Sur l'histgeobox, nous nous intéressons aux conséquences politiques et sociales de l'importante émigration irlandaise aux Etats-Unis du XIX° siècle au début du XX°.
Entre 1815 et 1930, 18 millions de Britanniques quittent leur terre natale pour aller s'installer sur d'autres continents, en particulier vers l'Amérique.
* La "maladie de la pomme de terre" (mildiou) entraîne une terrible famine qui tue et précipite sur les chemins de l'exil des milliers d'Irlandais. La chanson "Dear Old Skibbereen" chantée par Sinead O'Connor nous permet de revenir sur ce drame national.
* Ces migrations de la misère se déroulent dans des conditions terrifiantes. L'entassement, le manque d'hygiène et les organismes affaiblis par les carences alimentaires font des navires de véritables mouroirs dont les Pogues parlent dans leur morceau "Thousands are sailing" (le présent article).* La "maladie de la pomme de terre" (mildiou) entraîne une terrible famine qui tue et précipite sur les chemins de l'exil des milliers d'Irlandais. La chanson "Dear Old Skibbereen" chantée par Sinead O'Connor nous permet de revenir sur ce drame national.
* Une fois arrivés à destinations, les Irlandais occupent les postes les plus ingrats. La version de la chanson traditionnelle "Poor Paddy on the railway", interprétée ici par les Pogues, évoque l'existence difficile d'un Irlandais obligé de travailler sur les lignes de chemins de fer en construction en Angleterre (Liverpool, Leeds...).
* Les immigrants aspirent à vivre dignement et si possible à s'enrichir. Pourtant, les conditions d'existence s'avèrent la plupart du temps très difficiles pour les migrants, bien loin du pays de cocagne vanté par les compagnies maritimes. Outre la douleur du déracinement, ils souvent accueillis avec réticence, voire victimes de xénophobie:
- La chanson "No Irish need apply" ("pas besoin d'Irlandais") illustre l'hostilité des Américains de "souche" envers les nouveaux venus.
- Les paroles du morceau "Don't bite the hand that's feeding you" rendent perceptibles le racisme dont sont toujours victimes les immigrés au début du XX°.
Ci-dessous une playlist de morceaux sur ce thème (n'hésitez pas à nous signaler d'autres morceaux intéressants):
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"Le 10 mars 1847
Le navire Medemseh de Liverpool en route pour New-York, s’est arrêté dans le port pour des réparations. Il attend maintenant à Cove avec à son bord des émigrants très pauvres et en mauvaise condition. Ils manquent de vêtements et de nourriture. Ils ont déjà consommé
leurs maigres provisions et ont à peine la force de soutenir cette éprouvante traversée. Ce que ces pauvres créatures doivent subir avant de prendre la mer déshonore le gouvernement et ses
règlements. Ils ne peuvent compter que sur la bienveillance de personnes qui traitent leurs passagers avec presque autant de brutalité que les capitaines des navires négriers."
Article du Cork Examiner.
Dès le XVIIIème siècle, des milliers d'Irlandais traversent l'Atlantique pour s'installer dans le Nouveau Monde.
Jusqu'en 1845, près d'un million de personnes quittent l'île pour rallier les Etats-Unis ou le Canada. Il s'agit alors surtout de protestants originaires d'Ulster. Seuls les bagnards ou les émigrants subventionnés rallient l'Australie compte tenu du coût de ce long voyage.
Les industries britanniques, pourvoyeuses d'emplois, continuent d'attirer.
Pour les plus pauvres, l'émigration se déroule souvent par étapes, le temps de rassembler suffisamment d'argent afin de payer le coût du bateau. Ils migrent donc d'abord vers la Grande Bretagne, Glasgow ou Liverpool, avant de traverser l'Atlantique. Cet exode concerne de nombreux petits fermiers, qui aspirent à un avenir meilleur dans le nouveau monde.
Reste que le coût du voyage, les dangers liés à une navigation encore périlleuse, la prolifération d'escrocs qui tentent de soutirer des sous à des candidats à l'exil désemparés, constituent autant de freins au départ.
* "des milliers sont en mer / sur l'océan atlantique / vers un pays prometteur".
Les départs se multiplient au début des années 1840 en raison des difficultés économiques qui affectent l'île. Les tenanciers ou ouvriers agricoles (catholiques pour la plupart), expulsés par les landlords et réduits à la misère par la Grande famine, quittent l'Irlande en masse à la fin de la décennie .
