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dimanche 23 juin 2024

Quand rap et reggae font tomber Christophe Colomb de son piédestal.

Christophe Colomb est une figure récurrente dans les morceaux de reggae roots ou le rap, dans lesquels il apparaît, la plupart du temps, comme un anti-héros. Les artistes s'emploient ainsi à déconstruire l'image du découvreur. (1) Leurs textes proposent un point de vue postcolonial diamétralement opposé à celui véhiculé en Occident pendant des décennies. Depuis des années, en Amérique et particulier aux Caraïbes, le navigateur gênois est une figure très critiquée, l'incarnation de la colonisation, de l'exploitation et de l'extermination des peuples autochtones. Voilà qui va nous permettre de nous intéresser aux transformations de la figure de Colomb au fil des siècles et des lieux.


Souffrance : "Mauvaises nouvelles" "Cache ton billet, cache ton oseille, cache ton pognon / J'amène de très mauvaises nouvelles comme Christophe Colomb."

Originaire de Gênes, Christophe Colomb naît en 1451. Marin, il navigue pour le compte de compagnies commerciales. Bientôt, il ambitionne de rejoindre l'Asie par la voie maritime de l'Ouest. Econduit par les Portugais, il parvient à convaincre le roi et la reine d'Espagne de financer une expédition maritime ambitieuse. Sa représentation du globe terrestre, beaucoup plus restreint qu'il ne l'est en réalité, repose sur un calcul erroné qui lui fait considérer Cipango, le Japon actuel, et Catay, la Chine, comme proches. Il cherche à atteindre ces contrées, car on prétend que les maisons y sont recouvertes d'or; une manne providentielle pour les rois catholiques, toujours désireux de poursuivre la croisade, après la capitulation de Grenade et l'expulsion des Juifs des royaumes espagnols. Avec les richesses espérées, le projet de libérer Jérusalem, semble à portée de main pour Colomb et les monarques hispaniques. Il apparaît donc très tentant de trouver une route directe pour se procurer des épices, en court-circuitant les intermédiaires asiatiques, mais aussi, par la même occasion, pour convertir les souverains locaux. Enfin cela permettrait de prendre à revers les puissances musulmanes, et notamment l'empire ottoman, qui a tendance à faire de la Méditerranée orientale sa chasse gardée. 

Sebastiano del Piombo, Public domain, via Wikimedia Commons

Colomb croit être celui que Dieu a choisi pour trouver l'or. Foi et cupidité se mêlent dans ce rêve messianique qui justifie dans son esprit que tous ceux qu'ils croisent se plient à la volonté divine. En 1994, dans le morceau "People's court part II", Mutabaruka, un des grands représentants de la dub poetry (2), reproche au contraire l'instrumentalisation de la religion pour justifier les atrocités perpétrées. Le morceau décrit le procès in absentia de Colomb et ses épigones. En tant que procureur, le dub poet condamne ceux qu'il tient pour responsables de la propagation de la suprématie blanche, du christianisme et du capitalisme. En dressant le portrait d'un anti-héros, raciste, mauvais, hypocrite, Mutabaruka s'emploie à expulser Colomb de l'imaginaire collectif populaire. Il déclame : "Avec ta doctrine de civilisation des "sauvages", tu as appris aux Noirs à prier les yeux fermés. Quand ils les rouvrirent, tu avais leurs terres et ils avaient la Bible. Avec la Bible et le pistolet, tu as volé, violé, assassiné. Au nom de Jésus, vous avez divisé les Noirs en groupes, les poussant à se méfier les uns des autres. La première accusation est pour avoir induit les Noirs en erreur dans leur daltonisme. / Il y a des Noirs qui adorent tout ce qui est blanc."

