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mardi 23 juin 2009

171. Fréquences éphémères: "La grosse commission."

Nous touchons ici à ce que l'on nomme la Françafrique dont Bongo représente sans doute l'incarnation la plus achevée. Il s'agit d'un système de liens privilégiés et de réseaux tissés entre les élites des anciennes colonies françaises sur le Continent africain et des acteurs économiques et politiques français.

En effet, une fois les indépendances acquises, les autorités françaises n'ont eu de cesse de maintenir des liens forts avec leurs anciennes colonies. Ainsi, de nombreux réseaux se sont tissés entre les présidents français et les nouveaux dirigeants africains. Le fait que ces derniers soient souvent à la tête de dictatures ne constitue pas un problème pour la "cellule africaine" de l'Elysée, tout au contraire. Un accord tacite se dessine alors qui repose sur le soutien de la France au pouvoir en place, tant que celui ci maintient les intérêts économiques français dans le pays, du donnant-donnant en somme.

Pour ce qui concerne le Gabon, c'est bien sûr l'exploitation des riches ressources pétrolières du pays qui retient l'attention et entraîne la création du groupe Elf.
Elf, le géant français du pétrole, a su en effet s'assurer l'exploitation des riches gisements pétroliers gabonais avec l'aval d'Omar Bongo.

Ci-dessous un morceau d'un 33 Tours sur lequel on peut lire: "offert gracieusement par Elf Gabon à l'occasion du XXIIème anniversaire de l'Indépendance à Port Gentil le 17 août 1982". Musicalement, le titre n'a à peu près aucun intérêt, en revanche les paroles valent le détour et soulignent les relations incestueuses à l'origine de la compagnie. Extraits:

"Il y a cela plus de trente ans une société est née
gabonaise de mère, française de père
elle s'appelle Elf-Gabon
grâce à Elf-Gabon et à l'or noir, nous avons eu
des hôpitaux, des usines, des routes, des maisons modernes,"
(..) suivent quelques équipements financés par Elf Gabon.
" Elf-Gabon à Port-Gentil, ça sent le pétrole."



Revenons sur trois affaires qui éclaboussèrent (de pétrole?) le président gabonais, ainsi qu'une grande partie de la classe politique française.

* L'affaire Elf:
l'enquête ouverte en 1994 par la juge d'instruction Eva Joly démontre l'existence d'énormes commissions occultes versées par la compagnie pétrolière française à Omar Bongo (entre autres) afin de sécuriser ses approvisionnements. Elle met aussi à jour des mécanismes de corruption de très grande ampleur. En retour, des caisses noires, financées par Bongo et d'autres responsables africains, assurèrent de coquettes sommes aux dirigeants de la compagnie, des salaires de complaisance versés à des proches des présidents de la République ainsi que des subventions aux partis politiques français de droite comme de gauche. Les réseaux africains d'Elf étaient animés par André Tarallo, le "M. Afrique" de la compagnie pétrolière et conseiller du président Bongo.


Lors du tonitruant procès de 2005, Omar Bongo ne fut pas convoqué_ protégé qu'il était par son immunité_ tandis que les dirigeants d'Elf héritaient de lourdes peines. Pourtant, le président gabonais a régulièrement été cité comme l'un des bénéficiaires des détournements de fonds publics (305 millions d'euros) reprochés aux prévenus.

* L'affaire Francesco Smalto.
En pleine présidentielle 1995, le couturier Francesco Smalto fut jugé à Paris pour avoir procuré à Omar Bongo des call-girls accompagnant la livraison de costumes, pour un montant de 3 millions de francs par an. Selon Smalto, "une présence féminine facilitait les commandes". Dans un livre d'entretiens publié en 2001 (Blanc comme Nègre, Grasset), Omar Bongo affirme que cette affaire, et les fausses rumeurs sur sa séropositivité qui l'avaient accompagnée, avait été montée en épingle par l'"entourage" d'Edouard Balladur. Implicitement, le président suggérait l'hypothèse d'une vengeance de M. Balladur destinée à sanctionner son choix en faveur de Jacques Chirac.

* L'affaire des "biens mal acquis".
En 2007, trois associations (Sherpa et Survie) accusent Bongo et quatre autres chefs d'Etat africains de"recel de détournement d'argent public" [sur la base d'un rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) recensant les avoirs détournés par plusieurs chefs d'Etat].
Le parquet de Paris ne classe pas la plainte et ouvre une enquête préliminaire en juin 2007. En 2008, l'enquête de l'Office central de répression de la grande délinquance financière dresse l'inventaire impressionnant des biens possédés en France par Bongo et ses proches (appartements, maisons, hôtel particulier. Il possède en outre onze comptes et de nombreuses voitures de luxe). Outré, Omar Bongo dénonce alors une "campagne de calomnies" contre le Gabon.
Ces poursuites judiciaires le convainquent en tout cas de ne pas venir se faire soigner en France. Décidément, tout fout le camp.

* La mort de la Françafrique?

Les rapports troubles entre les présidents de la République française et le dirigeant gabonais se sont maintenus tout au long de la cinquième. Rassemblant au delà des clivages politiques, Bongo est resté le "meilleur ami de la France" en Afrique. Après les années de Gaulle / Foccart, ni Valéry Giscard d'Estaing, ni Mitterrand et encore moins Jacques Chirac ne renonceront aux pratiques occultes.

Nicolas Sarkozy et Omar Bongo, lors du voyage du premier au Gabon.

Nous pouvions espérer que ces comportements fassent partie du passé, or il semble légitime d'émettre quelques doutes lorsqu'on constate que le précédent secrétaire d'Etat à la coopération, Jean-Marie Bockel, a perdu son poste (comme le monsieur à l'échine souple, il a accepté le poste de secrétaire d'Etat aux Anciens combattants) pour avoir critiqué les relations entre Paris et certaines capitales africaines. Bockel avait pris au mot Sarkozy et affirma donc son souhait de "l'acte de décès de la Françafrique". Les propos auraient fort déplu à Bongo qui l'a fait savoir et qui a donc obtenu de Nicolas Sarkoy le scalp du secrétaire d'Etat (Jean-Pierre Cot, secrétaire d’Etat à la coopération et au développement après la victoire de Mitterrand en 1981, fut débarqué pour les mêmes raisons en 1982.

Le morceau la Grosse commission propose un collage étonnant de discours de présidents français (de Gaulle, Chirac, Mitterrand) et d'extraits de la pièce de théâtre "Elf, la pompe Afrique", créée et jouée par Nicolas Lambert, animateur de Fréquence éphémères.
Ce titre est tiré de la compilation Africa wants to be free pilotée par l'association Survie.

Pour ceux qui l'auraient raté, nous publiions hier une "biographie musicale" d'Omar Bongo, lire l'article ici.

Sources:
- L'Afrique enchantée: "Bienvenue à Bongoland".
- Jeune Afrique n°2527, 12 juin 2007.
-Le Monde: "Bongo, une série d'affaires politico-judiciaires".


Liens:
- Le président gabonais Omar Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 41 ans et doyen des chefs d'Etat africains en exercice, est mort à l'âge de 73 ans. Avec cette disparition, comme le rappelle Libération, c'est un des piliers du système "Françafrique" qui disparaît. Conscient des carences du système de santé gabonais, qu'il s'est évertué à ne jamais développer (là n'étaient pas ses priorités), il est parti se faire soigner en Espagne il y a à peu près un mois (les récentes poursuites judiciaires ouvertes contre lui l'ont convaincu d'éviter la France).

- "Bongo et la France: quarante ans de mauvais coups" sur Rue 89.

- "Omar Bongo, une vie en image".


* Quelques titres sur l'histgeobox permettent d'aborder le problème de la Françafrique et des dérives dictatoriales de nombreux pays africains:
- Tiken Jah Fakoly: "Quitte le pouvoir".

- Tryo: "Pompafric".

- Dub Incorporation: "Survie".

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