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samedi 31 décembre 2022

Le calypso: le son de Trinidad et Tobago.

Trinidad et Tobago sont deux îles anglophones situées à l’extrême sud des Caraïbes, près du Venezuela. Colomb y débarque en 1498. A la fin du XVIII° s, des planteurs venus des Antilles françaises avec leurs esclaves d’origine africaine développent leurs exploitations agricoles. La population servile, qui a d’abord transité par d’autres colonies caribéennes, importe avec elle le créole patwa, ses musiques, en particulier le Kalinda, qui accompagne les joutes chorégraphiées des combats de bâtons, et surtout le carnaval. En 1797, Trinidad passe sous contrôle britannique. C’est dans ce contexte qu’apparaît le calypso, une musique métisse, fruit de la symbiose de chants de travail africains, des danses et mascarades du carnaval français, de la langue anglaise et des influences du jazz américain. Au calypso traditionnel s’ajoute des instruments de musique, comme le steel pan, un instrument fabriqué à partir de barils de pétrole usagers et dont on joue grâce à des mailloches. 

Lord Invader vers 1940. [The Library of Congress, No restrictions, via Wikimedia Commons]
 

Les chanteurs ou calypsonians se font les chroniqueurs de la société de leurs temps, dénonçant tour à tour les turpitudes des maîtres au temps de l’esclavage, l’oppression colonialiste, la marginalisation des classes populaires par une élite politique distante… L’interdiction de jouer une musique bruyante dans la rue incite les chanteurs à se produire dans des installations de fortune appelées tentes, dans lesquelles on pénètre contre une somme modique. L’irrévérence des commentaires politiques et sociaux contenus dans les chansons confère un rôle considérable à des chanteurs strictement surveillés par les autorités et largement censurés jusqu’au début des années 1950. Ils s’affrontent dans le cadre d’un concours annuel qui désigne le roi du calypso. Les pionniers - Atilla the Hun, Roaring Lion – mettent en scène de petites histoires chantées. Leurs successeurs - Lord Invader, Lord Kitchener, Mighty Sparrow - accèdent, eux, à la célébrité internationale. 


Les années d’esclavage et les souffrances endurées, la quête des origines africaines, la fierté noire sont des thèmes récurrents des calypsos. Exemple avec « The slave » de Mighty Sparrow, en 1962 : « Je suis un esclave venu d’un pays lointain / J’ai été attrapé et amené ici d’Afrique / Forcé de rester à genoux pendant des semaines avant de traverser les mers pour atteindre les Antilles / plusieurs fois j’ai voulu m’enfuir, mais l’esclavagiste anglais était là avec son arme, prêt à tirer et à me tuer. Aujourd’hui encore, je prie et j’étudie la meilleure de m’enfuir. Mais à chaque fois, je repense au fouet et aux chiens, et mon corps commence à trembler. » Dans "Going back home to Africa", Lord Invader rappelle que s'il est bien un "West Indian", ses ancêtres n'en sont pas moins des Africains, ce qui l'incite à regagner la terre mère des aïeux. Lord Kitchener fustige au contraire ceux qui renient leurs origines africaines.«Tu détestes le mot Afrique / la région d'origine de ton arrière-grand-père (...) Tu préfères être parmi les Blancs / plutôt que défendre les droits de ton père.» Dans « God made us all (Ode to the negro race) » ; Lord Pretender chante : « Certains croient que les Noirs descendent du singe et de l’âne / S’ils avaient le pouvoir, / ils ne tarderaient pas à nous effacer de l’humanité, / mais les Hommes sont nés avec une égale volonté de trouver le bonheur et la liberté / Nous sommes tous des produits de Dieu / Personne en ce monde ne nous est supérieur. »

 

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de soldats américains sont stationnés dans les bases militaires de Trinidad. L’arrivée des GIs bouleverse toute la société trinidadienne, alors dominée par l’élite blanche britannique ou créole, pour laquelle le maintien de la hiérarchie raciale était impératif. Or, en s’affichant publiquement avec des femmes de couleurs, les soldats américains blancs suscitent l’indignation des élites de la colonie, d'autant que la présence des bases s’accompagne de l’essor d’activités interlopes.

En 1943, Lord Invader chante Rum and Coca-Cola, sur une musique composée par Lionel Belasco en 1906 (à partir d’un chant folklorique martiniquais). Il y dénonce la présence des GIs dans l’île, car elle favoriserait l’alcoolisme et la prostitution des jeunes trinidadiennes pauvres de la Pointe Cumana, le village le plus proche de la base de Chaguarmas. « Et quand les Ricains arrivèrent à Trinidad la première fois / Certaines jeunes filles étaient plus qu’heureuses / Elles disaient que les Yankees les traitaient bien / Et leur donnaient un meilleur prix. / Ils achetaient du rhum et du coca / Allaient à Punto Cumana / Les mères et les filles travaillaient pour le dollar yankee. De passage à Trinidad, le comédien Moorey Amsterdam entend le titre qu’il s’empresse de s’approprier et de proposer aux Andrews Sisters, les grandes vedettes de la chanson américaine au cours de la guerre. (1) En octobre 1944, le trio entre en studio. Les trois sœurs, qui chantent en parfaite symbiose sur un arrangement particulièrement harmonieux, décrochent la timbale, écoulant 7 millions de copies de l’enregistrement. Les paroles ont été expurgées de tout contenu social ou sexuel trop explicite, pour mieux mettre en valeur Trinidad, dépeinte comme un petit paradis tropical. 


