En 1964, la carrière de Gilbert Bécaud est déjà bien lancée. Il a à son actif plusieurs albums et près de dix ans de carrière. Il a plus de 35 ans et a déjà rempli trois fois l'Olympia (il s'y produit 33 fois dans sa carrière...) où son énérgie lui a valu le surnom de "Monsieur 100 000 volts" !
Bécaud est le nom de son Beau-père, avec qui il a grandi à Toulon où il est né en 1927. Installé en Savoie pendant la guerre, il s'engage dans la Résistance. Il a vingt ans en 1947 et commence à composer à Paris. Il y chante en cabaret tout en jouant du piano. Il rencontre des personnes qui compteront dans sa carrière comme Jacques Pills, les paroliers Louis Amade et Pierre Delanoë qui écrit les paroles de son premier succès en 1955 : "Mes mains". C'est aussi l'année de son premier Olympia. La foule arrache les sièges...
Pour "Nathalie" (comme pour "Mes mains", "Le jour où la pluie viendra", "Je t'appartiens", "Et maintenant", "L'Orange" ou "La Solitude"), son parolier est Pierre Delanoë, auteur de plus de 5000 chansons pour les plus grands chanteurs français (citons Piaf et Gréco notamment), qu'il a rencontré après la guerre1.
Avec "Nathalie", Bécaud nous emmène à Moscou, sur la Place Rouge. Suivons le guide !
[Non, ce n'est pas un photomontage mais un portrait du Général de Gaulle sur la façade du Musée Historique au Nord de la Place Rouge à l'occasion du 40ème anniversaire de la visite du Président français en 2006]
Un contexte de rapprochement Franco-Soviétique
En octobre 1964, Nikita Khrouchtchev (venu en France à deux reprises en 1960) est débarqué au profit de Leonid Brejnev suite à son recul lors de la Crise de Cuba deux ans plus tôt. Le début des années 1960 correspond à un certain réchauffement des relations entre la France et l'URSS, à la fois en raison de la Détente qui prévaut entre les deux Grands, mais aussi par la volonté de de Gaulle d'avoir ses propres choix diplomatiques, quitte à froisser les Etats-Unis. En 1960, de Gaulle avait déclaré que la France et l'URSS étaient "filles de la même Europe" et parle d'une Europe de "l'Atlantique à l'Oural" (formule qu'il utilise dès 1950). De son côté, l'URSS n'hésite pas à jouer la carte française, comprenant tout l'intérêt qu'elle a à cultiver l'amitié d'un pays n'hésitant pas à critiquer le grand frère américain. C'est notamment sur le plan commercial que les contacts sont fructueux. Le ministre des Finances français Valéry Giscard d'Estaing est ainsi en visite à Moscou en janvier 1964, prélude à un accord commercial signé à Paris en octobre. A partir de l'année suivante, les échanges commerciaux connaissent une forte croissance. Les contacts politiques aboutissent à la visite de de Gaulle en URSS en 1966. La France multiplie également les rencontres avec les dirigeants des Démocraties populaires. Enfin, en cette même année 1964, la France, une décennie avant les Etats-Unis, établit des relations diplomatiques avec la Chine communiste de Mao, le frère ennemi de l'URSS.
A sa manière, Bécaud illustre ce "réchauffement" des relations entre la France et l'URSS, même si sa chanson est plus sentimentale que véritablement politique et subversive.
La Place Rouge entre hier et aujourd'hui
En octobre 1964, Nikita Khrouchtchev (venu en France à deux reprises en 1960) est débarqué au profit de Leonid Brejnev suite à son recul lors de la Crise de Cuba deux ans plus tôt. Le début des années 1960 correspond à un certain réchauffement des relations entre la France et l'URSS, à la fois en raison de la Détente qui prévaut entre les deux Grands, mais aussi par la volonté de de Gaulle d'avoir ses propres choix diplomatiques, quitte à froisser les Etats-Unis. En 1960, de Gaulle avait déclaré que la France et l'URSS étaient "filles de la même Europe" et parle d'une Europe de "l'Atlantique à l'Oural" (formule qu'il utilise dès 1950). De son côté, l'URSS n'hésite pas à jouer la carte française, comprenant tout l'intérêt qu'elle a à cultiver l'amitié d'un pays n'hésitant pas à critiquer le grand frère américain. C'est notamment sur le plan commercial que les contacts sont fructueux. Le ministre des Finances français Valéry Giscard d'Estaing est ainsi en visite à Moscou en janvier 1964, prélude à un accord commercial signé à Paris en octobre. A partir de l'année suivante, les échanges commerciaux connaissent une forte croissance. Les contacts politiques aboutissent à la visite de de Gaulle en URSS en 1966. La France multiplie également les rencontres avec les dirigeants des Démocraties populaires. Enfin, en cette même année 1964, la France, une décennie avant les Etats-Unis, établit des relations diplomatiques avec la Chine communiste de Mao, le frère ennemi de l'URSS.
A sa manière, Bécaud illustre ce "réchauffement" des relations entre la France et l'URSS, même si sa chanson est plus sentimentale que véritablement politique et subversive.
La Place Rouge entre hier et aujourd'hui
Bécaud nous raconte la place à travers le regard de Nathalie, sa guide russe. Dans la vidéo ou dans les paroles, différents lieux sont évoqués. Tentons de les repérer et de mieux les connaître.
[Au premier plan, la Cathédrale de Kazan, reconstruite, au plan intermédiaire, le Musée Historique et à l'arrière-plan la Tour Nikolskaïa faisant partie de l'enceinte du Kremlin; source]
- Le Mausolée en granit rouge abrite la dépouille de Lénine, exposée depuis sa mort en 1924. Il date de 1930 dans sa structure en pierre. Lénine est bien sûr le principal dirigeant des Bolcheviques pendant la "Révolution d'Octobre" 1917 dont parle si bien "Nathalie", la guide de Bécaud. Staline, un temps placé à côté de Lénine dans le Mausolée, a été retiré en 1961, déstalinisation oblige. C'est de la tribune du Mausolée que les dignitaires du régime soviétique suivaient les grands défilés comme celui du 1er mai, le défilé commémorant la victoire dans la "Grande Guerre patriotique" le 9 mai ou encore l'anniversaire de la Révolution (voyez la vidéo de celui de 1977 sur fond d'hymne soviétique).
[Les dignitaires soviétiques en 1966 à la Tribune du Mausolée. En arrière-plan, le Kremlin.© Bettmann/CORBIS]
- Le Kremlin est en arrière plan avec les tours et les symboles du régime qui l'ornent et que l'on aperçoit dans la vidéo. Le Kremlin est un complexe palatial de 1 km2 qui abrite de nombreux édifices religieux orthodoxes ainsi que l'Administration présidentielle. Il a été bâti à partir du XIIème siècle, même si l'essentiel date du XVIème siècle. L'utilisation de la brique rouge lui a donné . Détruit à plusieurs reprises, par les Tatars de Crimée au XVIème siècle, par les Polonais au XVIIème siècle puis par les troupes de Napoléon (qui y a résidé) en 1812, il a été régulièrement reconstruit. L'enceinte fait plus de 2 kilomètres et compte 20 tours dont la Spasskaïa, la Senatskaïa et la Nikolskaïa qui donnent sur la Place Rouge. C'est sans doute sur la Senatskaïa que sont placés les symboles du régime soviétique dans la vidéo de "Nathalie" : épis de blé, étoile rouge entourant une carte du monde recouverte par un marteau et une faucille.
- Quant au Café Pouchkine où Bécaud rêve de boire un chocolat chaud, il se trouve un peu plus au Nord, sur le Boulevard Tverskoï. Il tient son nom d'un des plus grands poètes russes, Alexandre Pouchkine, mort en 1837 à moins de 40 ans.
