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vendredi 15 janvier 2016

303. John Zorn: "Never again" (1992) [Kristallnacht]


Depuis l'instauration des lois de Nuremberg en 1935, les juifs allemands subissent une implacable grégation. Une deuxième phase s'ouvre en 1938 avec la mise en place d'une politique d'expulsion forcée dont les juifs étrangers sont les premières victimes. En octobre 1938, les Allemands procèdent ainsi à la déportation brutale de milliers de juifs polonais établis de longue date en Allemagne. Or, le gouvernement polonais qui mène une politique antisémite comparable à celle de l'Allemagne, refuse l'accès à son territoire aux 12 000 individus expulsés d'Allemagne. Ces derniers restent coincées dans une sorte de no man's land, à la frontière entre les deux pays.
Parmi ces familles se trouvent les Grynszpan. Le fils, Herschel, qui vit alors à Paris, apprend que son père, sa mère, son frère et sa sœur croupissent dans le camp de réfugiés de Zbaszyn, à la frontière germano-polonaise.
 Scandalisé, le jeune homme de 17 ans se procure alors un revolver, entre dans l'ambassade d'Allemagne en France et abat le conseiller vom Rath le 7 novembre 1938. 
Dans la soirée du 9 novembre, les hauts dignitaires nazis réunis en meeting à Munich pour commémorer le putsch raté de 1923, apprennent le décès de vom RathGoebbels y voit le prétexte idéal, l'occasion parfaite pour déclencher une action contre les Juifs. Dans toute l'Allemagne, ce sont des centaines de synagogues qui sont détruites, incendiées, des milliers de magasins attaqués dont les vitrines sont brisées. D'innombrables éclats de verre jonchent alors le sol. Cette situation inspire les nazis qui désigne dès lors le gigantesque pogrom nocturne comme la "nuit de cristal". L'opération est aussitôt présentée comme une action  spontanée du peuple allemand.  Derrière l'apparente simplicité de cette affaire se cache en réalité un véritable mystère que s'emploie à percer Corinne Chaponnière dans son livre intitulé "les quatre coups de la nuit de cristal".

Né dans une famille juive pauvre de Hanovre, Herschel Grynszpan cherche à tout prix à fuir l'atmosphère irrespirable de l'Allemagne nazie. Il entre alors en France clandestinement et vit chez un oncle à Paris. Très affecté par l'expulsion de ses parents, il décide de se venger en tuant un membre de l'ambassade d'Allemagne en France.

* L'assassinat de vom Rath, l'élément déclencheur.
L'auteur retient 4 hypothèses pour expliquer l'assassinat du diplomate allemand par le jeune juif polonais.

1. La première version est la thèse reconstituée par la police française, celle du "coup d'éclat". Elle repose sur les aveux successifs de Grynszpan, l'enquête de la police française et les auditions des témoins recueillis au cours de l'instruction.  
L'attentat a lieu entre 9h32 et 9h36. Grynszpan qui vient de tirer sur vom Rath est 
escorté par un policier français jusqu'au commissariat de l'école militaire des Invalides. Lors du trajet, le jeune homme affirme avoir tiré pour venger ses parents tout juste expulsés d'Allemagne vers la Pologne. Par son geste, il cherche le coup d'éclat permettant d'attirer l'attention du monde sur ce que subissent les Juifs depuis 1933 en Allemagne. Il souhaite donc que le motif de son acte soit connu de tous et tout de suite.  
C'est cette thèse qu'avancent les avocats de la défense de Grynszpan. Pour d'évidentes raisons politiques, les autorités française désirent à tout prix éviter un procès qu'ils reportent sans cesse. Une lourde condamnation serait en effet interprétée comme une approbation française de la politique antisémite menée par l'Allemagne, tandis qu'une peine légère ou un acquittement serait pris par les autorités du Reich comme une provocation. Aussi, l'accusé n'est toujours pas jugé lorsque les Allemands entrent à Paris en juin 1940. En juillet, contre toute légalité, les Français extradent Grynszpan qui est remis aux Allemands le 14 juillet 1940.
La thèse du "coup d'éclat" semble la plus répandue et continue de s'imposer chez la plupart des historiens. 

