORBIS]


Sources:
- Paul Oliver: "Le monde du blues", 10/18, 1962.
- Howard Zinn: "Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours", Agone, 2003.
- Christian Kessler: Quand l'Amérique emprisonnait ses Japonais, L'histoire n°288, juin 2004.
- André Kaspi: "Les Américains. 1. Naissance et essor des Etats-Unis 1607-1945", Point, Seuil. 
- Gérard Herzhaft: "La grande encyclopédie du blues", Fayard, 1997.

Liens:
- Life: "Comment reconnaître un Japonais d'un Chinois?"
- Un site très complet consacré au camp de Manzanar (Californie).
- L'encyclopédie canadienne: L'histoire des canadiens d'origine japonaise.
- ateliers.revue.org: Mémoire des camps américains. L'exemple japonais.
- Pearl Harbor: popular songs.

jeudi 20 octobre 2011

Les ouvriers, une espèce à protéger



Sanseverino nous amène dans un univers plein de nostalgie mais aussi dans un constat très triste : la France avait des ouvriers, elle les a perdus désormais.  Bien sûr, la chanson résonne d’une manière très particulière dans la tête d’un Lorrain qui a été le témoin de tant de bouleversements, d’effondrements et de déchaînements ces trente dernières années.   
 
 
     Ouvriers du haut-fourneau R7 (construit en 1902, usine de Rombas (photo du livre de JJ Sitek).




Les ouvriers mais aussi les ouvrières : ici des mineurs en remplacement des hommes au Front, 1914-1918.
(JJ Sitek)
 
 
Les usines
La chanson débute par une énumération de vieux métiers, de vieilles manufactures. Elle parle d’usines de chaussures. Là bien sûr, on est tenté de penser par exemple à la fermeture de l’usine Bata située en pleine campagne en Moselle Est, à  Moussey en 2001. Cette usine construite en 1931 par le tchèque Tomas Bata a longtemps été considérée comme un modèle utopique et paternaliste. Mais en 2001, le groupe Bata ferme arbitrairement cette usine.
 

« Bataville » à Moussey
 
Il évoque aussi les chantiers navals de la Ciotat fermé en 1987 et le site des usines Renault de l’ïle Séguin à Billancourt où se trouvaient l’essentiel de la production entre 1919 et 1992. Renault, la marque française au losange n’assemble plus que 27 % de sa production en France.
 
 
 
Les luttes
Ces ouvriers avaient réussi pourtant à s’organiser en syndicat, à réclamer des droits grâce à  une prise de conscience que la classe des ouvriers étaient exploités injustement. 
 
L’histoire ouvrière débute sans aucun doute avec les Canuts. Ce sont les travailleurs de la soie à Lyon qui en 1831 se révoltent une première fois (Sanseverino parle de 1881, une erreur involontaire ?  Plutôt volontaire, il aime dire « merde au système », ici je l’imagine en train de se dire, il y aura bien un historien « maître Capellotien » qui reprendra et corrigera l’erreur !).
Le point d’orgue dans la mémoire collective demeure sans aucun doute le moment du Front Populaire : la victoire électorale, l’occupation des usines et finalement les accords de Matignon qui validaient une augmentation des salaires, deux semaines de congés payés et la semaine de 40 h.
 

Mai-juin36, Blocage du portier 2, au Moulin neuf, Rombas (JJ Sitek)
 
 
Les fermetures et la fin des ouvriers
 
La chanson n’est évidemment pas un programme politique, encore moins un tract syndical. Sanseverino imagine qu’on puisse partager le temps de travail (une loi des 35 h qui irait jusqu’au bout de sa logique).....Il ne voit d’ailleurs pas cela comme une utopie.
Mais la lucidité des paroles achève la chanson, « dans la sidérurgie, on ne passera pas notre vie » et les espoirs des ouvriers.  La fermeture des derniers fourneaux à Hayange et Gandrange par l’indien Mittal va sans doute clôturer une histoire de trois siècles d’industrie sidérurgique en Lorraine. Un blog syndical relate avec photos à l’appui, le passage de Nicolas Sarkozy à Gandrange et des promesses qu’il n’a pas tenues.
 

