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samedi 13 octobre 2012

265. Monkey trial

Vente d'un ouvrage anti-évolutionniste ("L'Enfer dans les lycées") à l'ouverture du procès Scopes, le 10 juillet 1925.

 "De l'origine des espèces" (en 1859) de Charles Darwin explique comment les différentes espèces évoluent et s'adaptent par sélection naturelle. L'ouvrage révolutionne la biologie moderne.
A peine divulguées, les thèses de Darwin suscitent de vives controverses au sein des Églises protestantes américaines. (1) Lors de la conférence de Niagara, certaines Églises évangéliques posent les bases du fondamentalisme actuel rappelant la nécessité de préserver la foi et donc les Écritures. "La Bible en toutes ses parties, est la parole même de Dieu, absolument vraie quant aux faits relatés et absolument contraignante dans ses commandements."
Or le darwinisme met à la mal le récit de la Genèse à plusieurs niveaux:
- Après d'autres, le biologiste repousse l'âge de la Terre à 200 millions d'année (estimations actuelles : 6 milliards).
-  Il observe en outre une modification permanente et continue des espèces alors que la Genèse décrit la création divine et définitive des espèces vivantes (ce qui exclut toute évolution).
- Enfin, le scientifique fait de l'homme un animal, issu d'une longue séquence d'espèces [dont le singe dans "De la descendance de l'homme" (1871)], quand la Bible affirme que Dieu crée un être à son image à qui il soumet le monde vivant.
Dans ces conditions, on comprend mieux l'hostilité suscité par les travaux du scientifique auprès de la plupart des confessions religieuses pour lesquelles, les vérités bibliques sont « factuelles », alors que les thèses de Darwin ne seraient fondées que sur d'invérifiables hypothèses.
Il s'avère donc fondamentale aux yeux des créationnistes d'empêcher à tout prix la diffusion des idées évolutionnistes. En conséquence, ils s'emploient à empêcher l'enseignement de cette théorie dans les écoles publiques. Pour eux, l'avenir moral et religieux de l'Amérique en dépend. En expulsant le darwinisme des écoles publiques, ils espèrent non seulement sauvegarder la religion des pères, mais aussi la société traditionaliste de la campagne et des petites villes.
Bref, les théories de Darwin provoquent une controverse entre évolutionnistes qui soutiennent ses idées, et créationnistes, pour qui l'homme est créé par Dieu à son image. La croisade des fondamentalistes contre les théories évolutionnistes de Darwin et leur enseignement donne lieu, en 1925, au retentissant "Procès du singe".

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John T. Scopes, professeur dans un établissement de Dayton, est accusé par l’État du Tennessee d’avoir enseigné les thèses darwiniennes à ses élèves, en violation de la loi Butler, votée en mars 1925. En fait, il se contente de donner à résumer à ses élèves des pages d'un manuel évoquant l'évolutionnisme.


Depuis le début des années 1920, les militants fondamentalistes parviennent à faire adopter une législation anti-évolutionniste dans les Etats de la Bible belt.
Au Tennessee, en mars 1925, la loi Butler interdit l'enseignement de « toute théorie qui nie la nature divine de la création humaine, telle que décrite par la Bible, et prétend que l'homme descend d'un ordre animal inférieur » . Cette loi,  électoraliste - les fondamentalistes sont nombreux dans l'Etat- et symbolique, semble vouée à rester lettre morte. (2) L’American Civil Liberties Union (ACLU), la plus grande organisation de défense des droits civiques, cherche à faire invalider la loi. Pour ce faire, elle passe une annonce dans un journal local afin de recruter un enseignant qui accepterait de violer délibérément la loi. En effet, aux Etats-Unis, un citoyen arrêté pour avoir enfreint une loi peut demander à ce qu'un magistrat en examine la constitutionnalité. A l'issue d'un long cheminement juridique, la loi est parfois cassée par la Cour suprême. C'est sur cette procédure que l'ACLU entend s'appuyer.
Un notable de Dayton tombe sur l'annonce. Soucieux de lutter contre la nouvelle législation, il espère, par la même occasion, profiter des éventuelles retombées économiques  d'un procès médiatique dans la bourgade. Il convainc donc  un professeur remplaçant de biologie,  John T. Scopes, d'enfreindre la loi.

 Le procès Scopes s'ouvre en juillet 1925 et s’insère dans la vaste campagne anti-évolutionniste engagée depuis cinq ans. Le professeur est accusé d'avoir utilisé un manuel scolaire exposant favorablement les thèses de Darwin. L'ACLU prend en charge sa défense.

