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mercredi 14 avril 2021

Avec ses "Ensembles vocaux et instrumentaux" (VIA), l'URSS prétendait contrer l'influence pernicieuse du rock occidental. Ce fut un fiasco.

La guerre froide est un conflit idéologique, économique et culturel. Au sein du bloc soviétique, les arts font donc l'objet d'une attention constante et doivent se conformer aux canons esthétiques communistes définis par Jdanov en 1947. Dans le domaine musical, les autorités scrutent avec la plus grande attention les musiques venues de l'Ouest. Selon Staline, le jazz était une expression bien trop décadente pour permettre l'avènement de l'homme nouveau. Il faut donc attendre la mort du "vojd", en 1953, pour que ce genre musical ait enfin droit de citer. En tout cas, à la fin des années 1960, le jazz est devenu un art sérieux, une "manifestation spontanée de la conscience noire opprimée par l'impérialisme."

L'avènement et l'essor du rock aux États-Unis à partir du milieu des années 1950 suscitent une adhésion populaire dans tout le bloc occidental. Pour les cadres du PCUS, il s'agit d'"une tentative de subversion idéologique sur le front de la musique." Aux yeux de la jeunesse soviétique en revanche, le rock tient de la "révélation extatique" (source A). Joël Bastenaire dans son remarquable "Back in the USSR" (source A) explique ainsi le succès immédiat: "Bien avant que sa dimension contre-culturelle ne soit rendue évidente par l'interdit, c'est son caractère mordant et rageur qui fascine un public bercé par les orchestrations consensuelles que diffuse la radio. (...) Le sens des paroles chantées en anglais est obscur mais celui des gestes est évident. Ces signifiants évoquent des inversions de valeur sur lesquelles les jeunes peuvent reconstruire leur identité." (source A p 33)

Dmitry Rozhkov, CC BY-SA 3.0

 Très vite, censure et répression  s'abattent, implacables. Les disques occidentaux sont interdits. Pour pouvoir malgré tout écouter la musique prohibée, la jeunesse soviétique déploie des trésors d'inventivité.  

- Les étudiants en médecine, par exemple, détournent de vieilles radios médicales pour graver d'après les enregistrements de la BBC et de Voice of America. Pendant des années, ces étranges et fragiles matériaux musicaux s'échangent sous le manteau contre quelques roubles. Gravés sur une seule face, ces disques souples ne résistent pas à plus d'une trentaine de passages sous l'aiguille d'un phonographe. (1)
- Comme les guitares électriques restent introuvables en URSS, le seul moyen de s'en procurer est de les fabriquer à partir d'instruments acoustiques équipés de micros ou d'en importer en catimini de Tchécoslovaquie.  

- La CIA finance Radio Free Europe, dont les puissants émetteurs diffusent les nouvelles et la musique américaines de l'autre côté du rideau de fer. Les ondes deviennent ainsi le moyen privilégié pour atteindre les gens de l'autre côté du rideau de fer, en dépit des efforts déployés par les Soviétiques pour les brouiller. Comme le rappelle Andrey Makarevich, le leader du groupe Machina Vremeni,  "on avait du mal à capter la station, parce que le KGB faisait tout pour brouiller les ondes, ça faisait bzzzzzz tout le temps, mais en pleine nuit cela se rétablissait et on entendait enfin quelque chose." Tous ces stratagèmes permirent au rock de s'immiscer subrepticement dans le camp soviétique. 

* Beatlemania. 

Dès le début des années 1960, la Beatlemania déclenche dans le bloc de l'Est une frénésie comparable à celle que l'on observe partout ailleurs. La répression dont font l'objet les amateurs de rock se relâche furtivement. Un premier concert se tient même à Moscou en 1966 et le rock parvient à se faire un chemin dans les grandes villes. Des groupes nommés Sokol, Skifi, Gradski ou Orfey adaptent les tubes américains et se produisent dans les cafés ou les salles des fêtes des universités. La chape de plomb retombe pourtant très vite. En août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie écrasent le Printemps de Prague et sa tentative d'instauration d'un socialisme à visage humain. La répression s'abat de nouveau contre les représentants de la "culture décadente" dont les faits et gestes font l'objet d'une intense surveillance. Le matériel de scène de Sokol disparaît ainsi mystérieusement, tandis que leur manager est envoyé en camp de rééducation sous un prétexte fallacieux. Les concerts de Skifi sont interrompus par la police lorsqu'ils suscitent trop d'enthousiasme...