Colomb convainc donc le roi et la reine d'Espagne de financer l'expédition. Elevé au rang d'amiral de la mer océane, le Gênois prend la tête des opérations. Deux caravelles, la Pinta et la Nina,  une nef, la Santa Maria, s'élancent du port andalou de Palos, le 3 août 1492. Après une escale aux îles Canaries, les navires maintiennent le cap à l'Ouest. Les jours passent, les provisions s'amenuisent, mais toujours aucune terre à l'horizon. La mutinerie guette. Finalement, le 12 octobre, les bateaux atteignent une île habitée, que les Indiens nomment Guanahani, et que Colomb s'empresse de baptiser San Salvador, en hommage au Christ sauveur. Dans les jours qui suivent, l'expédition poursuit sa route, mettant le pied à Cuba et Saint-Domingue (Hispaniola). Il y fonde une première ville (la Navidad) et laisse une petite garnison, qu'il retrouvera massacrée lors de son second voyage.

Ce dernier a lieu en 1494. Christophe Colomb débarque dans la baie de Sainte-Anne, dans ce qui est aujourd’hui la Jamaïque. Les populations autochtones – Arawaks ou Taïnos - sont rapidement exterminées. En 1655, les Espagnols sont finalement chassés par les Britanniques. Une société esclavagiste basée sur la culture de la canne à sucre se met en place, avec un système d’exploitation particulièrement dur, dans lequel l’espérance de vie moyenne est de 8 ans. Cette mortalité implique un approvisionnement constant en esclaves africains. Entre le XV° et le XIX° siècles, la Jamaïque devient ainsi une des principales têtes de pont de la traite négrière atlantique. Environ un million d’esclaves y auraient été débarqués, faisant de l’île une des colonies de plantation les plus lucratives des Caraïbes. Super Cat, un des précurseurs du dancehall, enregistre "Christopher Columbus"en 1985. Il y livre la description factuelle de l'arrivée de Colomb en Jamaïque. "La Jamaïque entourée par l'eau des Caraïbes / L'Indien Arawak était là / Puis les Espagnols, les Anglais et bien d'autres suivirent. / Je vois Christophe Colomb, le fondateur. / Né et grandi en Italie, à Gênes / Fils de tisserand / Devenu marin, oui il a voyagé pour l'Espagne / Pour le roi Ferdinand et la reine Isabelle / Il a navigué sur la Nina, la Pinta, la Santa Maria / avec 200 hommes armés comme des soldats". 

Colomb participe encore à deux autres voyages, qui ont lieu en 1498 et 1502. Ils lui permettent d'explorer de nouveaux espaces, de mettre pied sur de nouvelles îles caribéennes, mais aussi sur le continent américain. Il se convainc que les Indiens doivent être réduits à l'obéissance et au travail, par tous les moyens. Ainsi, il use de la plus grande violence à l'encontre de ceux qui rechignent. Le travail forcé est en germe. Les massacres succèdent aux massacres, tandis que de vives dissensions entre colons virent à la guerre civile. 

The original uploader was Stefan Kühn at German Wikipedia., Public domain  
 

Dans son Journal de bord, le navigateur présente ces nouvelles terres comme une sorte de paradis terrestre, et envisage d'emblée ses habitants comme une main d'œuvre servile potentielle, affirmant qu'ils sont "faits pour être commandés". Par ailleurs, il remarque des petits morceaux d'or accrochés aux nez des Amérindiens, ce qui attise sa convoitise. Colomb, qui se persuade de la survenue de l'Apocalypse, perpétue les massacres et sévices à l'encontre d'Indiens, qu'il refuse de voir échapper à l'évangélisation et à la volonté divine. Cette polarisation eschatologique justifie à ses yeux le déchaînement de la violence. 

Tonton David : "Peuple du monde" "On vous dira haut et fort que le pape est un imposteur / Que Christophe Colomb n'était qu'un menteur / Que le respect des personnes âgées doit être de rigueur / Que devant notre père faut être à la hauteur"

