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mardi 2 juin 2009

164. Dick Annegarn: "Patera".

 Le corps d’un immigré clandestin flottant près de la côte d’Antigua à Fuerteventura, une des îles des Canaries.

Les écarts de développement entre les pays de l'espace méditerranéen entraînent des flux migratoires importants. Les pays de départ sont situés principalement au Sud et à l'Est tandis que les pays d'accueil sont situés essentiellement au Nord.

Les flux clandestins explosent depuis 1990, en raison du durcissement des politiques migratoires de l’Union européenne. L’immigration légale devient de plus en plus difficile; aussi certains n'hésitent pas à tenter le tout pour le tout pour intégrer un Etat membre de l'espace Schengen.

Les clandestins traversent au niveau des détroits (de Gibraltar, des Dardanelles). Ils sont pris en charge par des filières de passeurs, elles aussi clandestines, dans des conditions particulièrement dangereuses.


José Bejarano revient sur ces traversées à haut risque dans un article repris par Courrier International:
"Dans le détroit de Gibraltar et alentour, les passeurs changent continuellement de tactique et d'itinéraires pour échapper à la Guardia civil espagnole. Quant au Maroc, il tarde à agir. Difficile de trouver espace maritime plus surveillé que les 14 kilomètres qui séparent l'Espagne du Maroc et qui constituent le détroit de Gibraltar... De nombreux radars fixes et mobiles ainsi qu'une douzaine de patrouilleurs de la Guardia civil, des douanes, des services de sauvetage en mer et de la marine y inspectent tout ce qui flotte dans cette portion de mer. A terre, des centaines d'agents de la Guardia civil parcourent jour et nuit les zones boisées entre Algésiras et Barbate… Les pateras mettent le cap sur l'ouest et sur l'est pour éviter les obstacles, au prix d'un plus grand péril : la traversée prend alors entre 15 et 20 heures si les conditions météorologiques sont bonnes, et entre 20 et 25 heures par mauvais temps…. Les voyages en patera sont organisés dans leur immense majorité par des petits groupes qui agissent de manière irrégulière et sans structure stable. Parler de "mafias" dans le cas des pateras est exagéré, car en réalité ce sont "des associations temporaires de deux ou trois voyous de troisième ordre".
(Source : José Bejarano, Courrier International 11/12/2003, Numéro 684).


Les naufrages d'embarcations (les rudimentaires cayucos, pateras, mais aussi, de plus en plus, des embarcations rapides, plus grandes) au large des côtes espagnoles, italiennes notamment, déversant des populations, souvent originaires d'Afrique subsaharienne, font régulièrement la une des médias.

Sur un tel sujet, autant éviter de verser dans le sensationnalisme. Rappelons d'abord, comme l'ont prouvé de récentes estimations d'Eurostat (Office statistique de l'Union européenne) ,que la part de l'immigration clandestine maritime, très médiatisée reste, heureusement assez limitée. D'autre part, la majorité des immigrants clandestins en Europe sont arrivés par d'autres voies et d'autres modes de transport, aériens, terrestres ou mixtes.
Source: Courrier international, N° 684, 11 au 17 décembre 2003, page 51.

La chanson de Dick Annegarn nous invite à nous intéresser particulièrement à l'immigration clandestine via l'Espagne. La grande proximité géographique avec l'Afrique, son entrée dans la CEE en 1986, puis son adhésion à la convention de Schengen font de l'Espagne une porte d'entrée vers les autres pays européens. Son rattrapage économique, dès les années 1980, rend d'ailleurs le pays très attractif (en tout cas jusqu'à ces derniers mois). De fait, de nombreux migrants (clandestins ou légaux) y travaillent dans l'agriculture, le BTP ou encore le tourisme.

Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que l'Espagne ait été le premier Etat européen confronté au problème des pateras. En 1989, une première patera s'échouait à Cadix. Et, depuis lors, l'Espagne reste confrontée au phénomène. Les autorités du pays tentent de l'aborder de différentes manières;
- surveillance accrue des espaces littoraux par la Guardia Civil;
- régularisation de quelque 600 000 clandestins, en 2005 (entre 1990 et 2004 l’Espagne en avait déjà régularisé environ 580 000);
- élaboration de politiques coordonnées avec les pays d'origine des migrants afin d'assurer un meilleur contrôle des flux migratoires. Des accords bilatéraux ont ainsi été signés avec le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc (aide technique, multiplication de patrouilles mixtes, sous-traitance migratoire et accords de réadmission);
- mise en place d'un "Système intégré de surveillance extérieure" (SIVE) en 2002. Le détroit de Gibraltar, mais aussi la zone des Canaries font ainsi l'objet d'une surveillance accrue avec l'installation de stations de radars fixes et mobiles, de caméras de vision nocturne.

