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samedi 15 juin 2024

"Dos courbé" de Chiens de paille : un titre de rap sur l'immigration italienne en France et l'italophobie.

Originaire de Cannes, le groupe de hip-hop Chiens de paille, composé par du rappeur Sako (Rodolphe Gagetta) et du producteur Al (Sébastien Alfonsi), officia de 1992 à 2010. Publié en 2001, le deuxième album du groupe, intitulé Mille et un fantômes, comprend le morceau "Dos courbé", dont les paroles narrent l'émigration d'une famille italienne qui trouve refuge en France dans les années 1920. Les rappeurs se sont sans doute inspirés de l'histoire des aïeux de Sako, qui quittèrent Schigano, près du lac de Côme, pour la Provence. (1) Ces "quelques lignes pour se souvenir" nous donnent l'occasion de nous intéresser à l'histoire de l'immigration italienne en France. 

Le courant migratoire des Italiens à destination de la France débute à partir des années 1860, pour se maintenir pendant pratiquement un siècle. À partir de 1901, ils forment la colonie d'étrangers la plus importante en France, devant les Belges. Plusieurs vagues migratoires transalpines se succèdent ensuite, alimentées par chaque nouvelle crise.

"Ça commence dans les années trente
L'Italie fasciste affiche ses litanies racistes
Qui n'est pas pour est contre. Soit on s'aligne, soit ils alignent
"

De nombreux Italiens fuient avec l'arrivée au pouvoir de Mussolini, qu'il s'agisse d'adversaires déclarés (les "fuorusciti") ou de populations persécutées, durement frappées par la réaction fasciste et patronale après le "bienno rosso", les deux années (1919-1920) d'agitation sociale profonde. Militants des organisations de gauche (anarchistes, socialistes, communistes), syndicalistes, opposants politiques fuient la répression qui s'abat alors. A côté de ces réfugiés politiques, une majorité d'émigrants fuient la misère et la pauvreté. Dans un premier temps, ce sont surtout des paysans et ouvriers des régions du nord (Piémontais, Lombards, Vénétiens) et du centre de l’Italie (Toscans, Emiliens) qui partent.

Le choix de la France s'explique par la proximité géographique et culturelle, mais aussi par les opportunités d'emplois à pourvoir. Enfin, la présence d'une importante colonie italienne laisse espérer un accueil plus facile. Pour beaucoup de réfugiés politiques, la France représente la patrie de la Révolution, de la Commune et des droits de l'homme. De nombreux militants bannis par les fascistes, privés de leur travail, trouvent asile en France, tout autant pour trouver un emploi que pour échapper aux persécutions. Les motivations politique et économique des départs se superposent donc très souvent.

"Des familles assistent à l'exil massif puis, prises de panique, s'avisent
Chacun quitte sa ville, jette les reliques de sa vie dans une trop petite valise
À pied, on se risque sur les pistes de montagne via Modane depuis Varese
Puis, la peur aux tripes, on passe à l'Ouest, entre pics et falaises
"

La saignée démographique que représente la Grande guerre en France pose d'importants problèmes de main-d’œuvre alors qu'il faut reconstruire le pays. Dans ces conditions, un traité de Travail entre l'Italie et la France, conclu par le gouvernement Nitti en 1919, facilite l'émigration italienne. L'article 1 autorise les travailleurs et leurs familles à "entrer librement dans le pays de destination qui n'exigera à cet effet aucune autorisation spéciale". Par ailleurs, le patronat tente de pallier à la pénurie de travailleurs en s'appuyant sur la Société Générale d'Immigration, chargée du recrutement grâce à des antennes installées en Italie. La majorité des émigrés entrent cependant en France, de manière autonome; une tendance qui s'accroît après l'accession au pouvoir de Mussolini. L'émigration coûte chère. Pour les plus pauvres, il faut se débrouiller et tenter de franchir les Alpes, à pieds, dans des conditions difficiles et dangereuses.