Dès le XVI° siècle, l'image de Colomb apparaît écornée. Arrogant, brutal, cruel, le Génois est très vite perçu comme un personnage ambigu, mue par une ambition démesurée et une cupidité jamais rassasiée. Tant et si bien qu'à l'issue de son troisième voyage, il est ramené en Espagne à fond de cale, enchaîné et démis de ses fonctions pour avoir pendu des Espagnols en place puublique à Saint Domingue. D'aucuns l'accusent d'oppression des Indiens, de massacres, de violences, de cupidité, d'une ambition allant à l'encontre des intérêts des rois catholiques. (3) Lors de la controverse de Valladolid, en 1550-1551, Bartolomé de Las Casas décrit par le menu les massacres perpétrés par les conquistadors, dont il pourfend la cruauté. Plutôt favorable au Génois, il estime que les Espagnols ont perverti le projet divin initial qui s'incarnait en Colomb. Pour Sepulveda, les Indiens doivent être traités comme des bêtes, réduits en servitude pour qu'ils soient amenés, progressivement, à un niveau humain plus élevé. Peter Tosh convoque à son tour les juges (« Here comes the judge »). Au banc des accusés figurent rien moins que  Colomb, Francis Drake, Las Casas, Vasco de Gama, Alexandre le Grand. Dans son réquisitoire, le chanteur/procureur déclare "Vous êtes accusé : du vol et de viol de l'Afrique, dont vous avez déporté les habitants, du lavage de cerveaux, réduction en captivité pendant plus de 300 ans de ses habitants, d'avoir tué plus de 50 millions de Noirs sans raison et de leur avoir inculqué la détestation d'eux-mêmes". Le verdict est sans appel : une pendaison par la langue, jugée trop pendue, elle aussi.

 Aux XVIIème et XVIIIème siècles, la figure de Colomb tombe relativement dans l'oubli, jusqu'à ce que la jeune République des Etats-Unis, soucieuse de se démarquer de l'ancienne métropole britannique, fasse du navigateur une sorte de "père fondateur", dont la mémoire est célébrée lors du Columbus day (un jour férié célébré le deuxième lundi d'octobre). Au XIXème, il est enrôlé dans le cadre de la construction du nationalisme. Les poètes romantiques, Hugo, Nerval, Lamartine, voient en lui un aventurier libre de toute contrainte, une sorte de poète. A l'heure de la colonisation galopante, les écrits de Colomb sont utilisés pour accréditer la prétendue supériorité européenne. Pour Jules Michelet, le Gênois se trouve au carrefour de la croyance et de la liberté. Le catholicisme, qui envisage un temps sa béatification, exalte la sainteté de Colomb. La papauté freine cependant le processus de canonisation, moins en raison des violences perpétrées contre les Indiens, que parce qu'il a abandonné femme et enfants pour vivre en concubinage. Jules Verne en fait un inventeur, précurseur des sciences modernes. En 1893, José Maria de Heredia consacre "Les conquérants", un poème à la gloire de Colomb et ses hommes.  Au début du XXème siècle, en Occident, le Gênois continue souvent à être célébré comme une incarnation du courage, de la lucidité, de la prémonition, celui qui désenclave le monde, sorte de fondateur de la modernité. 

Sheila : "Les rois mages" "Comme les Rois Mages en Galilée / Suivaient des yeux l´étoile du Berger / Comme Christophe Colomb et ses trois caravelles / Ont suivi le soleil avec obstination"

Le travail des historiens nuance ou contredit déjà largement ce portrait. En Amérique latine et dans les Caraïbes, la mémoire de Colomb devient très négative. Les années 1990 constituent une décennie de bascule. En 1992, la célébration du 500ème anniversaire de la "découverte" des Amériques dans plusieurs pays européens provoque de vives réactions, d'autant que le sous-titre présente l'événement comme "la rencontre des deux mondes". Dans Commis d'office, Booba insiste au contraire sur le cataclysme qu'a entraîné le débarquement de Colomb aux Antilles, un traumatisme qui dure encore. "400 ans, c'est trop long / C'est pas la mer qui prend l'homme, c'est Christophe Colomb / Comme dans le cul à J-Lo, ces fils de putain nous l'ont mise kho / Quand la première galère a pris l'eau / J'atteste (...) que ma race sert de crash-test / Déraciné, ma terre est sous mes baskets". Philippe (Le Bavar), du groupe La Rumeur, qui se définit comme un "descendant de coupeur de canne", surenchérit, démontrant que sa naissance en Guadeloupe doit beaucoup à Colomb.  "Issu d'un caillou en pleine mer, d'un petit bout de terre sur l'eau/ D’une putain de colonie française / C'est clair qu'avec ces salauds, avec ces colons sur leurs bateaux / Avec Christophe Colomb et sa manie de planter son drapeau / Les Antilles furent piétinées, maintenant c'est ici que je m'esquinte" ("Champs de canne à Paname")

