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mardi 14 septembre 2010

219. Irving Kaufman: "Don't bite the hand that's feeding you"

L'histgeobox consacre plusieurs billets aux conséquences politiques et sociales de l'importante émigration irlandaise aux Etats-Unis du XIX° siècle au début du XX°.
Entre 1815 et 1930, 18 millions de Britanniques quittent leur terre natale pour aller s'installer sur d'autres continents, en particulier vers l'Amérique.
* La "maladie de la pomme de terre" (mildiou) entraîne une terrible famine qui tue et précipite sur les chemins de l'exil des milliers d'Irlandais. La chanson "Dear Old Skibbereen" chantée par Sinead O'Connor nous permet de revenir sur ce drame national.
* Ces migrations de la misère se déroulent dans des conditions terrifiantes. L'entassement, le manque d'hygiène et les organsimes affaiblis par les carences alimentaires font des navires de véritables mouroirs dont les Pogues parlent dans leur morceau "Thousands are sailing".

* Une fois arrivés à destinations, les Irlandais occupent les postes les plus ingrats. La version de la chanson traditionnelle "Poor Paddy on the railway", interprétée ici par les Pogues, évoque l'existence difficile d'un Irlandais obligé de travailler sur les lignes de chemins de fer en construction en Angleterre (Liverpool, Leeds...).

* Les immigrants aspirent à vivre dignement et si possible à s'enrichir. Pourtant, les conditions d'existence s'avèrent la plupart du temps très difficiles pour les migrants, bien loin du pays de cocagne vanté par les compagnies maritimes. Outre la douleur du déracinement, ils souvent accueillis avec réticence, voire victimes de xénophobie:
- La chanson "No Irish need apply" ("pas besoin d'Irlandais") illustre l'hostilité des Américains de "souche" envers les nouveaux venus.
- Les paroles du morceau "Don't bite the hand that's feeding you"(le présent article) rendent perceptibles le racisme dont sont toujours victimes les immigrés au début du XX°.
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Drapeau du Know Nothing party enjoignant les Américains de souche à se méfier des étrangers.

Certains Américains de "souche" (non pas les indiens, mais les Anglo-saxons protestants descendants de colons britanniques) s'organisent en associations et donnent naissance au mouvement « nativiste ». Ce mouvement politique xénophobe lutte contre "l'invasion" et l'influence des immigrés catholiques irlandais, et accessoirement allemands. Il apparaît aux Etats-Unis en 1836, sur fond de graves problèmes financiers.
D'abord organisés en sociétés secrètes, les nativistes se rassemblent au sein du Know-Nothing Party ("Je ne sais rien": la réponse que font les militants du Parti aux officiers de police lors des interrogatoires).
Aux lendemains de la grande famine, en lien avec l'afflux massif d'immigrants irlandais misérables, le mouvement connaît un essor fulgurant, concrétisé par la création de l'American Party qui parvient à faire élire 6 gouverneurs, 75 représentants au Congrès entre 1835 et 1860. Un quart des suffrages se portent même sur leur candidat, Millard Fillmore, aux présidentielles de 1856!

Les attaques des nativistes ne se cantonnent pas aux joutes oratoires, mais se caractérisent par une grande violence qui vise tout particulièrement les catholiques, perçus comme une cinquième colonne susceptible de trahir l'Union à la première occasion venue. En 1834, des émeutiers incendient le couvent des Ursulines à Charlestown (Massachussets). Dix ans plus tard, un litige relatif à la version de la Bible à utiliser dans les écoles publiques de Philadelphie conduit à l'incendie de deux églises catholiques. En 1836, la publication du pamphlet anticatholique Awful Disclosures of Maria Monk ("Les Révélations horribles de Maria Monk") rencontre un grand succès. On y dénonce de prétendus cas d'infanticides et abus sexuels dans un couvent de New York.

Les Etats pontificaux réduits à leur portion congru en Europe, les nativistes redoutent que le Vatican ne se tourne alors vers les Etats-Unis. Les catholiques irlandais seraient donc des traitres en puissance. Caricature de Thomas Nast (1870).

L'influence politique des nativistes est loin d'être négligeable puisqu'ils parviennent à obtenir des lois sur l'immigration plus restrictives. Pour la première fois le recensement de 1850 distingue les personnes nées sur le sol américain et celles nées à l'étranger.
Dans le Massachusetts, sous la pression des Know-Nothing, les autorités imposent la lecture de la Bible protestante dans les écoles publiques et interdisent l'enseignement des langues étrangères. Les Irlandais ne peuvent plus devenir employés d'Etat, tandis que leurs milices sont dissoutes.