Émigration italienne par régions 1876-1915.jpg: PramzanItalie par régions sans noms.svg

Il s'agit bien d'un "exil massif", déjà ancien, puisqu'on estime qu'un million huit-cent mille individus franchissent les Alpes entre 1873 et 1914. Lors du recensement de 1911, ils sont 420 000. La baisse du nombre d'actifs au lendemain de la guerre, l'arrivée des fascistes au pouvoir, les besoins de main d’œuvre en France au lendemain de la guerre, tout concourt à donner des dimensions gigantesques au phénomène. (2) Avec l'instauration de quotas d'entrées sur le sol américain, la France devient le principal pays d'accueil de l'émigration italienne. En 1931, les immigrés transalpins sont 808 000 en France, voire un million en incluant les saisonniers et clandestins, soit 7% de la population hexagonale. (3)

"Pour que les petits s'apaisent, on s'applique au rêve de revenir au bled, mais ni les mômes, ni leurs mères ne s'y prennent"

Si au début, des immigrés envisagent une installation provisoire, un exil temporaire, caressant l'espoir d'un retour au pays, quand la situation politique et économique le permettrait, beaucoup ne se font guère d'illusion comme le suggère la fin du premier couplet. Pour les immigrés "économiques", le retour reste envisageable, mais il est impossible pour les Fuorusciti, car synonyme de prison ou de relégation. Ces derniers se raccrochent à l'effondrement rapide du fascisme. Or, non seulement le régime dure, mais il se renforce au fil des années, à coup de propagande et de violences.

Certes, le régime fasciste incite au retour à partir de 1938, tandis que les tensions grandissantes placent les Italiens de France dans une situation délicate, avec l'entrée en guerre probable de leur pays natal contre leur pays d'accueil. Le second conflit mondial interrompt même l'émigration transalpine. Pour autant, la tendance générale n'est pas remise en cause et les départs l'emportent généralement sur les retours. 

"Ils savent l'avenir en d'autres terres dans la nuit qu'ils observent, les hommes s'en obsèdent
N'aspirent en eux-mêmes qu'à retrouver un bout de sol fertile et ouvert - quête de vie nouvelle
De quoi tirer un peu de force pour que les petits poussent. Un peu de confort pour leurs épouses
"

La misère ne laisse guère de choix et pousse les candidats au départ sur les routes. Les besoins de main d’œuvre en France sont importants tout au long des années 1920. Les Italiens occupent d'abord les métiers pénibles et mal payés que refusent les nationaux. Ils travaillent en tant que saisonniers agricoles, égoutiers, paludiers, mineurs, maçons, manœuvres sur les chantiers d'aménagement (routes, barrages, chemins de fer...). Les femmes travaillent dans la couture, l'entretien, le ménage. Pour des raisons de proximité géographique et d'offres d'emplois, deux tiers d'entre eux s'installent d'abord dans le Sud-Est de la France, en Provence (Alpes-Maritime, Var, Bouches-du-Rhône), dans les régions lyonnaise et stéphanoise, dans les Alpes. En 1911, ils représentent par exemple le quart de la population marseillaise. Au fil du temps, les industries de l'agglomération parisienne, les mines du Nord et de la Lorraine attirent de plus en plus, tandis que dans le Sud-Ouest, beaucoup s'emploient dans des tâches agricoles.

"Les nôtres sont de braves gens" se disent-ils, "les nôtres ont bon cœur"
Prions le Seigneur pour un monde meilleur, que les braves gens ne soient pas tous pauvres – prions le Seigneur
"Prions le Seigneur pour que nos mômes connaissent l'ailleurs, qu'ils mangent comme les autres, prions le Seigneur"
Et les gens d'ici se doutaient que les vents tourneraient
Qu'un jour se trouverait où les prières stopperaient
Qu'un jour tout près sonnerait la fin de ces gens au dos courbé
"

Tous aspirent à une vie décente, "un monde meilleur", pour leur famille, leurs enfants. Pour "que les braves gens ne soient pas tous pauvres", il ne semble pas y avoir d'autre issue que de quitter l'Italie. La foi permet de ne pas désespérer, d'endurer la douleur de l'exil et du saut dans l'inconnu, jusqu'à ce qu'un jour les prières soient exaucées et qu'il ne soit plus nécessaire de quitter sa patrie. Il faudra  tout de même attendre les années 1950 et le "miracle italien" pour que l'émigration régresse, avant de se tarir au cours des décennies suivantes.

