Dreamed a dream, by the
old canal
j'ai rêvé le long du vieux canal
I Kissed my girl, by the
factory wall
Premier baiser derrière le mur de l'usine
Dirty old town, dirty old
town
Vieille ville pourrie, vieille ville pourrie
Clouds a drifting across the moon
Clouds a drifting across the moon
Les nuages passent devant de la lune
Cats a prowling on their beats
Les chats vagabondent
Spring's a girl on the streets at night
Les filles surgissent dans les rues la nuit
Dirty old town, dirty old town
Vieille ville pourrie, vieille ville pourrie
I heard a siren from the
dock
J'ai entendu la sirène des docks
saw a train cut the night
on fire
j'ai vu un train embraser la nuit
I smelled the breeze on the
smokey wind
j'ai senti le printemps dans les fumées d'usines
Dirty old town, dirty old
town
Vieille ville pourrie, vieille ville pourrie
I'm going to make a big
sharp ax
Je fabriquerai une grande hache affutée
shining steel tempered in
the fire
d'un acier brillant trempé dans les flammes
Will chop you down like an
old dead tree
et je te fendrai comme un vieil arbre mort
dirty old town, dirty old
town
Vieille ville pourrie, vieille ville pourrie
I met my love, by the gas
yard wall
J'ai rencontré l' amour sur le terrain de la raffinerie
Dreamed a dream, by the
old canal
j'ai rêvé le long du vieux canal
I kissed my girl, by the
factory wall
Premier baiser derrière le mur de l'usine
Dirty old town, dirty old
town
Vieille ville pourrie, vieille ville pourrie (*)
Ecrite
par un salfordien d'origine écossaise, chantée par des anglo-irlandais (1), cette « Dirty Old Town »
située dans le nord de l'Angleterre, réalise une union qui relève du tour de force.
Salford, banlieue de Manchester, ici immortalisée, y a gagné depuis le succès du titre l’image d’une cité poisseuse et enfumée dont elle aimerait bien se départir. Les
mots d’ Ewan MacColl, touche à tout
de l’écriture, homme de théâtre, poète mais aussi activiste, déserteur, et Salfordien
d’adoption (bien qu’il ne revendique nullement cette appartenance), la condamne
pourtant à s’en accommoder.
Autant l’appropriation de cette chanson semble plurielle, autant la "Diry old Town" écrite par MacColl en 1949, incarne à elle seule, toutes les villes industrielles, réveillant en nous une série d’images attachées à ce qui évoque l’industrialisation : cheminées fumantes s’élevant vers le ciel, smog, gueules noires, eaux usées et taudis, courées donnant sur des maisons de briques rouges dans lesquelles s’entassent des familles miséreuses et des enfants dépenaillés, vieillis prématurément par leur mise au travail. Cette version de la chanson illustrée de photographies de Salford, donnée par Granada TV, en reprend bien des aspects.
Cette
vieille ville sale de Salford pourrait aussi bien être Essen, le Creusot
ou Belfast. Elle nous plonge au
cœur du processus d’industrialisation qui transforme l’Europe au début du XIX siècle puis
l'Amérique du Nord. Ce grand bouleversement économique va très
largement rebattre les cartes de l’organisation des rapports sociaux, remodelant aussi profondément la morphologie urbaine et les rapports villes-campagnes.
L’identité
ici forgée fut fortement ébranlée au siècle suivant par le déclin des activités de l'industrie.
Mais Salford, dans l’ombre de Manchester, sait faire contre mauvaise fortune bon son et
si l’économie ne porte pas les deux villes sœurs vers le renouveau, la culture
populaire y reste vivace et constitutive d’un instinct de survie. A Salford ou à
Manchester, là où les usines ferment, la scène musicale fait de la résistance.
Une des plus riche et indomptable d’Angleterre.
Aujourd’hui
Manchester est la seconde aire urbaine du pays (Au recensement de 2011, le Grand Manchester avec ses 9 communes ratachées regroupe 2 682 500 habitants, dont 503 000 pour Manchester), et son passé industriel est toujours présent dans le paysage. Salford, quant à elle, intégrée au Grand Manchester, s'est transformée en un
pôle tertiaire ultra moderne. Les deux villes, séparées par l’Irwell, réinventent sans arrêt leurs patrimoines architectural, industriel et musical. La régénération
urbaine qui les touche n’est pourtant pas
synonyme de changement pour tous en ces temps de crise durant lesquels se creusent les inégalités sociales. Si la population de Salford s'est accrue de presque 8%(2) en 10 ans attestant de l'attractivité de la ville celle ci fut aussi, durant l'été 2011 l'un des théâtres les plus actifs des grandes émeutes urbaines qui ébranlèrent l’Angleterre. Il n’est donc pas si simple de ne plus être une « Dirty old
town ».