Afin de circonscrire l'influence des Irlandais, les élites traditionnelles usent de divers subterfuges. Peter Collier et David Horowitz constate avec pertinence: "Quand les premiers Irlandais étaient arrivés, les brahmanes [les Américains de "souche"] si éloquents sur le chapitre de la démocratie, avaient tenté d'amortir l'influence des nouveaux venus par des moyens légaux; ils avaient d'abord entrepris de prolonger de cinq à vingt et un ans le délai de résidence nécessaire pour être électeur. Quand cette manœuvre et quelques autres eurent échoué, ils cherchèrent à contenir les Irlandais dans des quartiers de baraquements, mi-ghettos, mi-bidonvilles. Mais cette quarantaine qui leur était imposée, combinées avec les habitudes contractées sur l'Ancien Continent en matière d'organisations clandestines et d'autodéfense, devait conférer aux Irlandais de Boston un sens politique sans égal parmi les groupes d'immigrants."
Les attaques contre les Irlandais aboutissent à souder les rangs au sein des communautés de migrants en butte au racisme et leurs permettent de trouver des parades, notamment sur le plan politique.

Caricature soutenant le Know nothing Party, parue dans le Smithonian Magazine, 1850, the Granger Collection. L'Irlandais à gauche d'un Allemand porte une urne électorale ("ballot").

Dès lors, Les nativistes ont beau jeu de dénoncer l'influence néfaste des Irlandais sur les élections locales. Les effectifs importants d'Américains d'origine irlandaise dans certaines métropoles du Nord Est telles que Boston, New York ou Chicago, leurs permettent de s'organiser sur le plan politique. Dès les années 1870, ils forment des associations et des clubs, souvent autour de bars. Grâce à un intense travail de terrain, les organisateurs de ces groupes parviennent à s'emparer des rênes du parti démocrate local, permettant ainsi de distribuer des emplois locaux à la communauté. Athanase-Philippe Cucheval-Clarigny témoigne en 1850 de l'émergence du mouvement nativiste en réaction à l'influence politique des Irlandais catholiques: "A New York et dans quelques autres villes, les émigrants sont assez nombreux pour exercer une influence sensible sur les élections locales. Ils en ont tiré parti. Les Irlandais notamment se sont promptement organisés; ils votent avec ensemble dans toutes les élections, passant sans cesse d'un parti à l'autre, et sans autre préoccupation que de s'emparer des petites charges électives. [...]
Cette invasion par les étrangers des fonctions municipales et de tous les emplois qui en dépendent était devenue à cette époque si fréquente et si complète qu'elle exaspéra les Américains. Ceux ci ne purent supporter d'être ainsi dépouillés par de nouveaux venus qui étaient à peine citoyens, qui souvent même n'avaient pas encore droit de cité.

On réclama vivement contre l'influence illégitime exercée sur les affaires de l'Union [les Etats-Unis] par les étrangers qu'une générosité imprudente assimilait entièrement aux véritables Américains. Une agitation commença, des associations se formèrent pour réclamer la révision des lois de naturalisation, et pour ne porter dans les élections que des candidats américains de naissance."

Caricature de Joseph Keppler parue dans Puck, 1893. De riches Américains, eux-mêmes anciens immigrés, s'opposent à l'arrivée de nouveaux migrants.


* Violences contre les ouvriers asiatiques.

Si les nativistes rejettent particulièrement les Irlandais, ils fustigent tous les immigrés en général. Dans le dernier tiers du XIX° siècle, les immigrés asiatiques deviennent une de leurs cibles favorites.

Entre 1849 et 1882, 25 000 Chinois migrent aux Etats-Unis et travaillent dans les Etats de la côte ouest. Considérés comme des concurrents potentiels par les travailleurs californiens, les Chinois se voient confier les travaux les plus ingrats tels que la construction de voie ferrée (la Central Pacific Railroad en particulier). Une fois les chantiers ferroviaires terminés, les Chinois désœuvrés se dirigent vers San Francisco où ils deviennent des boucs émissaires faciles pour les ouvriers américains lors des crises économiques. Un mouvement anti-chinois animé par Denis Kearney, récent immigrant irlandais, voit même le jour.
Tout un ensemble de lois discriminatoires sont élaborées contre eux. Ainsi, la cour suprême de Californie disqualifie le témoignage des Chinois contre les Blancs en 1854. En 1868, le sénateur républicain Charles Sumner fait voter une loi interdisant la naturalisation des Chinois.
En 1871, la foule pend vingt Chinois au cours d'une nuit à Los Angeles. En 1885, à Rockspring, des ouvriers chinois embauchés pour briser une grève sont massacrés par des ouvriers américains (28 morts), leurs maisons incendiées.

Caricature (aux alentours de 1865). Deux immigrant, Chinois et Irlandais, dévorent l'oncle Sam, avant que l'Irlandais ne soit avalé à son tour par le Chinois.

Les autorités relaient ce mouvement en adoptant une Loi d'exclusion des Chinois en 1882. Les immigrants japonais et coréens subissent au début du XX° siècle l'animosité des syndicats ouvriers qui les accusent d'accepter des salaires de misères, au détriment des ouvriers américains. En 1905, une Ligue pour l'exclusion des Japonais et des Coréens voit même le jour.

