Le 22 juin 1941 à l'aube, Hitler lance l’opération Barbarossa.
Les troupes allemandes progressent en direction de trois objectifs principaux:
- le groupe nord dirigé par le général von Leeb doit s'emparer de Leningrad, berceau du bolchevisme que le Führer s'est juré de rayer de la carte,
- Le groupe centre du général von Bock se dirige vers Moscou la capitale politique et le cœur du pouvoir communiste,
- enfin le groupe sud de von Rundstedt se charge de faire main basse sur les riches terres à blé de l'Ukraine.
Une victime du siège de Leningrad est convoyée vers un lieu d'inhumation sur un traineau de fortune.
* une débâcle.
Mal préparée, l'Armée rouge dispose d'effectifs inférieurs à l'adversaire. Moins bien équipée en chars et avions modernes, elle recule. En quelques heures, la Wehrmacht pénètre profondément en territoire soviétique. L'aviation allemande parvient à détruire 1200 avions dès les premières heures de combats. La progression de l'armée allemande est fulgurante, notamment dans les régions occidentales annexées à la Russie à la suite du pacte germano-soviétique. (1) Elle s'empare de Minsk, capitale de la Biélorussie, 6 jours seulement après l'invasion. En trois semaines, les soldats avancent de 300 à 600 km. C'est seulement dans la région de Smolensk que les troupes soviétiques parviennent pour la première fois à contenir l'avancée allemande, de la mi-juillet à la mi-août 1941. Début septembre, Leningrad est presque totalement encerclée. L'étau se resserre aussi sur Moscou dont les faubourgs sont atteints par l'ennemi début décembre.
Pourtant à cette date, la Wehrmacht a mangé son pain blanc. Loin de leurs bases, les troupes, mal équipées et de plus en plus difficilement approvisionnées, reculent devant la contre-offensive lancée le 6 décembre par le général Joukov. Au printemps 1943 le front semble stabilisé. La bataille de Moscou marque ainsi l'échec de la Blitzkrieg, cette stratégie si efficace sur le front de l'ouest.
Il n'en reste pas moins que la situation demeure catastrophique pour l'URSS, amputée de ses terres les plus riches.
Lors du siège de Leningrad, les conduites d'eau gèlent. Les habitants privés d'eau doivent alors creuser la glace recouvrant les canaux et y puiser une eau sale et impropre à la consommation.
Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer l'effondrement militaire des premiers mois. Les conceptions militaires dépassées de Staline, convaincu que jamais les combats n'atteindront le sol de l'URSS, lui font opter pour une tactique militaire résolument offensive. Les territoires récemment annexés de l'ouest n'ont pas été fortifiés, tandis que le gros des troupes se trouve cantonné loin des zones frontalières.
D'autre part, l'effet de surprise recherché par Hitler fonctionne en dépit des nombreux avertissements communiqués à Staline. Dès le début 1941, plusieurs témoignages font état d'une prochaine invasion de l'URSS par les troupes allemandes. Le dirigeant soviétique n'y voit que désinformation et refuse d'ordonner les mesures de mobilisation que réclament les chefs militaires.
Enfin, la structure de commandement de l'Armée rouge est profondément désorganisée par les grandes purges de 1938. Ainsi, la plupart des officiers occupant des fonctions de commandement en 1940-41, sont inexpérimentés et mal formés.
Une habitante de Leningrad, Sonia Petrova, photographiée en mai 1941, mai 1942 et octobre 1942. Le visage horriblement hâve de la malheureuse atteste de la dureté du siège. (Musée national de l'histoire de Saint-Pétersbourg)
* le sursaut.
Pourtant, mis à part quelques rumeurs défaitistes lors des premières semaines de lutte, la société soviétique se mobilise bientôt entièrement dans la guerre. Afin de préserver le potentiel industriel du pays, les autorités font évacuer les usines vers l'est (Oural, Sibérie, Kazakhstan), loin du front. Le NKVD, très expérimenté en ce domaine, se charge du transfert de près de 17 millions de personnes (!), en particulier la main d’œuvre indispensable au fonctionnement des entreprises, les cadres politiques et administratifs... Cette entreprise titanesque et la mobilisation sur le "front du travail" des populations déplacées, permettent la reprise de la production industrielle dès le début de l'année 1942.
Comme le rappelle Nicolas Werth (cf sources), "c'est la participation de chaque citoyen soviétique à l'effort de guerre, qu'il fût sur le "front du travail" ou sur le front militaire, qui se révéla décisive. La barbarie nazie, qui ne laissait aux sous-hommes slaves d'autre alternative que la mort ou l'esclavage, joua aussi un rôle capital dans le sursaut patriotique de toute la société, prise de court, désorientée et abasourdie par l'ampleur du désastre de l'été 1941."
Après des jours d’atermoiements, Staline trouve enfin les mots nécessaires pour galvaniser la résistance dans son discours radiodiffusé du 3 juillet 1941. Il y exalte les valeurs patriotiques de la "Russie éternelle" ("Frères et sœurs! (...) Je m'adresse à vous, mes amis! (...) Un grave danger pèse sur notre Patrie."). Le conflit, désormais qualifié de "Grande Guerre patriotique" par les autorités soviétiques, ressoude les liens, très distendus au lendemain de la Grande Terreur, entre la société et le régime.
Ainsi, les efforts conjoints de l'Etat et de la société, auxquels s'ajoutent l'aide matérielle apportée par les nouveaux alliés de l'URSS (signature du pacte tripartite URSS/RU/EU le 1er octobre 1941) commencent enfin à porter leurs fruits. Les souffrances endurées par les populations ne font pourtant que commencer.
Les troupes allemandes progressent en direction de trois objectifs principaux:
- le groupe nord dirigé par le général von Leeb doit s'emparer de Leningrad, berceau du bolchevisme que le Führer s'est juré de rayer de la carte,
- Le groupe centre du général von Bock se dirige vers Moscou la capitale politique et le cœur du pouvoir communiste,
- enfin le groupe sud de von Rundstedt se charge de faire main basse sur les riches terres à blé de l'Ukraine.
Une victime du siège de Leningrad est convoyée vers un lieu d'inhumation sur un traineau de fortune.
* une débâcle.
Mal préparée, l'Armée rouge dispose d'effectifs inférieurs à l'adversaire. Moins bien équipée en chars et avions modernes, elle recule. En quelques heures, la Wehrmacht pénètre profondément en territoire soviétique. L'aviation allemande parvient à détruire 1200 avions dès les premières heures de combats. La progression de l'armée allemande est fulgurante, notamment dans les régions occidentales annexées à la Russie à la suite du pacte germano-soviétique. (1) Elle s'empare de Minsk, capitale de la Biélorussie, 6 jours seulement après l'invasion. En trois semaines, les soldats avancent de 300 à 600 km. C'est seulement dans la région de Smolensk que les troupes soviétiques parviennent pour la première fois à contenir l'avancée allemande, de la mi-juillet à la mi-août 1941. Début septembre, Leningrad est presque totalement encerclée. L'étau se resserre aussi sur Moscou dont les faubourgs sont atteints par l'ennemi début décembre.
Pourtant à cette date, la Wehrmacht a mangé son pain blanc. Loin de leurs bases, les troupes, mal équipées et de plus en plus difficilement approvisionnées, reculent devant la contre-offensive lancée le 6 décembre par le général Joukov. Au printemps 1943 le front semble stabilisé. La bataille de Moscou marque ainsi l'échec de la Blitzkrieg, cette stratégie si efficace sur le front de l'ouest.
Il n'en reste pas moins que la situation demeure catastrophique pour l'URSS, amputée de ses terres les plus riches.
Lors du siège de Leningrad, les conduites d'eau gèlent. Les habitants privés d'eau doivent alors creuser la glace recouvrant les canaux et y puiser une eau sale et impropre à la consommation.
Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer l'effondrement militaire des premiers mois. Les conceptions militaires dépassées de Staline, convaincu que jamais les combats n'atteindront le sol de l'URSS, lui font opter pour une tactique militaire résolument offensive. Les territoires récemment annexés de l'ouest n'ont pas été fortifiés, tandis que le gros des troupes se trouve cantonné loin des zones frontalières.
D'autre part, l'effet de surprise recherché par Hitler fonctionne en dépit des nombreux avertissements communiqués à Staline. Dès le début 1941, plusieurs témoignages font état d'une prochaine invasion de l'URSS par les troupes allemandes. Le dirigeant soviétique n'y voit que désinformation et refuse d'ordonner les mesures de mobilisation que réclament les chefs militaires.
Enfin, la structure de commandement de l'Armée rouge est profondément désorganisée par les grandes purges de 1938. Ainsi, la plupart des officiers occupant des fonctions de commandement en 1940-41, sont inexpérimentés et mal formés.
Une habitante de Leningrad, Sonia Petrova, photographiée en mai 1941, mai 1942 et octobre 1942. Le visage horriblement hâve de la malheureuse atteste de la dureté du siège. (Musée national de l'histoire de Saint-Pétersbourg)
* le sursaut.
Pourtant, mis à part quelques rumeurs défaitistes lors des premières semaines de lutte, la société soviétique se mobilise bientôt entièrement dans la guerre. Afin de préserver le potentiel industriel du pays, les autorités font évacuer les usines vers l'est (Oural, Sibérie, Kazakhstan), loin du front. Le NKVD, très expérimenté en ce domaine, se charge du transfert de près de 17 millions de personnes (!), en particulier la main d’œuvre indispensable au fonctionnement des entreprises, les cadres politiques et administratifs... Cette entreprise titanesque et la mobilisation sur le "front du travail" des populations déplacées, permettent la reprise de la production industrielle dès le début de l'année 1942.
Comme le rappelle Nicolas Werth (cf sources), "c'est la participation de chaque citoyen soviétique à l'effort de guerre, qu'il fût sur le "front du travail" ou sur le front militaire, qui se révéla décisive. La barbarie nazie, qui ne laissait aux sous-hommes slaves d'autre alternative que la mort ou l'esclavage, joua aussi un rôle capital dans le sursaut patriotique de toute la société, prise de court, désorientée et abasourdie par l'ampleur du désastre de l'été 1941."
Après des jours d’atermoiements, Staline trouve enfin les mots nécessaires pour galvaniser la résistance dans son discours radiodiffusé du 3 juillet 1941. Il y exalte les valeurs patriotiques de la "Russie éternelle" ("Frères et sœurs! (...) Je m'adresse à vous, mes amis! (...) Un grave danger pèse sur notre Patrie."). Le conflit, désormais qualifié de "Grande Guerre patriotique" par les autorités soviétiques, ressoude les liens, très distendus au lendemain de la Grande Terreur, entre la société et le régime.
Ainsi, les efforts conjoints de l'Etat et de la société, auxquels s'ajoutent l'aide matérielle apportée par les nouveaux alliés de l'URSS (signature du pacte tripartite URSS/RU/EU le 1er octobre 1941) commencent enfin à porter leurs fruits. Les souffrances endurées par les populations ne font pourtant que commencer.
Femmes creusant des fossés antichars autour de Leningrad au cours de l'été 1941. Le maréchal Vorochilov orchestre la défense de la ville, mais ne parvient pas à arrêter la progression de l'ennemi qui resserre sans cesse son étau. Son successeur, Joukov, réussit enfin à stabiliser l'encerclement et organise remarquablement la défense de la ville. En parallèle, des centaines de milliers d'hommes se font massacrer lors des contre-offensives destinées à percer les lignes allemandes. Jdanov, nommé en remplacement de Joukov rappelé à Moscou, renforce la censure et la propagande tout en organisant la survie des citadins.
* 16 mois de blocus.
Début septembre 1941, les armées de Hitler s’arrêtent aux portes de Leningrad. Le Führer a fait savoir qu'il refuserait toute capitulation et rappelé sa volonté de rayer de la carte le berceau du bolchevisme. Dans ces conditions la ville ne peut-être déclarée ville ouverte. Les soldats de von Leeb ne tentent donc pas d'y pénétrer et se "contentent" d'encercler une cité privée de ravitaillement par le siège qui s'engage. Le feld-maréchal de l'armée du Nord fait d'ailleurs savoir qu'il n'entend pas s'encombrer de 2,5 M de Leningradois pris au piège de l'avance allemande. Par sa rapidité, cette dernière a pris de cours les autorités de la ville qui n'ont pas pris de précautions particulières pour augmenter les stocks de ravitaillement. En outre, la coupure des voies ferrées au sud et à l'est empêchent très vite l'évacuation des citadins.
Pendant seize mois, Leningrad se trouve presque totalement coupée du reste du pays. Seule une voie très aléatoire, par le lac Ladoga, au nord de la cité, assure encore un lien ténu entre la ville et le reste de l'URSS.
Dès novembre 1941, une artère vitale est mise en place à travers le lac Ladoga englacé. Les convois se succèdent pour acheminer quelques vivres dans Leningrad. Au retour, les véhicules évacuent les citadins.
Ces trajets virent souvent au drame, car la luftwaffe bombarde le lac pour faire céder la glace sous les camions. Au cours de l'été 1942, lorsque le Ladoga redevient navigable, l'aviation allemande s'emploie à couler les navires soviétiques.
En permettant de dégager un corridor de dix kilomètres, la reprise de Schusselbourg le 17 janvier 1943, permet enfin aux Soviétiques de desserrer le blocus et de rétablir une liaison ferroviaire avec le reste du pays. [Carte tirée de L'Histoire n°367]
Par cette "route de la vie" que l'aviation allemande pilonne sans cesse, quelques évacuations reprennent timidement à partir du mois d'octobre. Par bateau ou avions, des "évacués prioritaires"_ membres de la nomenklatura, cadres et ouvriers spécialisés indispensables au fonctionnement des usines transférées_ quittent l'enfer de Leningrad. C'est encore par le lac Ladoga que de maigres ressources sont acheminées dans la ville assiégée. Les quantités de vivres s'avèrent toutefois très insuffisantes pour nourrir, même insuffisamment, une population dont les rations quotidiennes s'effondrent. Les produits de substitution font leur apparition comme cette gelée de boyaux de mouton fabriquée à partir d'un stock découvert par hasard dans le port. De même, le pain contient au fur et à mesure du siège de plus en plus d'ersatz en lieu et place du seigle. Lors des phases les plus critiques du siège, certains en sont même réduits à consommer le mastic des fenêtres ou le cuir des chaussures
Le froid constitue un autre problème récurrent. L'épuisement des réserves de charbon et de bois conduisent à brûler les meubles, les livres afin de se chauffer.
Convoi sur le lac Ladoga. A partir de janvier 1942, l'évacuation reprend sur une plus vaste échelle. L'épaisse couche de glace recouvrant le lac permet le passage des autobus et des camions. Au total, environ un million de Leningradois parvient à quitter la ville au cours de l'année 1942 (par camion en hiver et en bateau lorsque le lac redevient navigable).
Dans ces conditions, la mortalité explose. Chaque mois de janvier à mars 1942, la ville déplore la perte de plus de 100 000 de ses habitants. Les assiégés meurent d'épuisement (2), de froid et surtout de faim. Les autorités euphémisent en parlant de “dystrophie alimentaire”.
Seule la reprise des évacuations à partir du début de l'année 1942 permet d'améliorer un peu les ravitaillement de ceux qui restent.
Début 1943, la ville ne compte plus que 600 000 habitants soit un quart seulement de sa population 2 ans plus tôt. On estime qu'entre 700 000 et 900 000 habitants seraient morts au cours du siège qui prend fin au bout d'environ 900 jours. Le 27 janvier 1944, Leningrad est enfin libérée du joug nazi.
* La mémoire vive du blocus.
70 ans après les faits, et deux décennies après l'explosion de l'URSS, le “blokad” (blocus) continue d'alimenter les conversations d'une ville qu'il a profondément contribué à transformer. Ainsi le cimetière mémorial de Piskarevskoïe, dans les faubourgs, abrite 186 fosses communes sur 26 hectares, tandis qu'une "flamme éternelle" veille les victimes du siège. Dans un récent article, Matthieu Buge (cf sources) note: "Si elle est relativement méconnue du monde occidental (4), les autorités soviétiques puis russes, elles, n'ont évidemment pas lésiné pour multiplier les lieux de mémoire et les cérémonies annuelles dans lesquelles on distingue mal ce qui correspond à un hommage sincère et ce qui relève de la propagande."
De fait, trois musées dédiés au blocus, d'innombrables plaques et statues commémoratives, de fréquentes cérémonies entretiennent la mémoire de l'événement. Or, lors de ces hommages, il est fréquent d'entendre en fond sonore la 7ème symphonie que Chostakovitch compose pendant le siège.
Au début des années 2000, deux statues de chats sont installées dans la rue Malaïa Sadovaïa. Face à la prolifération des rats, redoutables vecteurs de maladies, les autorités se procurent 5.000 chats dans les villes sibériennes pour éradiquer les rongeurs.
* Chostakovitch et Staline.
Le compositeur a passé sa vie à louvoyer avec la censure artistique du régime stalinien, contournant, autant que possible les canons esthétiques du Réalisme-Socialiste. Talent précoce, il compose sa première symphonie en 1926, à seulement 20 ans et jouit d'une belle popularité jusqu'à ce que Staline assiste à l'opéra Lady Macbeth de Mzensk le 26 janvier 1936, deux ans après sa création. Le surlendemain, un article paru dans la Pravda éreinte l’œuvre: "Un galimatias musical: le chaos remplace la musique. (...) Il est difficile de suivre une « musique » pareille et impossible de la retenir. […] Rien ne rappelle la musique classique, […] le discours musical simple et accessible à tous." Sous la pression des autorités, et alors que beaucoup de ses proches sont arrêtés et déportés, le compositeur reprend désormais des motifs simples et supprime volontairement toute forme de dissonance trop évidente. De fait, la cinquième symphonie (1937), considérée officiellement comme la « réponse d'un artiste soviétique à de justes critiques » (sic), marque le retour en grâce du compositeur, qui semble se confirmer au cours de la "grande guerre patriotique".
Entre 1941 et 1945, Chostakovitch compose trois symphonies supposées dénoncer l’agression nazie et célébrer l’esprit de résistance de l’Armée rouge sur l’envahisseur allemand.
A la fin du mois de juillet 1941, Chostakovtich entame sa 7è symphonie qu'il dédie “à notre combat contre le fascisme [...] et à ma ville Leningrad“. Le compositeur ne se risque bien sûr pas au front, mais obtient néanmoins l'autorisation d'intégrer le corps des pompiers de la ville. Des photographies de Chostakovitch casqué permettent à la propagande soviétique de faire de lui l'archétype de l'artiste patriote. Devant l'ampleur des événements, les autorités décident d'évacuer le musicien à Moscou où il termine son œuvre. C'est dans cette ville, sauvée in extremis de l'attaque allemande qu'a lieu la première représentation de la 7e symphonie. A l'étranger, la cote du compositeur-pompier-patriote monte en flèche. Les chefs d'orchestre les plus prestigieux se disputent l'honneur de jouer la 7e qui est exécutée dans les mois qui suivent sa création au Royal Albert Hall de Londres, puis à New York (sous la direction d'Arturo Toscanini). Ce concert, diffusé le 19 juillet 1942 à la radio américaine, suscite un immense enthousiasme dans tout le monde libre.
La 7ème symphonie est exécutée dans la ville assiégée le 9 août 1942. Jouer l'oeuvre dans les conditions apocalyptiques du siège constitue une véritable gageure. (3) Sur la perspective Nevski à Leningrad, vente de billets pour assister au concert dirigé par Karl Eliasberg.
La propagande soviétique exalte une œuvre censée symboliser le sursaut national russe contre l'invasion allemande, un hymne à la résistance face à la barbarie. Pour décrire l'agression de l'ennemi, le compositeur répète à onze reprise le thème qui ouvre le premier mouvement, une marche de 18 mesures accompagnée d'un rythme répété à la caisse claire. D'abord anodin et léger, il devient lugubre, oppressant et se transforme en une marche monstrueuse, métaphore de l'invasion allemande.
Or, cette interprétation est largement contestée et les intentions de l'artiste restent floues. En effet, avant même le début de la guerre, Chostakovitch aurait joué cette mélodie à ses élèves du conservatoire. En outre, aux dires de son amie Flora Litvinova, le compositeur lui aurait affirmé que la symphonie ne portait pas "uniquement sur le fascisme, mais aussi sur notre système." L’œuvre serait donc une condamnation de tous les totalitarismes, y compris donc du stalinisme.
En tous les cas, le "petit père des peuples" apprécie la symphonie, qui vaut à son auteur un "prix Staline" en 1942. Staline goûte en revanche nettement moins la 9e. Dénuée de tout lyrisme, cette symphonie "à notre grande victoire" (dixit Chostakovitch) "manque" cruellement du souffle qu'implique une telle célébration. Staline entend désormais (nous sommes en 1945) remettre au pas l'intelligentsia russe.
Début 1948, Jdanov accuse les compositeurs Prokofiev, Chostakovitch et Khatchatourian de « formalisme » et leur reproche de ne pas composer d'airs susceptibles d’être repris par les ouvriers. Toute représentation des œuvres de Chostakovitch est interdite. Renvoyé des conservatoires de Moscou et Leningrad, le compositeur doit s'effacer et survit en composant des musiques de films. En dépit des vexations et humiliations endurées, il sort malgré tout indemne de ce regain de terreur.
Il lui faut cependant toutefois attendre le décès de Staline pour pouvoir de nouveau s'exprimer plus librement. (5)
Chostakovitch en pompier volontaire, préposé aux départs des incendies dans la ville à la une du magazine Time du 20 juillet 1942.
1. une grande partie de la population accueille favorablement les armées allemandes assimilées dans un premier temps à des armées de libération nationale.
2. Les conditions de travail s'avèrent particulièrement éprouvantes, notamment dans les usines d'armement qui continuent de fonctionner pour alimenter en munitions le front tout proche.
3. La partition est introduite une nuit de mars 1942. L'orchestre de la radio de Leningrad, en partie décimé par les combats, nécessite le recrutement dans l'urgence de musiciens supplémentaires parmi les soldats. Dépenaillés et amaigris, en dépit de rations alimentaires supplémentaires, ces derniers exécutent la 7e dont les mélodies se propagent dans toute la ville grâce aux haut-parleurs qui assurent la retransmission du concert.
4. "A l'ouest sur cinquante personnes qui frémirent devant le courage des Londoniens pendant la bataille d'Angleterre, y en avait-il une seule qui ait été au courant de ce qu'endurèrent les Leningradois?", écrit, au début des années 1960, le correspondant de guerre britannique Harrison Salisbury, un des très rares journalistes autorisé à rentrer dans Leningrad libérée en 1943.
5. En particulier la 10e symphonie, "portrait au vitriol de Staline" d'après le compositeur.
Pour prolonger la lecture de ce post et l'écoute de la 7ème symphonie "Léningrad" en Ut majeur, de Chostakovitch, nous vous suggérons de lire la passionnante BD consacrée à l'histoire de cette symphonie : Céka et Borris, Lutte Majeure, Casterman (coll. Kstr), 2010
Lire l'entretien que ce dernier nous a accordé sur Samarra.
Lire l'entretien que ce dernier nous a accordé sur Samarra.
Sources:
- Nicolas Werth et Mark Grosset: "les années Staline", éditions du Chêne.
- Matthieu Buge: "Leningrad, le plus long siège de l'histoire", L'histoire n°367, 09/2011.
- Symphozik.info: "Chostakovitch et Staline."
Liens:
- lien vers une émission d’Arte sur Chostakovitch et Staline.
- D'intéressantes ressources pédagogiques sur ce blog de collègue.
- Apocalypse: "le siège de Leningrad".
- Le jdanovisme.
Merci Julien pour ce post, quel épisode effrayant!
RépondreSupprimerThanks.
RépondreSupprimerA signaler pour compléter l'ouvrage du correspondant de la BBC Alexander Werth lors du siège: "Leningrad, 1943", réédité chez Tallandier en 2010.
http://www.monde-diplomatique.fr/2011/02/GOUVERNEUR/20173
Il existe une très belle BD qui traite de ce sujet: "Lutte majeure", de Borris et Céka, chez KSTR (= Casterman).
RépondreSupprimerD'ailleurs, le dessinateur s'est "approprié" la photo du soldat achetant un billet pour le concert.
Bonjour j'aurai besoin d'aide car j'ai pris cette œuvre pour l'histoire des arts mais je ne trouve pas de conclusion, est ce que quelqu'un pourrait m'aider???
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