Photographie de la manifestation du 3 octobre 2011 (photo du RL : voir l’article)
 
Bien sûr, le combat collectif demeure la solution mais le découragement et la mondialisation semblent donner raison à la fatalité.
 
 

Vue sur l’usine de Gandrange, aujourd’hui 
 
Les ouvriers disparaissent donc de la France en même temps que les usines. Le rapport de Lilas Demmou (rapport de la DG du Trésor)en explique avec précision les mécanismes.
 
(extrait du rapport de Lilas Demmou, 2010)
 
                La perte de 1,9 millions d’emplois dans l’industrie entre 1980 et 2007 laisse peu d’espoir pour ce secteur d’activité. Les dernières phrases de la chanson témoignent d’un processus qui semble irréversible (à moins de parler de démondialisation ?). D'ailleurs, les manifestants n'ont plus les "arcades ouvertes", les élus aujourd'hui sont à leurs côtés mais sont bien démunis face à l'Ogre Mittal, parangon de la mondialisation.
 
 
 
 
Les ouvriers


 
Charpentier, imprimeur, mécanicien, tourneur,
De vieilles manufactures ou d'usines de chaussures
De crises économiques en restructurations,
De fermetures d'usines et de chantiers en perdition.Salut c'est nous, nous sommes les ouvriers

Manufacture de coton, de laine et de soie
Les forges chez Renault, chantiers de La Ciotat
D'où sortaient les bagnoles, des paquebots et du tissu.
Y'en avait du boulot, ben, aujourd'hui, y'en a plus.
Cadences précarité, nous sommes les ouvriers.

Le Front Pop de 36, c'était y a bien longtemps.
40 heures à la semaine, de l'espoir pour 20 ans
Les congés sont payés, on n'osait même plus en rêver.
Ca durera pas longtemps le chômage viendra tout doucement.
On va morfler, c'est nous les ouvriers.

Tabassés les canuts 1881,
1848 les ouvriers parisiens,
Le travail à la chaîne des O.S de chez Citroën
Métro, déprime, dodo des licenciés chez Renault.
C'est notre histoire à nous, à nous les ouvriers.

Prolétaires, patrons milliardaires
Sont faits pour se plaire.
Pourquoi pas aménager, modifier les horairesEt changer aussi les salaires.
Ceux pour qui on bossait nous ont bien baisés,
C'est compris merci, c'est pas compliqué.
De moins en moins payés, nous sommes les ouvriers.

Une grève générale et le pouvoir vacille.
Sacrifier son salaire n'est pas aussi facile.
Pour le pouvoir d'achat, il n'y a qu'le combat collectif,
L'augmentation du niveau d'vie sera notre objectif.
Tout va changer, c'est nous les ouvriers.

Rentrer d'une manif les deux arcades ouvertes
Retour au quotidien, omelette et salade verte.
Avoir quelques copains, discuter politique,
Partage du temps d'travail, ce n'est pas utopiqueC'est nos idées à nous, à nous les ouvriers.

Prolétaires, patrons milliardaires
Sont fait pour se plaire.
Pourquoi pas aménager, modifier les horaires
et changer aussi les salaires
Ceux pour qui on bossaient nous ont bien baisés,
C'est compris merci, c'est pas compliqué.
De moins en moins nombreux, nous sommes les ouvriers
Le prolo qui va au charbon a toujours raison.
L'ouvrier parisien est teigneux comme un chien.
Dans la sidérurgie on passera pas notre vie.
 
 
 
 
Bibliographie
  JJ Sitek, Le monde de l’usine, Rombas, Serge Domini, 2005, 303p.
G. Noiriel, Les ouvriers dans la société françaises, Point Seuil, 1986.
 
 
JC Diedrich

mercredi 12 octobre 2011

248. Oscar Brown Jr: "Forty acres and a mule"

- John Brown's body reste l'une des chansons contestataires les plus célèbres. Elle nous permet de revenir sur l'épopée de cet abolitionniste acharné qui tenta d'éradiquer l'esclavage par la force. Les prémices de la guerre sont en germe dès les années 1850 et son expédition s'inscrit dans un contexte de tension croissante entre les deux sections du pays.

- The night they drove Dixie down du Band offre le point de vue du sudiste Virgil Kane particulièrement éprouvé par la guerre civile dont nous tenterons d'identifier les principales caractéristiques.

