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dimanche 19 janvier 2014

280. Michel Sardou : Etre une femme. (1981)

Dans un voyage en absurdie
Que je fais lorsque je m'ennuie,
J'ai imaginé sans complexe
Qu'un matin je changeais de sexe,
Que je vivais l'étrange drame
D'être une femme.

Femme des années 80,
Mais femme jusqu'au bout des seins,
Ayant réussi l'amalgame
De l'autorité et du charme.

Femme des années 80,
Moins Colombine qu'Arlequin,
Sachant pianoter sur la gamme
Qui va du grand sourire aux larmes.

Être un P.D.G. en bas noirs,
Sexy comm'autrefois les stars,
Être un général d'infanterie
Rouler des patins aux conscrits.

Enceinte jusqu'au fond des yeux,
Qu'on a envie d'app'ler monsieur,
Être un flic ou pompier d'service
Et donner le sein à mon fils.

Femme , être une femme

Femme cinéaste, écrivain,
A la fois poète et mannequin,
Femme panthère sous sa pelisse
Et femme banquière planquée en Suisse.

Femme dévoreuse de minets,
Femme directeur de cabinet,
A la fois sensuelle et pudique
Et femme chirurgien-esthétique.

Une maîtresse Messaline
Et contremaîtresse à l'usine,
Faire le matin les abattoirs
Et dans la soirée le trottoir.

Femme et gardien de la paix,
Chauffeur de car, agent-secret,
Femme général d'aviation,
Rouler des gamelles aux plantons.

Femme, être une femme

Être un major de promotion,
Parler six langues, ceinture marron,
Championne du monde des culturistes,
Aimer Sissi impératrice.
Enceinte jusqu'au fond des yeux,
Qu'on a envie d'app'ler monsieur,
En robe du soir, à talons plats,
Qu'on voudrait bien app'ler papa.

Femme pilote de long-courriers
Mais femme à la tour contrôlée,
Galonnée jusqu'au porte-jarretelles
Et au steward rouler des pelles.

Maîtriser à fond le système,
Accéder au pouvoir suprême :
S'installer à la Présidence
Et de là faire bander la France.

Femme, être une femme

Femme et gardienne de prison,
Chanteuse d'orchestre et franc-maçon,
Une strip-teaseuse à corps perdu,
Emmerdeuse comme on en fait plus.

Femme conducteur d'autobus,
Porte des halles, vendeuse aux puces,
Qu'on a envie d'appeler Georges
Mais qu'on aime bien sans soutien-gorge.

Femme, être une femme X2

Femme des années 80,
Mais femme jusqu'au bout des seins,
Ayant réussi l'amalgame
De l'autorité et du charme.

Femme des années 80,
Moins Colombine qu'Arlequin,
Sachant pianoter sur la gamme
Qui va du grand sourire aux larmes.

Femme, être une femme

Être un P.D.G. en bas noirs,
Sexy comm'autrefois les stars,
Être un général d'infanterie,
Rouler des patins aux conscrits.

Femme cinéaste, écrivain,
A la fois poète et mannequin,
Femme panthère sous sa pelisse
Et femme banquière planquée en Suisse.

Femme dévoreuse de minets,
Femme directeur de cabinet,
A la fois sensuelle et pudique
Et femme chirurgien-esthétique.
Être un major de promotion,
Parler six langues, ceinture marron,
Championne du monde des culturistes,
Aimer Sissi impératrice.

Femme et gardien de la paix,
Chauffeur de car, agent-secret,
Femme général d'aviation,
Rouler des gamelles aux plantons.

Femme pilote de long-courriers
Mais femme à la tour contrôlée,
Galonnée jusqu'au porte-jarretelles
Et au steward rouler des pelles.

Maîtriser à fond le système,
Accéder au pouvoir suprême :
S'installer à la Présidence
Et de là faire bander la France.

Femme des années 80,
Moins Colombine qu'Arlequin,
Sachant pianoter sur la gamme
Qui va du grand sourire aux larmes.





Etre une femme  appartient indéniablement à la catégorie des chansons que l’on classe dans les « succès populaires ». Ecrite à 4 mains par le duo Delanoé-Sardou, le titre est devenu un classique de la variété française. Daté de 1981 il rend compte des bouleversements attendus ou supposés de la décennie[1] qui commence. Il a été réactualisé en 2010 suivant ce procédé commercial juteux qui consiste à faire du neuf avec du vieux dont l’industrie du disque est si friande. On chantonne volontiers Etre une femme par bouts, tant le morceau transcende les générations auxquelles il propose ce voyage en absurdie qui leur permet de toucher du doigt cet étrange drame d’être une femme.