"Entre ironie réac’ et a priori, leur présence terrorise
Ça passe, en théorie, tant qu'on ignore que leur nom rime avec Cannelloni
Terre de "on dit". Là où ils n'espèrent qu'un toit, leurs mœurs n'inspirent que froideur
Leur Christ fait peur, esprits railleurs, on les nomme Christos parce que trop prient
Ils n'ont rien d'autre sauf la rage des affamés
Cette flamme qu'il faut soigner de peur de voir l'espoir venir à faner
"

Le problème de l'accueil et de l'intégration des Italiens à la société française se pose très vite. Réfugiés politiques ou immigrés "économiques" ne jouissent d'aucune protection particulière de la part des autorités françaises. Ils dépendent donc du bon vouloir des gouvernements, qui peuvent les expulser à tout moment.

L'arrivée des immigrés italiens nourrit des représentations condescendantes de ces populations, désormais souvent désignées sous les termes méprisants de "macaroni" ("Cannelloni" dans le morceau) ou "ritals". Des stéréotypes tenaces se forgent alors. L'image de l'Italien manieur de couteau se répand, alimentant la chronique des faits-divers, contribuant à ce que "leur présence terrorise". L'Italien est envisagé comme fondamentalement différent. Buveur, bavard, parlant avec les mains, exubérant, l'Italien est accusé de tous les maux. Trop frugal, il se contente de pattes, une habitude alimentaire bien saugrenue pour les palais français. La religiosité de nombreux immigrés italiens déroute. Leur piété, démonstrative et caractérisée par les processions publiques, irrite et passe pour superficielle aux yeux des catholiques français. Au moment où la société française connaît une rapide sécularisation, ils ne trouvent pas davantage grâce auprès des laïcs, qui les désignent à Marseille sous le terme méprisant de "Christos". (4)

L'animosité à l'encontre des immigrés italiens s'accuse en période de crise économique. D'aucuns leur reprochent d'accepter des salaires de misère et de représenter une concurrence déloyale sur le marché du travail. La "concurrence" italienne se limite pourtant aux travaux les plus durs, largement délaissés par les nationaux, sauf lors des périodes de crise. Ainsi, lors de la Grande dépression, ces tâches ingrates et difficiles constituent une sorte de refuge pour les ouvriers français, privés de leur emploi. Dans ce contexte, les secteurs ordinairement abandonnés à la main d'œuvre étrangère sont de nouveau convoités. Les tensions atteignent leur paroxysme lors du massacre des salines d'Aigues-Mortes, en 1893. Considérés comme des étrangers inassimilables, ils subissent alors quolibets et insultes.

"Les propriétaires les haïssent. Aussi gras et aigri qu'eux sont las et faiblissent
Savaient-ils ce dont on est capable lorsqu'on a faim soi-même face à un fat assez riche ?
Si les vœux des uns sont confus, ceux des autres ne font pas de doute
Pensant que chaque friche est un crime, un péché contre des gens affamés
Ils se voient déjà à bêcher, à retourner le sol le dos courbé
"

Avant de quitter l'Italie, de nombreux émigrants travaillaient la terre, mais l'archaïsme structurel du monde rural et la mauvaise intégration aux circuits marchands, plongent les campagnes dans une crise profonde. La misère ne laisse guère d'autre alternative que de "voler ou émigrer", selon la formule de Mgr Scalabrini, évêque de Plaisance. Une fois arrivés en France, les paysans cherchent à retrouver un métier agricole. Le travail est mal payé, physique, d'autant plus pénible que les saisonniers, les métayers, les fermiers se trouvent sous la coupe d'un propriétaire terrien cruel.