Manchester-Salford : entre réalités et représentations de la ville
industrielle.
Entre 1812 et la fin du XIXème siècle , la population de Salford a
été multipliée par 18 passant de 12 000 à quelques 220 000 âmes (3). Celle de
Manchester entre 1774 et 1831 connaît également une augmentation spectaculaire
de 40 000 à 270 000 habitants(4). Cette croissance démographique inédite des deux villes est liée au développement de l’industrie cotonnière du Lancashire. Au
milieu du siècle, Manchester, affublée du surnom de Cotonnopolis, devient le centre mondial de la fabrication des cotonnades, ses alentours et une grande partie de sa région se spécialisant également dans cette production.
Celle-ci était encore
domestique et rurale à la fin du XVIII siècle, le travail s'effectue alors à domicile et est payé à la pièce. Il permet à des familles entières dans ce comté (selon une division du travail très traditionnelle, les femmes et les enfants filant, l'homme tissant) d'obtenir un revenu complémentaire aux activités de la terre et ainsi d'assurer leur subsistance. La fabrication de textile en coton les occupe durant la morte saison. La production des tisserands éparpillés à la campagne est ensuite collectée pour être vendue en ville par des marchands-manufacturiers. Ce système de production est celui de la proto-industrialisation.
L'invention de la machine à vapeur et son utilisation pour actionner les métiers à tisser va permettre de regrouper la production jusqu'alors dispersée à la campagne dans des villes-usines. Les économies de coûts octroyées sont aussi appréciables que le contrôle qui s'opère de façon beaucoup plus efficace sur la main d'oeuvre. Le Lancashire entre dans l'ère du Factory-System. A Manchester en 1813, il n'y a que 2 400 métiers à tisser mécaniques (contre 200 000 métiers à bras dispersés dans les campagnes environnantes) ; en 1850 on en dénombre 224 000 (5). Les usines (ou mills) se concentrent en ville à la fois lieux de consommation donc de commercialisation des produits fabriqués, d'importation des matières premières et d'exportation des produits finis.
La résistance des tisserands à ce processus de transformation radical de leur mode de travail et de vie incarné dans la Lancashire par le mouvement luddite dans la première décennie du XIX siècle (6), atteste de l’importance des bouleversements à l’œuvre. En effet, les travailleurs s’engagent alors dans des actions de bris de machines qui ne purent toutefois stopper la lame de fond de ce que l’on qualifie communément de "révolution industrielle" (7).
L'invention de la machine à vapeur et son utilisation pour actionner les métiers à tisser va permettre de regrouper la production jusqu'alors dispersée à la campagne dans des villes-usines. Les économies de coûts octroyées sont aussi appréciables que le contrôle qui s'opère de façon beaucoup plus efficace sur la main d'oeuvre. Le Lancashire entre dans l'ère du Factory-System. A Manchester en 1813, il n'y a que 2 400 métiers à tisser mécaniques (contre 200 000 métiers à bras dispersés dans les campagnes environnantes) ; en 1850 on en dénombre 224 000 (5). Les usines (ou mills) se concentrent en ville à la fois lieux de consommation donc de commercialisation des produits fabriqués, d'importation des matières premières et d'exportation des produits finis.
La résistance des tisserands à ce processus de transformation radical de leur mode de travail et de vie incarné dans la Lancashire par le mouvement luddite dans la première décennie du XIX siècle (6), atteste de l’importance des bouleversements à l’œuvre. En effet, les travailleurs s’engagent alors dans des actions de bris de machines qui ne purent toutefois stopper la lame de fond de ce que l’on qualifie communément de "révolution industrielle" (7).
L’appel de main d’œuvre de l’industrie textile contribua à vider
les campagnes environnantes en stimulant un fort exode rural. Ce dernier amena également
dans le Lancashire de nombreux d’irlandais fuyant pauvreté et famine qui sévissent alors dans leur île toute proche. Croissances
industrielle et démographique ne sont pas sans incidences sur la morphologie et la physionomie des villes-usines.
Alors que les anciens tisserands à domicile s'adaptent et se plient difficilement au rythme des métiers à
tisser mécaniques et aux temporalités imposées par la production de
masse (la production de filés de coton passe en valeur de 250 000 £ en 1830 à 1 101 000 £ en 1870 (8)) les villes textiles voient se multiplier
entrepôts, filatures, usines, cheminées fumantes. La production de cotonnades inonde
l’Angleterre qui se couvre alors de voies ferrées, la toute première ayant relié
Manchester à Liverpool en 1830. Salford, pour sa part est rapidement
connectée à la Mersey donc à l’Atlantique par le creusement d’un canal : le Manchester Ship Canal. C’est un
peu dans ce paysage que MacColl nous plonge dans les premières lignes de son texte.
