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mercredi 1 janvier 2014

Brassens La Guerre de 14-18


Quand Brassens égratigne la Grande Guerre dans une de ses chansons, c’est la France qui s’en émeut. La Guerre de 14-18 est l’une des grandes chansons pacifistes qui fit couler beaucoup d’encre et paradoxalement bien plus que les chants militaires qui donnaient du courage pour partir au combat.
La Guerre de 14-18 est une chanson assez représentative du répertoire de Brassens car il y dénonce  la guerre et les violences faites aux civils comme d’ailleurs dans les Deux Oncles, La Guerre ou la Tondue. Son dégoût de la guerre et de tout ce qu’elle draine s’accompagne d’un pacifisme presque militant et donc du refus de toutes les formes de violence, quitte à s’écarter du statut un peu conformiste  « d’artiste engagé »: Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente nous dit-il. Cette réticence éclaire un des aspects de sa conception anarchiste du monde. Brassens se méfie de l’Armée, des Gouvernements, des Eglises et de tout ce qui peut limiter la liberté individuelle. Les guerres ne sont que la manifestation de la violence légitime des gouvernements animés par le nationalisme.
La Guerre de 14-18 est une chanson pleine d’ironie, à la lecture des paroles on pourrait croire que Brassens fait un classement des grandes guerres qui ponctuent notre glorieuse histoire de France. Mais son discours sans nuance, naïf et va-t-en guerre renforce le caractère ironique des paroles. Comme un enfant, il compare les guerres et en fait un classement qui résonne étrangement à notre époque si friande en classement en tout genre. Ainsi, il évoque successivement les guerres contre Sparte, l’épopée napoléonienne, la guerre de 1870 puis celle de 1940. C’est cette dernière qu’il a vécu de plus ou moins prêt. Trop jeune pour participer à la campagne de France, il est obligé en 1943 de partir en Allemagne pour le STO. De retour de permission en 1944, il déserte et se cache jusqu’à la Libération chez Jeanne Planche dont il rendra souvent hommage à travers ses chansons. A la Libération, il fréquente les milieux anarchistes, il écrit même quelques chroniques dans un journal, le libertaire. Sa carrière de chanteur débute véritablement en 1952 et le succès est alors très rapide.



Les thèmes de prédilection de Brassens ne changent pas avec le succès, il écrit la Guerre de 14-18 à la fin du conflit algérien et son album intitulé Trompette de la renommée sort en décembre 62 quelques mois à peine, après les accords d’Evian. Brassens en fait d’ailleurs allusion dans les vers suivants Guerres saintes, guerres sournoises Qui n’osent pas dire leur nom. En effet, les « événements » d’Algérie ne portaient pas le nom de guerre alors que les soldats du contingent étaient envoyés pour y combattre par tous les moyens le FLN.

L’actualité de la guerre d’Algérie est donc le contexte de la sortie de cette chanson, le sujet est encore brûlant, les patriotes sont atteints par cette ultime défaite qui marque presque la fin de l’histoire coloniale française. La chanson de Brassens se moque donc de ce patriotisme aveugle qui a été la ligne politique des différents gouvernements français dans les nombreuses aventures militaires aux succès mitigés. En 1962, les Poilus de la 1ère GM sont encore très nombreux, les plus jeunes ont un peu plus de soixante ans. La victoire de Verdun enseignée comme une victoire patriotique et héroïque renforce l’unanimité autour de la figure du Poilu qui est alors sans faille. Les historiens n’ont pas encore interrogé toutes les sources de cette guerre totale : rien n’est dit sur les actes d’automutilations, rien sur la censure des courriers, rien sur les actes de fraternisations et si peu sur les mutineries.

Dans ce contexte, il est normal que la chanson de Brassens ne soit pas unanimement bien reçue. La polémique va durer et Brassens quelques années plus tard (en 1978) tiendra plutôt un discours d’apaisement sans vouloir pour autant renier sa chanson. Il explique dans cette courte interview à Elkabbach qu’il ne voulait pas choquer, ni froisser les Poilus qu’il considère plutôt comme des victimes.
Terminons sur les mots de Brassens qui traduit avec son regard débonnaire et avec beaucoup de simplicité pour l’idiot qui n’a pas compris que sa chanson « suggère vive la paix ! »  plutôt que les haines patriotiques ou nationalistes.

L'interview de Brassens en 1978 


Aujourd’hui, alors que l’historiographie de la 1ère GM a beaucoup changé les perspectives et la façon d’enseigner la Grande guerre, il semble que Brassens soit plus écouté. Les écoles, les collèges et autres centres culturels se baptisent davantage du nom de ce petit chanteur moustachu et un peu anarchiste que des grands généraux de la guerre de 14-18 ou d’autres « colons » héroïques.







Depuis que l'homme écrit l'Histoire,
Depuis qu'il bataille à cœur joie
Entre mille et une guerr's notoires,
Si j'étais t'nu de faire un choix,
A l'encontre du vieil Homère,
Je déclarerais tout de suit' :
"Moi, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !"
Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis,
Que je m' souci’ comm' d'un' cerise
De celle de soixante-dix ?
Au contrair', je la révère
Et lui donne un satisfecit,
Mais, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !

Je sais que les guerriers de Sparte
Plantaient pas leurs epé’s dans l'eau,
Que les grognards de Bonaparte
Tiraient pas leur poudre aux moineaux...
Leurs faits d'armes sont légendaires,
Au garde-à-vous, j'les félicit',

Mais, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !
Bien sûr, celle de l'an quarante
Ne m'a pas tout à fait déçu,
Elle fut longue et massacrante
Et je ne crache pas dessus,
Mais à mon sens, ell' ne vaut guère,
Guèr' plus qu'un premier accessit,

Moi, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !
Mon but n'est pas de chercher noise
Aux guerrillas, non, fichtre ! non,
Guerres saintes, guerres sournoises
Qui n'osent pas dire leur nom,
Chacune a quelque chos' pour plaire,
Chacune a son petit mérit',

Mais, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !
Du fond de son sac à malices,
Mars va sans doute, à l'occasion,
En sortir une - un vrai délice ! -
Qui me fera grosse impression...
En attendant, je persévère
A dir' que ma guerr' favorit'
Cell', mon colon, que j'voudrais faire,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !

3 commentaires:

  1. Juste une réaction à l'extrait de l'emission de JP Elkabach :

    Epoque où l'on pouvait encore supporter que l'on ne regarde pas la camera, mais plutôt la personne qui vous interrogeait...

    je reste encore tout ému de cette attitude à la fois humble et droite chez Brassens, qui s'adresse à une personne réelle - le journaliste, qui tourne le dos à la camera, et le regarde sans ce réflexe aujourd'hui, de chercher le voyant vert de la camera sélectionnée par le réalisateur en régie...
    Un échange entre deux hommes... une "écoute", quoi qu'il en dise !!!

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  2. Remarque parfaitement justifiée ! Quel mépris de l'interlocuteur et mise en avant de son ego (le plus souvent surdimensionné) que de présenter son plus beau "profil" à la caméra plutôt que de regarder son interlocuteur.
    Sans parler des "intervieweurs" qui coupent sans cesse leur interlocuteur sans même attendre leur réponse à la question qu'ils viennent de poser !
    On est loin de l'écoute attentive que certains (Pierre Desgraupes par exemple) savaient pratiquer.
    Autres temps, autres moeurs, quand les journalistes pensent être les vedettes.

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  3. Quelle erreur de ma part ! Je voulais citer l'attention à l'autre de Pierre Dumayet. Pierre Desgraupes est resté dans ma mémoire comme celui qui avait si grossièrement interpellé Maria Callas sur son poids ! Honteux !

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