2. La deuxième version présentée par Corinne Chaponnière est la thèse allemande. 
Dès l'annonce de l'attentat de la rue de Lille, les services de propagande du IIIème Reich présente Grynszpan comme partie prenante d'une vaste conspiration, comme "l'instrument de la juiverie mondiale". Selon cette version, l'agression dont est victime vom Rath constitue l'élément déclencheur de la Deuxième Guerre Mondiale voulue par les "bellicistes juifs".
Dans le Völkischer Beobachter du 12 novembre 1938, Goebbels claironne: "le juif polonais Grynszpan était un représentant du judaïsme. L'Allemand vom Rath était un représentant du peuple allemand. Le judaïsme a donc tiré à Paris sur le peuple allemand. Le gouvernement allemand y répondra de manière légale, mais ferme." 
De la sorte, le ministre de la propagande cherche par tous les moyens à faire de Grynszpan le représentant d'une vaste conspiration juive internationale. Les fascicules de propagande nazie présente aussitôt le jeune homme comme le bras armé d'un puissant réseau occulte dont l'objectif premier est de provoquer la Deuxième Guerre Mondiale. 
D'un coup d'éclat individuel, l'attentat se mue en un acte de guerre ourdi par une nébuleuse souterraine. Évidemment, les enquêteurs nazis ne parviendront jamais à prouver l'existence du vaste complot évoqué par Goebbels dès le lendemain de l'agression; ce qui n'empêchera pas les services de propagande d'affirmer que Grynszpan a bénéficié de nombreux complices.


Assassiné, Ernst vom Rath accède au rang de "martyr" national-socialisme à l'instar de Horst Wessel avant lui. Des funérailles nationales sont même organisées en son honneur.

 
3. La thèse privée circule dès le mois de novembre 1938. Selon cette nouvelle version, le diplomate allemand et son assassin juif auraient été amants. 
Après son extradition de France vers Berlin, Herschel Grynszpan est interrogé une première fois par la Gestapo en septembre 1940. Il continue d'affirmer avoir agi par vengeance. Quelques mois plus tard néanmoins, il sollicite un second interrogatoire au cours duquel il affirme avoir voulu éliminer vom Rath car ce dernier l'aurait trompé. L'inculpé se serait vu imposer des relations sexuelles par le troisième attaché de la légation allemande en échange du sauvetage de ses parents.
Ulcéré par l'inaction de vom Rath qu'il considère comme une trahison, Grynszpan aurait alors décidé de se venger en le tuant. 
Les nazis considèrent cette nouvelle version comme une pure tactique de défense suggérée à l'inculpé par ses avocats. Dans ces nouvelles conditions, le procès de la "juiverie internationale" tant désiré par Geobbels n'est désormais plus à l'ordre du jour. On redoute que Grynszpan n'invoque, en audience, une relation sexuelle avec vom Rath ce qui ruinerait son statut de martyr national-socialiste.