"Là-bas, au pays, la misère grandissait, jetait quantité de familles aux vents de l'hiver, aux langues de vipères
Malgré ce que les gens disaient, les champs d'ici valaient leurs champs viciés mais, maintenant exilés
Ils y avaient tant misé qu'ils y avaient leurs jambes vissées
"

Le mythe du retour s'estompe vite. Une fois installés dans le pays d'accueil, la plupart des immigrés décident de rester et de retrouver un métier en lien avec ceux qu'ils pratiquaient de l'autre côté des Alpes. C'est notamment le cas de ceux qui  pratiquaient les activités agropastorales et forestières.

"Le soir, les chants renaissaient. Leurs langues ne visaient que les landes laissées
C'est ainsi qu'ils ont reconstruit un peu de là-bas, ici, comme un banc d'essai
Leurs paumes se creusaient comme les mômes naissaient
Des mômes élevés dans l'amour de ce pays, frère du leur, blessé

Confrontés au déracinement et au mal du pays, les Italiens de France s'emploient dans les premiers temps à entretenir le souvenir de leur région d'origine. "C'est ainsi qu'ils ont reconstruit un peu de là-bas, ici". Pour faciliter leur installation en France, beaucoup s'appuient sur leurs compatriotes déjà installés et sur le réseau associatif qu’ils ont créé. Grâce à cette aide, les réfugiés peuvent trouver plus facilement un domicile, un travail, de l'aide, des lieux de sociabilité (cafés et restaurants), un minimum de solidarité. A l'école, les enfants apprennent le français. L'acculturation va bon train. Leurs parents cherchent à les élever "dans l'amour de ce pays, frère du leur", car la proximité culturelle des deux "sœurs latines" facilite l'intégration des jeunes générations. Face à l'adversité et l'hostilité d'une partie des Français, il devient essentiel de se créer des appuis. Aussi, les nouveaux venus poursuivent-ils leurs activités militantes au sein d'organisations politiques françaises, en particulier le PCF, ou dans le cadre de la lutte syndicale, notamment au sein de la CGT. Dans les milieux ouvriers, ces structures contribuent à faciliter l'installation dans le pays d'accueil, même si une conjoncture économique défavorable peut briser ces solidarités ouvrières.  

Ainsi, la crise économique des années 1930 alimente un regain d'Italophobie et s'accompagne de mesures protectionnistes sur le marché du travail. En 1932, des dispositions sont prises pour restreindre l'emploi de la main-d’œuvre étrangère, avec l'instauration de quotas. Au même moment, le régime fasciste cherche à empêcher l'émigration. Des milices sont installées aux frontières. Mussolini émet des protestations contre l'accueil que les autorités françaises offrent aux opposants au régime (en réalité, contrôle et répression vont bon train). Il s'emploie à soustraire l'importante colonie italienne en France à l'influence des fuorusciti, en plaçant les associations communautaires sous son contrôle. De leur côté, les autorités françaises reprochent au régime fasciste de préserver "l'italianité" de la communauté italienne en France et d'empêcher son absorption dans la société française. Dans le contexte anxiogène de la marche à la guerre, "l'importance de l'implantation italienne dans le pays est considérée comme une menace pour la cohésion nationale; campagnes de presse, brochures agitent le danger de la colonisation par l'intérieur." (source E) Le 12 novembre 1938, un décret-loi impose une carte de travail pour les étrangers et autorise l'assignation à résidence ou l'internement des individus susceptibles de porter atteinte à la sécurité.