A l’époque, ceux qui se rendent dans la région de Manchester sont
interpelés par les prodigieuses transformations économiques et urbaines qu’ils
observent. Venus de France comme Tocqueville, ou d’Allemagne comme Engels, les
témoins sont également
subjugués par leurs conséquences sociales. Les filatures emploient une main
d’oeuvre miséreuse, dont de nombreux enfants, logés dans des taudis infâmes,
entassés sous les toits dans une promiscuité insupportable et une saleté que
l’absence d’équipements urbains collectifs ne fait qu’accentuer. Nos différents témoins dessinent dans
leurs enquêtes des tableaux proches des enfers, dont les lignes de force
alimenteront longtemps les imaginaires littéraires et les reportages journalistiques (9).
Manchester et Salford tiennent une place importante dans la construction de cette imaginaire dantesque qui puise dans les frappantes descriptions d'Engels tirés de la "Situation des classes laborieuses en Angleterre" (1845) : "Mais le plus terrible endroit ....se situe immédiatement au sud ouest d'Oxford Road et est connu sous le nom de la Petite Irlande. La population qui vit dans ses petites maisons en ruines derrière ces fenêtres brisées, réparées avec le la cire, aux portes défoncées et aux chambranles cassés, aux greniers humides, dans une incroyable saleté et puanteur... doit surement avoir atteint le stade le plus vil de l'humanité".(10)
Ewan MacColl brode allègrement sur ce canevas pour écrire son texte. Il laisse déambuler le narrateur, tel un spectre, entre le mur de l’usine, le vieux canal, les cheminées qui émettent des fumées portées par le vent et les quais de transbordement des marchandises. Il affranchit la ville des contingences chronologiques. Salford sous sa plume, en même temps qu'elle symbolise toutes les villes industrielles, devient intemporelle.
De la filature de coton à la manufacture des
sons : fragments de l’élaboration d’une identité musicale.
Le Lancashire a connu une longue désindustrialisation qui a affecté l'ensemble de ses activités au cours du second XXème siècle. Les
années 70 marquent la fin de ce processus commencé avec la crise des années 30, continué dans l'après guerre : textile, mines, activités
portuaires tour à tour déclinent concurrencés notamment par les performances des nouveaux pays
industrialisés asiatiques. Face à la perte de son identité industrielle et
ouvrière, sur quelles bases les 2 villes séparées par
le filet d’eau de l’Irwell se sont elles reconstruites ?
Ce sont peut être ces 4 images qui définissent Manchester et Salford en ce dernier quart du XX siècle. Elles disent à la fois la révolution musicale qui s'ébauche à cette époque, appelée à un remodelage continuel jusqu’au XXI siècle en un mélange détonnant de sons électroniques et pop-rock, et la fusion des talents qui s’opère à la croisée des deux villes dont sont originaires les membres de ces groupes ou les auteurs de ces images. Après avoir été l’usine à cotonnades du monde, Salford et sa grande « sœur » mancunienne deviennent les usines à sons du millénaire finissant.
The Smiths by S. Wright (1985). Art work de l'album "The Queen is dead", Rough Trade, 1986 |
Ian Curtis by K. Cummins, 1979. "Manchester, looking for the light through the pouring rain" 2009. |
Peter Saville, Art Work du single "Blue Monday" par New Order, Factory (1983) Factory 73 pour le catalogue |
The Stones Roses by K. Cummins (1989) "Manchester, looking for the light through the pouring rain" 2009. |
Ce sont peut être ces 4 images qui définissent Manchester et Salford en ce dernier quart du XX siècle. Elles disent à la fois la révolution musicale qui s'ébauche à cette époque, appelée à un remodelage continuel jusqu’au XXI siècle en un mélange détonnant de sons électroniques et pop-rock, et la fusion des talents qui s’opère à la croisée des deux villes dont sont originaires les membres de ces groupes ou les auteurs de ces images. Après avoir été l’usine à cotonnades du monde, Salford et sa grande « sœur » mancunienne deviennent les usines à sons du millénaire finissant.
Qu’elle épouse la noirceur de la crise et la grisaille du
quotidien des chômeurs, qu’elle se fasse l’écho de la révolte des jeunes qui se
convertissent au "no future" des punks ou de leur volonté d’oublier la réalité à coup de
consommation massive d’extasy, la musique issue de la scène mancunienne reflète
son époque, rend compte d'un état social et redéfinit l'identité de la ville. Le monde de
l’usine reste toutefois à l’arrière plan, comme un héritage qu’on ne peut
totalement refuser. C’est en effet grâce au label Factory Record (11) que la scène
locale acquiert une visibilité.