- L'élection d'Abraham Lincoln plonge le pays dans la guerre. Dès lors le président s'emploie à sauvegarder de l'Union. L'émancipation des esclaves est le fruit de la guerre. Leabelly consacre un blues au "grand émancipateur". (à venir)

- Le pays sort traumatisé du conflit. Le Sud est dévasté, occupé en outre par les troupes nordistes le temps de la Reconstruction. La réconciliation sera longue à s'accomplir. Les Noirs, tout juste affranchis, en seront les grands perdants, ce qui provoque la colère d'Oscar Brown Jr dans son morceau Forty acres and a mule qui retient notre attention ici.
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Un membre du Klan et de la White League s'emploient à rendre la vie de cette famille noire "pire que l'esclavage." Gravure de Thomas Nast pour le Harper's Weekly, 24 octobre 1874.

* Le Sud ravagé.
La guerre civile laisse un pays exsangue. L'utilisation d'armes nouvelles, l'ampleur des effectifs engagés, la multiplicité des théâtres d'opération, la primauté accordée à l'offensive, auxquels s'ajoutent la difficile prise en charge des blessés, expliquent la lourdeur du bilan humain. On déplore 620 000 victimes, 360 000 Nordistes et 260 000 Sudistes, et près d'un million de blessés et invalides. Un combattant sur cinq est tué au cours du conflit.
Au Sud, les dégâts matériels s'avèrent considérables. La violence des opérations a réduit de nombreuses villes et plantations en cendres. Ainsi, lors de la marche à la mer, les colonnes infernales de Sherman ravagent tout sur leur passage.
Les moyens de transport sont inutilisables. Les soldats démobilisés errent hagards, dans l'attente d'une occupation rémunérée, tandis que des bandes de pillards profitent de l'absence d'autorités pour s'accaparer ce qui peut encore l'être.

La petite maison, en bois, d'une famille de métayers (Alabama, vers 1902).

* Quelle reconstruction?
Victorieux du Sud, les Yankees se trouvent face à une série de choix cruciaux. Quel sort faut-il réserver aux vaincus? Comment résoudre les problèmes nés de l'affranchissement des esclaves? De quelle manière faut-il reconstruire l'ancienne Confédération?
Avant même la fin de la guerre, Lincoln fixe les conditions de réintégration des Etats du Sud dans l'Union. Magnanime, il opte pour un pardon immédiat et une retour rapide au statu quo ante. A ses yeux, il suffit que 10% des citoyens d'un Etat" rebelle" prêtent serment de fidélité à l'Union et acceptent l'abolition de l'esclavage pour constituer un gouvernement légal.
Son assassinat, le 14 avril 1865, entraîne son remplacement immédiat par Andrew Johnson, un démocrate du Tennessee rallié à l'Union et à la stratégie du vieil Abe. Le nouveau président se déclare prêt à pardonner aux anciens rebelles à condition qu'ils entérinent l'abolition de l'esclavage, annulent les ordonnances de sécession et prêtent un serment de loyauté à l'Union. Mais, ce "président par accident" n'a pas la stature de son prédécesseur et peine à imposer ses vues au Congrès.
Quoi qu'il en soit, les Etats du Sud sont réadmis à bon compte dans l'Union et s'empressent d'élire d'anciens sécessionnistes convaincus. Soucieux de limiter autant que possible les conséquences de l'abolition de l'esclavage, ces derniers s'empressent d'imposer des Black Codes humiliants et discriminatoires, censés maintenir la population de couleur dans une position subalterne.

Au Congrès, les républicains se divisent entre radicaux et modérés. Les premiers  entendent bien contrecarrer la reconstruction présidentielle. Menés par Thaddeus Stevens, les radicaux refusent toute forme de conciliation avec l'ancienne Confédération qu'ils entendent gérer en province conquise, tout en châtiant les rebelles. Les Noirs doivent pouvoir voter et jouir de l'égalité complète. L'adoption de ces "Codes noirs" provoque leur fureur.
Un véritable bras de fer s'engage entre l'exécutif et le législatif. Ainsi, le président Johnson use à deux reprises de son veto pour bloquer des décisions prises par le Congrès. (1)
Mais, le triomphe des républicains radicaux aux législatives de 1866 lui fait perdre le contrôle de la Reconstruction. Et si la procédure d'impeachment à l'encontre de Johnson échoue à une voix près (février 1868), le Congrès n'en adopte pas moins le Reconstruction Acts, qui impose au Sud des mesures drastiques (mars 1867).
Sommés d'organiser des conventions chargées de voter de nouvelles constitutions garantissant aux Noirs le droit de vote, les Etats dissidents sont répartis en cinq districts militaires placés sous la surveillance des troupes fédérales.