La présence des Américains à Trinidad suscite décidément de vives tensions. « Yankee dollar », une autre chanson de Lord Invader, aborde le même thème que "Rum and Coca-Cola", tout en adoptant un angle plus anticolonial et machiste. Le calypsonian s’y plaint que la femme qu’il convoite préfère un soldat américain et ses dollars à un indigène sans le sou. 

Une fois la guerre terminée, les GI's regagnent leurs pénates, abandonnant les enfants qu'ils avaient eu avec des trinidadiennes. Un comportement que dénonce Mighty terror dans son morceau "Brown Skin Girl". "Fille à la peau brune reste à la maison et pense à bébé. / Je m'en vais, en voilier / Et si je ne reviens pas / reste à la maison et fais attention à bébé."« Yankees gone (Jean and Dinah) » de Mighty Sparrow se réjouit du départ des soldats américains: « C'est à nouveau le temps des play-boys / Nous allons régner sur Port of Spain / Plus de yankee pour gâcher la fête / Dorothy n'a qu'à faire avec ce qu'elle a / Tous ceux qui prenaient des grands airs / Eh bien, ils se contentent de n'importe quoi pour un sourire / Plus d'hôtel pour te reposer / A la sueur de ton front, tu dois gagner ton pain. »


A la faveur d’une loi votée au lendemain de la seconde guerre mondiale, tous les habitants du Commonwealth obtiennent la nationalité britannique. Le Royaume Uni, qui se relève à peine du conflit, a besoin de bras pour achever sa reconstruction. En quête d’une vie meilleure, de nombreux natifs des Indes occidentales décident de s’installer en métropole. En 1948, sur le bateau qui le conduit en Angleterre - l’Empire Windrush qui donnera son nom à la première génération d’immigrés caribéens au RU - Lord Kitchener compose « London is the place for me». Le chanteur y loue l’accueil cordial que lui réserve les Anglais et exprime sa joie de visiter ce qu’il qualifie encore de « Mère patrie ». L’enthousiasme est palpable. Le vent tourne vite cependant avec l'accession à l'indépendance des anciennes colonies caribéennes. En 1962 et 1971, le gouvernement britannique instaure une politique migratoire restrictive. Les immigrés subissent de multiples discriminations raciales, reflet de la xénophobie ambiante, ce dont témoigne le discours d’Enoch Powell sur les « rivières de sang » (1968) ou encore l’essor du National Front.

La décolonisation de l'empire britannique est célébrée par certains calypsos. En 1957, dans Birth of Ghana, Lord Kitchener, le grand maître du calypso dont le nom est emprunté au célèbre maréchal de l’Empire britannique, salue l’avènement du nouvel État et de son nouveau dirigeant Kwame Nkrumah. 


Hormis « Rum and coca cola », d’autres calypsos connaissent un succès retentissant et s’exportent dans le monde entier. C’est le cas du tube Shame and Scandal composé par Sir Lancelot en 1943. Les paroles offrent un bon condensé de la dimension satirique du calypso, qui sait aussi être léger et grivois. « A Trinidad vivait une famille, Il y avait la mère, le père. Le fils, qui voulait se marier alla voir son père qui lui dit : « Non, tu ne peux pas te marier. Cette fille est ta sœur et ta mère ne le sait pas. » Il fit le tour de la famille jusqu’à ce qu’il tombe sur sa mère qui lui dit : « Va, mon fils, tu peux y aller, car ton père n’est pas ton père et ton père ne le sait pas ».

En 1956, Le disque Calypso enregistré par l’acteur et chanteur Afro américain Harry Belafonte est le premier de l’histoire à s’écouler à plus d’un million d’exemplaires, ce qui contribue à diffuser le genre hors de Trinidad. Exemple avec le morceau « Matilda ». Les flux migratoires en provenance de l'île, ainsi que l’essor du carnaval de Notting Hill, participent également à l’essor du calypso en Grande Bretagne.


C° Aujourd’hui, même si il est un peu passé de mode, le calypso,  et sa petite sœur la soca, continuent d'incarner l’identité culturelle de la Trinité. 

Rappel:

L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes (n'hésitez pas à vous abonner). Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter via le lecteur intégré ci-dessous:

 Note:

1. Entre la fin des années 1930 et la seconde guerre mondiale, les trois sœurs connaissent un immense succès. Au cours du conflit, elles tentent de remonter le moral des troupes avec leurs chansons légères et optimistes.

 Sources:

A. "Génération Windrush" | Miam des Médias

B. "La Même Mais Pas Pareil - Rum & Coca Cola" par Tartine ta culture.

C. "Le Calypso - improviser à mots couverts" par Mondorama.

D. "Rhum, Coca-Cola et modernité", 1, 2, 3 par CARIB'HIST.

E. "Migration et musiques (1): London is the place to be" par pointculture.be

F. Bruno Blum: "Les musiques des Caraïbes. T1. Du vaudou au calypso", Le Castor castral, 2021.

 

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