4. La thèse du coup monté apparaît dès le lendemain de l'agression. 
Dans un article paru le 8 novembre 1938, le journal l'Humanité suppose que c'est un coup monté par les nazis pour mettre de l'huile sur le feu et rendre les Juifs responsables, non seulement de l'attentat, mais aussi d'un esprit belliqueux. "D'ores et déjà la question se pose: ne s'agit-il point d'une provocation monstrueuse, destinée à engager en Allemagne une vaste campagne de calomnie contre la France et, en France même (par les feuilles infâmes qui, hélas! ne manquent pas!) contre les émigrés, juifs ou autres?"
Cette version pose la question du véritable commanditaire du crime. A la condition de se demander "à qui profite le crime?", l'hypothèse d'une manipulation nazie s'impose. 
Pour accréditer cette thèse, il existe des précédents historiques tels que l'incendie du Reichstag. En outre, l'état de préparation très avancé de la nuit de cristal laisse supposer qu'il s'agissait d'un plan longuement réfléchi. Il est impossible en effet qu'un pogrom spontané de cette ampleur soit organisé en quelques heures. D'ailleurs, dans les semaines qui précèdent la nuit de cristal, des dispositions sont prises pour permettre aux camps de concentration d'accueillir un afflux soudain et massif d'individus qui pourrait bien correspondre aux 30 000 Juifs arrêtés lors des rafles du 9-10 novembre 1938.
Le mobile est donc tout trouvé tant l'éviction des Juifs de la société et de l'économie allemande figure parmi les priorités de l'appareil d’État et du parti. Pour les hauts dignitaires nazis, il faut forcer le départ des Juifs par les grands moyens, les décider à partir coûte que coûte et rapidement. Il n'y a pas de fumée sans feu, aussi pour Corinne Chaponnière - et même si aucun document n'a été mis à jour pour accréditer cette thèse -  "le pogrom de novembre 1938 semble répondre si parfaitement à ce programme, avec un timing si parfait dans l'escalade de la terreur, que sa préméditation demeure une hypothèse tentante."
Goebbels, principal instigateur de cette nuit de terreur, est alors en froid avec Hitler en raison de son infidélité chronique qui décrédibilise le couple idéal qu'il est censé incarné avec Magda, son épouse.  Cherchant à regagner les faveurs de son führer, il aurait donc décider de remettre la "question juive" en tête de l'agenda politique. (3) Dès le matin du 9 novembre 1938, alors même que vom Rath est toujours en vie, Goebbels note dans son Journal:"Si seulement on pouvait déchaîner la colère du peuple." A l'annonce du décès du diplomate, il écrit, soulagé: "Maintenant c'est (cuit) à point". 
Bef, ce coup monté apparaît donc comme une solution opportune pour assurer à la fois le retour en grâce de Goebbels, pousser les Juifs à quitter l'Allemagne, contraindre les autres pays à les accueillir et renflouer les caisses du Reich.
Le choix du tueur constitue cependant une des principales faiblesses de cette thèse (avec l'absence de document) puisqu'elle nécessite l'instrumentalisation de Grynszpan, manipulé par un agent nazi qui serait parvenu à le convaincre de passer à l'acte

On se sait pas ce qu'est devenu Grynszpan. Il se trouve dans le camp de Sachsenhausen en août 1942. Walter Hammer, un résistant allemand, affirme avoir croisé Herschel Grynszpan à la fin du mois de janvier 1945 dans la cour du pénitencier de Brandebourg. Mais à partir du 30 de ce mois, il n'y a plus de trace de son existence. Après guerre, sa famille émigre en Israël.


En conclusion de son brillant ouvrage, Corinne Chaponnière rappelle que si il existe 4 versions de l'assassinat, celles-ci ne sont pas exclusives les unes des autres, mais bien plutôt complémentaires. A l'exception de la thèse allemande (du complot juif international) qui est globalement indéfendable, plusieurs explications coexistent. Pour l'auteur, "Herschel voulait alerter le monde (...) sur l'enfer qui se préparait (...). Mais il me semble évident que Grynszpan, âgé de dix-sept ans, n'a pu puiser son courage et sa détermination que dans une circonstance privée, une humiliation ou une déception personnelle, qu'il a transformée."

Lorsqu'il décide de passer à l'action, Grynszpan a sans aucun doute connaissance de deux précédents:
- Deux ans et demi plus tôt, le 4 février 1936, un étudiant juif originaire de Croatie, David Frankfurter avait abattu le représentant du parti national-socialiste en Suisse, l'Allemand Willhelm Gustloff. Par son geste, le jeune homme avait voulu "réveiller" son peuple face à la menace nazie. Derrière l'assassinat, les services de propagande de Goebbels invoquent déjà un complot judéo-bolchévique et envisagent un temps des représailles collectives. Seule l'ouverture imminente des jeux olympiques d'hiver à Garmisch-Partenkirchen ajourne ce projet.
- Le 3 juillet 1936, le journaliste Stefan Lux se suicide à Genève en pleine session de la Société des Nations. Par ce geste désespéré, ce Juif tchèque cherchait à attirer l'attention du monde sur le sort des juifs en Allemagne. L'affaire fit les gros titres des journaux pendant un ou deux jours avant de tomber dans l'oubli. UUn mois seulement avant l'ouverture des jeux olympiques d'été à Berlin, Hitler, qui cherche à mettre en sourdine la politique antisémite du régime, se garde bien de réagir.
Par conséquent, les deux événements qui ont sans doute inspiré le geste de Herschel Grynszpan n'ont pas donné lieu à des représailles antisémites. Aussi lorsqu'il passe à l'acte, le jeune homme ne peut donc pas anticiper les terribles violences de la "nuit de cristal"