 Les Etats sudistes, répartis en cinq districts militaire.Cliquez sur la carte pour l'agrandir.

Les Noirs cessent d'être esclaves avec l'adjonction du 13ème amendement à la Constitution (18 décembre 1865). Les radicaux réclament en outre que l'intégralité des droits civiques soient accordés aux anciens esclaves. En dépit du veto opposé par le président Johnson, le Congrès adopte le 14è amendement qui reconnaît à tous les citoyens l'égale protection des lois et interdit aux Etats de restreindre les droits civiques sans une procédure régulière. L'établissement du principe de proportionnalité entre le nombre de représentants et la population masculine, prouve que les Noirs sont désormais comptés comme citoyens à part entière lors des élections. La Cour suprême ne ratifie toutefois la loi qu'en  juillet 1868.
Enfin le 15è amendement (1870) interdit à tout Etat de priver un citoyen du droit de vote sous prétexte de "race, couleur ou servitude antérieure".

Sous la contrainte, ces mesures sont appliquées tant bien que mal. Les affranchis s'inscrivent sur les listes électorales sous la protection de l'armée, contribuant au succès du candidat républicain, Ulysses Grant en 1868 (puis 1872).
Des Noirs accèdent aux postes de maires ou de shérifs et sont élus aux législatures d'Etats, voire au Congrès fédéral. (2) Et, en dépit d'une représentation modeste, la vie politique des affranchis n'en demeure pas moins très dynamique. (3) Tous s'emploient à favoriser l'adoption de législations progressistes en matière de droits civiques.

 "First vote". Gravure d'après Alfred R. Waud. Couverture du Harper's Weekly, 16 novembre 1867. Au  delà de considérations philanthropiques, le soutien des Républicains au vote noir est également mu par un intérêt bien compris. Ils espèrent ainsi se créer une clientèle électorale dans le Sud afin d'y concurrencer efficacement l'hégémonie des démocrates.

* De l'esclave au sharecropper.
La répétition des mesures adoptées en faveur des anciens esclaves montre néanmoins la difficulté de leur application.
Ces beaux principes sont malmenés par les conditions d'existence sordides de nombreux affranchis, bien mal intégrés à la nation américaine. Réduits à la condition de salariés agricoles ou de métayers (sharecropper), avec des salaires inférieurs de moitié à ceux des Blancs, ils peinent à joindre les deux bouts et se retrouvent rapidement à la merci des anciens maîtres. Beaucoup ne survivent que grâce aux prêts usuraires et sombrent progressivement dans la spirale de l'endettement, une nouvelle forme de servage.
Compte tenu de ces difficultés d'existence, certains tentent leur chance dans les villes du sud en cours d'industrialisation. Or, là encore, les bas salaires imposés et l'exclusion des syndicats, font des Noirs une main d’œuvre idéale et soumise.
Pour venir en aide aux anciens esclaves, le Congrès vote la création du  Freedman's bureau  en 1865. Disposant d'un budget nettement insuffisant, ce Bureau des Affranchis s'emploie néanmoins à distribuer des rations alimentaires, à prodiguer des soins médicaux, à rédiger des contrats de travail et à établir des écoles. Son efficacité reste toutefois limitée, en dépit des accusions portées par les suprématistes blancs accusant les Noirs de dilapider les fonds publics par ce biais.

 Crée par le Congrès en 1865 pour apporter assistance aux esclaves affranchis dépourvus de moyens de subsistance, le Freedman's Bureau fit l'objet de nombreuses critiqiues. Une affiche du parti démocrate publiée en 1866 dénonçant le fait que l'"agence avait pour objet d'encourager le nègre à la paresse aux dépens de l'homme blanc."