* Les autorités communistes proposent leur propre version du rock, parfaitement artificielle.

Le VIA Cœurs battants, CC BY-SA 3.0
 Face à l'indéniable attraction du mode de vie américain sur la jeunesse, les autorités hésitent sur l'attitude à adopter. Faut-il intégrer cette musique pour s'en servir ou la bannir?  Si le régime n'interdit pas formellement la pratique du rock, il l'encadre néanmoins strictement. Les musiciens doivent ainsi passer des auditions devant une commission. Composé de fonctionnaires, ce jury examine attentivement les textes des chansons, le jeu de scène, la musique pratiquée. Dès lors, pour se produire en URSS, il faut subir un strict encadrement. Les autorités soutiennent des groupes officiels dont on s'assure qu'ils véhiculent bien les valeurs du parti. Le nouveau mécanisme de surveillance prend corps avec la création de VIA, pour Ensembles vocaux- instrumentaux (ВИА = Вокально-Инструментальные Ансамбли). Selon la terminologie officielle, ils ne jouent pas du rock (l'homophone russe signifie "destin"), mais du beat, une musique sage et raide faite de chansons folkloriques ou de reprises en russe de tubes anglo-saxons. A la condition de passer sous les fourches caudines de la censure, les formations musicales peuvent devenir professionnelles et bénéficier de tournées subventionnées. Les critères de validation des groupes n'en demeurent pas moins drastiques.  Il devient impératif de se couper les cheveux, de s'habiller "correctement", d'utiliser des instruments folkloriques (keytar, balalaïka), de diffuser un message optimiste et constructif à destination de la jeunesse. Énoncé en russe, les paroles développent les thèmes éternels de la musique populaire (l'amour, la joie), mais aussi le patriotisme et les valeurs soviétiques. A ce prix, les VIA jouissent du soutien logistique et financier de l’État. Faute de mieux et de rivaux, la plupart des groupes remportent un immense succès. Citons Poyushchiye Gitary (les Guitares chantantes > Поющие гитары), (les Cœurs battants > Поющие сердца), Tsvety (les Fleurs), Zemlyane, Pesniary, Samosvety, Veselye Rebyata (les Joyeux Garçons > Веселые Ребята). En 1970, ces derniers écoulent plus de   15 millions d'exemplaires de leur album et obtiennent un tube avec Люди Встречаются. Les paroles n'ont rien de subversives: "les gens se rencontrent, / tombent amoureux et se marient. / Et moi, je n'ai pas de chance. / Je souffre, mais hier soir, / j'ai fait la connaissance d'une fille." Le VIA Samosvety adopte quant à lui "la positive attitude" avec У Нас, Молодых:"Nous les jeunes / Nous avons le temps devant nous / Beaucoup de jours dorés pour travailler / Nos mains ne sont pas faites pour l'ennui." En 1969, les Guitares chantantes interprètent "Il était une fois un gars". Les paroles narrent l' histoire tragique d'un type venu d'Amérique. Il adore jouer les titres des Beatles, des Rolling Stones, mais déteste la guerre et la mort... Une lettre d'incorporation l'oblige à rentrer aux États-Unis. A la fin du morceau, on apprend que le malheureux est mort au Vietnam. L'ancrage politique d'une chanson est donc possible, mais à la seule condition de fustiger le bloc de l'Ouest.