"Des morts par milliers aux portes de l'Europe" (cliquez sur la carte pour aller sur le site du monde diplomatique et voir la carte en grand).

L'efficacité accrue de ces dispositifs de dissuasion obligent les immigrants et les passeurs à emprunter de nouvelles routes:
- la voie continentale via la Turquie,
- la voie maritime à partir de la Libye et du golfe de Syrte, en direction des îles et des littoraux italiens (Lampedusa) et grecs, ou encore de Malte;
- les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla prises d'assaut par des clandestins désespérés qui se jettent sur les grillages entourant Ceuta et Melilla (notamment à l'automne 2005).
- depuis 2006, des flux continus de migrants tentent de rallier les îles Canaries par tous les moyens.




L'article ci-dessous revient sur l'extrême dangerosité de ces traversées et fait écho au chant poignant d'Annegarn. En tout cas, la solution à ce problème majeur, auxquels sont confrontés les pays méditerranéens, sur les deux rives, ne saurait se réduire à une politique purement répressive et technique. L'ingéniosité des passeurs, et leur faculté à trouver des ripostes aux dispositifs européens mis en place, le prouve assez...

Plantu, Le Monde du 21 juin 2003.

"Les Détroits de Gibraltar, de Sicile rapprochent les deux rives de quelques dizaines de kilomètres et nous rappellent qu’il existe peu de frontières au monde qui délimitent deux mondes aussi distincts (…).

Les personnes qui voyagent avec l’aide des réseaux criminels afin d’atteindre « l’eldorado européen » mettent souvent leur vie en jeu. Durant ces périlleuses traversées, certains se noient lors du naufrage de leur embarcation que l’on nomme au Maroc « barques de la honte » ou en Espagne les « pateras de la muerte » ou parce qu’ils ont été jetés par-dessus bord ; d’autres succombent après l’étouffement dans des containers ou des remorques de camions. Depuis 1996, le nombre de personnes décédées aux frontières de l’Europe est passé à plusieurs centaines par an. De 1993 à 2001, ce triste bilan peut être évalué à plus de 2300 morts, une estimation qui est malheureusement en – dessous de la réalité. Car dans ce sombre calcul, ont principalement été pris en compte les corps des personnes découvertes sur les plages et les estimations issues des récits des rescapés des naufrages. Le détroit est un gouffre qui engloutit ces audacieux aux rêves fracassés dont beaucoup ne savent pas nager. On a retrouvé certains cadavres les mains crispées sur leurs diplômes (…). Les dix dernières années semblent indiquer qu’il continuera toujours à y avoir des migrants en quête d’une vie meilleure tant que perdureront un fort déséquilibre économique entre les deux rives et une instabilité politique dans certains pays du Sud.
"
Olivier Clochard in Cahiers d’Outre – Mer n°222, avril – juin 2003



 Dick Annegarn livre ici une chanson puissante qui dépeint à merveille le désespoir d'hommes prêts à tout pour échapper à la misère.



 Immigrants clandestins sur une patera.


"Patera" Dick Annegarn (2002).

patera ça sent fort le bois qui craque.
patera du bois blanc avec une flaque
Gibraltar est une pute sacrée
faut payer le passeur en pesetas
passé l’heure, c’est trop tard

les gens s’entassent
l’aventure commence à Fuerteventura



Carralejo
la patera passe
Carralejo
la patera passe


compagnon de menue embarcation

Croc-Magnon au milieu de l'océan

sommes-nous faits pour que nos voix s'entendent?
à bâbord y a de l'eau jusqu'Agadir
à tribord y a du gras jusqu'Arrecife au milieu une barque dérive


Carralejo la patera passe
Carralejo
la patera passe


près de l'eau vit un homme dans une baraque fabriqué de bois blanc comme sa barque demander le passage est un acte de foi
avant lui les passeurs ont passé l'arme

arrêtés par les flots ou les gendarmes

le vent souffle fort sur les cendres


Carralejo la patera passe
Carralejo la patera passe


Liens:
- Un article très complet sur Géo confluences.
- "La Méditerranée, dernier rempart contre l'immigration clandestine".
- De nombreux articles sur ce phénomène (compilés sur ce lien).

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