Il n’est pas superflu de rappeler que ce titre fut gravé sur un microsillon de 33 cm de diamètre[2] intitulé Les Lacs du Connemara disponible à la vente en septembre 1981. Là encore, c’est un énorme succès populaire. Les deux titres utilisent une même recette qui relève de la martingale : aligner des stéréotypes éculés (l’irlandais(e) se prénomme Maureen ou Sean et boit comme un trou, une femme s’identifie à son porte-jarretelles et à ses bas noirs), en les mettant « en valeur » avec des rimes riches (minet/cabinet, porte-jaretelles/rouler des pelles, Flaherty/ring of Kerry).












Mais revenons-en à notre objet d’étude qui trace un portrait assez ambigu de ce qu'est être une femme à l’aube des années 80. Il s'agit là presque d'une étude de genre à la façon dont la définit J. Butler [3]. C’est aussi un regard sur une époque confuse qui, après les luttes féministes des années 70, aurait pu ouvrir le champ des possibles pour le 2ème sexe[4], mais qui  fut un assez  décevant entre-deux. En dépit du tableau qu’en donne la chanson, quelques arbres cachent mal la forêt et la condition féminine reste globalement marquée par la permanence des stéréotypes.  La marche vers l’égalité marquerait-elle le pas ?  Epoque complexe et contradictoire que celle des années 80 …


Femmes jusqu’au bout des seins : bousculer l’ordre masculin ?

Quand on écoute Etre une femme, on est tenté de croire que les années 80 ont vraiment été celles de la conquête des territoires professionnels traditionnellement masculins par les femmes. En égrainant comme les perles d’un chapelet les professions citées, on serait tentés de croire que tous les  « métiers d’hommes » auraient enfin accueilli des femmes dans leurs rangs. Celles-ci auraient donc enfin la possibilité de récolter les fruits mûrs des luttes issues de la décennie précédente. Intellectuelles, artistes, scientifiques, techniciennes, métier de la force publique ou de la force physique, les femmes des années 80 (qui le sont jusqu’au bout seins)  auraient abattu les derniers murs et traversé  le Rubicon.

Il est vrai qu’à l’aube de la décennie, Marguerite Yourcenar rejoint les bancs de l’académie française. L’auteure des Mémoires d’Hadrien  et de L’oeuvre au noir est la première femme  à porter l’épée d’académicienne. Elue au fauteuil de R. Caillois, elle est toutefois accueillie dans le Saint des Saints par Jean d’Ormesson à l’issue d’une élection disputée.
Un an plus tard c’est la haute fonction publique qui ouvre ses portes aux femmes. En effet, en juillet 1981, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gaston Deferre, procède à la nomination de la première femme préfète en la personne d’Yvette Chassagne. Cette dernière, auréolée de son passé de résistante à Bordeaux (ce qui lui vaudra ultérieurement de témoigner lors du procès Papon),  avait déjà été, au sortir de la guerre, une des trois premières femmes à intégrer l’ENA.


Il y a donc matière à penser que les choses bougent par l’intermédiaire de ces percées symboliques.  Or, la vie politique du début des années 80 est marquée par l’alternance. Quand François Mitterrand est élu le 10 mai 1981, c’est la 1ère fois qu’un socialiste accède à la magistrature suprême. On peut alors légitimement s’attendre à quelques changements dans la représentation politique nationale, même si l’état de grâce est bref.

Le gouvernement dont il entérine la nomination sur proposition de P. Mauroy comporte 6 femmes. Parmi elles, on remarque particulièrement Yvette Roudy, Ministre déléguée aux Droits de la femme car le portefeuille est inédit. Une seule femme accède à un poste ministériel d’ordinaire réservé aux hommes : Edith Cresson est ministre de l’agriculture (elle deviendra ensuite la première femme 1er ministre en 1991). Nicole Questiaux est, elle, ministre de la Solidarité Nationale. Parmi les autres femmes qui intègrent le gouvernement, on note que les frontières traditionnelles restent en place : les promues conservent des missions proches de celles qui relèvent de la vision sociale habituelle des femmes et restent cantonnées aux secrétariat d’état (Georgina Dufoix, Edwige Avice ou Catherine Lalumière complètent les nominations). Toutes ces dames seront reconduites à des postes sensiblement identiques jusqu’à la première cohabitation. Il n'y a pas là vraiment matière à faire bander la France.