Puis le temps a passé, que reste t-il de ces temps harassés ?
Comme la terre s'est tassée, s'est effacée l'ombre avancée de leur sombre odyssée
Dans la traîne des années se perdent les valeurs nées de carrières de labeurs
Et nous, on se croit propriétaires de ce qu'offre l’Éther
Dans nos cœurs, les pleurs des Christos s'éteignent; soixante dix ans s'achèvent

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'émigration italienne reprend. Dans le cadre de la reconstruction, elle est d'ailleurs encouragée par l'accord de main d'œuvre franco-italien de 1947. Au fil des ans, les arrivées ralentissent au point de se tarir au début des années 1960. Désormais, les Français d'origine italienne sont devenus "invisibles" ou bénéficient de représentations positives. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. Avec l'essor du tourisme, l'Italie est devenue une destination recherchée, ce qui, indirectement, a modifié le regard porté sur ceux qui en émigrèrent. Aujourd’hui, les plats de la péninsule ont été largement adoptés, au point que macaroni et pizza figurent sur des tables hexagonales. Le sport, le cinéma (la Dolce Vita), la mode (avec le dynamisme d'une culture couturière qui permit l'essor de Prada ou Dolce Gabana), la musique (festival de San Remo) ont sans doute eu leur part dans cet attrait nouveau pour la péninsule, quitte parfois à créer un imaginaire un brin fantasmé.

Je fais la prière que ma grand-mère ignore ce que les siens deviennent
De là-haut, qu'elle ignore qu'on accueille nos pairs comme on l'a accueillie hier
Et s'il n'en retient qu'un, qu'il retienne ce texte, mon petit frère
J'ai honte parce que je suis fier quand, pliant sous le poids de mes affaires certains soirs
Je revois ces gens aux dos courbés couvrir les champs de notre histoire..
"

Dans le dernier couplet, Sako en appelle à ses aïeux, mais aussi à son petit frère, comme pour signifier la nécessité de transmettre et perpétuer l'histoire familiale, afin de savoir d'où l'on vient. Le narrateur se love dans l'ombre portée par ses aïeux, "ces gens aux dos courbés". Tout au long du texte, le travail de la terre a servi de métaphore filée. Ici, il est question des "champs de notre histoire". La graine semée dans le sillon pousse, si on s'en occupe. La mémoire enfouie se conserve, à condition d'être transmise et exhumée.

{Refrain}
Nous aussi, on a dû parvenir à partir, soif de future
Pleins de sutures, nos cœurs suppurent tant de haine, pères de tumultes
Quelques lignes pour se souvenir parce que l'insulte dure

Arrivés en France pour travailler et/ou fuir le fascisme, les Italiens, au même titre que les autres populations étrangères, subirent le racisme et la xénophobie. Les discriminations dont ils furent victimes perdurent encore aujourd'hui, mais à l'encontre d'autres populations étrangères. ("On accueille nos pairs comme on l'a [la grand-mère] accueillie hier"). Depuis les années 1970, avec l'arrivée d'autres migrants, originaires d'autres continents, les Italiens sont présentés par l'extrême-droite française comme des immigrés exemplaires, qui travaillent "dur et bien", sous-entendu pas comme les nouveaux venus... Depuis le milieu des années 2010, la crise des migrants nourrit le discours xénophobe de l'extrême-droite populiste en France, comme en Italie. L'immigration, clandestine ou légale, est présentée comme une menace, une invasion, tandis que les migrants sont considérés comme des parias par les gouvernements européens. Le mythe du grand remplacement s'installe. L'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite en Italie témoigne d'une forme d'amnésie. Dans le pays qui a inventé le fascisme, nombreux sont ceux qui feignent d'ignorer l'importance qu'eut l'émigration. "De la manière la plus banale qui soit : en oubliant qu’ils ont été des immigrés quelques décennies plus tôt. Ils ont passé l’éponge sur le passé, comme le font tous ceux qui ont amélioré leur situation économique et sociale", déplore Erri de Luca. 

Seul l'engagement sincère des associations et des bénévoles pour l'accueil, l'éducation des demandeurs d'asile, permet de sauver l'honneur d'un continent oublieux de son histoire, et pourtant durement affecté par des guerres et des crises qui jetèrent sur les routes des dizaines de millions d'Européens soucieux d'échapper à la misère et la mort. 