* Sus aux Noirs, scalawags et carpetbaggers.
Toutes les décisions précédemment évoquées sont imposées par l'Etat fédéral et mises en œuvre sous la contrainte, alors que la société blanche sudiste n'entend pas remettre en cause sérieusement ses fondements. La haine viscérale du Noir anime toujours bien des sudistes, décidés à rétablir l'ancien système par tous les moyens. Prompts à se poser en victimes, et au mépris de la vérité, d'aucuns considèrent que les Noirs accaparent les postes de commandement.
Les nostalgiques de la Confédération usent de violences afin de "maintenir le Noir à sa place." Les sociétés secrètes se multiplient à l'instar des chevaliers du Camélia blanc (Knights of the White Camelia), de la Fraternité blanche, des Fils du Sud, de la Société de la rose blanche, des chevaliers de la croix noire ou du Ku Klux Klan, qui refusent toute remise en cause de la suprématie blanche.

 Fondé dans le Tennessee en 1865 par d'anciens officiers sudistes, le Ku-Klux-Klan rassemble à la fois les élites locales qui dirigent l'organisation et des petits blancs déterminés. La milice terroriste use de méthodes brutales: croix embrasées, églises et écoles fréquentées par les Noirs incendiées, élus et électeurs noirs menacés et violentés. Dissoute en 1869 sous la pression du Congrès, elle continue néanmoins clandestinement à semer la terreur. Ci-dessus deux membres du Klan encagoulés.

Ces organisation racistes ne reculent devant aucun moyen pour terroriser leurs ennemis. L'émancipation des Noirs leur paraît inconcevable. Alliés des affranchis, les Carpetbaggers et scalawags, suscitent chez eux une animosité non moins grande. Les sudistes rayent la cupidité des yankees venus tenter leur chance dans le Sud, munis d'un simple sac de toile (carpet bag). Il fustige la félonie des scalawags, ces sudistes qui, par conviction ou opportunisme, prennent le parti du nord. (4) Enlèvements, mutilations, tortures, assassinats se généralisent.


D'après cette caricature du Ku Klux Klan datant de septembre 1868, voici le sort promis aux carpetbaggers qui oseraient s'aventurer à Oaks. Les "porteurs de valises" sont des Nordistes venus s'installer dans le Sud lors de la Reconstruction. Accusés de se comporter en charognard dépeçant une région en ruine, ils deviennent l'objet de la vindicte publique.

* Ce renversement de situation s'explique par le désengagement du Nord.
Entre les deux sections, l'heure de la conciliation semble avoir sonné, alors que la lassitude point au Nord. Les milieux d'affaires en particulier, redoutent que les tensions persistantes ne finissent par pénaliser la croissance économique en berne depuis la crise financière de 1873. D'une manière générale, le sort des Noirs ne passionne plus l'opinion publique nordiste. Les scandales politico-financiers qui éclaboussent l'entourage du président Grant, la disparition des figures de la vieille garde abolitionniste (Thaddeus Stevens et Charles Sumner en 1868 et 1874) profitent aux démocrates, dont les positions se renforcent lors des consultations électorales successives.
Les élections présidentielles de 1876 constituent un tournant. Redoutant de ne pas l'emporter, le candidat républicain Rutherford Hayes, pour s'assurer les votes des grands électeurs du Sud, promet d'en retirer les troupes fédérales une fois à la Maison Blanche.
Ce compromis confirme le retour au pouvoir (pour presque un siècle!) des Démocrates conservateurs dits « rédempteurs » (Redeemers), fermement décidés à rédimer le Sud de l'influence "malfaisante" des Noirs et de leurs alliés, Carpetbaggers et Scalawags.

Avec l'aval des instances fédérales, les Sudistes usent dès lors de tous les stratagèmes pour restaurer la suprématie blanche dans le Sud. Tout un ensemble de conditions restrictives sont par exemple adoptées par les Etats afin de restreindre l'accès aux urnes des Noirs.  La liste des conditions à remplir pour s'inscrire sur les listes électorales ne cesse de s'allonger: savoir lire et écrire, comprendre la Constitution, s'acquitter d'un impôt particulier (poll taxes). La "clause du grand-père" permet aussi de priver de vote tous ceux dont les aïeux n'étaient pas électeurs en 1867, autrement dit tous les affranchis. En outre, les circonscriptions sont sans cesse remodelées afin d'atténuer autant que possible le vote noir. Dans ces conditions, en 1910, la grande majorité des Noirs du Sud a été privée de ses droits civiques (disenfranchisement).