Aux commandes, l’animateur fantasque et
visionnaire de Granada TV, Tony Wilson (Anthony H. Wilson), natif de Salford et Alan Erasmus. Ils signent deux groupes
appelés à marquer de leur empreinte l’histoire de la musique populaire :
Joy Division puis New Order (la version « survivante » du 1er groupe). Etendards de la maison de disque, les 2 formations masquent quelque
peu toute une myriade de groupes locaux non moins créatifs (Buzzcoks, Durutti
Column, Orchestral Manœuvre in the Dark). Le dispositif imaginé par Wilson et Erasmus s’enrichit d’un club (Factory-Russell Club à Hulme, puis Fac 51 plus connue sous le nom d’Hacienda installée
dans un ancien hangar à bateaux située sur Whitworth Street West) et se dote d’un look (Peter
Saville signe les pochettes). La
fabrique du son « Factory » échoue à quelques ingénieurs talentueux
et audacieux dont le plus connu est Martin Hannett.(12)
Parmi les signatures de Factory Record, il y a Joy Division, groupe
emblématique de « Sadchester » dont le crépusculaire « Unknown
pleasures » est le joyau de l'usine à sons. La brève carrière du groupe,
interrompue par le suicide de son chanteur Ian Curtis à la veille d’une tournée
américaine, ne met pas davantage en péril l’existence de l’entreprise que la gestion assez aléatoire des différents
projets montés par Tony Wilson. En effet, entre le milieu des années 80 et le début des années 90,
l’Hacienda, épicentre de la vie musicale et rendez vous de la jeunesse,
s’étourdit aussi bien sous les rythmes acid-house et electro des Happy Mondays et
des Stone Roses, que sous les kilotonnes d’amphétamines et d’alcool qui s’y
consomment, alors que sa situation financière est des plus précaires. De cette scabreuse aventure
qui se termine en 1997 (1992 pour le label), il reste une
collection de disques qui attestent de la capacité de la ville à affronter le
cauchemar économique et social de la désindustrialisation à l’aide d’une
création musicale populaire étourdissante : des hymnes sautillants des
Stone Roses, aux compositions sous acides des Happy Mondays, en passant par les
titres pop-rock énergiques de James (12).
Peter Saville, Tony Wilson, Alan Erasmus devant le club Factory (1979), K. Cummins. |
Les deux albums de Joy Division mis au catalogue Factory et produits par M. Hannett à "Unknown Pleasures" (1979) - FACT 10- et "Closer" (1980) - Fac 25. Les deux pochettes sont signées de P. Saville.
L'intérieur de l'Haçienda en 1988 durant une soirée acid-house particulièrement chaude. Photo K. Cummins. |
Shaun Ryder, chanteur des Happy Mondays, sur la scène de l'Haçienda en mai 1989. Photo K. Cummins. |
Traversons l’Irwell. En 1986, Salford AKA "Dirty Old town" habille un
des albums les plus importants du moment. 4 jeunes mancuniens
posent en effet devant le Salford Lads Club à l’angle de Coronation Street (14) dans
un paysage qui fait ressurgir le glorieux passé industriel de la ville dont il
ne reste qu’un squelette de briques rouges. Cette photo de Stephen Wright, dont
l’histoire suscite bien des polémiques (15), sert d’art work à « The Queen is
Dead », 3° album de ce groupe dont le nom évoque l’habitant ordinaire du
royaume : The Smiths.
L'intérieur de l'album "The Queen is dead" des Smiths dans lequel on retrouve la fameuse photo de S. Wright à Salford, Coronation street. |
Si la riche carrière discographique des Smiths confirme la vivacité de la scène mancunienne, c’est une autre caractéristique
de son identité qui nous intéresse ici. Cette dernière irrigue une bonne partie
de la scène musicale locale, se déclinant en de multiples nuances pour en constituer un pilier fondamental. Musiciens, chanteurs, producteurs, auteurs ont
semble-t-il ce don pour faire un pas de côté et cultiver un positionnement qui
se veut en décalage avec la capitale.
Le manuscrit du titre des Stone Roses - Elisabeth My dear sur leur premier album "I'll not rest, Till she's lost her throne". (source : thestoneroses.co.uk) |
Ian Brown chnateur des Stone Roses à Spike Island, mai 90. Photo D. Morris |
La scène mancunienne a fasciné et influencé des générations d’auditeurs, de musiciens et de créateurs de tous ordres qui lui vouent un véritable culte. Elle est aujourd’hui autant que le passé industriel de la ville (que la scène musicale s'est approprié) ou sa passion pour le football, un élément constitutif de son identité et de son patrimoine. De l'usine textile à l'usine à sons : ou comment mettre du rythme dans un morne quotidien.
La
thaumaturgie du XXI siècle ? la régénération urbaine face à la fracture
sociale.
