En juin 1940, l'armée française subit une désastre militaire sans précédent. Le régime de Vichy, né de cette défaite, instaure un régime réactionnaire, antidémocratique, antisémite et de collaboration avec l'Allemagne nazie. Dès lors, la
vie quotidienne des Français sous l'Occupation devient particulièrement difficile. Le pillage organisé
de la France impose aux habitants de nombreuses restrictions
alimentaires ainsi que le rationnement. La pénurie s'installe. Dans le même temps, les libertés
fondamentales sont bafouées. Or de ce contexte désespérant jaillit pourtant de la
plume des poètes une extraordinaire poésie de résistance.
C'est dans les pas d'Aragon que nous abordons ici la résurgence poétique des "années noires". Celui qui n'avait plus écrit de poèmes depuis le début des années 1930, renaît à la poésie avec la guerre.
Le
2 septembre 1939,
Louis Aragon est affecté comme médecin auxiliaire sur la ligne de front. En mai 1940, à l'issue de la drôle de guerre, la débâcle des armées françaises
le conduit de Belgique à Dunkerque où il embarque en catastrophe le 1er juin. De
retour en France, il parvient à rejoindre Elsa Triolet, son épouse, entre Charente et Dordogne. Démobilisé le 31 juillet alors qu'il se trouve en Périgord, il se réfugie avec Elsa chez Renaud de Jouvenel, qui possède un château près de Brive. Aragon évoque les jours heureux passés en ce havre de paix dans son poème Zone libre:
C'est dans les pas d'Aragon que nous abordons ici la résurgence poétique des "années noires". Celui qui n'avait plus écrit de poèmes depuis le début des années 1930, renaît à la poésie avec la guerre.
Pierre Seghers avec Aragon et Elsa Triolet à Villeneuve-lès-Avignon à la fin de l'été 1941. Par Pierre Seghers [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wiki C. |
"J'ai bu l'été comme un vin doux
J'ai rêvé pendant ce mois d'août
Dans un château rose en Corrèze"
Très vite cependant, le couple doit changer de domicile. En
septembre, à Carcassonne, ils retrouvent Germaine et Jean Paulhan, puis font la connaissance de Pierre Seghers. Ce dernier les accueille bientôt aux Angles, à Villeneuve-lès-Avignon. Ils se rendent ensuite à Nice (décembre 1940), Lyon, de nouveau Nice...
En contact avec le Parti communiste clandestin depuis 1941, Elsa Triolet et Louis Aragon regagnent Paris vers la fin juin 1941 pour organiser la coordination avec les intellectuels qui agissent en zone occupée. Au passage de la ligne de démarcation, ils sont arrêtés par les Allemands, puis emprisonnés à Tours. Libérés à la mi-juillet, ils entrent en contact dans la capitale avec Jacques Decour et Jean Paulhan, avec lesquels seront mis sur pied le projet d'édition des Lettres françaises et la création du Comité national des écrivains.
A l'annonce de l'occupation de l'occupation de Nice par les Italiens, en novembre 1942, Triolet et Aragon quittent la ville et plongent dans la clandestinité. Munis de faux-papiers, ils se réfugient dans la Drôme, à Saint-Donat. "La planque se trouvait [...] dans la montagne, on ne pouvait l'atteindre qu'à pied. [Nous étions] coupés du monde, enfouis dans la neige de l'hiver 1942, introuvables." Ils y resteront cachés jusqu'à la Libération, faisant de fréquents voyages à Valence, Lyon, Paris. La résistance littéraire prend alors une forme collective avec la création du Comité national des écrivains, en zone sud, au début de 1943. Le parti communiste clandestin confie cette mission à Louis Aragon.
Tout au long de ces pérégrinations, Aragon ne cesse d'écrire de la poésie. Il semble même ne jamais avoir été aussi inspiré. En pleine débâcle, alors qu'il a échoué à Ribérac (1), l'écrivain engage une intense réflexion sur sa pratique poétique. Dans le village périgourdin où vécut au XIIème siècle le troubadour Arnaut Daniel, Aragon plonge aux racines de la poésie médiévale. (2) Daniel était un des maîtres du « Clus Trover », la poésie fermée, un style hermétique permettant au poète de chanter sa dame en présence même du seigneur.
Or pour Aragon, les poètes en 1940 doivent se souvenir de cette leçon des troubadours et faire passer leur message en déjouant la censure des nouveaux seigneurs nazis et de leurs valets vichyssois. A posteriori, il expliquera d'ailleurs que la censure de l'occupant et des collaborateurs l'a "conduit à retrouver des formes anciennes de la poésie française". En puisant aux sources de la littérature, l'écriture
poétique pourra, selon lui, réaffirmer l'identité culturelle du pays face à
l'occupant.
Les poèmes des années noires sont donc truffés d’allusions voilées aux événements du temps. Paradoxalement, cette "poésie de contrebande" doit être accessible, "parler à tous le langage interdit de la Patrie". (3) Aux temps mauvais, Aragon chante à pleine voix pour le peuple de France. L'ancien surréaliste qui exécrait le patriotisme en vient à exalter la grandeur du pays. Pour Aragon, il faut renouer avec le passé culturel de la nation.
"Je m'étais juré que si mon pays devait être entraîné dans une nouvelle guerre (...), au moins quelqu'un dans mon pays élèverait la voix contre. Et la forme que ma poésie a pris était une forme destinée à être entendue par le plus grand nombre de gens possible, en essayant de baser mon expression sur les formes profondément nationales de la poésie française. Cela a servi à quelque chose car, de cette poésie qui commence dès la drôle de guerre, est née, je puis le dire sans me vanter particulièrement, ce qu'on a appelé ensuite la poésie de la Résistance. Et effectivement, je suis parvenu à surprendre le pouvoir public de Vichy qui ne croyait pas que des vers patriotiques pouvaient être une arme, pour lui, dangereuse. Ce qui fait que j'ai pu jusqu'à l'automne de 1942 vivre légalement, quoique lié aux mouvements de Résistance", se souvient le poète après guerre. [source B: Poésie et histoire]
Tout au long de la guerre, Aragon ne cesse d'écrire et publier plusieurs recueils de poèmes ou de textes inspirés de son expérience personnelle et des malheurs du temps (le Crève-Coeur en avril 1941, Cantique à Elsa, Brocéliande en 1942, La Diane française en 1944, mais aussi trois poèmes dans L'Honneur des poètes sous le nom de Jacques
Destaing ou le Musée Grévin en 1943 en tant que François la Colère). En 1942, les 21 poèmes formant le recueil Les yeux d'Elsa composent un hymne à
l'amour et à la France. Plus que jamais, l'écrivain conçoit la poésie comme une
arme dans le combat contre la barbarie. L'exécution par les nazis de 27 prisonniers détenus à Chateaubriant, le
22 octobre 1941, lui inspirent les Martyrs. La Rose et le Réséda, ou la Ballade de celui qui chantait dans les
supplices – dédiée à Gabriel Péri - disent la peine et l'espoir partagés, tout en célébrant le courage des résistants.
Si les poètes jouissent en ces années d'Occupation d'une grande audience, c'est que la poésie s'impose alors comme une nourriture spirituelle presque aussi nécessaire que le pain. "En des temps devenus difficiles, où tout est rationné (...) et contrôlé (...), le texte poétique, court, rapidement recopié et diffusé, facilement mémorisable, devient le sésame de la liberté d'expression." (source A: Anne Bervas-Leroux p 13)
Diffusés sous forme de tracts, appris par cœur et recopiés, les poèmes se répandent à travers le pays; leur impact est immense.