Gare routière d'Oklahoma City, 1939. Jeune homme s'abreuvant à une fontaine publique réservée aux Noirs et séparée de celle dévolue aux Blancs, visible à l'arrière plan. A partir des années 1880, la ségrégation s'organise dans les transports en commun, les lieux publics (écoles, toilettes), les lieux de résidence...

Ecartés des urnes, les Noirs sont aussi socialement séparés des Blancs par les lois Jim Crow. Et alors que la loi de 1875 interdit la ségrégation, la Cour Suprême la déclare inconstitutionnelle en 1883. En reconnaissant la primauté du droit des Etats sur le droit fédéral, elle entérine et justifie la ségrégation en marche au Sud par le principe habile du "séparé mais égal": égalité de principe dans les droits, séparation de fait dans la vie quotidienne. Ainsi, l'organisme chargé de faire respecter la Constitution est-il le premier à violer les 14è et 15è amendements! (5)
Au bout du compte, il ne semble pas excessif d'affirmer que la réconciliation entre les deux sections s'effectue aux dépens des Noirs. Dépossédés de leurs droits et victimes des discriminations, ces derniers réagissent de manières très diverses à leur marginalisation. (6)


 Robinson, près de Waco (Texas), le 16 mai 1916. Le corps calciné de Jesse Washington, lynché après avoir avoué le viol et l'assassinat d'une fermière blanche. Entre 10 000 et 15 000 personnes assistent au lynchage. Un témoins rapporte: «Les spectateurs étaient accrochés aux fenêtres de l'hôtel de ville et des autres bâtiments d'où on avait une bonne vue et, quand le corps du Noir com­mença à brûler, des cris de joie s'élevèrent des milliers de poitrines.»
En parallèle à la mise en place de la ségrégation, les violences raciales se multiplient, en particulier les lynchages à partir des années 1890.


* "40 acres and a mule."
Touche à tout inclassable, Oscar Brown Jr s'impose comme un brillant chanteur, excellant dans la composition de comédies musicales satiriques. Militant infatigable, il compose en 1965 le morceau Forty acres and a mule, dont le titre se réfère à une promesse faite aux esclaves affranchis à l'issue de la guerre de Sécession. En compensation des souffrances endurées, ces derniers étaient censés obtenir 40 acres (16 hectares) de terre à cultiver et une mule. Leurs descendants attendent encore!

Notes:
1. Le premier veto limite les compétences du Bureau des affranchis, tout juste crée par le Congrès. Le second empêche l'acquisition des droits civiques par les anciens esclaves. Le Congrès passe outre en adoptant le 14ème amendement (1868).
2. Entre 1868 et 1877, on compte 2 sénateurs  et 14 représentants noirs à Washington. Ce qui représente seulement 6% des représentants fédéraux des Etats du Sud.
3. Rappelons à cet égard le rôle essentiel joué par les églises noires, lieu de socialisation par excellence des affranchis.
4. Le terme scalawag désigne un "vagabond" dans l'argot anglais, le terme est ensuite utilisé pour désigner le bétail de mauvaise qualité, et donc peu fiable.
5. L'arrêt Plessy contre Ferguson  adopté à une majorité de 7 voix contre une justifie la ségrégation. A la Nouvelle Orléans, le 7 juin 1892, Homer Plessy "qui a un huitième de sang noir et sept huitième de sang blanc" (sic) s'installe dans un wagon de première classe réservé aux Blancs. Or, une loi de l'Etat de Louisiane (1890) prévoit que les sociétés de chemin de fer "doivent fournir aux personnes de race blanche ou de couleur des installations séparées mais égales." Sommé de rejoindre un compartiment noir, Plessy refuse. Arrêté et emprisonné, il porte l'affaire devant la Cour suprême de Louisiane qui confirme la condamnation, avant que la Cour suprême n'enfonce le clou le 18 mai 1896.
(6) Certains mettent l'accent sur la promotion sociale: ainsi Booker T. Washington crée un institut technique en Alabama pour intégrer ses frères de couleur à la société américaine. En réaction au caractère strictement matérialiste de l'opération, l'intellectuel W.E. Du Bois influence durablement le premier mouvement de protestation noir, la National Association for the Advancement of Colored People (1910). L'organisation, ouverte aux Blancs, lutte contre la ségrégation, pour une éducation égale, pour l'application loyale de la Constitution.  