* Le déclenchement de la "nuit de cristal": la prise de décision.
Alors qu'ils commémorent le putsch raté de 1923 à Munich, les hauts dirigeants nazis apprennent la mort de vom Rath. Hitler donne aussitôt son feu vert à Goebbels afin de déclencher un pogrom à l'échelle du pays entier. (1) "Je présente les faits au Führer. Il décide: laisser les manifestations se poursuivre. Retirer la police. Les juifs doivent sentir pour une fois la colère du peuple. C'est justice", note Goebbels dans son Journal. Le ministre de la propagande prononce alors un bref discours ambigu devant les Gauleiter, les chefs régionaux des SA. Habitués de ces formules sibyllines, ces derniers comprennent parfaitement les consignes qu'ils relaient aussitôt auprès de leurs hommes. Heinrich Müller invite de son côté la police à la plus grande sévérité et réclame de la Gestapo l'arrestation de 20 000 à 30 000 juifs.    
Ainsi, SA, SS et jeunesses hitlériennes fondent sur les quartiers juifs dont ils incendient les synagogues, saccagent les magasins, assaillent les maisons... Pour donner l'impression qu'ils sont des Allemands "ordinaires", tous ces hommes prennent bien soin d'arborer leurs habits civils et non des uniformes. Des pancartes posées sur les lieux vandalisés visent à démonter que ces opérations sont des représailles "pour le meurtre de vom Rath". Rien n'est fait pour entraver les violences, bien au contraire. Les pompiers reçoivent l'ordre de laisser les incendies volontaires se développer. Rondement menée et parfaitement organisée, cette opération n'a donc rien de la colère spontanée dont Goebbels parle à longueur de discours.

Les déprédations entraînent des dégâts considérables en particulier à Berlin et Vienne où vivent les deux communautés juives les plus importantes: synagogues saccagées (267), puis brûlées, cimetières juifs profanés, magasins pillés et incendiés, appartements détruits...
Sans que l'on ne sache si il y a eu ordre de tuer, on dénombre en tout cas près d'une centaines de morts. Dans les jours qui suivent, les nazis procèdent à l'arrestation et l'internement de 20 à 30 000 juifs de 16 à 60 ans. Internés pour de brèves durées, ils ne sont libérés qu'à la condition de quitter l'Allemagne en renonçant à tous leurs biens.
Poussés au désespoir, les membres de familles juives entières se suicident. 


* Réactions en Allemagne.
Ces violences se font au vu et au su de tous. Il y a donc de très nombreux témoins des incendies, vols, destructions... Comment les Allemands réagissent-ils face aux violences? Difficile de le dire, tant les réaction furent contrastées. 
Dans le sillage des SA, quelques opportunistes s'adonnent aux pillages. Cependant, dans son ensemble, la population ne participe pas aux violences. Apeurées, les personnes présentes se réfugient dans l'attentisme. Dans les régions où les Juifs étaient bien intégrés et les mariages mixtes nombreux, comme à Hambourg, la population se désolidarise des violences. 
Au fond, moins que les agressions contre les personnes, ce sont surtout les dégâts matériels engendrés par cette nuit de violences qui choquent la population. Si la nuit de cristal suscite une forme d'indignation en Allemagne, c'est parce qu'elle engendre de graves désordres et provoque la destruction de biens. Cette situation choque donc le sens de l'ordre de nombreux spectateurs qui désapprouvent en silence.
Au bout du compte, il n'y a pas de protestation ou d'interventions collectives et très peu d'aides directes. Les prises de position sont toujours faites à titre individuel à l'instar de la prédication prononcée au lendemain des violences par Monseigneur Lichtenberg, doyen de l'église st-Edwig de Berlin: « ce qui arrivera demain, nous ne le savons pas, mais nous sommes les témoins de ce qui se passe aujourd'hui: à l'extérieur [de cette église], la synagogue brûle, et c'est aussi la maison de Dieu. » Au contraire, Martin Hass, évêque protestant de Thuringe se réjouit: "L'incendie des synagogues est le moment du couronnement du combat divinement béni du Führer pour l'émancipation définitive du peuple allemand."

Certains journaux sont particulièrement violents dans leur propagande anti-juive, utilisant tous les vieux clichés sur les Juifs dans leurs caricatures (ci-dessus: caricature de Herschel Grynszpan paru dans Der Stürmer).