Notes :

1. Dans une interview accordée à l'Abcdrduson, Sako explique : "La raison de cet exode, nous ne le connaissons pas vraiment. Nous pensons qu'ils fuyaient les chemises brunes." (...) "Je pense que mon père fait partie de ces gens qui croyaient que pour être acceptés des français, il fallait presque devenir plus français que les français eux-mêmes. Il ne parlait jamais de l’Italie, ni des raisons qui ont poussé mon grand-père à venir ici, puis à s’éloigner de la famille. Ils sont allés jusqu’à franciser leurs prénoms, renoncer à parler italien à la maison, tout ça."

Italien par son père, Sako doit son blase à l'ouvrier anarchiste italien Sacco, condamné à mort avec Vanzetti dans les années 1920, alors que les États-Unis sombrent dans la red scare, une vague d'anticommunisme primaire. 

2. « Sur la période 1921-1926, on compta 760 110 Italiens qui émigrèrent en France, dont une population active de 438 200 personnes » (source G), pour travailler principalement dans le bâtiment (90 000), l'agriculture (65 000), la métallurgie lourde (30 000) et les mines (28 000).

3. Avec la crise économique des années 1930 et par le jeu des naturalisations, ce chiffre baisse, puisque l'on dénombre 720 000 Italiens en 1936.

4. L'Italophobie est aussi alimentée par la conjoncture politique et les relations officielles entre les la France et l'Italie. Prenons quelques exemples:

- La course aux colonies et la fièvre nationaliste nourrissent la xénophobie. En 1881, avec le traité du Bardo, la Tunisie passe de la tutelle italienne à celle de la France. Alors que des soldats français entrent dans le Vieux-Port de Marseille pour célébrer le nouveau protectorat, des sifflets provenant du siège d'une société italienne déclenchent de violentes échauffourées, connues sous le nom de "Vêpres marseillaises". Elles se soldent par trois morts et une vingtaine de blessés. 

- De même, l'alliance de l'Italie avec les Empires centraux, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, à partir des années 1880, transforme les immigrés transalpins en ennemis potentiels. Le 25 juin 1894, l'assassinat du président de la République Sadi Carnot par Caserio, un apprenti boulanger anarchiste italien, attise la haine.  Plus que jamais, les Italiens sont vus comme des envahisseurs, pris à partie, violentés. Cette "France hostile" (Laurent Dornel) convainc des migrants à rentrer au pays. 

5. Giorgia Meloni, la première ministre italienne, assimile l'immigration à l'insécurité et la criminalité. Un discours raciste se banalise dans la péninsule. L'Italie est devenue une des principales portes d'entrée de l'Europe pour des migrants qui accostent sur les côtes dans des conditions souvent dramatiques.

Sources :

 A. "Sako :«Nous sommes parfois spectateurs de nous-mêmes»", interview de Sako par l'abcduson, 6 février 2006.

B. "Comme un Italien en France" [Jukebox]

C. "«Macaronis», «Ritals» : quand les migrants italiens étaient, eux aussi, victimes de racisme.", The Conversation, 24 janvier 2023.

D. "Les Italiens en France : jalons d'une migration" [Musée de l'histoire de l'immigration]

E. Guillen Pierre. "Le rôle politique de l'immmigration italienne en France dans l'entre-deux-guerres. In: Les Italiens en France de 1914 à 1940." Sous la direction de Pierre Milza. Rome : École Française de Rome, 1986. pp. 323-341. (Publications de l'École française de Rome, 94) 

F. "Comme des Italiens en Suisse : L'Italianita", Histoire vivante sur la RSR. 

G. Nicolas Coursault : "Les Fuorusciti, mais qu'est-ce donc?"

H. La chanson traditionnelle par thème : la grande guerre (italie-infos.fr)

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