D'autres, destinés à la publication légale, sont chargés de double sens par des auteurs pratiquant ce qu'Aragon nomme une "poésie de contrebande". Pierre Seghers rappelle que "les Français avait appris à lire en filigrane", comprenant le langage codé des poètes. En zone sud, de petites revues éditées légalement sous visa de censure telles que Poésie, Fontaine, Confluences, (4) contribuent à l'effervescence poétique du temps. Ce renouveau incite d'ailleurs les responsables des éditions de Minuit clandestines, Pierre Lescure et Vercors, à commander à Eluard L'honneur des poètes. Cette anthologie poétique clandestine rassemble 42 poèmes composés par Desnos, Ponge, Aragon, Vercors, Pierre Emmanuel, Jean Tardieu, Edith Thomas...
Les risques encourus (5) par les "combattants de plume" obligent les poètes à se cacher. Les contraintes imposées par la guerre contribuent également à modifier le langage poétique. Comme le rappelle Georges-Emmanuel Clancier: "La poésie a évolué à ce moment là. D'abord elle s'est faite, je crois, plus orale avec des poèmes assez chantants, mais très mélodieux, très rimés, très rythmés. Le fait aussi d'écouter avec passion chaque soir les voix qui venaient de Londres, l'importance de nouveau donné à l'oral et à la voix, je crois, a incité - même si ce n'était pas conscient au début - les poètes a redonné davantage le sens du chant, et à revenir à la source de la poésie qui a été longtemps chantée, parlée, dite". [Source B: "Poésie et histoire"]
C'est tout à fait le cas de la poésies de guerre d'Aragon dont les vers s'imprègnent d'une grande musicalité. Ceci explique sans doute qu'ils aient été par la suite souvent mis en chansons.
Le groupe français Feu! Chatterton s'est prêté à l'exercice sur son deuxième et merveilleux album: "l'oiseleur". "Dans le disque, il y a ce poème d'Aragon, Zone libre, qui dit le malaise qu'on peut ressentir à vivre la douceur quand on est en temps de guerre. J'aime les vers solubles mais effervescents; la poésie est partout, elle peut durer tout une vie. On veut faire des chansons qui soient comme un refuge", explique le chanteur de Feu!. [Source G: "Par les temps qui courent"]. "J'ai trouvé Zone Libre très beau parce qu'il raconte ce moment du 'fading'. Cela vient de l'anglais 'fade', quand les choses s'amenuisent. Il parle de l'intensité de la douleur, de la mélancolie. 'Fading de la tristesse oubli / Le bruit du cœur brisé faiblit / Et la cendre blanchit la braise', je trouve ça merveilleux! Cela signifie exactement ce sentiment qu'on peut avoir quand quelque chose en nous est très intense, comme un sentiment amoureux, et qu'il vient gentiment, tranquillement, s'éteindre", explique Arthur Teboul. [Source H: Feu! Chatterton, avec le retour du printemps"]
Aragon écrit Zone libre en septembre 1940, alors qu'il se trouve à Carcassonne, en zone libre. Le poème prend place dans le "Crève-Cœur", un recueil de 22 poèmes écrits par Aragon entre octobre 1939 et octobre 1940. Les strophes ont une structure en sizains, tandis que les vers sont écrits en octosyllabes. Leurs rimes sont suivies d'abord, puis embrassées.
Réfugié "dans un château rose en Corrèze" (6), l'auteur semble éprouver un sentiment ambivalent. Alors que la violence sourdre dans le pays, lui, est heureux. "J'ai bu l'été comme un vin doux / J'ai rêvé pendant ce mois d'août".
"La cendre blanchit la braise", mais le feu continue de couver. "Il m'avait un instant semblé / entendre au milieu des blés / confusément le bruit des armes". De son abri, le poète perçoit "un sanglot lourd dans le jardin", l'écho assourdi de la fureur guerrière alentour. Ce" sourd reproche dans la brise" lui fait éprouver de la culpabilité, le "grand chagrin" de connaître la félicité intérieure alors que dehors la fureur fait rage. L'auteur ne peut néanmoins s'empêcher de chercher à prolonger ses instants heureux: "je cherchais à n'en plus finir / cette douleur sans souvenir". "Ah ne m'éveillez pas trop tôt / rien qu'un instant de bel canto", implore-t-il. Ce répit lui semble accordé: "J'ai perdu je ne sais comment / le noir secret de mon tourment".