Chaque République soviétique possède son VIA proposant "une musique de variétés bien à soi, faite d'un mélange de traditions locales et d'esthétiques importées", dont le répertoire exalte la culture nationale et le patriotisme. Citons Yalla  en Ouzbékistan, Chervona Ruta en Ukraine, Pesniary en Biélorussie, Orera et Ivéria en Géorgie.  "Ces groupes bien payés et dotés de bon matériel sont protégés de la concurrence d'éventuels rivaux par une sorte de clause d'exclusivité qui interdit les ondes et les plateaux de télévisés aux autres groupes locaux (...)." (source A p 48)

 Le VIA se compose donc d'un ensemble de musiciens professionnels adoubés par l'État. Un ensemble type comprend 6 à 10 membres, généralement multi-instrumentistes. Les groupes ne jouissent d'aucune autonomie d'autant qu'un directeur artistique (художественный руководитель) supervise la production de chaque formation dont le répertoire est écrit par des compositeurs professionnels, le plus souvent membres de l'Union des compositeurs soviétiques. Avant chaque concert, la liste des chansons doit être approuvée par le ministère des affaires culturelles. Le label d’État Melodiya produit et distribue les VIA, tandis que Radio Moscou se charge de la diffusion des morceaux. Les groupes obtiennent généralement le droit de jouer sur des guitares électriques, mais sur scène ils doivent arborer un complet ou une tenue traditionnelle et proscrire toute chorégraphie suggestive. Les instances de surveillance imposent bientôt de chanter les refrains à l'unisson et d'intégrer des chanteuses dans les groupes afin de rendre possible l'interprétation de duos.

Concert de Zemlyane en 1984.  Public domain, via Wikimedia Commons

* Un pays, deux systèmes. 

Au tournant des années 1970, on a donc d'un côté des musiciens professionnels rémunérés (les VIA) et muselés par l’État et de l'autre, une vraie scène non officielle qui réunit dans l'ombre de plus en plus de groupes amateurs dont un des points communs est de refuser de chanter en russe, assimilé à la culture officielle. Ces deux mondes évoluent dans deux directions opposées, irréconciliables, même si des membres de VIA participent parfois aussi à des groupes de rock non reconnus. La double appartenance permet de gagner un peu d'argent et de justifier d'une couverture professionnelle. 

C'est aussi le moment où la contre-culture américaine franchit le rideau de fer avec la mode hippie. De nombreux jeunes soviétiques partent vers les républiques périphériques à l'est de l'URSS, dans le Caucase et en Asie centrale pour y goûter l'herbe et trouver un petit boulot qui permettra de financer un autre voyage. Parmi les amateurs de flower power se trouve Mashina Vremeni ("la machine à remonter le temps" / Машина Времени), un groupe de Moscou. Écrite en 1972, "La chanson du millionnaire" (Песня про миллионера) fustige le cynisme des membres de la nomenklatura vivant en nababs. "Mon nom et ma photo sont dans les journaux / Cinq voitures dorées m'attendent sous le porche /Je m'assois avec une expression préoccupée. / La vie est comme un rêve (2X) Je me suis payé des toilettes en or". Fondé par un jeune Moscovite de bonne famille nommé Andreï Makarevitch, le groupe propose une musique très inspirée des Beatles ou de Cat Stevens. Les textes, audacieux et subtiles, livrent une ferme critique métaphorique d'un communisme en déshérence. "Cette approche conciliante dans la forme et radicale sur le fond sert de modèles pour la génération montante, celle qui prendra la relève au cours des années 1980." (source C)

A la fin de cette décennie, l'effondrement de l'appareil de censure d’État permet l'épanouissement d'une scène rock underground dynamique. L'avènement des synthétiseurs et des samplers précipitent le déclin des formations musicales pléthoriques. Ces facteurs contribuent à l'extinction des VIA dont les paroles lénifiantes ne sont plus du tout (l'ont-elles jamais été?) en phase avec les aspirations de la jeunesse. 

> Pour contrer la séduction du rock occidental, le Parti a proposé un ersatz bien trop sage et édulcorée pour concurrencer le rock, un genre musical reposant sur la surenchère et la transgression sonore et scénique. Ne pouvant disposer du moindre espace de liberté, les VIA étaient voués à l'échec.

Notes:

1. Le processus de recopie et d'auto-distribution d'enregistrements audios clandestins en Union soviétique se nomme le magnitizdat, en référence au fameux samizdat littéraire.