La nuit de cristal ouvre une période de durcissement de la politique antisémite dans le Reich. Des mesures discriminatoires aggravent encore la stigmatisation des Juifs. Véritables parias, ils ne peuvent désormais plus s'asseoir sur les bancs publics, entrer dans les bibliothèques, aller à la piscine, fréquenter les restaurants réservés aux "non-juifs"...  
Une logique de marquage, classificatrice, se met en place. A partir de janvier 1939, un décret impose ainsi aux Juifs du Reich l'adjonction d'Israël ou Sarah à tout prénom puisque les Nazis estiment que les Juifs se dissimulent et veulent se cacher.

* Processus d'aryanisation en marche.

Göring pousse l'ignominie à son comble en décidant de faire retomber sur les Juifs le coût des déprédations commises sur leurs biens, à hauteur d'un milliard de marks. Les victimes doivent donc payer une taxe pour indemniser leurs agresseurs...
D'une manière générale, la Nuit de cristal et la persécution des juifs accélèrent le processus d'aryanisation forcée dans le but d'accélérer l'expropriation des biens juifs.  Le 12 novembre 1938, un décret entérine l'expulsion des juifs de la vie économique et leur ôte toute  possibilité d'activité professionnelle indépendante. Ils doivent se retirer, du jour au lendemain, de pans entiers de l'économie. Dans les universités par exemple, certains départements se vident d'un coup de leurs professeurs. Médecins, avocats ne peuvent plus exercer leurs métiers.
Le décret du 3 décembre 1938 oblige un propriétaire juif à vendre sa firme dans un délai précis. La licence d'exploitation est retirée aux commerçants, de sorte qu'il n'y ait plus d'entreprises juives dans un délai très bref.
Dans l'ensemble l'opinion publique allemande accueille favorablement cette gigantesque spoliation. Il faut dire que de nombreux entrepreneurs y voient le moyen d'écarter un concurrent tout en s'emparant de ses parts de marché. Les salariés lorgnent quant à eux sur les emplois jusque là occupés par des juifs. Les habitants dans leur ensemble y voient enfin des opportunités immobilière intéressantes... Pour Göring, l'aryanisation permet de financer l'autarcie et les besoins d'argent du Reich.
Marginalisés et privés de ressources, il ne reste plus aux Juifs qu'à s'exiler.


* Fuir.



Depuis 1933 et l'accession au pouvoir de Hitler, l'émigration des Juifs hors d'Allemagne était demeurée relativement limitée (moins d'un tiers des 520 000 juifs de l'Altreich avait quitté le pays). Dans l'espoir que les nazis quittent le pouvoir, beaucoup de Juifs avaient sans cesse repoussé leur départ. Dans le même temps, les démocraties occidentales ferment de plus en plus leurs frontières au cours des années 1930 et adoptent des politiques migratoires extrêmement restrictives. En juillet 1938, la conférence d'Evian censée assouplir les conditions d'accueil des réfugiés politiques, se solde par un échec
Du point de vue des nazis, il faut se débarrasser des Juifs par l'émigration forcée ou l'expulsion. La violence déchaînée les 9-10 novembre doit ainsi forcer les pays à élever leurs quotas, l'accueil des juifs devenant dans l'opinion internationale une nécessité humanitaire désormais indiscutable.
Dès le lendemain de la "nuit de cristal", la panique s'empare de tous ceux qui n'ont pu partir. Fuir l'Allemagne devient une priorité absolue (on recense 100 000 à 115 000 départs entre fin 1938 et le début 1938).  En ce sens, cet événement constitue bien un tournant majeur qui permet de révéler au monde les intentions mortifères des nazis.
Le départ d'Allemagne s'avère cependant très difficile. Certes, l'indignation internationale suscitée par le pogrom géant conduit les dirigeants des démocraties occidentales à infléchir leurs politiques migratoires (4), mais il n'empêche que la fuite s'avère pour beaucoup impossible et l'émigration extrêmement difficile. Où aller? Comment partir lorsqu'on n'a pas d'argent, plus de passeport ni nationalité ? Dans ces conditions, d'aucuns considèrent qu'il vaut mieux rester et tenir jusqu'à ce que les nazis quittent le pouvoir.
Certes les violences de la nuit de cristal sont la dernière manifestation en Allemagne de "l'antisémitisme des pogroms" (Ian Kershaw), mais elles n'ont encore rien à voir avec une politique d'extermination. Aussi, comme le rappelle Saul Friedländer, "en 1938, on ne pouvait pas prévoir ce qui allait se passer à partir de 1942. Ce qui était devenu évident, c'était que le nazisme était passé à l'égard des Juifs à une brutalité accrue, et que le but était de les éliminer d'Allemagne. C'était l'aboutissement de toutes les persécutions antérieures, dans un crescendo de violence, mais une violence qui avait encore ses propres limite. " [cf: sources]