"Quand parut l'aube de septembre", le charme se rompt et le poète est tiré de sa douce torpeur "par "une vieille chanson de France". Il est désormais temps d'affronter la triste réalité d'un pays traumatisé. "Mon mal enfin s'est reconnu / et son refrain comme un pied nu / troubla l'eau verte du silence".
En contact avec le Parti communiste clandestin depuis 1941, Elsa Triolet et Louis Aragon regagnent Paris vers la fin juin 1941 pour organiser la coordination avec les intellectuels qui agissent en zone occupée. Au passage de la ligne de démarcation, ils sont arrêtés par les Allemands, puis emprisonnés à Tours. Libérés à la mi-juillet, ils entrent en contact dans la capitale avec Jacques Decour et Jean Paulhan, avec lesquels seront mis sur pied le projet d'édition des Lettres françaises et la création du Comité national des écrivains.
A l'annonce de l'occupation de l'occupation de Nice par les Italiens, en novembre 1942, Triolet et Aragon quittent la ville et plongent dans la clandestinité. Munis de faux-papiers, ils se réfugient dans la Drôme, à Saint-Donat. "La planque se trouvait [...] dans la montagne, on ne pouvait l'atteindre qu'à pied. [Nous étions] coupés du monde, enfouis dans la neige de l'hiver 1942, introuvables." Ils y resteront cachés jusqu'à la Libération, faisant de fréquents voyages à Valence, Lyon, Paris. La résistance littéraire prend alors une forme collective avec la création du Comité national des écrivains, en zone sud, au début de 1943. Le parti communiste clandestin confie cette mission à Louis Aragon.
Tout au long de ces pérégrinations, Aragon ne cesse d'écrire de la poésie. Il semble même ne jamais avoir été aussi inspiré. En pleine débâcle, alors qu'il a échoué à Ribérac (1), l'écrivain engage une intense réflexion sur sa pratique poétique. Dans le village périgourdin où vécut au XIIème siècle le troubadour Arnaut Daniel, Aragon plonge aux racines de la poésie médiévale. (2) Daniel était un des maîtres du « Clus Trover », la poésie fermée, un style hermétique permettant au poète de chanter sa dame en présence même du seigneur.
Arnaut Daniel [Wikimedia Commons] |
Les poèmes des années noires sont donc truffés d’allusions voilées aux événements du temps. Paradoxalement, cette "poésie de contrebande" doit être accessible, "parler à tous le langage interdit de la Patrie". (3) Aux temps mauvais, Aragon chante à pleine voix pour le peuple de France. L'ancien surréaliste qui exécrait le patriotisme en vient à exalter la grandeur du pays. Pour Aragon, il faut renouer avec le passé culturel de la nation.
"Je m'étais juré que si mon pays devait être entraîné dans une nouvelle guerre (...), au moins quelqu'un dans mon pays élèverait la voix contre. Et la forme que ma poésie a pris était une forme destinée à être entendue par le plus grand nombre de gens possible, en essayant de baser mon expression sur les formes profondément nationales de la poésie française. Cela a servi à quelque chose car, de cette poésie qui commence dès la drôle de guerre, est née, je puis le dire sans me vanter particulièrement, ce qu'on a appelé ensuite la poésie de la Résistance. Et effectivement, je suis parvenu à surprendre le pouvoir public de Vichy qui ne croyait pas que des vers patriotiques pouvaient être une arme, pour lui, dangereuse. Ce qui fait que j'ai pu jusqu'à l'automne de 1942 vivre légalement, quoique lié aux mouvements de Résistance", se souvient le poète après guerre. [source B: Poésie et histoire]
[Wikimedia Commons] |
Si les poètes jouissent en ces années d'Occupation d'une grande audience, c'est que la poésie s'impose alors comme une nourriture spirituelle presque aussi nécessaire que le pain. "En des temps devenus difficiles, où tout est rationné (...) et contrôlé (...), le texte poétique, court, rapidement recopié et diffusé, facilement mémorisable, devient le sésame de la liberté d'expression." (source A: Anne Bervas-Leroux p 13)
Diffusés sous forme de tracts, appris par cœur et recopiés, les poèmes se répandent à travers le pays; leur impact est immense.
