Dans la série des chansons engagées de Michel Sardou retrouvons celle-ci au titre évocateur, lourd d'histoire. Après Zola, Michel Sardou/Pierre Delanoë appartiennent à la liste déjà longue des textes qui accusent, devenant presqu'un style littéraire.
La chanson est sortie en 1976 à la période où l'engagement des chanteurs est encore fort. Huit années après 1968, la société française a débuté sa transformation en profondeur sur de nombreux sujets.
L'un des thèmes principal de la chanson est l'écologie. C'est étonnant pour un chanteur tel que Sardou car il a finalement peu abordé cette thématique. On lui connaît davantage ses engagements patriotiques, à droite, sur l'école privée par exemple. Mais ce sont les débuts de l'écologie, il faut rappeler la candidature marquante de René Dumont à la présidentielle de 1974 qui n'avait recueilli que 1,35 % des voix mais avait marqué les esprits par son ton nouveau, anticonformiste.
Mais plus encore cette première candidature écologiste, c'est le retentissement du naufrage du Torrey Canyon en 1967 qui éclaire les lignes "De pétroler l'aile des Goëlands, d'empoisonner le sable des enfants" et deux ans plus tard, la chanson fera d'autant plus écho dans les esprits lors du terrible naufrage de l'Amoco Cadiz qui souillera les plages bretonnes.
Dans une autre strophe, Sardou/Delanoë s'en prennent à la conquête spatiale, notamment celle des Etats-Unis. "J'accuse les hommes de violer les étoiles, pour faire bander le cap Canaveral". Le programme Apollo (1961-1975) a permis en effet, des vols habités mais aussi que le premier homme marche sur la lune (1969). C'est à Cap Canaveral (Floride) qu'ont lieu l'ensemble des lancements des fusées Saturn. Dans la chanson, on oublie qu'en 1975, la conquête spatiale a fortement ralenti (pour des raisons budgétaires) et qu'elle est aussi l'occasion de manifestations symboliques du réchauffement des relations Est-Ouest de la Détente. En juillet 1975, a lieu la première rencontre orbitale entre un module soviétique du programme Soyouz et un module du programme Apollo.
Dans le 5ème paragraphe, l'accusation porte sur les crimes commis par les hommes : "J'accuse les hommes de crimes sans pardon". Le texte ici reste vague sur ces crimes. Il est sans doute question des tous les grands crimes commis au XXe siècle, Shoah, guerres civiles, répressions communistes. On peut également évoquer dans la contexte et donc l'inspiration de ce texte : la guerre du Vietnam et peut-être aussi l'arrivée au pouvoir de Pol-Pot en 1975 et les crimes de masse perpétrés par les Khmers rouges durant la période.
On le voit ce texte est engagé mais les auteurs ne prennent pas beaucoup de risques (à la différence peut-être de Zola). La guerre c'est mal, les hommes sont mauvais, ils polluent la terre et les océans.
Mais entre les lignes, on appréciera le ton viril et le champ lexical qui sent à plein nez la testostérone : "Pour faire bander le cap Canaveral" "De se repaître de sexe et de sang"....La musique qui accompagne ce texte est d'ailleurs très enlevée : les cuivres ponctuent les différents paragraphes scandés avec force par la voix musclé de Michel !
Puis les paroles dérapent un peu : on parle alors d'impuissants, d'hermaphrodites et de PD. Ne faisons pas ici, le procès rétrospectif pour homophobie sans tenter de re-contextualiser la question. Au milieu des années 70, la pièce de Théâtre La Cage aux Folles connaissaient un succès sans pareil. La façon d'aborder l'homosexualité était pour le moins caricaturale et aujourd'hui un peu datée.