Dans les imaginaires caribéens, ce choix de commémoration provoque une onde de choc, car il paraît invisibiliser ou minimiser les conséquences de la colonisation, puis de l'esclavage. Le cercle Franz Fanon organise un procès à Fort-de-France. L'accusation reproche à Colomb d'avoir, avec les Indiens, initié une série de massacres dont seront ensuite victimes le peuple noir esclavagisé, le peuple juif... (4) Le verdict réclame que l'on fasse disparaître Colomb de l'histoire et qu'on l'oublie. Au Honduras, on le crible de flèche en effigie. Le navigateur subit désormais une mort symbolique, comme en atteste la vague de déboulonnage de statues aux Etats-Unis, dans le contexte du crime raciste provoqué par des suprémacistes blancs à Charlottesville, en 2017. Colomb bascule, aux côtés des chefs sudistes, dans le camp des responsables de la déportation des esclaves et du racisme constitutif des Etats-Unis. Le Columbus day est de plus en plus remplacé par un indigenous day. Toujours sur l'album Melanin man, Mutabaruka incarne le fantôme de Colomb (« Columbus ghost »), dépeint comme une créature cynique et détestable, responsable de la destruction des peuples, initiateur d'un racisme implacable et de la suprématie blanche. Ses paroles remettent en cause  également l'accusation de cannibalisme formulée par le navigateur à l'encontre des Arawaks. Les paroles insistent sur les répercussions considérables des voyages : " Tu célébreras ma victoire. / Tes enfants me loueronnt. / Je suis leur seule histoire. / Je suis Christophe Colomb ... Tu célèbres mon arrivée. / Je ne quitterai plus ton esprit". 

L'histoire fut, dans un premier temps, écrite par les vainqueur, ce qui explique la postérité mémorielle d'abord favorable à Colomb. Pendant des siècles, la logique ethnocentrique empêche toute voix discordante de se faire entendre. Dans leur volonté de se débarrasser de la pesante tutelle des puissances occidentales, à l'origine de l'extermination des autochtones, de la réduction en esclavage des populations d'origine africaine, de l'exploitation économique et environnementale tout au long de la période coloniale, les musiciens de reggae s'employèrent, au contraire, à faire tomber Colomb de son piédestal, et ce, bien avant la grande vague de déboulonnage des statues. Ils utilisent tantôt la parodie, tantôt la fiction ou l'uchronie afin de proposer un récit, au sein duquel Christophe Colomb n'est plus le coryphée de la science et de l'aventure, mais un meurtrier et un voleur.  Dans Can't blame the youth, en 1973, Peter Tosh insiste sur le rôle crucial joué par la transmission de l'histoire et son enseignement. «Vous enseignez aux jeunes que Christophe Colomb était un grand homme / Vous enseignez aux jeunes que Marco Polo était un grand homme / Vous enseignez aux jeunes que le pirate Hawkins était un grand homme / Vous enseignez aux jeunes que le pirate Morgan était un grand homme (...) Tous ces "grands" hommes commettaient des vols, des viols, des enlèvements et des meurtres.» 

En adoptant le point de vue des Amérindiens ou des esclaves, les musiciens remettent en cause le récit eurocentrique traditionnel sur les "grandes découvertes". Ces choix rejoignent, tout en les anticipant de quelques années, les sujets portés par les subaltern studies, ces théories postcoloniales critiquant la pensée occidentale, accusée de détourner les représentations des réalités locales. Il est difficile, voir impossible, de connaître l'influence que peut avoir une chanson sur ces mêmes représentations. En tout cas, Bob Marley se sent investi d'une mission. lorsqu'il chante « Music gonna to teach them », en 1971.  "La musique va leur donner une leçon. (...) / Apprenez à la jeunesse qui est Marco Polo, qui est Christophe Colomb / Comment ces hommes méchants volent, trichent, tuent les pauvres et les adolescents de ce pays".