- Nulle mention des édifices religieux orthodoxes, en particulier de la Cathédrale Saint-Basile dans la chanson même si on l'aperçoit en arrière plan, probablement parce que Staline a décidé sa fermeture dès 1929, les cloches ayant alors été retirées. Les Blocheviques ont songé à la détruire dès la mort de Lénine en 1924. Elle gênait en effet les plans d'urbanisme élaborés par Staline. Le projet de démolition fit débat parmi les dirigeants et quelques architectes émettant des objections (tel Piotr Baranovski) finirent au Goulag. Elle retrouve le culte orthodoxe seulement en 1991. Le bâtiment, plusieurs fois restauré et modifié, avait été originellement construit à partir de 1555 sous Ivan IV dit le Terrible pour commémorer les prises de Kazan et Astrakhan aux Tatars. Les bulbes si caractéristiques datent de la fin du XVIème siècle mais n'ont été colorés qu'au XVIIème siècle. Son vrai nom est Cathédrale de l'Intercession-de-la-Vierge mais elle est plus connue sous le nom de Saint-Basile-le-Bienheureux parce qu'une de ses chapelles abrite les restes de ce saint du XVIème siècle qui n'hésitait pas à critiquer le Tsar. [Vous avez peut être vu cette église sur des affiches en Lorraine ces derniers temps, elle figure en effet sur la très belle affiche du Festival International de Géographie de Saint-Dié 2010. Le pays invité est en effet la Russie et le thème est la forêt, demandez le programme !]
[Au premier plan, la Cathédrale de Kazan, reconstruite, au plan intermédiaire, le Musée Historique et à l'arrière-plan la Tour Nikolskaïa faisant partie de l'enceinte du Kremlin; source]
- Autre monument religieux de la Place Rouge, la Cathédrale dite de Kazan. Elle a été détruite en 1936, mais elle a été reconstruite au début des années 1990.
[La façade du GOUM; source]
- Même s'ils occupent tout le côté Est de la place, Bécaud ne parle pas des Grands magasins GOUM (Glavny Ouniversalny Magazine ou Magasin Principal Universel) dont le batiment est en style néo-russe de la deuxième moitié du XIXème siècle. Il a été inauguré en 1893 (au moment d'un premier rapprochement franco-russe...). Il est alors le plus grand centre commercial du monde, symbole de l'entrée de la Russie dans l'ère industrielle par l'utilisation du fer, du verre et de l'acier. A l'époque soviétique, il est devenu Magasin d'Etat. [Voyez l'intérieur de la galerie ci-contre]
La Place Rouge, en même temps que le Kremlin, fait partie depuis 1990 du patrimoine mondial de l'UNESCO. Terminons par l'origine du nom de la Place. Il n'aurait rien à voir avec la couleur des briques ni avec la couleur du communisme mais avec le double sens de son nom en russe ancien krasny (красный/-ая), pouvant signifier à la fois "beau" et "rouge".
Dernière précision, la chanson a peut être contribué à populariser le prénom Nathalie, très en vogue dans les années 1960 et 1970 avec un pic en 1966. En russe, on dit plutôt Наталия (Natalia) , le diminutif étant Наташа (Natacha).
Dernière précision, la chanson a peut être contribué à populariser le prénom Nathalie, très en vogue dans les années 1960 et 1970 avec un pic en 1966. En russe, on dit plutôt Наталия (Natalia) , le diminutif étant Наташа (Natacha).
Gilbert Bécaud - "Nathalie" (1964)
Paroles: Pierre Delanoë. Musique: Gilbert Bécaud
La place Rouge était videParoles: Pierre Delanoë. Musique: Gilbert Bécaud
Devant moi marchait Nathalie
Il avait un joli nom,
mon guide
Nathalie
La place Rouge était blanche
La neige faisait un tapis
Et je suivais par ce froid dimanche
Nathalie
Elle parlait en phrases sobres
De la révolution d'octobre
Je pensais déjà
Qu'après le tombeau de Lénine
On irait au café Pouchkine
Boire un chocolat
La place Rouge était vide
J'ai pris son bras, elle a souri
Il avait des cheveux blonds,
mon guide
Nathalie, Nathalie...
Dans sa chambre à l'université
Une bande d'étudiants
L'attendait impatiemment
On a ri, on a beaucoup parlé
Ils voulaient tout savoir
Nathalie traduisait
Moscou, les plaines d'Ukraine
Et les Champs-Élysées
On a tout mélangé
Et l'on a chanté
Et puis ils ont débouché
En riant a l'avance
Du champagne de France
Et l'on a dansé
Et quand la chambre fut vide
Tous les amis étaient partis
Je suis resté seul avec mon guide
Nathalie
Plus question de phrases sobres
Ni de révolution d'octobre
On n'en était plus là
Fini le tombeau de Lénine
Le chocolat de chez Pouchkine
C'est, c'était loin déjà
Que ma vie me semble vide
Mais je sais qu'un jour à Paris
C'est moi qui lui servirai de guide
Nathalie, Nathalie
Moscou en bref
- La première mention de la ville date de 1147. La ville a été détruite à plusieurs reprises par les Mongols (1237, 1382). Elle devient la ville du Grand Prince en 1328.
- Pierre le Grand la prive de son statut de capitale au profit de Saint-Pétersbourg en 1712 mais la ville redevient capitale après la Révolution Russe en 1918.
- L'agglomération de Moscou compte aujourd'hui plus de 10 millions d'habitants (et une aire urbaine de 14 millions). Elle regroupe près de 9 % de la population de la Russie et une grande partie de ses fonctions de commandement économiques et financières en plus d'être la capitale politique (et celle des embouteillages...).
- Le maire de la ville était jusqu'à septembre 2010 le très influent Iouri Loujkov qui vient d'être limogé pour "perte de confiance" par le Président Dmitri Medvedev au terme d'une épreuve de force. Il était maire depuis 1992 et avait donc présidé aux transformations de la ville après la fin de l'URSS.
Liens :
- Un portrait de Bécaud par Radio Canada
- Une chronologie détaillée des relations de de Gaulle avec l'URSS
- Dossier sur le Modèle soviétique
- Une visite virtuelle de la Place Rouge
- Une autre chanson de Bécaud sur l'histgeobox : 31. Gilbert Bécaud:"Tu le regretteras"
A lire :
- Marie-Pierre Rey, La tentation du rapprochement. La France et l'URSS à l'heure de la Détente (1964-1974), Publications de la Sorbonne, 1991.
- Pascal Marchand, Atlas Mégapoles : Moscou, Autrement, 2010
Merci Etienne pour cet article qui s'il ne me transforme pas en fan de Bécaud donne quand même très envie de se rendre sur la belle place rouge....
RépondreSupprimerMerci pour la chouette balade. J'y suis allé en 1992... la préhistoire quoi, mais je ne sais pas si je reconnaîtrais aujourd'hui.
RépondreSupprimerJ.
Je me suis permise de mettre un peu de couleur sur les repères de la carte car je suis devenue une pro de Google maps à cause de vous.
RépondreSupprimerJe n'ai pas les yeux bleux et j'ai les cheveux moins blonds que Nathalie, mais enfin, heureux de vous avoir fait voyager....
RépondreSupprimerTrès bien les couleurs sur la google map. Est-ce une couleur par pays ?
Pas forcément je mets en couleur les repères correspondant aux articles parus.
RépondreSupprimeril me semblait que le café pouchkine n'existait pas et qu'il a été crée grâce au succès de la chanson...
RépondreSupprimerMais malheureusement je n'est aucune source viable pour prouver mes dires, c'est d'ailleurs plus une question que je vous pose : existait? existait pas?
Merci pour vos articles réguliers et toujours très intéressants...
Je dois dire que je ne le sais pas ce qu'il en est. A creuser donc...
RépondreSupprimerA mettre peut-être en perspective avec "la fille de Nathalie" (1983), une chanson beaucoup plus amère : https://www.youtube.com/watch?v=wRJdQVzRNNo
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