  

Sources:
A. Joël Bastenaire: Back in the USSR. Une brève histoire du rock et de la contre-culture en Russie, Le Mot et le reste, 2012.
B. Jukebox: "Leningrad 1980: le rock au pays des Soviets"
C. Continent musique: "Le rock soviétique, «mouvement vers le printemps» (1957-1991)"
D. "Quand le rock dérangeait le Kremlin.", documentaire de Jim Brown diffusé sur Arte.
E. Vice: "Bone music: quand les hipsters soviétiques recopiaient des disques sur des radios."

Sur le blog:

-  "Comment les autorités est-allemandes tentèrent-elles (en vain) de contrer le rock'n'roll?"

jeudi 26 août 2010

Loca Virosque cano (1) : Le Liverpool de Penny Lane et Strawberry Field.

Liverpool, sur les rives de la Mersey, est un des principaux centres urbains de l'Angleterre appartenant jusqu'en 1974, au comté du Lancashire, au nord-ouest du pays. Fondée au Moyen Age, c'est surtout aux XVIII° et XIX° siècles que la ville prend son essor avec d'une part le développement de son port stimulé par le commerce triangulaire, donc le trafic des esclaves, et d'autre part, la révolution industrielle (Liverpool est une des premières villes desservies par le chemin de fer en 1830).
Le Port of Liverpool Building un des 3
bâtiments principaux du Pier Head, port
Liverpool. (photo vservat)
Les rives de la Mersey vues du Pier Head.
En face, sur l'autre rive de l'estuaire la ville
de Birkenhead. (photo vservat)
















Au milieu du XIX° siècle alors que la population de l'Irlande fuit massivement en raison de la Grande famine et de l'oppression anglaise (1) , Liverpool servit à la fois de porte d'entrée en Grande Bretagne mais également de point de départ vers les rives de la côte est des Etats-Unis. La ville garde jusqu'à aujourd'hui une dimension cosmopolite ; ainsi le Chinatown de Liverpool est le plus ancien d'Europe et la communauté d'origine irlandaise y est encore très présente.


La ville subit de nombreuses destructions au cours du deuxième confit mondial durant le Blitz, en 1941. Elle peine à se relever mais son ouverture sur l'Atlantique lui permet d'avoir encore quelques années de relative croissance avant de connaître la crise industrielle des années 70.




L'église Saint Luke à Liverpool laisse passer le jour à
travers ses murs, elle atteste du bombardement de la ville
pendant le Blitz. (photo Vservat)
Dans cette immédiate après guerre, une multitude de groupes se produisent et importent les sonorités venues d'Amérique. Ce sont les échanges portuaires qui amènent d'Outre-Atlantique des sons et rythmes qui se popularisent sous le nom de "skiffle" dans les années 50 (2). Nous sommes alors dans les prémices de ce qui deviendra le Merseybeat. Le skiffle déclinant, la musique s'électrifie et le Cavern Club devient la scène incontournable de la ville. C'est là, au coeur de Liverpool, que les Beatles font leurs débuts et amorcent une carrière qui les mènera aux 4 coins du monde : pour les Etats-Unis, l'invasion de la musique britannique dans les années 60 sur leur propre sol est un ironique retour de bâton.
On reconnait aisément le jeune Lennon au sein de son groupe
de skiffle the Quarryment aux instruments incongrus.
(photo vservat/Beatles story musuem)
La colonne vertébrale des Beatles constituée de John Lennon et Paul MacCartney est tout à fait représentative de la population de la ville, une population de ville portuaire. Tous deux ont, en effet, deux grands parents irlandais (3).

Pourtant, au milieu des années 60, à un moment clé de leur parcours, John Lennon et Paul MacCartney, en écrivant deux des chansons les plus intemporelles du groupe, reviennent dans la ville de leur enfance, avec un 45 tours de légende, une "double face A" : en ouverture "Penny Lane" (4), dans sa suite "Strawberry Fields Forever".

