En 2020, Suzane enregistre SLT, pour "salut" en langage sms. Sur un fond sonore mélangeant rap et électro, elle décrit différentes formes de harcèlement dont sont victimes les femmes. Sous la vidéo du clip, la chanteuse revient sur la signification du morceau: «SLT, (…) c’est l’histoire de la fille qui reçoit constamment des "salut la miss tu baises" parce qu’elle a posté une photo d’elle sur Insta. C’est l’histoire de la fille qui ne porte plus de jupes "trop courtes" parce qu’elle a peur de se faire siffler par un inconnu dans la rue. C’est l’histoire de la fille qui ne donne plus son opinion trop fort parce qu’elle en a marre qu’on lui réponde "t’es énervée, t’as tes règles aujourd’hui?". C’est l’histoire de la fille qui marche plus vite et qui se tait parce qu’elle a peur. ‘SLT’ c’est le quotidien de millions de femmes”.
Dans la première strophe, une femme marche dans la rue et se fait “accoster” par un homme, qui finit par l’insulter… Dans la seconde, un patron exige - par la menace et l'insulte - un rapport sexuel d'une employée. Enfin, la dernière strophe met en scène une femme victime de cyberharcèlement. Les trois couplets proposent un florilège, loin d'être exhaustif malheureusement, des différentes formes de violences faites aux femmes. A chaque fois, la chanteuse adopte le point de vue du harceleur (dans la rue, au travail, sur internet). Les menaces succèdent aux flatteries. Systématiquement, l'agresseur inverse les rôles. Si il se montre de plus en plus insistant, c'est soit disant à cause de la tenue ou de l'attitude de son interlocutrice, réduite à un objet de satisfaction sexuelle. Quand il constate que ses assauts échouent, l'homme devient menaçant, insultant, hostile.
EddyLlrg, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons |
Reprise dans les médias français, l'expression "harcèlement de rue", traduction de l'anglais street harassment, devient rapidement incontournable et le sujet sort des sphères féministes pour s'imposer dans le débat public. (1) Plusieurs initiatives ont permis de faire connaître l'ampleur du phénomène pour mieux le dénoncer et le combattre. Nous les détaillons dans la note 2.
En
juillet 2018, Marie Laguerre, une étudiante en architecture est prise à
parti par un type assis à la terrasse d'un café. Elle lâche un "ta gueule".
L'homme attrape un cendrier et le jette sur la jeune femme, puis se
lève, l'insulte et la gifle avec une très grande violence. L'agresseur
s'en va, tout comme sa victime. En quelques instants, on est passé du
harcèlement à une agression caractérisée. Décidée à ce que les choses
n'en restent pas là, la jeune femme parvient à récupérer les images de
surveillance du café, puis à porter plainte. C'est cette affaire qui, plus que tout autre, contribue à médiatiser le phénomène en France.
Giuseppe Bartolomeo Chiari, Public domain, via Wikimedia Commons |
> Ce harcèlement provoque pour les femmes un sentiment d'insécurité. Il a ceci d'insupportable qu'il oblige parfois à rester sur le qui-vive, à éviter certains secteurs à ne pas sortir seule tard le soir, à modifier sa façon de s'habiller. "Tout cela a pour conséquence une occupation genrée de l'espace public: les hommes investissent la rue et se comportent comme si elle leur appartenait, tandis que les femmes, conscientes d'être des proies potentielles, ne font que passer." (source A) Pour que ces violences cessent, plusieurs municipalités mettent en place des amendes pour les coupables pris en flagrant délit. Par ailleurs, depuis août 2018, la loi française sanctionne les «outrages sexistes », lorsqu'ils sont «dégradants, humiliants, intimidants, hostiles ou offensants». Les amendes peuvent aller de 90 à 1500 euros en cas de circonstance aggravante, notamment lorsque la victime a moins de 15 ans.