Journée de la femme 1983, F. Mitterrand déjeune avec
Simone de Beauvoir (à sa droite)  et Yvette Roudy (à sa gauche)
(photo gamma)
En effet, il est des bastions qui dont la conquête s'avère laborieuse. Si le Ministère des Droits de la femme est une première, la place des femmes à l’Assemblée Nationale issue des élections législatives qui suivent la présidentielle reste tout à fait marginale. En 1981, il y a moins de femmes députées (5,3%) qu’en 1946 (6,8%) dans l’hémicycle.  C’est ce constat d’échec qui conduit le gouvernement à élaborer une proposition de loi imposant aux villes d’au moins 3500 habitants un quota de 75% maximum de candidats du même sexe. Votée en 1982, la loi est retoquée par le Conseil Constitutionnel qui la juge incompatible avec le principe d’égalité devant le suffrage. Puis, le retour de la droite au pouvoir lors de la 1ère cohabitation en 1986 sonne la fin de cette modeste ouverture ; le Ministère des droits de la femme disparaît remplacé par les plus traditionnelles problématiques familiales. Sous le 2ème septennat de François Mitterrand qui débute en 1988, Lionel Jospin amorce par l’intermédiaire de circulaires la féminisation des noms de métiers, grades et titres. Mesure symbolique qui a néanmoins permis de conjuguer davantage la politique au féminin sans remettre drastiquement en cause les équilibres de la représentation nationale qui reste une chasse gardée masculine.


Vivre l’étrange drame d’être une femme.

La chanson de Sardou est très typique de l’esprit des années 80 qui vouent un culte à la réussite professionnelle. Ni apparaissent ni le mot droit ni le mot crise et pourtant c’est bien dans ces deux domaines que la condition féminine devient un étrange et surtout terrible drame.

26 août 1970, "il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme"
Le MLF entre en scène.

Est-il nécessaire de rappeler que la décennie 70 fut marquée par les luttes féministes  porteuses d’avancées dans le domaine du droit à disposer de son corps ? Au cœur de celles-ci, le MLF mais aussi d’autres associations telles le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), ou encore Choisir (fondé par l’avocate G. Halimi qui milite ici pour l’abrogation de la loi de 1920 qui criminalise l’avortement), qui investissent l’espace public pour y plaider la cause des femmes. Ainsi, le MLF fleurit le 26 août 1970 la tombe imaginaire de la femme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe propulsant sous les projecteurs ces oubliées de l’histoire (voir photo ci-dessus).
On se souvient également du manifeste des femmes qui avouent avoir recouru à l’avortement de façon illégale en avril 71 relayé par Le Nouvel Observateur.  Le procès de Bobigny qui se déroule en novembre de l’année suivante statue lui sur le cas d’une jeune fille violée, aidée par sa mère pour avorter de l’enfant issu de ce rapport sexuel forcé et violent. C’est une nouvelle fois l’occasion de placer dans le débat public la question de l’avortement ou du droit pour les femmes à choisir le moment de l’enfantement. Nul doute que les mobilisations féministes, la médiatisation de la question et la nomination de Simone Veil en 1974 au poste de ministre de la santé sont autant de motifs convergents qui aboutissent au vote de la  loi autorisant l’IVG sur simple demande auprès d’un médecin dans un délai de 10 semaines de grossesse en janvier 1975.[5] A cela il faut notamment ajouter que depuis 1970, les femmes partagent l’autorité parentale avec les hommes.

Simone Veil en 1974 devant l'hémicycle pour présenter son
projet de loi légalisant l'avortement.

Les années 80, laissent place à un féminisme institutionnel quelque peu balbutiant qui s’accompagne de percées symboliques dans les hautes sphères et de l’instauration de la journée du 8 mars dédiée aux femmes à partir de 1982. Certes, le remboursement de l’IVG est acté à partir de 1983 et ce n’est pas négligeable, mais la crise économique vient douloureusement rappeler le long chemin qu’il reste à faire en matière d’égalité professionnelle.