Liverpool en résumé (5)

  • 1207 : Le roi Jean sans Terre accorde une charte de liberté à Liverpool, il fait construire un château qui domine la Mersey et sera achevé en 1237.
  • XVIII° siècle : développement du port grâce au commerce triangulaire.
  • 1807 : abolition de l'esclavage. Progressivement le port se met à transporter davantage de migrants vers le nouveau monde.
  • 1941 : la ville est bombardée car elle sert alors de porte d'entrée aux approvisionnements venus des Etats-Unis.
  • 1960 : naissance des Beatles.
  • 1970-fin des 90's : la ville s'enfonce dans la crise. Emeutes de Toxteth en 1981 et 1985, grève des dockers à partir de 1995.
  • années 2000 : rénovation des docks et du centre (projet Liverpool One) et pour le 800° anniversaire de la fondation de la ville, Liverpool devient la capitale européenne de la culture en 2008. Un musée sur la Traite des esclaves ouvre en 2007.
Liverpool compte aujourd'hui 441 000 habitants (6), son maire est depuis 2010 Joe Anderson du Parti travailliste.



"Penny Lane/ Strawberry Fields" : Une double face A de légende.


C'est en 1967 que sort ce 45 tours incroyable destiné à figurer sur le 8° album du groupe. La situation des Beatles est alors à un tournant. Les 4 de Liverpool viennent de décider d'arrêter définitivement la scène et sont dans une phase de break (7) . Un vide commercial après l'album "Revolver", paru en août 1966, doit être comblé, c'est en tous cas le souhait de leur maison de disque, EMI. Depuis fin novembre 1966 a commencé, dans les mythiques studios d'Abbey Road, l'enregistrement de ce qui deviendra "Sergent Pepper's Lonely hearts club band" (8). "Penny Lane"" et Strawberry Fields Forever" étant les deux chansons dont l'enregistrement studio est le plus avancé, elles sortent, sous la pression, le 17/02/1967 en Angleterre (4 jours avant aux Etats-Unis) sous cette forme de double face A. En réalité, "Penny Lane" apparait en face A et "Strawberry Fields Forever" en face B, mais les deux titres sont jugés d'égale importance.

L'entrée de Penny Lane aujourd'hui.
(photo vservat)
Les deux chansons évoquent donc de façon extrêmement différentes, l'enfance de Lennon et Mc Cartney à Liverpool. McCartney écrit Penny Lane (la chanson sera toutefois créditée Lennon/MacCartney) en souvenir de ce quartier des faubourgs de la ville où il passa son enfance. Il y décrit par des flashs imagés des scènes d'une rue vivante dans laquelle il intègre des repères tout à faits réels, bien qu'il la peuple de personnages souvent imaginaires. Ces petits héros, avec leurs habitudes, leurs illusions, leurs bizarreries (le pompier avec un portrait de la Queen dans la poche) font de sa chanson un véritable mini reportage sur cette rue de la ville. A l'enregistrement seront ajoutés des sons qui téléportent véritablement l'auditeur au milieu de Penny Lane (la cloche des pompiers, par exemple). La chanson est également restée célèbre (comme l'autre titre du 45 tours d'ailleurs) par l'ajout de sonorités incongrues dans le monde du pop-rock. Ainsi dans"Penny Lane", on entend une trompette Piccolo jouée par David Mason. (8)





In Penny Lane there is a barber showing photographs

A Penny Lane il y a un coiffeur qui montre des photos
Of every head he's had the pleasure to have known

De chaque personne qu'il a eu le plaisir de connaitre
And all the people that come and go

Et tous les passants qui vont et viennent
Stop and say hello
S'arrêtent lui dire bonjour

On the corner is a banker with a motorcar

Au coin il y a un banquier avec une voiture
The little children laugh at him behind his back
Les petits enfants rient de lui derrière son dos
And the banker never wears a mac
Et le banquier ne porte jamais de ciré
In the pouring rain...
Sous la pluie battante
Very strange
Très étrange
Penny Lane is in my ears and in my eyes

Penny Lane est dans mes oreilles et mes yeux
There beneath the blue suburban skies

Là sous les cieux bleus de la banlieue
I sit, and meanwhile back
Je m'assieds et pendant ce temps.