* Regain de tensions au début du XX° siècle.

Les prises de position racistes ne se limitent désormais plus aux nativistes les plus farouches. Pour gagner des suffrages, les hommes politiques en campagnes n'hésitent pas à exprimer des sentiments xénophobes. En 1921, Calvin Coolidge (élu président deux ans plus tard) lance: "il y a des considérations raciales trop importantes pour qu'on les néglige... les Nordiques se multiplient avec succès. Avec les autres races, les résultats montrent qu'il y a détérioration sur les deux plans. Pour préserver la qualité de l'esprit et du corps. Il est tout aussi nécessaire pour une nation de respecter les lois ethniques que de respecter les lois sur l'immigration."

Les différents Etats du pays votent alors des lois racistes, anti-asiatiques notamment. Par exemple, la Californie adopte en 1913 l'Alien Land Law. Désormais, les Japonais ne peuvent plus posséder de terres.
Autre exemple, une Américaine qui épouse un étranger perd aussitôt sa nationalité, du moins jusqu'en 1922 (adoption du Cable act). Cette disposition reste de mise au delà de cette date pour celles qui se marient avec un Asiatique (qui ne peut être naturalisé).
D'autres mesures visent à restreindre les flux migratoires vers les Etats-Unis. Ainsi, à partir de 1924, le Johnson Act fixe des quotas (2% de ce que chaque groupe ethnique représentait en 1890).

Caricature anti-chinoise parue dans l'Illustrated WASP de San Francisco (1877).

La culture populaire américaine se fait parfois l'écho de ce rejet des immigrés. Ici, la chanson "Don't bite the hand that feeds you" de Thomas Hoeir reflète les idées xénophobes et "nativistes" d’une partie de l’opinion américaine. Le morceau date de 1916, en pleine guerre mondiale...

"Si vous n’aimez pas votre Oncle Sam, / Retournez chez vous au delà des mers, / Dans le pays dont vous venez."
Ces paroles xénophobes d'un autre temps font pourtant étrangement écho aux slogans nauséabonds utilisés par Donald Trump et consorts.




"Don’t Bite the hand that Feeds You" (1916) ["Ne mords pas la main qui te nourrit"]

Last night, as Iay a-sleeping
A wonderful dream came to me
I saw Uncle Sammy weeping
For his children over the sea;
They had come to him friendless ans starving,
When from tyran’s oppression they fled..
But now they abuse and revile him,
Till at last in just anger he said:
“If you dont like your Unccle Sammy,
Then go back to your homme o’ver the sea,
To the land from where you came,
Whatever be its name,
But dont be ungratful to me!
If you dont like the stars in old Glory,
If you dont like the Red, White, and blue,
Then dont act like the cur in the story
Dont bite the hand that feeding you!
You recall the day you landed,
How I welcomed you to my shores
When you came here empty handed,
And allegiance forever you swore?
I gathered you close to my bosom,
Of food and of clothes you got both,
So when in trouble I need you,
You will have to remember you oath

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Cette nuit en m’endormant
J’ai fait un rêve merveilleux,
J’ai vu l’oncle Sam qui pleurait
Pour ses enfants au delà des mers,
Ils venaient à lui rejetés et affamés
Fuyant l’oppression des tyrans.
Mais maintenant ils l’outragent et l’insultent
Jusqu’à qu’il leur dise avec colère :
Si vous n’aimez pas votre Oncle Sam,
Retournez chez vous au delà des mers,
Dans le pays dont vous venez,
Quelque soit son nom
Mais ne soyez pas ingrats
Si vous n’aimez pas la gloire étoilée
Si vous n’aimez pas le rouge, blanc, bleu
Ne faites pas comme le misérable de l’histoire,
Ne mordez pas la main qui vous nourrit.
Souvenez-vous du jour où vous avez débarqué
Je vous ai accueilli sur nos côtes
Vous aviez les mains vides
Vous avez juré d’être loyal
Je vous ai pris près de mon coeur
Je vous ai nourri et habillé
Si j’ai besoin de vous
Souvenez-vous de votre serment.

Sources:
  • Peter Collier et David Horowitz: Les Kennedy, une dynastie américaine, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
  • E. Melmoux et D. Mitzinmacker: Dictionnaire d'histoire contemporaine, Nathan, 2008.
  • Peter Gray, L'Irlande au temps de la grande famine, Découvertes Gallimard, 1995.
  • Howard Zinn: "Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours", Agone, 2002, p262.
  • Le site Strabon.
  • Caricatures hostiles aux immigrés irlandais.
  • AnnieMariage-Strauss: "les Etats-Unis face à l'immigration", Ellipses, 2002.
Liens:
- Série de caricatures nativistes.

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