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mercredi 21 septembre 2022

La Butte rouge de Montéhus, un vibrant plaidoyer contre la guerre.

L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes. Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter ci-dessous:

 

Gaston Brunswick, alias Montéhus, est un chansonnier célèbre lorsqu'elle éclate le premier conflit mondial. Il s'est fait connaître quelques années plus tôt avec des chansons antimilitaristes, dans lesquelles il dénonce également l’exploitation capitaliste. Citons par exemple La grève des mères ou la Guerre sociale. L'entrée dans la grande guerre rebat les cartes. Comme beaucoup d’autres, Montéhus se rallie à l’Union sacrée, qui soude les forces politiques et syndicales autour de l'effort de guerre. Dès lors, le chansonnier compose des chansons cocardières et patriotiques. Cette attitude, lui vaut d’ailleurs la croix de guerre alors même qu’il n’a jamais mis les pieds dans les tranchées  Pour ses anciens admirateurs, le rouge Montéhus fait figure de traitre. En guise de rédemption, il imagine donc, une fois la grande boucherie achevée, la Butte rouge, un vibrant plaidoyer contre la guerre.

Écrite en 1923 par Montéhus, sur une musique de Georges Krier, la chanson évoque les terribles massacres de poilus. Le chansonnier y distille quelques indices géographiques qui laissent présager d'une localisation facile des affrontements mentionnés. Il est question d'une butte, d'âpres combats, d'un ravin, de vignes et de morts. Certains ont pensé trouver cette colline en Champagne, en raison de la vigueur des combats et de la mention de vignes. D'autres préfèrent y voir la butte de Warlencourt, près de Bapaume, dans le Pas-de-Calais, non loin d'Arras. Les derniers la placent en bordure de l'Argonne, près de Sainte-Menehould. Problème, il manque toujours un des éléments pour identifier la butte avec certitude. L'auteur semble privilégier la liberté poétique à la fiabilité géographique. Peu importe que la butte rouge corresponde à un lieu précis, tant qu'elle porte la trace de la grande boucherie.

"La Butt' rouge, c'est son nom, l'baptême s'fit un matin, où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin... (...) Aujourd'hui y'a des vignes, il y pousse du raisin."

Ici, le chansonnier cherche avant tout à dénoncer le caractère profondément inégalitaire de la guerre. Après avoir embouché le clairon des va-t-en-guerre pendant le conflit, Montéhus renoue avec sa fibre socialisante. Sous sa plume, les simples troufions meurent en nombre quand les riches embusqués se pavanent sur un autre butte, bien identifiée celle-là: celle de Montmartre. Montéhus compare l'âpreté des combats avec la frivolité et la douceur de vivre dont jouissent ceux qui se la coulent douce à l'arrière. D’un côté, marlous et muscadins s'enivrent au champagne, de l’autre, ouvriers et paysans se font tuer. Le sang, les larmes de ces malheureux est absorbée par la butte, qui prend la teinte rouge que suggère le titre du morceau. Les soldats issu du peuple sont transformés en chair à canon par "les bandits qui sont cause des guerres", ces embusqués ne risquent jamais rien. D'ailleurs, ils "n'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents !"  

Le refrain décrit la violence de l’assaut, lorsque les poilus sortent de la tranchée, ils sont alors à la merci des mitrailleuses ennemies. Montéhus écrit : " La butte rouge, c'est son nom, l'baptême s'fit un matin – le baptême du feu - Où tous ceux qui grimpaient roulaient dans le ravin." Fauchés par les balles, les soldats tombent dans les zones basses du terrain.

Dans le dernier, Montéhus oppose le bonheur de la paix retrouvée au souvenir des poilus morts au combat. Pour cela, il utilise le champ lexical de la joie ("mots d'amour", "frissons", "folles étreintes", "baisers"), puis celui de la douleur ("plaintes", "crânes brisés"). La fidélité aux camarades tombés au champ d’honneur est essentielle pour Montéhus. La guerre est terminée, certes, sur la butte, désormais «y a des vignes, il y pousse du raisin », mais l’oubli des massacres est impossible. "Qui boira d'ce vin là, boira l'sang des copains." Autrement dit ce serait un sacrilège que de boire de ce vin, une sorte de deuxième mort pour les soldats. Les deux dernières phrases de la chanson témoignent du traumatisme des survivants, de leur volonté de préserver à tout prix le souvenir des copains tombés au front et l’impossibilité de tourner la page. "Aujourd'hui y'a des vignes, il y pousse du raisin. / Mais moi j'y vois des croix portant l'nom des copains". Pour les survivants de la guerre, le deuil semble impossible.

Domaine public via Wikimedia commons.

La force de la chanson tient dans le contraste entre la valse populaire enjouée et la férocité des paroles. La Butte rouge est une sorte de ronde, où la vie et la mort ne cessent de se croiser et s'entremêler.

Dans la mémoire populaire des militants pacifistes, le morceau est longtemps resté indépassable, éclipsant la chanson de Craonne, dont la diffusion large est beaucoup plus récente. A partir des années 1950 Le Déserteur de Boris Vian fait un peu d’ombre à la Butte rouge dans le cœur des militants pacifistes, sans pour autant la faire oublier totalement. Ainsi, elle resurgit de temps à autre dans le répertoire contemporain. Montand et sa voix de velours la popularise, avant que Marc Ogeret, Renaud, façon du titi parigot, ou les Motivés ne la reprennent à leur tour et ne l'adaptent au goût du jour.

Sources:

- «De Warlencourt à la cote 263, à la recherche de la "butte rouge"», Le Monde, 29 juillet 2003.  

- "L'histoire en chansons: la butte rouge."

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