* Les violences de la nuit de cristal inspirèrent une création musicale particulièrement audacieuse et éprouvante. 
Le 2 septembre 1992, dans le cadre du Munich Art Projekt qui donne carte blanche aux artistes d'avant-garde, John Zorn, Marc Ribot, David Krakauer, Frank London et Anthony Coleman livrent une prestation particulièrement éprouvante pour l' auditoire du Black Box. Sur scène, les musiciens arborent une étoile jaune. Le second morceau interprété est insoutenable. On y entend des bris de verre et des saxophones stridents. Dans le livret de l'album Kristallnacht qui sort un an après cette fameuse prestation, Zorn prévient l'auditeur de Never again, le deuxième bruitiste et violent évoqué précédemment: "Attention Never Again contient des hautes fréquences extrêmes à la limite de l'ouïe humaine et au-delà qui pourraient causer des nausées, des maux de tête et des sifflements dans les oreilles. Une écoute prolongée ou répétée n'est pas recommandée et pourrait provoquer des problèmes aux oreilles - Le compositeur."
 
Le concert de Munich et l'album Kristallnacht marquent la naissance de la "Radical Jewish Culture", courant musical issu de la scène underground new-yorkaise des années 1980-1990. Selon le magazine en ligne de la Philharmonie de Paris cet art juif radical propose un "collage troublant entre punk, soundscape, klezmer, dodécaphonisme et free jazz". Pour Zorn et Ribot, auteurs du manifeste de la "Radical Jewish Culture", la suite en 7 mouvements interprétée à Munich "évoque autant le passé (la Shoah) qu’elle prépare le futur (la possibilité d’une musique juive contemporaine qui ne soit pas klezmer)."



Notes: 
1. Corinne Chaponnière note: "Ainsi se trouve modélisée la procédure d''encouragement' à l'émigration telle qu'elle sera appliquée de manière identique au mois de novembre avec les mêmes séquences et dans le même ordre: publication des listes des commerces juifs, mise en scène d'actions prétendument populaires mais opérées en premier lieu par les SA et de jeunes militants nazis, suivies d'arrestation de masse des juifs adultes mâles par le Service de sécurité de Heydrich et leur expédition vers les camps."
2.  Goebbels a demandé à Hitler : « est-ce qu'on laisse les manifestations prendre de l'ampleur ? » Hitler répond : « Oui, laissez ces manifestations continuer. » Ces manifestations sont en réalité des pogroms qui avaient commencé à éclater un peu partout. 
3. En tant que Gauleiter de Berlin, il ordonne d'ailleurs une action punitive contre les juifs de la capitale en juin 1938. Or, cette Juni-Aktion a tout d'une répétition générale avant le grand pogrom de novembre
4. Ainsi, l'administration Roosevelt tente de persuader les pays occidentaux d'accueillir les personnes les plus persécutées. Même le gouvernement britannique de Neville Chamberlain, pourtant largement hostile aux Juifs, accepte d'accueillir 10 000 enfants juifs, à la condition qu'ils ne soient pas accompagnés de leurs parents.
     
 

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Sources:

- Corinne Chaponnière: "Les quatre coups de la nuit de cristal", Albin Michel, 2015.
- Entretien avec Saul Friedländer: "La nuit de cristal: récit d'un pogrom", in Les collections de l'Histoire n°3, octobre 1998.
- Documentaire "Jusqu'au dernier", épisode 2.
- Sur la Radical jewish culture
- Le magazine en ligne de la Philharmonie de Paris.

Liens:
- Etude de cas: la "nuit de cristal".
- La page que l'Encyclopédie multimédia de la Shoah consacre à la nuit de cristal.

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