Les artistes reggae substituent au récit traditionnel une lecture largement influencée par le rastafarisme. Colomb devient l'incarnation de Babylone, du mal. Son arrivée entraîne l'anéantissement d'un monde présenté comme en paix et, jusque là, heureux. Souvent, leurs paroles substituent aux populations amérindiennes, celles arrachées de force à l'Afrique. Par ce procédé, les artistes s'inscrivent dans les pas de leurs aïeux, comme des victimes directes de l'oppression initiée par l'entreprise de Colomb. Dans le premier couplet du morceau "Columbus" (1980), Burning Spear récuse le récit occidental de la "découverte" de Colomb et postule une présence africaine avant l'arrivée du Génois. "Christophe Comb est un foutu menteur / Oui, Jah / Il dit qu'il est le premier a avoir découvert la Jamaïque et moi je dis : qu'en est-il des Indiens Arawaks et des quelques Noirs qui étaient là avant lui?" Dans le deuxième couplet, la disparition des Amérindiens entraîne leur remplacement par une main d'œuvre servile africaine. 

Christopher Columbus de Ken Boothe, en 1987, fait du Génois, l'initiateur de la traite négrière. « Il y avait un gars venu d’Espagne / Christophe Colomb était son nom / il a gagné sa renommée aux Antilles / Beaucoup de Noirs / ont sombré » Plus loin, il poursuit : « Sur leurs corps, tu as mis un prix / Et les a vendus comme des marchandises. Comment un homme peut-il découvrir une terre / Qui est déjà peuplée d’Indiens ?»  Boothe rappelle qu'il est absurde de parler de "découverte"du continent américain, alors que des millions d'individus y vivent déjà avant l'arrivée de Colomb, et ne l'ont pas attendu pour entrer dans l'histoire.

En 1981, Little Roy enregistre la chanson "Columbus ship". (5) Les paroles dépeignent Colomb comme un esclavagiste, dont les voyages se confondent avec ceux, ultérieurs, de la traite négrière. En utilisant, le "je", Little Roy s'insère dans le récit en tant que victime, prenant à partie l'auditeur, comme pour lui faire vivre l'expérience du "passage du milieu". "Tu m'as mis sur le bateau de Colomb / Quand je ne savais pas nager / Tu m'a amené en mer oh ouais / Maintenant, tu ne veux pas me libérer oh non (...) attention je maigris (...) Vous m'avez emmené en mer / comme esclave pour votre plantation"

Toute une série d'accusations sont portées à l'encontre de Colomb. Pour le groupe Culture, qui enregistre le morceau "Outcast" en 1997, il n'est pas seulement un voleur, un esclavagiste, mais aussi un violeur, suggérant une conquête territoriale, mais aussi sexuelle. "Ils n'ont pas voulu de Colomb en Italie. / Ils n'ont pas voulu de Colomb à Rome. / Alors pourquoi est-il venu aux Antilles pour nous déranger? / Comment se fait-il qu'il m'ait volé ma maison? / Comment se fait-il qu'il revendique ma  maison? / Il est venu aux Antilles et nous a vu sur les plantations /travaillant dur pour nourrir la prochaine génération. / Alors il a sorti son épée de pirate / Et a tout pris, en un tournemain. Voleur! (...) Il est venu voler notre or / Violer nos fils et nos filles âgés de 9 ans"