Le procès voit s’affronter deux très fortes personnalités. William Bryan, l'avocat de l'État,  presbytérien conservateur, ancien secrétaire d'État du ministre des Affaires étrangères du président démocrate Wilson, trois fois candidat démocrate à la présidence pour l’État d’Arkansas affronte l'avocat de la défense Clarence Darrow, un célèbre pénaliste et libre-penseur.
Le choix de ces deux individus contribue à accroître les clivages entre les deux camps. La presse ne se prive d'ailleurs pas de décrire l'affrontement entre deux mondes irréconciliables: celui des forces de la Bible, de la "religion des pères", de l'orthodoxie incarné par Bryan, tandis que Darrow devient pour ses adversaires le symbole de l'athéisme, de la modernité, de la science, de la "menace rouge yankee". Il convient bien sûr de fortement nuancer cette présentation caricaturale. Tous les habitants de la Bible Belt étaient loin d'être tous des fondamentalistes, attachés à la seule lecture littérale de des Écritures. (3)

Dessin paru dans le Chicago defender le 20 juin 1925. "- Joe, crois-tu que des enragés comme eux soient nos descendants? - Non"

Tout est fait pour donner au procès un maximum d'audience. Les journalistes venus en nombre dépeignent avec complaisance "l'Armageddon", "la lutte finale entre le bien et le mal". Le procès bénéficie en outre d'une radiodiffusion sur une chaîne nationale, ce qui témoigne de l'intérêt porté au débat

Pour les habitants de Dayton, la tenue du procès dans la bourgade est une aubaine. Un camp est dressé aux portes de la ville pour accueillir les touristes qui peuvent par ailleurs se sustenter dans des stands proposant hot dogs et boissons.
Maints observateurs sont déconcertés par le spectacle offert aux abords du tribunal. Si la sécularisation est certes moins poussée dans la petite ville du Tennessee que dans les grandes villes du Nord-Est, les filles n'en portent pas moins des jupes courtes, tandis que les habitants dans leur ensemble se distraient à l'écoute des médias modernes (en particulier la radio) et participent activement aux festivités organisées en marge du procès. Bref, Dayton ne vit pas hors du monde, confit dans sa bigoterie. Ses habitants sont aux faits de l'actualité nationale et s'intéressent souvent d'assez près aux débats scientifiques en cours.Un chroniqueur de jazz constate:" Je m'attendais à trouver un sordide village du sud (...) avec des cochons fouillant de leurs groins sous les maisons et des habitants ravagés par l'ankylostome et la malaria. Or j'ai découvert une petite ville de province pleine de charme et même de beauté."
Rappelons en outre que le procès se déroule dans une Amérique prospère, en pleine effervescence culturelle. Ce monkey trial est symptomatique d'une société écartelée entre fascination pour les avancées scientifique et technologique et la volonté de "retour aux sources."

L’interrogatoire de William Bryan (assis à gauche un éventail en main) par l’avocat de Scopes, Clarence Darrow (debout se touchant la nuque), vise à démontrer qu’une lecture littérale de la Bible entre en contradiction avec les théories scientifiques, mais aussi avec les constatations que tout un chacun peut faire. Ici, la question porte sur l’histoire du déluge telle qu’elle est rapportée par la Bible et sur sa datation par les créationnistes (– 4004). L’interrogatoire vise à montrer que les défenseurs de la loi Butler n’ont rien d’autre à opposer aux scientifiques que leurs convictions religieuses : refus de la science, du comparatisme en matière de religions.

A l'intérieur du tribunal, les débats se déroulent dans le calme, en dépit de quelques périodes de tensions. Ainsi, au grand dam de la défense, le jury compte 11 fondamentalistes sur 12, tandis qu'un prédicateur fondamentaliste ouvre les premières séances par une prière.
Considérant que Scopes a violé la loi, le juge Raulston se désintéresse des discussions métaphysiques et cantonne les débats à de simples considérations techniques. Sa décision de se passer de l'expertise des scientifiques convoqués par Darrow fragilise un peu plus la défense, dont l'objectif était de prouver grâce à l'exposé des savants que la théorie de Darwin ne contredisait pas la Bible, en tout cas pas dans le sens prévu par la loi Butler.
Dépité, Darrow sort une dernière carte de sa manche. Le lundi 20 juillet, alors que les débats vont se clore, il demande à entendre comme témoin William Jennings Bryan. Appelé à la barre en tant qu'"expert de la Bible", le procureur subit un feu roulant de question qui transforme l'interrogatoire d'une heure et demie en véritable débâcle.

Darrow interroge: - « Pensez-vous que la Terre fut créée en six jours ? »
Réponse de Bryan- « Non, pas en six jours de vingt-quatre heures, mon impression est qu'il s'agissait de périodes. »
D. « Ces périodes ont-elles pu durer longtemps ? »
B. « Oui. » 
D. « Alors la création a pu prendre beaucoup de temps ? »
B: « Oui, ça a pu durer des millions d'années... »
Grâce à une série de questions habiles sur la rationalité de la Bible, Darrow ridiculise définitivement Bryan. Il lui demande par exemple si les poissons ont été eux aussi noyés lors du Déluge ou comment Caïn s'y est pris pour trouver une femme alors que ses parents, d'Adam et Eve, étaient censés être seuls au monde.
Poussé dans ses retranchements, Bryan se voit contraint d’accepter l’idée d’une lecture allégorique de la Bible à l'issue de l'interrogatoire.