Oscar Brown Jr: "Forty acres and a mule"

If i'm not mistaken
I once read, Durin' that short spell I Spent to school
Where ev'ry slave set free Was s'posed to get, For slavin
Forty acres and a mule.

si je ne me suis pas trompé
j'ai lu, pendant le peu de temps passé à l'école
que, tous les esclaves affranchis
étaient censés recevoir en dédommagement 40 acres et une mule

Now ain't no tellin'
How much work was done By my ancestors Under slaver's rule,
But sure as hell The total's got to run At least,
To forty acres and a mule.

Maintenant dites moi
combien de tâches mes ancêtres ont-ils effectué sous le joug de l'esclavage,
mais aussi sûr que l'enfer existe le total équivaut au minimum
à quarante acres et une mule

Now i'm sayin' this / To see folks sweat / `cause i'm not bitter / Neither am i cruel,
But ain't nobody paid / For slavery yet;
About my forty acres and a mule.

Maintenant je dis ceci / pour voir des gens en sueur / car je ne suis ni amer ni cruel,
mais personne n'a été payée / pour les années d'esclavage; / à propos de mes quarante acres et ma mule.

We had a promise / That was taken back, / And when we hollered
It was, "hush, be cool!" / Well me, / I`m bein' rowdy / Hot an' black:
I want my forty acres and a mule!

Une promesse nous a été faite,/ qui n'a pas été tenue /
C'était "silence, sois calme!" / Eh bien, moi, / je suis un être bruyant / chaud et noir:
je veux mes quarante acres et ma mule!

Don't tell me / Not to get myself upset, / Don't look at me / Like i'm some kinda ghoul,
Jus' answer quietly / When do I get / My goddam forty acres and my mule?

Ne me demande pas / de ne pas être bouleversé,
ne me regarde pas comme une sorte de vampire,
réponds juste doucement / quand ais-je eu / mes putains de quarante acres et ma mule?

No thanks, / I'll take my own self / Out to lunch.
No thanks, / I'll dig me / My own swimmin'pool,
An' lay / An' play aroun' / With my own bunch,
If i git forty acres and a mule

Non merci, / je vais me débrouiller pour manger.
Non merci, / je vais creuser ma propre piscine
et m'allonger / et jouer autour / avec mon propre groupe
si j'obtiens mes quarante acres et ma mule

`cause interest gotta go on / jus' like rent,
(I may be crazy, but I ain't no fool) / One hundred years of debt / at ten percent per year,
Per forty acres, / An' per mule.

Car les intérêts vont me revenir / comme un loyer
(je suis peut-être fou mais pas idiot) / 100 ans de dette / à 10 pour cent / par an,
pour quarante acres et par mule.

Now add that up / an' ooooeeee looka there!
No wonder y'all / called great grandmaw a jew'l.
Jus' pay me that / an' call the whole thing square
yes lordy,
Forty acres and a mule!

Maintenant ajoute cela / et regarde par là!
ne me fait pas passer des vessies pour des lanternes
Paie moi juste ça / ?
seigneur
quarante acres et une mule!

Sources:
- Farid Ameur: "La guerre de Sécession", PUF, Que sais-je?, 2004. Remarquable mise au point sur le sujet. L'auteur narre avec rigueur et vivacité les diverses péripéties de la guerre de Sécession.
- Pap Ndiaye: "Les Noirs américains. En marche pour l'égalité", Découvertes Gallimard, 2009.
- André Kaspi: "Les Américains. 1. Naissance et essor des États-Unis (1607-1945)", Point histoire.
- Nicole Bacharan: "Les Noirs américains. Des champs de coton à la Maison Blanche.", Panama, 2008.
- André Kaspi: "La guerre de Sécession: les Etats désunis", découvertes Gallimard.

Liens: