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jeudi 20 octobre 2022

Les hommages musicaux à Malik Oussekine

 L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes. Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter ci-dessous:

 

Le 4 décembre 1986, 500 000 étudiants manifestent dans les rues de Paris contre le projet de loi Devaquet. Le ministre de l’enseignement supérieur a été chargé par Jacques Chirac, le premier ministre, de mettre en œuvre une loi de libéralisation de l’université et de sélection des étudiants. Le gouvernement cherche à passer en force. Depuis la mi-novembre, le climat est électrique. Le 4 décembre, en fin de journée, des heurts opposent étudiants et policiers sur l’esplanade des Invalides et au quartier latin. Pour assurer le maintien de l’ordre, le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, et son ministre délégué à la sécurité publique, Robert Pandraud, s’appuient sur les CRS et un peloton de voltigeurs moto portés, composé de policiers montés sur de petites Honda rouges. Le pilote conduit et son passager matraque grâce au bidule. 

Franck.schneider, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Dans la nuit du 5 au 6 décembre, la Sorbonne est évacuée. Vers minuit, trois voltigeurs chargés de ratisser le quartier latin en quête de prétendus casseurs, prennent en chasse un jeune homme qui court dans la nuit. Il s’appelle Malik Oussekine. Originaire de Meudon la Forêt, benjamin d’une famille de huit enfants marqués par le décès précoce du père, cet étudiant à l’École supérieur des professions immobilières a 22 ans. Malade des reins, il est sous dialyse, ce qui ne l’empêche pas de faire du sport. Pourquoi se trouve-t-il dans le quartier ? Peut-être vient-il d’assister à un concert de jazz, dont il est friand. En tous les cas, il n’est pas là pour manifester contre le projet Devaquet.

Oussekine est Français, mais ses origines algériennes font de lui un suspect tout désigné pour des policiers surexcités. Il est minuit lorsque son chemin croise celui des voltigeurs qui le prennent en chasse. Au numéro 20 de la rue Monsieur Le Prince, Paul Bayzelon, fonctionnaire au ministère des finances, lui ouvre la porte de son immeuble pour qu’il y trouve refuge, mais les policiers l’y poursuivent et le tabassent à mort. Le Samu ne pourra pas le sauver. L’annonce du décès de l’étudiant provoque la stupeur. 


 « Lorsqu’il essayèrent » du slamer Abd Al Malik dépeint le contexte dans lequel survient le drame. Il insiste sur la césure que marque l’événement. Avec beaucoup de finesse, il décrit un contexte marqué par le racisme. Rien ne semble alors pouvoir faire obstacle à la toute-puissance policière, et surtout pas Charles Pasqua, auquel les TitNassels empruntent un bout de discours dans Un homme est mort. En 1998, au milieu de la longue litanie des griefs formulés à l’encontre de la France dans son titre Hardcore, le groupe Ideal J de Kerry James lance : « Hardcore fut le décès de Malik Oussekine »

Au lendemain des faits, Alain Devaquet, profondément affecté par le drame, démissionne. Le reste du gouvernement, Pasqua et Pandraud en tête, réaffirme au contraire son soutien aux forces de l’ordre. Les policiers n’ont toujours pas pris le temps d’informer la famille de la victime qui apprend la nouvelle par les médias. L’un des frères de Malik venus voir sa dépouille à l’institut médico-légal, est placé sous le feu roulant des questions des inspecteurs de police. Loin de chercher à faire éclater la vérité, ces derniers s’emploient à disculper par tous les moyens leurs collègues. Apprenant l’insuffisance rénale de la victime, ils forgent alors un mensonge monstrueux : Malik Oussekine a été victime de sa maladie, non des coups portés par les voltigeurs. L’argument avancé, qui n’est qu’un gros bobard, fait pschittt...


Dans leurs compositions, les musiciens insistent au contraire sur les responsabilités de la police dans la mort de Malik Oussekine. … Un exemple avec la chanson "En pensant" du Bérurier noir. «N’oubliant pas Malik Oussekine / À Paris la police a ses crimes / En tirant sur la foule qui s’écroule / Mains levées, c’est l’armée, ils sont lâches / En frappant violemment l’étudiant / Les polices d’occident sont malades »

Les caméras de télévisions ont filmé le massage cardiaque de la victime en direct, donnant un écho médiatique considérable au drame. Sous la pression d’une opinion publique profondément choquée, Jacques Chirac est contraint de retirer le projet de loi Devaquet et de dissoudre le peloton des voltigeurs. En pleine cohabitation, l’événement devient politique. A l’assemblée nationale, Pierre Mauroy dénonce le racisme, tandis que le président Mitterrand se rend au domicile de la famille Oussekine.