La diminution des tarifs de traversée en lien avec l'essor du commerce transatlantique et au gain de temps permis par les vapeurs, accentuent encore le mouvement. Les compagnies maritimes transatlantiques facilitent également cet exode en offrant des rabais sur les billets (es Cunard Lines proposent désormais des passages à 12 dollars par personne entre Londonderry ou Liverpool et New York ou Boston). Les transporteurs canadiens de bois proposent les places les moins chères. Plutôt que de rentrer à vide d'Europe, les navires repartent lestés d'une cargaison humaine.
Enfin de nombreux prospectus et journaux, mais aussi certaines lettres d'émigrés font miroiter un avenir meilleur pour des migrants facilement convaincus par la famine qui sévit dans l'île.
* L'émigration subventionnée.
Les propriétaires terriens anglais, redoutant des insurrections populaires liées à la famine, achètent un grand nombre de billets à leurs tenanciers pour s'en débarrasser. Théoriquement, ces landlords attribuent leur aide aux seuls émigrants "volontaires"; en réalité, il s'agit souvent de la seule alternative à l'expulsion. Des communautés entières partent sur des navires affrétés par les propriétaires terriens. Mais, on estime que 22 000 émigrants seulement ont été aidés par leur landlord entre 1846 et 1850.
Les autorités, dans leur majorité, considèrent que la prise en charge de l'émigration incombe aux propriétaires. Les colonies britanniques, de leur côté, incitent le gouvernement à freiner autant que possible l'afflux de ces Irlandais qui, en plus d'être pauvres, ont le tort d'être catholiques. Les seules émigrations subventionnées par l'Etat le sont dans le cadre de la Loi sur les Pauvres. Les autorités prennent en charge le voyage des indigents valides, principalement des femmes et des enfants, hébergés et entretenus jusque là dans des asiles (workhouse) en échange d'un certain travail [voir caricature ci-dessous]. Un autre programme d'émigration organise l'envoi vers l'Australie de jeunes Irlandaises orphelines, aux frais de la colonie en manque de femmes. Jusqu'en 1850, 4 000 femmes fuient les asiles de cette manière.
Caricature anglaise 1850, « en route Pour New-York ». Les « Poor House » sont les Asiles municipaux dans lesquels les indigents pouvaient recevoir des secours et des soins. Ils étaient très nombreux en Irlande, gérés par les notables locaux.
Avec la grande Famine, l'émigration prend une ampleur sans précédent à partir de 1846. Dans les régions les plus affectées par le mildiou, des familles affamées rallient en masse les ports de la côte est ou Liverpool, points de départ pour l'Amérique. Les régions traditionnelles de migrations (saisonnières ou définitives pour les moissons en Angleterre par exemple) alimentent les premiers flots de migrants. En 1847, 230 000 Irlandais fuient vers les Etats-Unis ou l'Australie. La diaspora irlandaise envoie des aides financières qui rendent possible l'achat d'un billet et permettent à des familles de fuir. Des régions entières se vident littéralement.
* " je suis venu sur un navire poubelle."
La traversée s'effectue sur de grands voiliers de bois bondés. Cette promiscuité, le manque d'eau potable, la saleté font de ces navires des foyers de maladies. Le typhus et le choléra déciment des passagers aux organismes affaiblis. Le taux de mortalité atteint des chiffres effrayants et transforme vite ces navires en "cercueils flottants". 10% des passagers en moyenne meurent en mer au cours de ces années (20% en 1847, année la plus désastreuse avec 40 000 victimes).
Pour les armateurs et les spéculateurs, la grande famine est une aubaine. L'urgence de la situation entraîne le relâchement des contrôles et permet aux sociétés de courtage maritime de surcharger les navires, au détriment de la sécurité des passagers. Pour échapper aux quelques règles élémentaires qui pourraient être exigées dans les grands ports, certains armateurs font appareiller des navires dans des petits ports de l'Ouest.
[Le "Jeanie Johnston" en 2010 sur les quais de la Liffey à Dublin. Il s'agit de la reproduction d'un famine ship qui a fait exception puisqu'il semble qu'aucun des 2500 Irlandais qu'il a transporté à partir de 1848 ne soit décédé pendant la traversée en raison de l'expérience de son capitaine. Dans le très intéressant musée du moulin de Blennerville près de Tralee dans le comté de Kerry, se trouve une maquette du navire qui a effectué son premier transport d'émigrants au départ de la ville. En savoir plus ici. Photos E. Augris]
[Le "Jeanie Johnston" en 2010 sur les quais de la Liffey à Dublin. Il s'agit de la reproduction d'un famine ship qui a fait exception puisqu'il semble qu'aucun des 2500 Irlandais qu'il a transporté à partir de 1848 ne soit décédé pendant la traversée en raison de l'expérience de son capitaine. Dans le très intéressant musée du moulin de Blennerville près de Tralee dans le comté de Kerry, se trouve une maquette du navire qui a effectué son premier transport d'émigrants au départ de la ville. En savoir plus ici. Photos E. Augris]
La traversée dure 40 jours et rares sont les passagers qui possèdent suffisamment de ravitaillement pour tenir. Pour les mieux lotis, il reste à acheter la nourriture vendue à prix d'or sur le navire. Pour les autres, il faut vivre de privations et gérer les stocks, au détriment de sa santé. Les équipages refusent de fournir l'eau et les rations alimentaires aux passagers, en dépit des législations en cours. Fièvres, dysenterie et mal de mer rendent le trajet particulièrement éprouvant et dangereux.