Pièce à succès jouée 1800 fois depuis le 1er février 1973
En 1976, les mouvements LGBT en France sont à l'état embryonnaire : on ne trouve que le FHAR (Front homosexuel d'action révolutionnaire) fondé en 1974. Les chansons notamment abordent le sujet de l'homosexualité en véhiculant ces stéréotypes. D'ailleurs Sardou évoque à d'autres reprises l'homosexualité : Le rire du sergent (1971), Le surveillant général (1972). Dans les deux cas, les paroles ne manifestent pas plus de tolérance à l'égard des homosexuels.
Signe des temps, Sardou ne chantera plus cette chanson durant les années 80 car ces paroles laissaient planer tout de même un petit doute sur son homophobie. En 1991, la chanson revient dans son tour de chant mais avec des paroles quelque peu modifiées
« J'accuse les hommes de croire des hypocrites / Moitié pédés moitié hermaphrodites »
devient
« J'accuse les hommes de se croire sans limite / J'accuse les hommes d'être des hypocrites ».
Oui, "les hommes seraient des hypocrites"....c'est lui qui le dit !
J'accuse les hommes un par un et en groupe
J'accuse les hommes de cracher dans leur soupe
D'assassiner la poule aux yeux d'argent
De ne prévoir que le gout de leur dents.
J'accuse les hommes de salir les torrents
D'empoisonner le sable des enfants
De névroser l'âme des pauvres gens
De névroser le fond des océans
J'accuse les hommes de violer les étoiles
Pour faire bander le cap Canaveral
De se repaitre de sexe et de sang
Pour oublier qu'ils sont des impuissants.
De rassembler les génies du néant
De pétroler l'aile des goélands
D'atomiser le peu d'air qu'ils respirent
De s'enfumer pour moins se voir mourir
J'ACCUSE!
J'accuse les hommes de crimes sans pardon
Au nom d'un homme ou d'une religion
J'accuse les hommes de croire des hypocrites
Moitié PD, moitié hermaphrodite
Qui jouent les durs pour enfoncer du beurre
Et s'agenouillent aussitôt qu'il ont peur
J'accuse les hommes de se croire des surhommes
Alors qu'ils sont bêtes à croquer la pomme!
J'accuse les hommes, je veux qu'on les condamne
Au maximum qu'on arrache leur âme
Puis qu'on la jette aux rats et aux cochons
Pour voir comment eux il s'en serviront!
J'accuse les hommes en un mot comme en cent
J'accuse les hommes d'être bêtes et méchants
D'être à marcher au pas des régiments
De n'être pas des hommes tout simplement!
Orientation bibliographique/sitographique
Robert Aldrich (dir.) (trad. Pierre Saint-Jean, Paul Lepic), Une Histoire de l'homosexualité, « Gay Life and Culture: A World history », Seuil, Paris, 2006.
Article Wikipédia sur Michel Sardou relate une partie des controverses, critiques et polémiques que suscitent certaines de ses chansons.
J'accuse les hommes, en un mot comme en CENT ! (et pas "en somme")
RépondreSupprimerJ'accuse les hommes de crimes sans pardon, au nom d'un homme ou d'une religion...
RépondreSupprimerJ'accuse les hommes de croire des hypocrites moitié pd moitié hermaphrodite.
Cette dernière phrase fait référence aux hommes d'église, qui vivent entre hommes et portent des robes appelées, soutane ou autre...
Le texte est cru mais il ne relate que des réalités de l'Homme...sur l'homme.
merci
SupprimerMerci pour ce billet sur cette chanson sulfureuse de Michel Sardou, signée du tandem Pierre Delanoë /Michel Sardou. C’est là qu’on s’aperçoit de la qualité d’écriture des chansons de Michel Sardou, que l’on soit d’accord ou pas avec lui, le constat est imparable sur la qualité du texte, de la mélodie, de la musique et de la voix. Imparable ! De plus « J’accuse » est parue en 1976, année où le chanteur populaire était agressé en permanence suite à sa chanson polémique « Je suis pour » et où il eut, je trouve, bien du courage de continuer sa carrière car beaucoup aurait à ce moment-là jeté l’éponge. Respect !
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