D'autres, destinés à la publication légale, sont chargés de double sens par des auteurs pratiquant ce qu'Aragon nomme une "poésie de contrebande". Pierre Seghers rappelle que "les Français avait appris à lire en filigrane", comprenant le langage codé des poètes. En zone sud, de petites revues éditées légalement sous visa de censure telles que Poésie, Fontaine, Confluences, (4) contribuent à l'effervescence poétique du temps. Ce renouveau incite d'ailleurs les responsables des éditions de Minuit clandestines, Pierre Lescure et Vercors, à commander à Eluard L'honneur des poètes. Cette anthologie poétique clandestine rassemble 42 poèmes composés par Desnos, Ponge, Aragon, Vercors, Pierre Emmanuel, Jean Tardieu, Edith Thomas...
Les risques encourus (5) par les "combattants de plume" obligent les poètes à se cacher. Les contraintes imposées par la guerre contribuent également à modifier le langage poétique. Comme le rappelle Georges-Emmanuel Clancier: "La poésie a évolué à ce moment là. D'abord elle s'est faite, je crois, plus orale avec des poèmes assez chantants, mais très mélodieux, très rimés, très rythmés. Le fait aussi d'écouter avec passion chaque soir les voix qui venaient de Londres, l'importance de nouveau donné à l'oral et à la voix, je crois, a incité - même si ce n'était pas conscient au début - les poètes a redonné davantage le sens du chant, et à revenir à la source de la poésie qui a été longtemps chantée, parlée, dite". [Source B: "Poésie et histoire"]
C'est tout à fait le cas de la poésies de guerre d'Aragon dont les vers s'imprègnent d'une grande musicalité. Ceci explique sans doute qu'ils aient été par la suite souvent mis en chansons.
Feu! Chatterton en concert. Par Xfigpower [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wikimedia C.] |
"Un château rose en Corrèze". Par Père Igor [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wikimedia Commons |
Réfugié "dans un château rose en Corrèze" (6), l'auteur semble éprouver un sentiment ambivalent. Alors que la violence sourdre dans le pays, lui, est heureux. "J'ai bu l'été comme un vin doux / J'ai rêvé pendant ce mois d'août".
"La cendre blanchit la braise", mais le feu continue de couver. "Il m'avait un instant semblé / entendre au milieu des blés / confusément le bruit des armes". De son abri, le poète perçoit "un sanglot lourd dans le jardin", l'écho assourdi de la fureur guerrière alentour. Ce" sourd reproche dans la brise" lui fait éprouver de la culpabilité, le "grand chagrin" de connaître la félicité intérieure alors que dehors la fureur fait rage. L'auteur ne peut néanmoins s'empêcher de chercher à prolonger ses instants heureux: "je cherchais à n'en plus finir / cette douleur sans souvenir". "Ah ne m'éveillez pas trop tôt / rien qu'un instant de bel canto", implore-t-il. Ce répit lui semble accordé: "J'ai perdu je ne sais comment / le noir secret de mon tourment".
"Quand parut l'aube de septembre", le charme se rompt et le poète est tiré de sa douce torpeur "par "une vieille chanson de France". Il est désormais temps d'affronter la triste réalité d'un pays traumatisé. "Mon mal enfin s'est reconnu / et son refrain comme un pied nu / troubla l'eau verte du silence".