15 juin 1996, 11h Granada TV reçoit un message d’alerte à la bombe.
Le centre de Manchester, où se concentrent les commerces, dans le quartier d’Arndale est
évacué. A 11h20 une fourgonnette explose chargée de 1500 kg d’explosifs faisant
plus de 200 blessés essentiellement par bris de verre parmi les personnes qui
s’éloignaient encore de la zone à risque. L’attentat signé de l’IRA éventre le
centre de la ville. Les dégâts se chiffrent en milliards de livres. Il n'y a pas que la désindustrialisation qui colle à la peau de nos "Dirty old town(s)"
L’Haçienda ferme en 1997. Une page se tourne dans la vie musicale
et plus largement culturelle de Manchester. A ce stade tout est à refaire.
La Timeline retraçant les heures du club à l'arrière du hangar à bateaux qui l'abritait au 11-13 Whithworth Street. (photo @ vservat) |
Différents organismes gravitent autour des projets de rénovation
urbaine qui visent essentiellement le centre ville de Manchester et la grande
friche des quais de Salford. Beaucoup d’entre eux misent sur la culture. L’Urbis Exhibition Center est un de ceux qui est retenu afin de revivifier le centre ville. Cet imposant paquebot de verre accueille dans un premier temps des
manifestations culturelles (en 2009, l’une d’entre elle est d’ailleurs consacrée
à l’histoire de l’Haçienda et de Factory Record), mais il reçoit peu de visiteurs et ferme en 2010. Récemment réouvert, il a été transformé en musée … du football, comme l'atteste le logo géant placé sur sa façade.
L'Urbis Exhibition Center de Manchester, élément de régénération urbaine qui peine à trouver son public et son utilité. (photo@Vservat) |
En face de la gare
centrale se dresse également la salle de spectacle flambant neuve de Bridgewater Hall. Celle-ci sert d'écrin moderne aux activités du Hallé Orchestra, le plus vieil orchestre symphonique du Royaume Uni. Celui ci fut, en effet fondé en 1857 et participe aujourd'hui à la reconversion en salle de répétition de l'église St Peter's dans le faubourg industriel de Manchester nommé Ancoats. Celle-ci toute de fonte et de briques, fréquentée à l'origine par les ouvriers des usines de ce faubourg, était un élément central et emblématique de l'âge d'or de l'industrie dans le Lancashire.
L’ancienne Haçienda s'est elle, reconvertie en appartements de standing, à l’arrière desquels une timeline rappelle les grandes heures du club. Le quartier de Deansgate non loin de là présente désormais une physionomie agréable : des pubs déploient leurs terrasses le long des canaux sur les rives desquels s'étaient autrefois installées de nombreuses usines.
Ailleurs, dans le centre ville près de la magnifique John Rylands Library se dressent des immeubles de bureaux extrêmement modernes. A l'instar des DJ de l'Haçienda qui mixaient sans complexes sons électroniques et rocks, partout dans le Manchester actuel, l’architecture industrielle affronte celle du XXI siècle dans une rencontre étonnante.
L’histoire musicale de la ville reste omniprésente dans le paysage : la vitrine de l’office du tourisme est ornée d’un gigantesque M conçu par Peter Saville qui sert désormais de logo officiel à la ville, des mosaïques à la gloire des groupes mancuniens décorent les rues en particulier sur les murs des anciens magasins Afflecks (52 Church Street). Ce temple du vêtement alternatif dans lequel s'habillaient les groupes de Madchester et jouaient les célèbres DJ, tel Dave Haslam, qui partageaient ici leur temps avec celui alloué à l'animation des nuits de l'Haçienda, est un des rendez vous incontournables du Northern Quarter, le quartier branché de la ville.
Le plafond rénové de l'église St Peter's dans le faubourg industriel d'Ancoats. Pour faire le lien entre l'avant et l'après cliquez ici. |
L’ancienne Haçienda s'est elle, reconvertie en appartements de standing, à l’arrière desquels une timeline rappelle les grandes heures du club. Le quartier de Deansgate non loin de là présente désormais une physionomie agréable : des pubs déploient leurs terrasses le long des canaux sur les rives desquels s'étaient autrefois installées de nombreuses usines.
L'ancien club est aujourd'hui une résidence moderne offrant aux mancuniens des appartements de standing. (photo@Vservat) |
Ailleurs, dans le centre ville près de la magnifique John Rylands Library se dressent des immeubles de bureaux extrêmement modernes. A l'instar des DJ de l'Haçienda qui mixaient sans complexes sons électroniques et rocks, partout dans le Manchester actuel, l’architecture industrielle affronte celle du XXI siècle dans une rencontre étonnante.