Quelque part Sardou a raison car les femmes sont bien parties avant les années 80 à la conquête du marché de l’emploi. Leur taux d’activité[6] est  de 72% au milieu de la décennie. Il dépasse les 80% en 2005. Désormais, les femmes mènent de front activités professionnelles et tâches domestiques, autrement dit, elles peuvent Être un flic ou pompier d'service, et donner le sein à mon fils. Toutefois, le tableau ne saurait se réduire à cette image trompeuse de l’investissement massif du marché de l’emploi par les femmes. En effet dès les années 60, elles occupent avant tout des emplois peu qualifiés : ainsi en 1982, 7 employés sur 10 sont des femmes, alors que pour les cadres et professions supérieures elles ne sont que 2 sur 10. Avec l’entrée dans la phase de croissance économique molle des années 80 et la flexibilité qui est alors introduite sur le marché du travail, les femmes vont constituer avec les travailleurs immigrés, la population la plus affectée par ces nouvelles formes de sous-emploi : temps partiels, mission d’intérim, CDD, postes à horaires atypiques sont davantage féminisés et cela s'intensifie avec le développement du secteur tertiaire.

De même les femmes sont bien plus affectées par le chômage que les hommes ainsi au terme de la décennie 10,1% des femmes contre 6,2% des hommes sont au chômage.[7] Evidemment ces spécificités de l’emploi féminin, peu évoquées dans notre tube de la variété française, pèsent lourdement sur les écarts de salaires entre les deux sexes, à qualifications égales et qui se font systématiquement au détriment du 2ème sexe. On mettra ces malencontreux oublis sur le dos de l’époque qui ne se prêtait pas vraiment aux lamentations, du moins vu de la sphère artistico-médiatique.




On aurait pu t’appeler Georges, mais on te préfère sans soutien-gorge.

La décennie 80 est celle des fils de pub prisme intéressant, qui consacre le triomphe des médias, de l’image, de la communication.   L’image  des femmes n’échappera pas à l’emprise de ce 4ème pouvoir polymorphe.  

Le moins que l’on puisse dire c’est que Sardou, a parfois vu juste, la tendance est à préférer les femmes sans soutien-gorge. En effet, dès 1981, l’agence RSCG tient la France en haleine grâce aux promesses aguicheuses de la jeune Myriam inscrites en 3x4 mètres sur les murs de France : elle certifie qu’elle enlèvera d’abord le haut, et s’engage ensuite très vite à ôter le bas. 

Le triptyque de Myriam pour RSCG
L’épisode donne le ton, tout se vend mieux en exposant le corps des femmes : du fromage (Belle des champs, façon mutine rurale, ou Caprice des dieux façon réchauffement du téléphérique) aux boissons en passant par les bonbons (pacific et les cachous promus par d’étonnantes chorégraphies mammaires) ainsi que les voitures. Dans la publicité, la femme est tour à tour sculpturale (la Grace Jones de J-P Goude et la pêcheuse en maillot de la boisson anisée) ou garce, mais son corps booste les ventes



La télé épuise tout autant le filon de l’érotisation du corps des femmes exposé à des fins commerciales. Comparativement aux années 70, la décennie qui suit emprunte clairement d’autres routes. Souvenez-vous de quelques succès emblématiques des années 80 télévisuelles : les coco girls du subtil Colaro Show, les indispensables déboitements de hanche d’Annie Pujol sommée de tourner pour nous la roue de la Fortune, les créatures de la TV Berlusconi, la Cinq (chaine privée française créée en février 86 moins de deux ans après la chaine privée cryptée Canal Plus) emmenées entre deux séries américaines par Amanda Lear. On peut ajouter à ce tableau le porno du samedi sur Canal Plus, les Sexy Folies de France Roche ou les soirées érotiques de M6. Ainsi, la femme et son corps envahissent l’espace médiatique qui exploite ce filon sous un autre angle consacré au culte du corps et de la réussite : ce sont les deux reines de l’aérobic, Véronique et Davina, qui invitent madame, bien davantage que monsieur,  à transpirer en musique pour un « Gym Tonic » dominical. Quand elles invitent B. Tapie, on touche au sublime : le portrait des vainqueurs de la décennie qui ont réussi leur vie se déploie c’est d’ailleurs ce que chantera ce même B. Tapie, l'homme qui marche à la Wonder en 1985.  













Mal foutues, adeptes du sport en canapé, chômeuses, précaires, vous êtes priées de rester au vestiaire, la télé des années 80 vous certifie que cette décennie n’est pas la vôtre mais bien davantage celle des Femme panthère sous sa pelisse Et femme banquière planquée en Suisse que Michel Sardou met en avant dans être une femme. Le titre est finalement un bon résumé de la disjonction qui s’opère à l’époque entre le monde du spectacle qui ouvre déjà dangereusement  ses portes à la politique et le quotidien des françaises ménagères de moins de 50 ans ici réduites au statut de consommatrice ou de produit de consommation.