Notes:
1. Le terme est loin d'être parfait. En effet les harceleurs agissent non seulement dans la rue, mais dans tous les autres espaces publics, en particulier les bars, les transports en commun... L'expression désigne un lieu et non l'auteur du harcèlement. "Enfin, le harcèlement (moral, sexuel) désigne habituellement une action répétée par la même personne. Or, ici, la sensation de harcèlement éprouvée par la victime vient de la multiplicité des harceleurs. (...) Malgré ses défauts, ce terme a le mérite de mettre un mot sur le phénomène, et de désigner comme un problème ce qui était autrefois subi comme une sorte de fatalité. Oui, des hommes se permettent d'interpeller des femmes dans les lieux publics, sans tenir compte de leur refus, les hèlent, commentent leur corps. Non, il ne s'agit pas de drague: à partir du moment où on ne respecte pas les signaux négatifs envoyés en retour, on n'est pas un dragueur «lourd», on est un harceleur." (source A, p103)
2. Le Projet Crocodiles propose des "Histoires de harcèlement et de sexisme ordinaires mises en BD". Sur Youtube, en 2010 le court-métrage Majorité opprimée d'Eléonore Pourriat remporte un franc succès. La réalisatrice y inverses les rôles entre femmes et hommes. En 2012, Anaïs Bourdet, une graphiste marseillaise, recueille la parole de milliers de femmes sur le tumblr "Paye ta schnek". Cette même année, une chaîne flamande diffuse Femme de la rue, un documentaire de la réalisatrice Sofie Peeters. La jeune femme s'y filme en caméra cachée, déambulant dans les rues de Bruxelles. Sur son passage, les hommes multiplient les réflexions sur son physique. Les propositions salaces et les insultes fusent. Certains la sifflent, d'autres simulent des orgasmes... La vidéo bénéficie d'un large relais sur internet qui incite de nombreuses femmes à raconter via les réseaux sociaux leurs expériences personnelles. (3) En 2013, l'émission Envoyé spécial diffuse un reportage reprenant le même dispositif que Sofie Peeters, transposé cette fois ci en Ile-de-France. En 2014, le collectif new-yorkais Hollaback! met en ligne 10 Hours of Walking in NYC as a woman , une vidéo tournée en caméra cachée dont le cumul des vues atteindra les 50 millions. Le collectif Stop au harcèlement de rue , lancé en France en 2014, organise des happenings pendant lesquels sont mis en place des "zones sans relous" pour sensibiliser les passant.e.s. Un rapport de 2015 du Haut Comité à l'égalité entre les femmes et les hommes montre que 100% des femmes interrogées ont été harcelées dans les transports en commun. Face à l'ampleur du phénomène, la Mairie de Paris imagine une campagne de sensibilisation avec le slogan «Ma jupe n'est pas une invitation». (sources D) En 2016, le "harcèlement de rue" entre dans le Petit Robert.
3. Certains hommes, au contraire s'interrogent: ne s'agit pas que de "drague un peu lourde"? Les féministes ne voient-elles pas le mal partout? pour décrédibiliser le reportage, d'aucuns reprochent au documentaire un biais raciste. Sofie Peeters a tourné Femme de la rue dans le quartier pauvre d'Anneessens, où les populations issues de l'immigration maghrébine sont nombreuses. Certains hommes se saisissent de ce choix pour mieux développer un argumentaire raciste expliquant que les comportements sexistes auraient une origine culturelle. Or, le harcèlement dans l'espace public concerne toutes les populations et toutes les classes sociales comme en attestent de nombreux exemples. En 2012, par exemple, Cécile Duflot, alors ministre du logement, essuie des sifflements dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, parce qu'elle avait eu le malheur de porter une robe. En 2021, le député de Vendée Pierre Henriet traite une élue de l'opposition de "poissonnière" dans l'hémicycle.
4. Les harceleurs agissent parfois en meute. Ainsi, les Incel, "célibataires involontaires" en français, se définissent comme victimes des femmes, qui refusent d'entamer une relation amoureuse ou sexuelle avec eux.
Sources:
A. Marie Kirschen et Anné Wanda Gogusey: "Herstory. Histoire(s) des féminismes", La ville brûle, 2021.
B. Ivan Jablonka:"Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités.", Seuil, 2019.
C. "L'affaire Marie Laguerre, le harcèlement de rue à la une" [Affaires sensibles du 6 décembre 2019 sur France Inter]
D. Bibia Pavard, Florence Rochefort, Michelle Zancarini-Fournel:"Ne nous libérez pas, on s'en charge", Éditions La Découverte, 2020.
E. "Marie Laguerre, l'histoire d'une indignation féministe 2.0" [L'effet domino du 27 septembre 2019 sur France Inter]
F. "Harcèlement de rue" [Wikipédia]
Liens:
- Les Décodeurs: "Est-ce de la drague, du harcèlement ou une agression sexuelle? Un quiz pour faire la différence."
- "projet crocodile / harcèlement de rue" [pointculture.be]
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