L’histoire musicale de la ville reste omniprésente dans le paysage : la vitrine de l’office du tourisme est ornée d’un gigantesque M conçu par Peter Saville qui sert désormais de logo officiel à la ville, des mosaïques à la gloire des groupes mancuniens décorent les rues en particulier sur les murs des anciens magasins Afflecks (52 Church Street). Ce temple du vêtement alternatif dans lequel s'habillaient les groupes de Madchester et jouaient les célèbres DJ, tel Dave Haslam, qui partageaient ici leur temps avec celui alloué à l'animation des nuits de l'Haçienda, est un des rendez vous incontournables du Northern Quarter, le quartier branché de la ville.
Le logo officiel de la ville réalisé par P. Saville dans la vitrine de l'office du tourisme. ( photo@Vservat) |
Les mosaïques qui décorent la façade d'Afflecks dans le Northern Quarter, Manchester. (Photo @vservat) |
La John Rylands Library qui se reflète dans la façade de ce complexe de bureaux futuriste. (photo@vservat) |
Le quartier réhabilité de Deansgate et ses canaux. |
Du côté de Salford Quays, la régénération urbaine n’est pas moins impressionnante : il s’agit ici de faire sortir de terre le Media City UK. Le site, inauguré en mars 2012 par une visite royale, abrite une partie délocalisée des studios de la BBC, mais comprend également les nouveaux locaux de l’université de Salford, des appartements, une annexe de l’Imperial War Museum et le Lowry Center dédié à l’œuvre du peintre local.
Salford Quays, côté Imperial War Museum North et Lowry Museum. |
Film promotionnel de la BBC North dans lequel
on peut voir le chantier et le site Media City UK de Salford.
Sur Coronation
Street, le Salford Lads Club devient un musée à la gloire des Smiths, les fans
du groupe viennent s’y faire prendre en photo sous le même angle que leurs
idoles. Il est dès lors légitime de se demander si la politique de régénération urbaine qui accompagne la valorisation du
patrimoine musical du Grand Manchester a réussi à panser les plaies issues de la
désindustrialisation et de la crise qui s'étire sur la dernière partie du siècle et accompagne l'aube du nouveau millénaire.
En effet, les études montrent d’une part que les infrastructures
culturelles sont assez peu pourvoyeuses d’emplois et que globalement les
classes sociales les plus défavorisées n'en sont pas les principaux clients si bien que le choix d'adosser la régénération urbaine aux activités culturelles ne tient pas toutes ses promesses en termes de création d'emplois. Toutefois,
l'ouverture de nouveaux musées, centre d'expositions, salles de spectacles a contribué à changer l’image poisseuse de la ville. Manchester est
devenue la deuxième aire urbaine du pays, active, étudiante, moderne. La scène
musicale(de Manchester et Salford) se renouvelle sans cesse de nouvelles têtes, cultivant avec ardeur ses particularismes locaux. Toujours décalée, économe en moyens,
terriblement inventive et refusant tout ancrage dans l’establishment, les Tings
Tings, ou encore les flamboyants
Wu Lyf, tout comme les discrets mais valeureux Elbow en portent aujourd’hui
le flambeau.
Salford, près de Manchester, le 9 août 2011 Photo : PC/Jon Super |
Aujourd'hui on déambule de nouveau paisiblement dans Salford et Manchester, en dépit du fait que les politiques d'austérité qui rabotent sans cesse les aides sociales et les budgets des services aux citoyens, précarisent et fragile une frange toujours plus importante de la population. Si le paysage de briques rouges évoque encore la "Dirty old Town" de MacColl chantée de la voix trainante de Shane Mac Gowan, qui l'interprète pour les Pogues, il ne reste de la ville industrielle qu'un décor en filigranes. Il sert encore d'écrin et de source d'inspiration à une création musicale populaire qui rend compte aussi bien des héritages que des transformations à l'oeuvre dans la ville et ses faubourgs.
On laissera le mot de la fin à Dave Haslam, ancien DJ de l'Haçienda qui résume ici parfaitement la problématique : "You can't write about pop music without writing about Manchester and you can't write about Manchester without writing about pop music".
NB : Mes remerciements à Hélène, Mathieu, Laurent et Juju pour leurs conseils, leur patience, leurs suggestions et leur soutien.
Notes.
(*) La traduction du texte s'étant avéré assez difficile, le choix a été fait de privilégier le sens aux mots. Par ailleurs, le chanteur Gilles Servat, en ayant effectué une partielle dans cette version, nous avons procédé à quelques emprunts parmi ses propositions.
(1) On associe toujours les Pogues à l'Irlande, toutefois bon nombre des membres du groupe sont natifs d'Angleterre. Toutefois le titre a été interprété par une multitude de groupes parmi lesquels les Dubliners qui comme leur nom l'indique sont, eux, bien irlandais.