Les années 80 sont des années sandwiches, si l'on veut reprendre le joli titre du livre de Serge Lentz sorti en 1981. Coincées entre les luttes féministes des années 70 et l’ère de la parité qui s'ouvre dans les années 90, elles affichent le vernis et les paillettes de la réussite pour mieux dissimuler le peu de progrès de la marche vers l'égalité pourtant bien amorcée. Elles furent porteuses d'espoir vite déçus, rattrapés par la montée en puissance du libéralisme légitimé par certains "penseurs" recyclés de 1968 et une crise économique de plus en plus installée. Les femmes ne sont pas épargnées par cette tendance générale. On peut nous les vendre, au XXI siècle, nappées de sauce nostalgie,  chorégraphies avec mauvais goût, et équipées en cadeau bonus d'un minitel et d'une veste à épaulettesles années 80 n'en sont pas moins l'ère des désillusions et des inégalités : une sorte de grand cauchemar comme l'a si justement dit F. Cusset.


PS : Kasded pour les deux fans absolus de Sardou, Guillaume et Marie.


Bibliographie indicative :
La France du temps présent 1945-2005, de M. Zancarini-Fournel & C. Delacroix, Histoire de France, Belin.  
La place des femmes dans l'histoire, G. Dermenjian, I.Jami, A. Rouquier & F. Thébaud (coord), Belin 2011.
La décennie, le grand cauchemar des années 80, F. Cusset, La Découverte 2006
Les femmes, 5000 ans pour l'égalité, L'Histoire Spécial, juillet-août 200.

A lire en complément : La vie sans mode d'emploi, D.& A Frappier, Mauconduit 2014.








Notes :

[1] F. Cusset,  La décénnie, La découverte, 2006.
[2] le CD débute sa commercialisation en aout 1982
[3] "Les études de genre ne décrivent pas la réalité de ce que nous vivons, mais les normes hétérosexuelles qui pèsent sur nous. Nous les avons reçues par les médias, par les films ou par nos parents, nous les perpétuons à travers nos fantasmes et nos choix de vie. Elles nous disent ce qu'il faut faire pour être un homme ou une femme. Nous devons sans cesse négocier avec elles. Certains d'entre nous les adorent et les incarnent avec passion. D'autres les rejettent. Certains les détestent mais s'y conforment. D'autres jouent de l'ambivalenceinterview donnée au Nouvel Observateur le 15-12-2013.
[4]Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949/
[5] La loi adoptée après des débats houleux est votée en janvier 75 pour un délai de 5 ans. Elle ne devient définitive que le 31 décembre 1979.
[6] Le taux d'activité est le rapport entre le nombre d'actifs (actifs occupés et chômeurs) et l'ensemble de la population correspondante (définition de l'InSEE)
[7] Source : observatoire des inégalités.

mercredi 1 janvier 2014

Brassens La Guerre de 14-18


Quand Brassens égratigne la Grande Guerre dans une de ses chansons, c’est la France qui s’en émeut. La Guerre de 14-18 est l’une des grandes chansons pacifistes qui fit couler beaucoup d’encre et paradoxalement bien plus que les chants militaires qui donnaient du courage pour partir au combat.
La Guerre de 14-18 est une chanson assez représentative du répertoire de Brassens car il y dénonce  la guerre et les violences faites aux civils comme d’ailleurs dans les Deux Oncles, La Guerre ou la Tondue. Son dégoût de la guerre et de tout ce qu’elle draine s’accompagne d’un pacifisme presque militant et donc du refus de toutes les formes de violence, quitte à s’écarter du statut un peu conformiste  « d’artiste engagé »: Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente nous dit-il. Cette réticence éclaire un des aspects de sa conception anarchiste du monde. Brassens se méfie de l’Armée, des Gouvernements, des Eglises et de tout ce qui peut limiter la liberté individuelle. Les guerres ne sont que la manifestation de la violence légitime des gouvernements animés par le nationalisme.
La Guerre de 14-18 est une chanson pleine d’ironie, à la lecture des paroles on pourrait croire que Brassens fait un classement des grandes guerres qui ponctuent notre glorieuse histoire de France. Mais son discours sans nuance, naïf et va-t-en guerre renforce le caractère ironique des paroles. Comme un enfant, il compare les guerres et en fait un classement qui résonne étrangement à notre époque si friande en classement en tout genre. Ainsi, il évoque successivement les guerres contre Sparte, l’épopée napoléonienne, la guerre de 1870 puis celle de 1940. C’est cette dernière qu’il a vécu de plus ou moins prêt. Trop jeune pour participer à la campagne de France, il est obligé en 1943 de partir en Allemagne pour le STO. De retour de permission en 1944, il déserte et se cache jusqu’à la Libération chez Jeanne Planche dont il rendra souvent hommage à travers ses chansons. A la Libération, il fréquente les milieux anarchistes, il écrit même quelques chroniques dans un journal, le libertaire. Sa carrière de chanteur débute véritablement en 1952 et le succès est alors très rapide.



