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lundi 26 septembre 2022

Quand Woody Guthrie empêchait la poussière de retomber sur les sinistrés des Grandes Plaines.

Woodrow Wilson Guthrie – qui doit ses prénoms au futur président démocrate, naît le 14 juillet 1912 à Okemah, Oklahoma, dans une famille plutôt aisée.  Très vite, le malheur s’acharne sur les Guthrie. En 1919, Clara, la sœur aînée de Woody, meurt brûlée par l’explosion d’une citerne à carburant. Peu après, sa mère Nora, présente des signes de faiblesse mentale (elle est atteinte d’une maladie nerveuse dégénérescente : la chorée de Huntington), dont elle mourra après de longues années d’internement. Les affaires du père, Charles, agent immobilier, périclitent rapidement. En 1927, la maison familiale est ravagée par le feu, ce qui oblige les Guthrie à se réfugier à Pampa, au Texas (en pleine pampa).  

 

Au cours de ces années de formation, Woody apprend l’harmonica, puis la guitare. Il se produit dans les rodéos et les fêtes locales. Comme tant d’autre, il entame une vie de hobo, de vagabond, se déplaçant à travers le pays sur des trains de marchandises. Cette vie d’errance et de danger lui inspire « Hard travelin’ ». « J’ai emprunté les trains trépidants, vous savez bien, / J’ai emprunté les voies de garage, le long des routes / C’te vieux salaud de juge, y m’a foutu en cage : 90 jours pour vagabondage / J’ai parcouru un rude chemin, vous savez bien… » 


Pour se nourrir, il vend des journaux à la criée, cueille des fruits, travaille sur les chantiers… En complément, il joue et chante partout où il passe : dans les rues, les foires, les cafés, les bals… Lors de ses pérégrinations, Guthrie fait connaissance avec le monde ouvrier et syndical américain. Le chanteur s’épanouit au sein de cette camaraderie militante et s’engage définitivement en faveur des couches les plus populaires de la population, s’imposant au fil des années comme le chantre de l’Amérique des laissés pour compte.

A la fin des années 1920, les Grandes Plaines connaissent de profondes transformations. L’herbe à bison, qui permettait de conserver une certaine humidité dans le sol, disparaît au profit de grands labours. Des pluies conséquentes permettent d’obtenir de bonnes récoltes céréalières, au prix d’une très forte érosion des sols. En 1929, le krach de Wall Street sème chômage, misère et désolation. A la grande dépression qui s’abat sur tout le pays s’ajoute dans les Grandes Plaines une succession de calamités naturelles terribles. La sécheresse frappe pendant quatre années, puis des vents violents arrachent la terre arable de sols si érodés qu’ils deviennent poussière. Le 14 avril 1935, le "grand orage de poussière" s’abat sur Pampa. Guthrie décrit avec une précision journaliste l’évènement dans une de ses chansons justement intitulée The great dust storm.  « Le quatorzième jour d’avril 1935 / La plus violente tempête de poussière de l’histoire a rempli le ciel. On pouvait voir cette tempête de poussière arriver. Les nuages étaient noirs comme la mort et, d’un bout à l’autre de notre puissante nation, elle a laissé une trace indélébile. » De 1935 à 1938, une succession de tempêtes de poussière ravage le Dust Bowl (« bol de poussière »), une vaste région s’étendant au Texas, à l’Oklahoma, au Kansas, au Tennessee et à la Géorgie. 


Des familles entières, privées de la moindre récolte, ruinées, n’ont d’autres choix que de partir vers la prospère Californie, dont les migrants espèrent cueillir les fruits. Or, le chemin vers ce « pays de cocagne » est semé d’embûches. Le drame des Okies, contraints de fuir les plaines arides inspire à Guthrie - qui a lui-même quitté le Texas pour Los Angeles - un recueil de chansons intitulé « Dust-Bowl Ballads ». Les dix ballades qui le composent, constituent autant de témoignages poignants sur les tempêtes et leurs conséquences dramatiques.

 Talking dust bowl blues adopte le point de vue du migrant désargenté; contraint de fuir les orages de poussière. Ici, il troque sa misérable ferme contre une Ford en direction la côte ouest. Dans Blowin’ down the Road, Woody chante : « Je m’en vais là où la poussière ne souffle jamais (…) Je m’en vais là où la tempête de poussière jamais ne souffle, souffle, souffle / Et je ne vais pas me laisser maltraiter comme cela ! » « Dust can’t kill me » insiste également sur la volonté farouche de résister aux éléments. La tempête a tué le reste de la famille, les enfants, la récolte, mais pas le narrateur, dont on comprend qu’il s’agit d’un Okie.

Arthur Rothstein, Public domain, via Wikimedia Commons

Le titre le plus marquant du recueil est sans doute Tom Joad, inspiré des « Raisins de la colère » de Steinbeck. Après avoir écouté le morceau l'écrivain aurait lancé: "L'espèce de petit salaud! En dix sept couplets, il a résumé toute l'histoire d'une œuvre qui m'a pris deux ans à écrire." Les paroles résonnent comme un testament. "Partout où un nouveau né pleure et crie, / partout où les gens ne sont pas libres. / Partout où les hommes se battent pour leurs droits, / c'est là où je serai maman,  / C'est là."

Ecrites à la première personne, « I’m a dust bowl refugee », « I ain’t got no home in this world anymore », « Dust pneumonia blues » mettent l’accent sur la souffrance individuelle du déporté. Dans cette dernière, Guthrie précise: " Je suis allé voir le médecin et il m’a dit : « Mon fils, tu as la pneumonie de la poussière et tu n’en as plus pour longtemps. »" Le groupe Mongo Jerry en a fait une reprise plutôt réussie.

Avant de pénétrer en Californie, les Okies se trouvent bloqués dans une sorte de poste-frontière : le Port of Entry. Les policiers y vérifient les identités et refoulent tous ceux qui n’ont pas un contrat de travail. Guthrie composent en leur honneur « Do-ré-mi ». Il chante. « La Californie est un jardin d’Eden, / un paradis à habiter ou à regarder, / mais croyez-moi ou pas, / Vous ne la trouverez pas si chaude que ça / Si vous n’avez pas le do-ré-mi. » (l’argent en argot)

Conteur né. Dans « So long, it’s been good to know you », un prêtre et ses ouailles sont surpris par la poussière en plein office. « Le pasteur ne pouvait plus lire un mot de son texte. / Il referma ses lunettes, prit la collecte et dit : Adieu, ravi de vous avoir connus.»

 

On l’aura constaté Guthrie est un conteur né, dont l’œuvre est d’autant plus précieuse qu’elle porte un regard plein d’empathie sur des populations maltraitées. Elle constitue un complément idéal à l’œuvre de Steinbeck ou aux clichés si émouvant de Dorothea Lange.

Sources:

-Jacques Vassal: "Folksong", Albin Michel, 1984.

- Dorian Lynskey:"33 révolutions par minute. Une histoire de la contestation en 33 chansons", vol. 1, Editions Payot, 2012.

- "Woody Guthrie" [émission "Pop, etc", sur France Inter].

- "De la poussière et des hommes", série documentaire de Ken Burns consacrée au Great Dust Storm (disponible en streaming sur Arte.fr jusqu'au 29/8/2023).

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