Fading de la tristesse oubli
Le bruit du cœur faiblit
Et la cendre blanchit la braise
J'ai bu l'été comme un vin doux
J'ai rêvé pendant ce mois d'août
Dans un château rose en Corrèze
Qu'était-ce qui faisait soudain
Un sanglot lourd dans le jardin
Un sourd reproche dans la brise
Ah ne m'éveillez pas trop tôt
Rien qu'un instant de bel canto
Le désespoir démobilise
Il m'avait un instant semblé
Entendre au milieu des blés
Confusément le bruit des armes
D'où me venait ce grand chagrin
Ni l’œillet ni le romarin
N'ont gardé le parfum des larmes
J'ai perdu je ne sais comment
Le noir secret de mon tourment
A mon tour l'ombre se démembre
Je cherchais à n'en plus finir
Cette douleur sans souvenir
Quand parut l'aube de septembre
Mon amour j'étais dans tes bras
Au dehors quelqu'un murmura
Une vieille chanson de France
Mon mal enfin s'est reconnu
Et son refrain comme un pied nu
Troubla l'eau verte du silence
Notes:
2. "J'en reviens à Ribérac. Il y régnait un grand désarroi d'hommes de toute sorte: des familles débarquées dans des voitures antiques, on ne sait où racolées, avec leurs matelas sur la tête, et qui y campaient, quand ce n'était pas dans les granges avec leurs bêtes, les vestiges de notre division qui n'étaient que vingt pour cent des hommes entrés en Belgique, de petites unités. (...)"
3. D'aucuns critiquent l'utilisation partisane de la poésie. Dans "Le déshonneur des poètes", Benjamin Péret critique violemment cette poésie qui, selon lui, s'est laissée prendre aux pièges du discours patriotique pour devenir réactionnaire. Selon Arthur Koestler, "la littérature de la Résistance française, celle par exemple d'Aragon et Vercors, n'est que charlatanisme littéraire, marché noir sur lequel le sacrifice humain, la lutte et le désespoir sont mis en vente."
Pour Pierre-Jean Jouve, au contraire, "personne ne peut se tenir hors du jeu des puissances qui s'affrontent. Le bouleversement, par sa violence et son universalité, oblige quiconque exerce la parole, qu'il en soit conscient ou non, à choisir sa place."
D'autres (René Char, Jean Guéhenno...) refusent d'écrire ou de publier sous la botte nazie.
4. Poésie est dirigée par Pierre Seghers depuis Villeneuve-lès-Avignon, Fontaine par Max-Paul Fouchet à Alger, Confluences par René Tavernier à Lyon.
5. En juin 1940, Saint-Pol Roux est tué par des soldats ivres. Le 30 mai 1942, Jacques Decour et Georges Politzer sont fusillés au Mont-Valérien. En 1944, Max Jacob meurt au camp de Drancy, Benjamin Crémieux à Buchenwald, Robert Desnos au camp de Terezín, Paul Petit dans la prison de Cologne.
6. Le château de Castel Novel se trouve à Varetz, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Brive-la-Gaillarde.
Sources:
Source A: Anne Bervas-Leroux: "Au nom de la liberté. Poèmes de la Résistance", étonnants classiques, GF Flammarion, 2000.
Source B: Une émission de la Fabrique de l'Histoire consacrée à "Poésie et histoire" avec Georges-Emmanuel Clancier (10/01/2012).
Source C: "L'écriture de résistance de Louis Aragon".
Source D: Poètes en résistance: Louis Aragon.
Source E: La Lettre de la fondation de la Résistance n°82, septembre 2015. (pdf)
Source F: Jean Ristat: "Aragon. 'Commencez par me lire'", Découvertes Gallimard, 1997.
Source G: "Par les temps qui courent", émission diffusée sur France Culture le 6 mars 2018.
Source H: Feu! Chatterton, avec le retour du printemps"
Liens:
Aragon chanté: "La Rose et le Réséda", "Est-ce ainsi que les hommes vivent?", "Il n'y a pas d'amour heureux", "Aimer à perdre la raison".
Génial, merci merci merci!!!
RépondreSupprimerUn poème immense repris par un groupe d'élite. Merci pour cet article !
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