Un commissaire américain à l'immigration constatait: "Si l'on pouvait ériger des croix sur l'océan, la route des bateaux d'émigrants, entre l'Europe et l'Amérique, aurait depuis longtemps l'aspect d'un cimetière très encombré."
Howard Zinn, dans son histoire populaire des Etats-Unis, rapporte le récit de l'arrivée à Grosse Isle, à la frontière canadienne, d'un navire venu d'Irlande:
"Le 18 mai 1847, l'Urania, originaire de Cork, avec à son bord quelques centaines d'immigrants dont la plupart étaient malades ou mourant de fièvre, fut mis en quarantaine à Grosse Isle. Il s'agissait du premier de ces navires infestés par les épidémies qui remontèrent cette année-là le Saint-Laurent. [...] Les traversées les plus rapides se faisaient en six ou huit semaines. Qui peut imaginer l'horreur qui régnait, au cours de la traversée même la plus courte, sur ces bateaux bourrés au-delà de leurs capacités de pauvres émigrants de tous âges parmi lesquels sévissait l'épidémie. [...] L'équipage, que le désespoir avait abruti et rendu brutal, était paralysé par la peur de contracter la maladie. Les misérables passagers étaient incapables de se soutenir eux-mêmes ou d'accorder la moindre attention à leurs compagnons. [...] Imaginez les plaintes des enfants, les cris des délirants et les râles et grognements des agonisants! [...] Sur cet îlot inhospitalier, près de dix mille enfants de la race irlandaise sont restés consignés dans leurs tombes."
Shane McGowan, leader des Pogues, interprète ici une composition typique du groupe. Le chanteur a la voix éraillée y raconte les déboires des émigrés irlandais aux Etats-Unis. Le morceau se penche d'abord sur la très douloureuse émigration des "Irlandais de la famine"; l'intégration difficile dans un milieu hostile et la nostalgie qui assaille avec plus ou moins d'acuité les Irlandais partis en catastrophe ("Comptais-tu les mois et les années? / ou tes larmes séchèrent-elles rapidement?"). Pour certains, le voyage transatlantique se transforme en cauchemar, pour les plus chanceux il devient un nouveau départ ("Si la chance triomphe, / à travers l'océan atlantique, : leurs ventres pleins / leurs esprits libres / ils briseront les chaînes de la pauvreté / et ils danseront").
La fin du morceau s'intéresse à la période actuelle. Le pauvre hère qui déserte l'Irlande de la famine cède ainsi la place à un immigré parti à la découverte de la métropole new-yorkaise. Commence alors une errance éthylique sur les traces des plus illustres descendants de la diaspora irlandaise: Brendan Behan, un écrivain irlandais, républicain engagé et membre de l'IRA ou encore John F. Kennedy, l'illustre président de la République dont l'aïeul, Patrick Kennedy, débarque à Boston en 1849 et y meurt neuf ans plus tard à 35 ans, "cinq ans de moins seulement que n'aurait laissé prévoir l'espérance de vie des Irlandais en Amérique au milieu du XIX° siècle. Le premier Kennedy établi dans le Nouveau Monde devait être le dernier à mourir dans l'anonymat." [cf: Collier & Horowitz]
The Pogues: "Thousands are sailing" (1988)
The island it is silent now / But the ghosts still haunt the waves
And the torch lights up a famished man / Who fortune could not save
L'île est silencieuse désormais / mais les fantômes continuent de hanter les vagues
et une torche éclaire un homme affamé / que la chance n'a pas pu sauver
Did you work upon the railroad / Did you rid the streets of crime
Were your dollars from the white house / Were they from the five and dime
Travaillais-tu sur le chemin de fer? / Débarrassais-tu les rues de leur criminalité?
Tes dollars provenaient-ils de la Maison Blanche / ou bien du bazar?
Did the old songs taunt or cheer you / And did they still make you cry
Did you count the months and years / Or did your teardrops quickly dry
Les vieilles chansons t'accablaient ou te réconfortaient-elles? / Te faisaient-elles toujours pleurer?