(2) Les chiffres du recensement 2011 viennent d'ici.
(3) Source Site de Salford Community Leisure, rubrique history of Salford.
(13) Tout ce qui relève de Factory Records est codé par un numéro et des lettres d'identification : le club Fac 51, les disques mis au catalogue (Closer est codé Fac 25). Pour s'amuser à retrouver le codage de chaque entité Factory (y compris le chat des bureaux de la maison de disque - FAC 191) une promenade sur le site Cerysmatic Factory, sorte de Bible électronique relative au catalogue en question.
(14) Cette même rue qui donne son nom au plus célèbre et ancien soap opera britannique "Coronation Street" production ITV depuis 1960 !
(15) Morrissey et sa bande son notamment accusés de vouloir cultiver leur image "Prolétaire" devant le club, alors que les prises de vues furent relativement courtes pour la photo.
(16) Le surnom "Madchester" est donné à la scène mancunienne consommatrice d'extasy qui mélange les sons pop et acid house et provient du maxi des Happy Mondays "Madchester Rave on", 1989, chez Factory 242r/7
Bibliographie/sitographie :
Sur la révolution et les villes industrielles :
"La Révolution Industrielle", J.P. Rioux, points Seuil, 1989
"Le monde des villes au XIX siècle", de JL Pinol, Hachette Supérieur 1991
"La 1ère Industrialisation", Patrick Verley, Documentation Photographique 8061, 2008
Cette page web sur l'histoire de Salford : http://www.salfordcommunityleisure.co.uk/culture/salford-museum-and-art-gallery/local-history/history-salford
Sur la scène musicale des deux villes :
"Manchester England, the Story of the pop cult city", de Dave Haslam Fourth Estate 1999.
"The North Will rise again : Manchester Music city 76-96". de J. Robb, Aurum press ltd, 2010.
"Factory, the story of the record label", de M. Middles, Virgin books, 1996
"The Manchester musical history Tour", de P. Gantenby et C. Gill, Empire Publications, 2001
"Manchester : Looking for the light through the pouring rain", de K. Cummins, Faber&Faber 2012.
"Manchester, l'usine à sons" Numéro des Inrocks 2, 2012.
Sur la régénération urbaine :
"Les musées, un outil efficace de régénération urbaine ?" de B. Lusso, cybergéo 2009.
"Culture et régénération urbaine : les exemples du Grand Manchester et de la vallée de l'Emscher" de B. Lusso, Métropoles 2010
Salford tries to shake off its image of its image of Dirty old town : http://www.independent.co.uk/news/uk/this-britain/salford-tries-to-shake-off-its-image-of-a-dirty-old-town-6143291.html
Salford "Billion pound" state of the art ... :
http://www.dailymail.co.uk/news/article-1385558/BBC-Salford-Billion-pound-state-art-HQ-wants-work.html#axzz2JgCMgiiF
Queen opens BBC's new base in Salford : http://www.bbc.co.uk/news/uk-17489474
(2) Les chiffres du recensement 2011 viennent d'ici.
(3) Source Site de Salford Community Leisure, rubrique history of Salford.
(4) Source : "Le monde des villes au XIX siècle" de J. L. Pinol, Hachette supérieur, 1991 p 24
(5) Source : "Le monde des villes au XIX siècle" de J. L. Pinol, Hachette supérieur, 1991 p 23
(6) Le mouvement luddite des briseurs de machines du Lancashire est bien documenté. On recommendera en particulier les écrits d'Hobsbawn sur le sujet. Pour un accès clair et moins éparpillé se référer à V. Bourdeau, J. Vincent et F. Jarrige "Les luddites", èRe éditions, 2006 ou à François Jarrige, Au temps des «tueuses de bras ». Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle (1780-1860), PU Rennes 2009 à consulter ici dont Philippe Minard donne un compte rendu dans la revue des Livres ou encore cette intervention de F. Jarrige au Rendez vous de l'Histoire de Blois 2010, sur le même sujet.
(7) Le terme "révolution industrielle" est soumis à débat historigraphique ne serait ce que parce que les transformations qui s'opèrent ici touchent bien plus que les activités strictement industrielles. En outre, on peut aussi pousser la réflexion sur la polysémie du terme "Révolution". Pour ce faire, on peut consulter le très récent et passionnant article de JC Martin sut le vie des idées "La polysémie révolutionnaire".
(8) J.P. Rioux, "La Révolution Industrielle", Points Seuil.
(9) Dans ce domaine, on se plongera avec délectation dans le dernier ouvrage de Dominique Kalifa "Les bas-fonds, histoire d'un imaginaire" Seuil, 2013.