Les thèmes de prédilection de Brassens ne changent pas avec le succès, il écrit la Guerre de 14-18 à la fin du conflit algérien et son album intitulé Trompette de la renommée sort en décembre 62 quelques mois à peine, après les accords d’Evian. Brassens en fait d’ailleurs allusion dans les vers suivants Guerres saintes, guerres sournoises Qui n’osent pas dire leur nom. En effet, les « événements » d’Algérie ne portaient pas le nom de guerre alors que les soldats du contingent étaient envoyés pour y combattre par tous les moyens le FLN.

L’actualité de la guerre d’Algérie est donc le contexte de la sortie de cette chanson, le sujet est encore brûlant, les patriotes sont atteints par cette ultime défaite qui marque presque la fin de l’histoire coloniale française. La chanson de Brassens se moque donc de ce patriotisme aveugle qui a été la ligne politique des différents gouvernements français dans les nombreuses aventures militaires aux succès mitigés. En 1962, les Poilus de la 1ère GM sont encore très nombreux, les plus jeunes ont un peu plus de soixante ans. La victoire de Verdun enseignée comme une victoire patriotique et héroïque renforce l’unanimité autour de la figure du Poilu qui est alors sans faille. Les historiens n’ont pas encore interrogé toutes les sources de cette guerre totale : rien n’est dit sur les actes d’automutilations, rien sur la censure des courriers, rien sur les actes de fraternisations et si peu sur les mutineries.

Dans ce contexte, il est normal que la chanson de Brassens ne soit pas unanimement bien reçue. La polémique va durer et Brassens quelques années plus tard (en 1978) tiendra plutôt un discours d’apaisement sans vouloir pour autant renier sa chanson. Il explique dans cette courte interview à Elkabbach qu’il ne voulait pas choquer, ni froisser les Poilus qu’il considère plutôt comme des victimes.
Terminons sur les mots de Brassens qui traduit avec son regard débonnaire et avec beaucoup de simplicité pour l’idiot qui n’a pas compris que sa chanson « suggère vive la paix ! »  plutôt que les haines patriotiques ou nationalistes.

L'interview de Brassens en 1978 


Aujourd’hui, alors que l’historiographie de la 1ère GM a beaucoup changé les perspectives et la façon d’enseigner la Grande guerre, il semble que Brassens soit plus écouté. Les écoles, les collèges et autres centres culturels se baptisent davantage du nom de ce petit chanteur moustachu et un peu anarchiste que des grands généraux de la guerre de 14-18 ou d’autres « colons » héroïques.







Depuis que l'homme écrit l'Histoire,
Depuis qu'il bataille à cœur joie
Entre mille et une guerr's notoires,
Si j'étais t'nu de faire un choix,
A l'encontre du vieil Homère,
Je déclarerais tout de suit' :
"Moi, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !"
Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis,
Que je m' souci’ comm' d'un' cerise
De celle de soixante-dix ?
Au contrair', je la révère
Et lui donne un satisfecit,
Mais, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !

Je sais que les guerriers de Sparte
Plantaient pas leurs epé’s dans l'eau,
Que les grognards de Bonaparte
Tiraient pas leur poudre aux moineaux...
Leurs faits d'armes sont légendaires,
Au garde-à-vous, j'les félicit',

Mais, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !
Bien sûr, celle de l'an quarante
Ne m'a pas tout à fait déçu,
Elle fut longue et massacrante
Et je ne crache pas dessus,
Mais à mon sens, ell' ne vaut guère,
Guèr' plus qu'un premier accessit,

Moi, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !
Mon but n'est pas de chercher noise
Aux guerrillas, non, fichtre ! non,
Guerres saintes, guerres sournoises
Qui n'osent pas dire leur nom,
Chacune a quelque chos' pour plaire,
Chacune a son petit mérit',

Mais, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !
Du fond de son sac à malices,
Mars va sans doute, à l'occasion,
En sortir une - un vrai délice ! -
Qui me fera grosse impression...
En attendant, je persévère
A dir' que ma guerr' favorit'
Cell', mon colon, que j'voudrais faire,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !