vendredi 2 août 2013

Bob Dylan: "The death of Emmett Till."

Emmett Till naît à Chicago le 25 juillet 1941. Quelques années auparavant, sa mère a quitté le comté de Tallahatchie, dans le delta du Mississippi (1) , pour la prometteuse Windy City
Elle élève seule son fils unique depuis la disparition de son mari en 1943.
A l'été 1955, le temps des vacances, elle décide de confier Emmett à son frère, Moses Wright. Bobo, comme le surnomme affectueusement sa mère, a 14 ans. Il découvre auprès de ses cousins un univers dont il ne soupçonnait pas l'existence. 

Emmett "Bobo" Till et sa mère.
A Chicago, il a déjà été confronté aux difficultés économiques. Dans la grande métropole du Nord, une stricte ségrégation socio-spatiale sévit, les Noirs restent confinés dans de sordides ghettos tels que South et West-Side. Pour autant, l'adolescent y fréquente une école intégrée et côtoie des blancs quotidiennement. 
Dans le Vieux Sud, les rapports interraciaux diffèrent profondément. Dans le contexte d'une société sudiste ségrégationniste, l'obsession des communautés blanches est de "remettre le Noir à sa place". Comme le souligne J.-P. Levet, "chaque attitude, interprétée comme un indice d'affirmation identitaire et donc comme un acte potentiellement subversif, est susceptible de valoir à un Noir un châtiment pouvant aller jusqu'au lynchage." 
Une étiquette stricte s'impose dans les rapports quotidiens entre Blancs et Noirs. Par exemple, un Noir ne doit pas regarder dans les yeux un Blanc, ne doit pas s'adresser à lui en premier, ne pas lui répondre d'une voix forte, ne pas regarder une Blanche ou même simplement avoir l'air renfrogné. Ces règles non-écrites, mais connues de tous, régissent ainsi toutes les relations interraciales. Leur remise en cause semble impensable.
Or le Delta du Mississippi, où se déroule le drame est l'une des zones les plus dures et les plus violentes en matière de ségrégation raciale.
Alors que partout ailleurs la pratique du lynchage tend à disparaître, dans le delta du Mississippi, elle continue de faire partie de la culture locale jusqu'à l'orée des années 1950.
Carolyn Bryant.
Dans la soirée du 24 août 1955, Emmett Till  et ses cousins s'entassent dans une Ford pour se rendre dans la bourgade de Money, trou perdu de 200 âmes du comté de Leflore, dans le Mississippi. Lors d'une discussion animée, les adolescents se titillent. Un des cousins de Till l'accuse de n'être qu'un beau parleur lorsqu'il se targue de fréquenter des filles blanches. Piqué au vif, le garçon n'entend pas en rester là. 
Il pénètre alors dans l'épicerie du village. Que s'y passe-t-il? Impossible de le dire avec certitude. Carolyn Bryant, l'épicière blanche affirme que l'adolescent  lui a tenu des propos déplacés, l'a sifflé pour lui signifier qu'elle était à son goût, avant de lui lancer "Salut chérie".
La jeune femme prend peur, sort de sa boutique et part chercher une arme.
Bobo et ses cousins déguerpissent, affolés.
Aux yeux des tenants de la ségrégation cela ne fait aucun doute, Emmett Till vient de briser le tabou suprême: l'interdit pesant sur la femme blanche, signant du même coup son arrêt de mort.
L'épicerie des Bryant à Money (Mississippi).
Le 28 août à deux heures du matin, un camion pick-up se gare devant la ferme de Moses Wright. Deux blancs en descendent: Roy Bryant, mari de la jeune épicière "outragée" et son demi-frère surnommé J.W. Milam.
 L'un d'entre-eux tambourine à la porte et lance: "Prêcheur Moses! C'est M. Bryant! Tu as un garçon de Chicago chez toi?" L'oncle du jeune homme tente de s'interposer. En vain. Emmett Till est traîné jusqu'au camion. Son calvaire commence. 

Cliché tiré du magazine Jet du 22 septembre 1955.
Trois jours plus tard, un pêcheur aperçoit une chose informe, flottant sur la Tallahatchie. Il s'agit d'un cadavre mutilé. Le corps, lesté par un ventilateur d'égreneuse à coton de 25 kg, se trouve dans un état de décomposition avancé. De nombreux stigmates attestent des violences subies: il manque une oreille, les traces de coups abondent sur le crâne, un œil est sorti de son orbite...
 Sur place, le shérif du comté, H. C. Strider, déploie tout son zèle pour expédier l'identification et procéder au plus vite à l'inhumation. Il convoque Moses Wright et l'informe de la macabre découverte. Le vieil homme n'identifie l'adolescent que grâce à sa chevalière. Strider ordonne au plus vite à l'oncle d'enterrer l'adolescent. Si tel avait été le cas, ce lynchage n'aurait représenté qu'une statistique de plus. Seulement, Mamie Till-Mobley ne l'entend pas de cette oreille et exige le rapatriement du corps à Chicago. Pour l'en dissuader, les autorités du Mississippi réclament 3000 dollars, une somme énorme pour les faibles revenus de la mère dévastée. La National Association for the Avancement of Colored People (NAACP) entre alors en scène et organise une collecte de fonds pour financer le rapatriement de la dépouille. Mrs Till obtient donc gain de cause. 
Dans le même temps,  Medgar Evers, le responsable de l'organisation à Jackson (Mississippi), convaincu que les officiels feraient tout pour enterrer l'affaire, se rend sur place pour mener sa propre enquête. Dès lors, accompagné de deux camarades, il sillonne la campagne, en quête de témoins. Ces enquêteurs doivent user de la plus grande prudence car, depuis la décision Brown vs Board of Education of Topeka, arrachée à la Cour suprême en 1954, les membres du NAACP sont traqués inlassablement par les tenants du suprématisme blanc. (2)
Les photos publiées dans le magazine Jet, créent une grande émotion.
Aux yeux des militants de la NAACP, le massacre d'Emmett Till doit être connu de tous et bénéficier d'une médiatisation importante. A l'annonce du meurtre, de grandes manifestations de protestation s'organisent dans les métropoles du Nord.
 A Chicago, un bras de fer s'engage. Mr Rayner, le responsable des pompes funèbres, a promis aux autorités du Mississippi de sceller le cercueil. Au contraire, Mamie Till souhaite que la mort de son fils marque les esprits. "Les gens doivent voir ce que j'ai vu." Finalement, Emmett Till aura droit à des funérailles à cercueil ouvert. Dans la chapelle Cottage Grove au sud de Chicago, près de 50 000 personnes se prosternent devant le cercueil recouvert d'une glace, permettant ainsi d'apercevoir le cadavre putréfié. Les photographies de presse immortalisent le visage monstrueux du supplicié, suscitant une immense émotion. Comme par un jeu de miroir, cette face informe reflète l'horreur tranquille du Sud raciste.  

Devant l'écho médiatique de l'affaire, un procès s'ouvre le 19 septembre 1955. Roy Bryant et J.W. Milam, respectivement mari et beau-frère de l'épicière, sont poursuivis pour enlèvement et meurtre.  Le procès se déroule à Sumner, à quarante kilomètres seulement de Money, le fief même des assassins présumés de Till. Autant dire que les avocats de la défense jouent sur du velours. La population blanche du Mississippi sert les rangs derrière les deux inculpés, pour lesquels une collecte de 10 000 dollars est réunie. La réaction dominante des blancs du comté de Tallahatchie est l'incompréhension totale à l'idée que ces hommes soient jugés et risquent leur tête pour avoir défendu leur honneur bafoué. Or, ce sont ces rednecks locaux, tous originaires du même comté que Bryant et Milam, qui composent le jury!
Bryant, Milam et leurs compagnes prennent la pose pour les photographes.
L'atmosphère dans le tribunal est oppressante. Les témoins de l'accusation doivent se frayer un passage au milieu d'une  foule hostile pour accéder au tribunal. 
A l'intérieur, la température avoisine les 48 degrés, les ventilateurs du plafond ne font que brasser l'air étouffant!
La salle d'audience offre un spectacle surréaliste. Aux meilleures places siègent le jury et le public blanc, alors que la mère de la victime et les avocats de l'accusation sont relégués au fond de la salle.  Pendant le procès, le shérif Strider ne s'emploie pas à assurer le bon déroulement de la justice, mais à faire respecter la ségrégation dans la salle! Chargé de retrouver les témoins et de réunir les preuves, il a déployé tout son zèle pour étouffer l'affaire. Interrogé par un des nombreux reporters venus couvrir le procès, il affirme: "On a jamais aucun souci, sauf avec les nègres du Sud qui viennent dans le Nord. La NAACP leur monte la tête et après, ils reviennent chez nous. S'ils mettaient pas leur nez dans nos affaires. On serait plus à même de faire appliquer les lois du comté de Tallahatchie et du Mississippi."  
Le jurés lors du procès.
"Dans ce procès, a confié Whitten des années plus tard, nous nous battions moins contre les Noirs que contre le coup de force du Nord.
En dépit des apparences, le procès ne se déroule pas dans le huis clos de la citadelle raciste du Deep South. Ainsi, les grandes chaînes de télévision couvrent le procès grâce à leurs envoyés spéciaux. L'Associated Press se charge de transmettre les informations collectées aux médias étrangers. L'affaire Till fait sensation dans le monde entier. 
Dans le sillage de Medgar Evers et de la NAACP, certains journalistes, outrés par cette parodie de justice, partent eux-même en quête de témoins. Or, les Noirs du comté se murent dans le silence, bien conscients qu'ils risquent très gros à prendre position en faveur de la victime. Finalement, un jeune métayer du nom de Willie Reed - qui a vu Till sur la plate-forme arrière du camion de Milam, puis entendu ses cris - accepte de témoigner, au péril de sa vie.
Mais le témoins clef reste Moses Wright. Il a vu distinctement les hommes venus chercher son neveu chez lui. Il se cache depuis la nuit de l'enlèvement et a reçu des menaces de mort.  Encouragé par Evers, il accepte tout de même de se rendre à la barre. Lorsque le juge lui demande s'il reconnaît dans la salle les auteurs du rapt, la tension est à son comble. Courageusement, Moses Wright se lève et pointe un doigt accusateur en direction de Milam et Bryant. Le geste est incroyable. Ici, dans le Mississippi, un Noir a osé accuser des Blancs!
Mais dès leurs dépositions effectuées, Reed et Wright qui risquent très gros, sont contraints de quitter définitivement le Mississippi. La NAACP prend en charge leur installation dans le Nord du pays.
De gauche à droite: Roy Bryant, Milam et leurs compagnes exultent à l'annonce du verdict.
A la barre, Mamie Till confirme que le cadavre qui lui a été présenté est bien celui de son fils. Or, lors du contre-interrogatoire, les avocats de la défense ne lui épargnent rien. L'un d'entre-eux conclut: "N'est-il pas vrai que la NAACP et vous avez concocté cette histoire? Vous êtes venus ici ensemble, vous avez déterré un corps et vous avez prétendu que c'était celui de votre fils. N'est-il pas vrai que votre fils est à Detroit avec son grand-père?"
Par conséquent, en l'absence de corps, il ne peut y avoir crime.

Certes, les deux accusés concèdent avoir emmené Emmett Till, mais ils assurent l'avoir relâché ensuite. Pour la défense, le meurtre n'a pas été commis par des Blancs, mais "par les agents d'un groupe sinistre qui tente de détruire l'ordre social du Sud et d'élargir le fossé entre les Blancs et les gens de couleur aux Etats-Unis." Tout le monde aura reconnu la NAACP.
A l'issue des 5 jours de débats, l'avocat de la défense, John C. Whitten termine sa plaidoirie par ces mots: "Vos pères se retourneront dans leurs tombes si [Milam et Bryant] sont déclarés coupables et je suis  sûr que l'Anglo-saxon qui est en vous aura le courage de libérer ces hommes face à la pression qui les accable."
Après une petite heure de délibération, Bryant et Milam sont déclarés non coupable. A l'extérieur du tribunal, on tire aussitôt des coups de feu en signe de réjouissance. La nouvelle de l'acquittement fait la une des gros titres de la presse nationale et enflamme l'opinion internationale. 
Quand le juge demanda à Moses Wright s'il reconnaissait dans la salle l'un des hommes venus chercher Emmett avant sa disparition, la tension était à son comble. La photo de l'événement, prise subrepticement par l'envoyé de Life Magazine, est partie dans la minute pour New York, avant de faire le tour du monde.
* "Ce maudit nègre avait des semelles crêpe."
Quelques mois après l'acquittement, en janvier 1956, les confessions des deux assassins paraissent dans le magazine Look, sous le titre Approved Killing in Mississippi. Protégés par la loi qui interdit de poursuivre une personne deux fois pour la même accusation, Bryant et Milam vendent leur histoire pour 4000 dollars. L'auteur de cet article terriblement efficace, William Bradford Huie, s'est rendu à Money où il  a rencontré Milam et Bryant. Le journaliste recueille leurs confessions terrifiantes. J.W. Milam raconte: "Je ne suis pas un tyran, je n'ai jamais fait de mal à un Noir de toute ma vie. J'aime les Noirs – quand ils se tiennent à carreau – et je sais les faire travailler. Mais j'ai décidé qu'il était temps d'en rappeler quelques-uns à l'ordre. Tant que je vivrai, je veillerai à ce que les Noirs restent à leur place. Les Noirs ne voteront pas chez moi. Ils n'iront pas à l'école avec mes enfants. Et, si l'un d'entre eux fait des propositions à une femme blanche, c'est qu'il en a marre de vivre et je le tuerai. Moi et les miens nous nous sommes battus pour ce pays et nous avons certains droits. Alors, je lui ai dit : ‘Petit gars de Chicago, j'en ai marre qu'ils envoient des types comme toi ici pour faire des histoires. Je vais faire de toi un exemple – pour que tout le monde sache ce qu'on pense, moi et les miens.'
Il poursuit: "On l'a emmené juste pour le fouetter, pour le ramener à la raison. Il y a une remise derrière chez moi, deux pièces de 4 mètres sur 4. Là-dedans, à tour de rôle, on l'a frappé à la tête avec le 45. D'abord mon frère, puis moi. On l'a remis dans le pick-up. On savait ce qu'on allait faire. Il y a un endroit à 2,5 km du pont où les berges sont à pics. C'était parfait. J'ai levé l'arme. J'ai tiré, mais le garçon a gigoté, il a été touché à l'oreille. On a attaché le poids avec du barbelé et fait rouler le corps sous 6 mètres d'eau boueuse. Pendant trois heures, ce matin-là, on a fait brûler un grand feu. Ce maudit nègre avait des semelles crêpe. Ca brûle très mal ces trucs là. "
Huie ne peut que conclure: "La majorité, pas toute, mais la majorité de la population blanche du Mississippi soit approuve ce qu'a fait Big Milam ou un autre, soit ne le désapprouve pas suffisamment pour prendre le risque de satisfaire son ennemi avec une accusation."
 
En dépit des demandes formulées par la NAACP et Mamie Till (3), le dossier reste clôt pendant des décennies. Ce sont finalement les recherches effectuées par Kenneth Beauchamp; dans le cadre de la réalisation d'un film-documentaire, qui changent la donne. Le réalisateur affirme qu'au moins 14 individus (dont 5 toujours en vie à ce moment là) seraient impliqués dans le lynchage. Il parvient en outre à collecter de nouveaux témoignages. La justice américaine décide alors de la réouverture du dossier en 2004. Le corps d'Emmett Till est exhumé et autopsié, invalidant définitivement la thèse de l'erreur de cadavre. 
Cependant, compte tenu de la disparition des principaux protagonistes, les choses en restent là.

Que conclure de cette sordide affaire? 
Il s'agit en apparence d'une victoire pour le Sud raciste, mais en apparence seulement. 
- Ainsi, la victoire a un goût amer pour Bryant et Milam. L'épicerie du premier, boycottée par les Noirs aux lendemains du procès, périclite rapidement. Devenus persona non grata dans leur propre communauté, ils s'expatrient au Texas dès 1957.
- Surtout, ce lynchage constitue une étape cruciale dans la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis. Un an après la mise hors la loi de la ségrégation scolaire, le crime confirme à quel point la lutte s'annonce âpre dans des bastions sudistes tels que l'Alabama et le Mississippi.
En outre, et pour la première fois, la presse grand public nationale s'intéresse au lynchage d'un Noir dans le Vieux Sud. Les clichés du cadavre de Till stupéfient de nombreux Américains qui pensaient les lynchages définitivement disparus.
Le procès et son issue ont galvanisé le mouvement pour les droits civiques. Pour preuve, cent jours après l'assassinat, Rosa Parks refuse de céder sa place dans un bus de Montgomery (Alabama). Or, elle racontera par la suite que, confrontée à la colère des passagers blancs, elle s'était donnée du courage en songeant au malheureux Till...
- Enfin, le lynchage suscite une très vive émotion au sein des jeunes générations. 
Bob Dylan, qui est né la même année que Till, a 21 ans lorsqu'il décide de consacrer une chanson à l'assassinat de ce dernier.  Arrivé depuis peu au Greenwich Village, il vient d'y rencontrer Suze Rotolo. La jeune femme travaille comme secrétaire au CORE (Congress of Racial Equality: une organisation de lutte pour les droits civiques). Elle raconte tous les soirs à son amant des histoires sur la lutte pour les droits civiques, contribuant ainsi au réveil de la conscience politique du chanteur. 
En janvier 1962, à la veille de participer à un concert de bienfaisance organisé par le CORE, le chanteur compose "The Ballad of Emmett Till", première chanson d'une série de protest songs enregistrées entre janvier 1962 et octobre 1963. 
Depuis lors, Dylan s'emploie à détruire son image de chanteur protestataire et porte un regard souvent très critique sur ces chansons qui l'ont rendu célèbre. Il qualifie par exemple the Ballad of Emmett Till de "chanson stupide". Du pur Dylan, mais surtout ... ne le croyez pas.

 


The death of Emmett Till
 'Twas down in Mississippi not so long ago
When a young boy from Chicago town stepped through a Southern door
This boy's dreadful tragedy I can still remember well
The color of his skin was black and his name was Emmett Till

C'était dans le Mississippi, il n'y a pas si longtemps
Qu'un jeune type de Chicago a passé une porte dans le Sud
J'ai toujours présente à l'esprit l'horrible fin tragique du garçon
Sa couleur de peau était noire, son nom était Emmett Till

Some men they dragged him to a barn and there they beat him up
They said they had a reason, but I can't remember what
They tortured him and did some things too evil to repeat
There where screaming sounds inside the barn, there was laughing sounds out on the street

Des hommes l'ont entraîné dans une grange et passé à tabac
Ils disaient avoir leurs raisons, mais lesquelles, je ne sais plus
Ils l'ont torturé et fait des choses trop affreuses à répéter
Dans la grange on hurlait, dans la rue on riait

Then they rolled his body down a gulf amidst a bloody red rain
And they threw him in the waters wide to cease his screaming pain.
The reason that they killed him there, and I'm sure it ain't no lie,
Was just for the fun of killin' him and to watch him slowly die.


Ils ont roulé son corps au bas d'un ravin dans une pluie de sang
Et l'ont jeté dans le cours d'eau pour que cessent ses cris de douleur
La raison pour laquelle ils l'ont tué, et je suis sûr que c'est la bonne
C'était pour le seul plaisir de le tuer et de le voir mourir à petit feu

And then to stop the United States of yelling for a trial,
Two brothers they confessed that they had killed poor Emmett Till.
But on the jury there were men who helped the brothers commit this awful crime,
And so this trial was a mockery, but nobody seemed to mind.


Et puis, pour empêcher toute l'Union d'exiger à grands cris un procès
Ils ont fait avouer à deux frères le meurtre du pauvre Emmett Till
Mais parmi les jurés étaient des hommes qui avaient aidé les deux frères dans leur crime atroce
Le procès a donc été une comédie, et personne ne s'en est ému

I saw the morning papers but I could not bear to see
The smiling brothers walkin' down the courthouse stairs.
For the jury found them innocent and the brothers they went free,
While Emmett's body floats the foam of a Jim Crow southern sea.


J'ai regardé les journaux du matin, mais je n'ai pu supporter la vue
Du sourire des deux frères descendant l'escalier du palais de justice
Car le jury les a innocentés et les frères sont sortis libres
Tandis que le corps flotté d'Emmett est écume d'une mer du Sud ségrégationniste

If you can't speak out against this kind of thing, a crime that's so unjust
Your eyes are filled with dead men's dirt, your mind is filled with dust
Your arms and legs they must be in shackles and chains, and your blood it must refuse to flow
For you let this human race fall down so God-awful low!

Si vous ne pouvez pas dénoncer ces crimes, leur injustice et le reste
C'est que vos yeux sont emplis du terreau des cadavres, votre tête est emplie de poussière
C'est que vos bras et que vos jambes sont sûrement dans les fers et que votre sang refuse de faire ne serait-ce qu'un tour
Car l'espèce humaine vous la laissez tomber bien bas!

This song is just a reminder to remind your fellow man
That this kind of thing still lives today in that ghost-robed Ku Klux Klan
But if all of us folks that thinks alive, if we gave all we could give
We could make this great land of ours a greater place to live

Cette chanson n'est qu'un rappel pour qu'entre hommes on se souvienne
Que ces faits animent encore les robes de fantômes du Ku-Klux-Klan
Mais si nous tous qui pensons pareil donnions ce que nous pouvons donner
Nous ferions de notre beau pays un meilleur endroit où vivre.

Traduction de l'anglais par Robert Louit et Didier Pemerle, tirée de l'ouvrage "Bob Dylan. Lyrics. Chansons, 1962-2001.", Fayard, 2004.


Notes:  
 1. J.P. Levet précise: "Le Delta n'a rien à voir, comme on pourrait le penser de prime abord, avec l'embouchure du Mississippi: c'est une étendue plate entre le Mississippi à l'Ouest, la Yazoo River à l'Est; Vicksburg au Sud et Clarcksdale au Nord."
2. Depuis le lendemain de la guerre, la NAACP poursuit son combat sur le plan judiciaire. La décision Brown vs Board of Education of Topeka, arrachée à la Cour suprême en 1954, déclare la ségrégation scolaire anticonstitutionnelle. Mais dans les États du deep South, l'injonction juridique reste lettre morte. 
3. Mamie Till se rend à Washington pour demander la réouverture du dossier. Malgré plusieurs milliers de lettres de protestation contre les autorités du Mississippi, le président Eisenhower et le directeur du FBI, J.E. Hoover, refusent d'ouvrir une enquête fédérale. Le premier ne daigne même pas répondre au télégramme de Mamie Till.




Sources:
- "Bob Dylan. Lyrics. Chansons, 1962-2001.", Fayard, 2004.

- Marie-Agnès Combesque: "Martin Luther King Jr", Éditions du Félin, 2004.
- Nicole Bacharan:"Les Noirs américains. Des champs de coton à la Maison Blanche.", Panama, 2008. 
- Jean-Paul Levet: "Talkin' that talk. Le langage du blues, du jazz et du rap.", Outre mesure, 2010.
- Pap Ndiaye: "Les Noirs américains. En marche pour l'égalité", Découvertes Gallimard, 2009.
- Dorian Lynskey: "33 Révolutions par minute. Une histoire de la contestation en 33 chansons", Rivages rouge, 2012.
- Courrier international: "Qui a participé au martyre d'Emmett Till.
- L'express: "A la mémoire d'Emmett Till, 14 ans."
 
 Liens:
- PBS: "The murder of Emmett Till.

- Documentaire l'assassinat d'Emmett Till et la VO
- "D'Emmett Till à Rosa Parks."
- "Emmett Till, vie et mort."

5 commentaires:

Anonyme a dit…

"...entre janvier 192 et octobre 1963". 1962, mais sinon je n'aurais pas été contre, si l'oeuvre des musicos contemporains de son époque s'était étalée sur la même période! ;)
"mais surtout...ne le croyait pas." =croyez?...
En tous cas, excellent article comme d'habitude sur ce site.
La récente affaire Trayvon Martin a de sombre relents qui semblent susceptibles de se répéter encore longtemps dans la partie sud de la Bible Belt.

blottière a dit…

Ooops! Je corrige tout de suite. Merci.
J.

Anonyme a dit…

Merci pour cet article très fouillé.
Connaissez-vous "Le ring invisible"?
C'est une fiction récemment parue sur la jeunesse de Mohamed Ali.
L'auteur présente l'assassinat d'Emmett Till (qui occupe toute la première partie) comme un événement fondateur dans la vie du boxeur.

http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=355

blottière a dit…

Merci. Non, je ne connais pas ce roman, mais j'ai lu comme vous que Cassius Clay "désigne toujours ce meurtre comme le déclencheur de sa conscience politique." (Y. Delmas et C. Gancel: "Protest song", Textuel)
Comme Dylan, il est né la même année que Emmett Till.

J

Anonyme a dit…

Merci pour cet article très complet qui m'a permis de découvrir cette sordide histoire – néanmoins cruciale.
Je signale une autre erreur, dans la traduction des paroles de la chanson (dernière ligne du quatrième couplet) : ce n'est pas le "crime" mais le "procès" qui a été une comédie.