Au premier abord, ce sont les tenants du créationnisme qui l’emportent, car en première instance, Scopes est condamné à 100 dollars d’amende pour avoir transgressé la loi Butler. Au grand dam de  l’American Civil Liberties Union qui espérait faire appel à la Cour suprême pour faire  invalider la loi, la condamnation est annulée pour vice de forme. La loi Butler reste donc en vigueur, et ce jusqu’en ... 1967.
Il n'en reste pas moins vrai que pour les observateurs de l'époque, le mouvement fondamentaliste subit une grave défaite à l'occasion du procès du singe. Certes les positions des ultraorthodoxes ne vacillent pas dans le vieux Sud, mais il n'empêche que pour plusieurs décennies, les prédicateurs évangéliques les plus conservateurs évitent tout engagement politique, se cantonnant dans une sphère strictement religieuse.

Pochette du morceau When My Great Grand Daddy and My Great Grand Mammy Used to Cuddle and Coo on a Cocoanut Tree ( 1917). [Quand mon arrière grand-père et mon arrière grand-mère se faisaient des câlins sur un cocotier.] Titre qui, on s'en doute, a fait grincer quelques dents chez les créationnistes.


Ci-dessous un petit florilège de chansons anti-évolutionnistes créées pendant ou aux lendemains du procès de Dayton. The John Scopes trial décrit l'arrivée en ville de "l'intrus": "Alors à Dayton est arrivé un type / avec de grandes idées nouvelles / Il affirmait que nous descendions des singes. / Mais en enseignant sa croyance / M Scopes n'a rencontré aucun succès / auprès de ceux qui ne  voulaient pas se détourner de leur bonne vieille religion." Le titre Monkey out of me constate laconique: "Vous ne pourrez pas faire de moi un singe."
L'interprète de There ain't no bugs se moque des tenants de l'évolutionnisme et note narquois: "Maintenant que les singes remuent le bout de leurs queues / et sautent de branche en branche / Et bien, il peut y avoir du singe chez certains d'entre vous /  Mais il n'y a pas de singe en moi."

"Grandeur et décadence de l'homme. "


Bryan's last fight rend hommage au principal héraut du créationnisme, terrassé par une crise cardiaque quelques jours après le verdict. D'aucuns y voient une victime directe du darwinisme et le pleurent comme un martyr. "Là, il combattit pour ce qui était juste / et remporta la bataille / Alors, après avoir accompli sa mission terrestre /  Dieu l'appela auprès de lui."


Notes: 
1. Les milieux protestants traditionalistes s'opposent au libéralisme théologique. Le presbytérien James Woodrow est expulsé de son Eglise en 1886 pour avoir tenté de réconcilier la Bible avec Darwin.
Une nouvelle offensive a lieu entre 1910 et 1915, avec la publication d'une série de brochures ( The Fundamentals) par des prédicateurs anglo-saxons. Ces derniers y brocardent pêle-mêle le catholicisme, le socialisme, la philosophie moderne, le mormonisme, l'athéisme et le darwinisme, tous les "ismes" caractéristiques selon eux du monde moderne. Ils dénoncent les errements de la théologie libérale, responsable à leurs yeux de tous les maux de la société.
Leurs thèses s'avèrent très populaires au sein de la Bible belt (région du sud-est des Etats-Unis dans laquelle les églises baptistes et presbytériennes sont très implantées) et constituent ce que l'on appelle le fondamentalisme.
2. Elle s'inscrit toutefois dans le cadre d'une vaste offensive créationniste pour entraver l'enseignement de l'évolution. 
3. Travestissant largement les faits, le film de Stanley Kramer, Inherit wind (1960), contribue largement à véhiculer une vision très caricaturale d'un procès mettant aux prises deux mondes irréconciliables: un sud obscurantiste composé exclusivement de cul-terreux fondamentalistes et arriérés face aux populations progressistes et matérialistes d'un Nord forcément moderniste.







Sources:
- Gordon Golding:"Le procès du singe", in hors-série Marianne-L'Histoire n°1, 09/2009.
- Mokhtar Ben Barka: "Dieu, Darwin et le prédicateur", in L'Histoire n°284, p44.
- Denis Lacorne: "Creationist revival", in L'Histoire n°328, p44.
- Réflexiences: "Le procès du singe."
 - Le Bloug: "le procès du singe".

Liens: 
- Le procès a inspiré de nombreux morceaux. PBS en propose quelques uns sur cette page.
- NPR: "Timeline: remembering the Scopes monkey trial".
- Passeur de sciences: Offensive anti-Darwin en Corée du Sud et Offensive anti-science aux Etats-Unis.
- Réflexiences: le procès du singe.
- Très nombreuses ressources (en anglais) sur ce site.

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