(10) La place des étrangers dans les villes industrielles et les usines au XIX siècle présente des permanences troublantes. Engels relève la situation précaire des Irlandais de Manchester, Michelle Perrot, par la voie de Lucie Baud, dans "Mélancolie Ouvrière" décrit quasiment la même chose (conditions d'emploi et de logement dégradés) pour les italiennes venues travailler sur les métiers à tisser du Dauphiné.
(11) On notera la subtilité du jeu de mots "Factory" désignant une usine en anglais.
(12) Il est notamment à la production des deux albums de Joy Division "Unknown Pleasures" et "Closer".(13) Tout ce qui relève de Factory Records est codé par un numéro et des lettres d'identification : le club Fac 51, les disques mis au catalogue (Closer est codé Fac 25). Pour s'amuser à retrouver le codage de chaque entité Factory (y compris le chat des bureaux de la maison de disque - FAC 191) une promenade sur le site Cerysmatic Factory, sorte de Bible électronique relative au catalogue en question.
(14) Cette même rue qui donne son nom au plus célèbre et ancien soap opera britannique "Coronation Street" production ITV depuis 1960 !
(15) Morrissey et sa bande son notamment accusés de vouloir cultiver leur image "Prolétaire" devant le club, alors que les prises de vues furent relativement courtes pour la photo.
(16) Le surnom "Madchester" est donné à la scène mancunienne consommatrice d'extasy qui mélange les sons pop et acid house et provient du maxi des Happy Mondays "Madchester Rave on", 1989, chez Factory 242r/7
Bibliographie/sitographie :
Sur la révolution et les villes industrielles :
"La Révolution Industrielle", J.P. Rioux, points Seuil, 1989
"Le monde des villes au XIX siècle", de JL Pinol, Hachette Supérieur 1991
"La 1ère Industrialisation", Patrick Verley, Documentation Photographique 8061, 2008
Cette page web sur l'histoire de Salford : http://www.salfordcommunityleisure.co.uk/culture/salford-museum-and-art-gallery/local-history/history-salford
Sur la scène musicale des deux villes :
"Manchester England, the Story of the pop cult city", de Dave Haslam Fourth Estate 1999.
"The North Will rise again : Manchester Music city 76-96". de J. Robb, Aurum press ltd, 2010.
"Factory, the story of the record label", de M. Middles, Virgin books, 1996
"The Manchester musical history Tour", de P. Gantenby et C. Gill, Empire Publications, 2001
"Manchester : Looking for the light through the pouring rain", de K. Cummins, Faber&Faber 2012.
"Manchester, l'usine à sons" Numéro des Inrocks 2, 2012.
Sur la régénération urbaine :
"Les musées, un outil efficace de régénération urbaine ?" de B. Lusso, cybergéo 2009.
"Culture et régénération urbaine : les exemples du Grand Manchester et de la vallée de l'Emscher" de B. Lusso, Métropoles 2010
Salford tries to shake off its image of its image of Dirty old town : http://www.independent.co.uk/news/uk/this-britain/salford-tries-to-shake-off-its-image-of-a-dirty-old-town-6143291.html
Salford "Billion pound" state of the art ... :
http://www.dailymail.co.uk/news/article-1385558/BBC-Salford-Billion-pound-state-art-HQ-wants-work.html#axzz2JgCMgiiF
Queen opens BBC's new base in Salford : http://www.bbc.co.uk/news/uk-17489474
Bettye Lavette a fait une reprise, l'an dernier, de cette chanson. Elle en a changé les paroles pour qu'elles collent mieux à l'histoire de Detroit, ville qu'elle connaît mieux:
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=xk36sGVjDE8
Dror
La traduction de la chanson est assez abominable. Le sens, les nuances ne sont pas respecté.
RépondreSupprimerSuperbe article !
RépondreSupprimerEwan MacColl avait également écrit une chanson, "My Old Man", sur l'histoire de son père et des ouvriers de Salford pendant la grande dépression. http://www.youtube.com/watch?v=OYMxrPzMGNg
RépondreSupprimerCher et courageux anonyme,
RépondreSupprimermerci pour votre agréable, constructive et bien orthographiée remarque....
Puisque vous êtes si savant, j'attends avec impatience et curiosité votre traduction qui respectera, je n'en ai absolument aucun doute,et le sens et les nuances et l'esprit de la chanson que nous avons traduit à trois dont deux parfaitement bilingues....
En espérant que vous daignerez vous abaisser vers les abominations pour leur adresser vos Lumières.
Bien cordialement et dans l'attente de vous lire !
Vservat
Formidable billet - j'ai envie de dire : comme d'habitude!
RépondreSupprimerAh mais c'est très gentil merci !
RépondreSupprimerMerci pour ce billet sur cette fameuse chanson des Pogues et pour la traduction . Sus au vil commentaire de l'anonyme qui a bien fait de le rester.
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