En 2010, au moment où les gangs sèment la terreur dans les ghettos jamaïcains, Chezidek s'interroge sur la matrice des guerres sanglantes. Il émet une hypothèse: "Est-ce le pirate Colomb qui s'est emparé des Caraïbes? (nous ne savons pas)". Who start (2010). La lecture des artistes reggae doit être replacée dans la logique eschatologique véhiculée par le rastafarisme. Dans cette perspective, Colomb devient l'incarnation du mal et le suppôt de Babylone. Ainsi, dans "What you gonna do", Pressure imagine Jah revenant juger les méchants lors du jugement dernier. "Vous lavez le cerveau de la jeunesse des ghettos et des bidonvilles / Vous enseignez aux jeunes qui est Colomb et comment utiliser une arme". Les deux titres lient les violences persistances de la société jamaïcaine à l'entreprise coloniale initiée par Colomb 500 ans plus tôt. "En d'autres termes, la violence qui imprègne la vie des jeunes jamaïcains les plus privés de leurs droits provient d'un système éducatif sur l'île qui continue de glorifier des conquérants comme Colomb, qui ont soumis, pillé, violé et réduit en esclavage les autres sous couvert de civilisation." (source B)

C° : De son vivant, Colomb apparaît déjà comme un personnage d'une grande ambivalence. Sa figure et sa mémoire connaissent des mutations très importantes, qui témoignent non seulement de l'évolution des sensibilités collectives, mais aussi de la remise en question d'une histoire eurocentrée traditionnelle, qui s'appuyait sur l'héroïsation d'explorateurs dont les statues envahirent l'espace public. Ces symboles sont aujourd'hui contestés. (6)

Pour terminer, il est intéressant de constater que la dépouille de Colomb peine aussi à se fixer. Enterré à Valladolid en 1506, son corps est ensuite déplacé à plusieurs reprises. Inhumé dans la cathédrale de Saint-Domingue, puis transféré dans celle de La Havane, il finit dans un mausolée installé dans la cathédrale de Séville. Au cours de ces déménagements, il semble que les restes aient été quelque peu dispersés. 

Notes :

1. Hormis, les titres mentionnés ci-dessous, d'autres morceaux évoquent la figure de Colomb. Citons pêle-mêle "Without you (my world is empty)" de Prodigy. ("Fuck Columbus, the Idians was here first"), "If i was president" de Wyclef Jean ("Tell the children the truth, the truth. / Christopher Columbus didn't discover America. / Tell them the truth."), "Colonial man" de Hugh Masekela ("Cortez, c'était un pirate / Comme Christophe Colomb / Il aimait la découverte / Ce n'était pas un de mes amis"), "Poussière d'empire" de Nessbeal ("Aujourd'hui Christophe Colomb, s'il débarque en Haïti / Il s'fait découper en deux par un Uzi !") ou encore "Black man" de Stevie Wonder.

2. la poésie parlée et musicale qui se développe au cours des années 1970 en Jamaïque, puis au Royaume-Uni.

3. Certains auteurs espagnols le présentent alors comme un usurpateur qui se serait approprié une découverte, dont la paternité revenait, en fait, à un marin espagnol disparu. Un protonaute prédécouvreur originaire de la péninsule, voilà qui tombe drôlement bien... 

4. Selon les estimations, bien sûr sujettes à cautions, dans les îles accostées par Colomb, la population atteignaient entre 3 et 8 millions d'habitants. A l'issue des expéditions, huit dixième d'entre-eux ont déjà disparu.

5. En 1974, Little Roy avait déjà écrit Christopher Columbus, un titre qui faisait des rastas les premiers résistants à l'envahisseur. "Men say Christopher Columbus / Discover on ya / But I know Christopher Columbus come steal dreadlocks’ honor."

6. La statue de Colomb a Mexico a été remplacée en 2020 par celle d'une femme olmèque anonyme. La journée du 12 octobre, Columbus day ou journée de l'hispanité selon les lieux, commémorant la découverte de l'Amérique en 1492, devient une journée de contestation. Les populations indigènes le transforment en journée de la dignité et de la résistance. 

Sources:

A. Giulia Bonacci, « Leçons d’objets. Pochettes de disque et représentations de l’esclavage dans le reggae jamaïcain », Esclavages & Post-esclavages [En ligne], 2 | 2020, mis en ligne le 19 mai 2020 

B. Daniel Arbino : "Reggae as subaltern knowledge : representations of Christopher Columbus as a construction of an alternative historical memory", 2017.

C. "Christophe Colomb post mortem", Concordance des Temps du 16 mars 2019 avec Denis Crouzet.

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