Comptais-tu les mois et les années? / ou tes larmes séchèrent-elles rapidement?
Ah, no, says he, 'twas not to be / On a coffin ship I came here
And I never even got so far / That they could change my name
Ah non, dit-il, ce n'était pas une vie / je suis venu sur un navire cercueil
Et je n'avais même jamais été si loin qu'on puisse changer mon nom
Thousands are sailing / Across the western ocean
To a land of opportunity / That some of them will never see
Fortune prevailing / Across the western ocean
Their bellies full / Their spirits free
They'll break the chains of poverty / And they'll dance
des milliers sont en mer / sur l'océan atlantique
vers un pays prometteur / que certains ne verront jamais
Si la chance triomphe, / à travers l'océan atlantique,
leurs ventres pleins / leurs esprits libres
ils briseront les chaînes de la pauvreté / et ils danseront
In Manhattan's desert twilight / In the death of afternoon
We stepped hand in hand on Broadway / Like the first man on the moon
Dans un Manhattan désertique, au crépuscule / en fin d'après-midi
nous marchions ensemble sur Broadway / comme le premier homme sur la lune
And "The Blackbird" broke the silence / As you whistled it so sweet
And in Brendan Behan's footsteps / I danced up and down the street
La chanson "Le merle" brisa le silence / comme tu la sifflotas si bien
et dans les pas de Brendan Behan / j'ai dansé dans la rue
(...)
Then we raised a glass to JFK / And a dozen more besides
When I got back to my empty room / I suppose I must have cried
alors nous levèrent un verre pour JFK / et une douzaine d'autres suivirent
quand je revins dans ma chambre vide / je suppose que j'ai dû pleurer
Thousands are sailing / Again across the ocean
Where the hand of opportunity / Draws tickets in a lottery
Postcards we're mailing / Of sky-blue skies and oceans
From rooms the daylight never sees / Where lights don't glow on Christmas trees
But we dance to the music / And we dance
des milliers traversent encore / l'océan
où la main de la chance / tire les tickets à la loterie
les cartes postales que nous envoyons / des cieux bleu azur et des océans
depuis des chambres où la lumière du jour ne pénètre jamais /
où les lumières ne scintillent pas sur les arbres de Noël
mais nous dansons sur la musique / nous dansons
Thousands are sailing / Across the western ocean
Where the hand of opportunity / Draws tickets in a lottery
Where e'er we go, we celebrate / The land that makes us refugees
From fear of Priests with empty plates / From guilt and weeping effigies
And we dance
des milliers sont en mer / sur l'océan atlantique
où la main de la chance/ tire les tickets à la loterie
où que nous allions, nous célébrons / le pays qui a fait de nous des réfugiés
de la peur des prêtres aux assiettes vides / de la culpabilité et des effigies en pleurs
et nous dansons
Sources:
- Peter Collier et David Horowitz: Les Kennedy, une dynastie américaine, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
- E. Melmoux et D. Mitzinmacker: Dictionnaire d'histoire contemporaine, Nathan, 2008.
- Peter Gray, L'Irlande au temps de la grande famine, Découvertes Gallimard, 1995.
- Howard Zinn: "Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours", Agone, 2002, p262.
- Le site Strabon.
Liens:
- Sélection de liens intéressants sur l'histoire de l'Irlande.
Excellent travail. Je vais l'utiliser en cours ainsi que Gangs of NY. Merci à vous.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerBravo pour ce superbe travail!
Amateur des Pogues, je suis tombé par hasard sur votre page et j'ai appris plein de choses. Merci!
Une petite remarque sur la traduction. Vous proposez :
And I never even got so far / That they could change my name
=>et je n'étais même pas très loin / qu'ils pouvaient déjà changer mon nom
Je pense que "Et je n'ai même pas (jamais) été assez loin pour qu'il puisse changer mon nom" serait plus adapté.
C'est une allusion au fait qu'à l'arrivée à NY certains officiers d'état civil modifiaient les patronymes des arrivants qui ne leur plaisaient pas, car trop difficiles à écrire/prononcer en anglais, par exemple, ou pour des considérations ethniques ou religieuses, ou pour je ne sais quelle autre raison. Une pratique semble-t-il assez courante avec les noms jugés "trop" irlandais/gaéliques...
Merci pour ce commentaire. Je viens de corriger.
RépondreSupprimerJ.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe tiens aussi à vous féliciter pour ce remarquable travail.
La correction effectuée pour "And I never even got so far / That they could change my name" est à mon avis un contre-sens. Je pense que cela signifie plutôt "Et je n'avais même jamais été si loin qu'on puisse changer mon nom".
Merci pour vos encouragements et précisions.
RépondreSupprimerJB