Dans son tire "Paslimpseste" (2016), Dooz Kawa prévient « Dites aux barbouzes aux voltigeurs que les mensonges n’ont qu’un temps. J'entends jurer la République / Sur la tombe de Malik Oussekine / Dites aux barbouzes aux voltigeurs / Que les mensonges n'ont qu'un temps / Et qu'ils auront beau couper les fleurs / ça n'empêche pas le printemps. » De fait, le procès des policiers s’ouvre en mai 1990. A l’issue des débats, le brigadier-chef Schmitt et le gardien de la paix Garcia sont condamnés à des peines de cinq et deux ans de prison avec sursis par la cour d’assises de Paris, « pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Pour la justice, Oussekine est bien mort sous les coups des policiers, mais le verdict, particulièrement clément, heurte une partie de l’opinion. Le groupe La Rumeur s’en fait l’écho dans le morceau « On m’a demandé d’oublier » (1998) « On m'a demandé d'oublier les fracas de ces voltigeurs et ces balles policières en plein cœur / Puis l’sursis accordé à la volaille criminelle en habit / Ailleurs, mes frères écopent de peines alourdies, eh oui ! » Le groupe insiste sur la dimension raciste de ce crime, tout comme Akli D dans son titre Malik

 

Dans les années qui suivirent le drame, le fantôme de Malik Oussekine vient hanter politiques et forces de l’ordre à chaque nouveau mouvement social. Cette mort a conduit la police française à modifier sa doctrine du maintien de l’ordre. Il s’agit dès lors de faire preuve de retenue, de montrer sa force pour ne pas s’en servir, surtout de ne pas tuer. A leur façon, les chansons ont contribué à entretenir la mémoire. En 1988, avec la chanson  « Petite », Renaud rend hommage non seulement à Malik, mais aussi à Abdel Benyahia, assassiné par un policier le même jour qu’Oussekine et à William Normand, tué d’une balle dans le dos lors d’une opération de police, le 31 juillet 1986. 

LPLT, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Or, avec le temps qui passe, il y a un risque d’oublier le drame et les circonstances qui le rendirent possible. En 2006, une plaque est installée devant l’entrée du 20 rue Monsieur le Prince. On peut y lire : « « À la mémoire de Malik Oussekine / étudiant / âgé de 22 ans / frappé à mort / lors de la manifestation / du 6 décembre 1986 ». Nulle trace de l’implication policière, ce qui semble donner raison au groupe Assassin, qui chantait en 1995:  «Pas un mot sur les crimes quand l’État assassine / On t'opprime, si ça ne va pas ont te supprime / Po po po voilà comment la police s'exprime / Personne d'entre nous ne veut finir comme Malik Oussekine / / Bing, bang, la police est comme un gang ».

La multiplication de victimes récentes d’interventions policières mal maîtrisées (Rémi Fraisse, Adama Traoré, Zineb Rédouane, Steve Caniço, Cédric Chouviat, etc) devrait pourtant inciter le ministère de l’intérieur à réagir. Autant de morts qui replacent au centre des préoccupations la question des rapports entre les citoyens et leurs forces de l’ordre. Mais place Beauvau, on pense différemment. Ainsi, en pleine crise des gilets jaunes, le préfet de police de Paris, décide de créer la BRAV-M, une brigade de policiers à moto qui patrouille et va au contact des manifestants. Toute ressemblance avec la brigade des voltigeurs n’est bien sûr absolument pas fortuite...

Heureusement, en 2022, plus de trente-cinq ans après les faits, la mémoire de Malik Oussekine est célébrée par un film de Rachid Bouchareb : Nos frangins (qui sort en salle en décembre 2022) et par la mini-série Oussekine, diffusée sur Disney +. D’une rare justesse, la série d’Antoine Chevrollier redonne une identité, une épaisseur à Malik et sa famille, eux qui ont longtemps été uniquement réduits au seul statut de victimes. 

Sources:

A. Marjolaine Jarry:"Affaire Oussekine, trente-cinq ans après: Malik est encore si vivant", Télérama, publié le 15/5/2022.

B. "L'affaire Malik Oussekine en BD, série et film: la fiction au service du devoir de mémoire" [Affinités culturelles sur France Inter]

C. "Malik Oussekine, fauché dans la nuit", Affaires sensibles du 15 janvier 2020 sur France Inter.

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