In Penny Lane there is a fireman with an hourglass
Dans Penny Lane il y a un pompier avec un sablier
And in his pocket is a portrait of the Queen.
Et dans sa poche il a un portrait de la Reine
He likes to keep his fire engine clean

Il aime entretenir la voiture des pompiers
It's a clean machine

C'est une machine propre


Penny Lane is in my ears and in my eyes

Penny Lane est dans mes oreilles et mes yeux
Four of fish and finger pies (a)


In summer, meanwhile back

En été, pendant ce temps.

Behind the shelter in the middle of a roundabout

Derrière l'abri au milieu du rondpoint
A pretty nurse is selling poppies from a tray

Une jolie infirmière vend les coquelicots d'un plateau
And though she feels as if she's in a play

Et bien qu'elle se sente comme dans une pièce de théâtre
She is anyway

Elle l'est de toute façon
In Penny Lane the barber shaves another customer

A Penny Lane le coiffeur rase un autre client
We see the banker sitting waiting for a trim
On voit le banquier assis qui attend pour une coupe
Then the fireman rushes in

Puis le pompier se précipite à l'intérieurFrom the pouring rain...
Pour échapper à la pluie battante
Very strange
Très étrange

Penny Lane is in my ears and in my eyes

Penny Lane est dans mes oreilles et mes yeux
There beneath the blue suburban skies

Là sous les cieux bleus de la banlieue
I sit, and meanwhile back

Je m'assieds et pendant ce temps.

Penny Lane is in my ears and in my eyes
There beneath the blue suburban skies...
Penny Lane


(a) L'expression argotique "Four of fish" se réfère au fish & chips coûtant 4 pennies. Quant à "finger pie" il s'agirait également en argot, de décrire des prat.iques grivoises, souvent adoptées par les ados dans l'abri du rond point.

"The Shelter in the middle of the
roundabout"
(photo vservat)
20 Forthling Road Liverpool
(photo vservat)
4 personnages et un groupe peuplent donc cette rue : le coiffeur, le pompier le banquier, l'infirmière et les enfants. D'aucuns diront que le LSD a un peu embrumé l'esprit de l'auteur mais peut être est-ce simplement le flou des souvenirs et la multitude des détails qui affluent qui lui fait parler à la fois d'un jour d'été où il pleut des cordes, alors que l'infirmière vend les "Poppies" (9) traditionnellement vendus début novembre. Toutefois, cela ne porte pas préjudice à la démarche : c'est bien une rue d'un quartier animé, habité par une classe moyenne plutôt modeste qui croise la jonction de Smithdown Road et Allerton Road. Des souvenirs qui reviennent aisément au bout de la plume de Paul Mc Cartney qui a grandi à partir de 1955 à Forthlin Road, au n°20 de la rue, quelques centaines de mètres au sud de Penny Lane.


Les grilles du jardin de Stawberry Field sur Beaconfield
Road, Liverpool. (Photo Vservat) 
"Strawberry Fields Forever" est la composition de John Lennon, bien que, de nouveau, elle soit créditée Lennon/Mc Cartney à sa sortie. L'enregistrement de la chanson s'est étalé sur un temps remarquablement long, puisqu'il prendra environ 1 mois, se terminant peu avant Noel 1966. Il nécessita 26 prises et de nouveau l'intervention d'instruments tout à fait iconoclastes pour le monde du pop-rock : un mellotron et un swormandel (instrument originaire du sous continent indien ressemblant à une cithare), du violoncelle et de la trompette. Il incorpora des nouveautés techniques relevant des expériences du petit chimiste ou du sorcier de studio telles les variations de vitesse d'enregistrement des bandes. C'est sans doute, un des morceaux les plus complexes en terme d'orchestration et de travail des sons que les Beatles aient produit.



Le manuscrit des paroles de
Strawberry Fields Forever
de la main de John Lennon.
Le titre de Lennon n'emprunte pas les mêmes voies que le précédent pour se remémorer Liverpool. Là où MacCartney s'enracine dans le réalisme, Lennon laisse vagabonder sa plume et suit la voie de l'onirisme (bien aidé en cela par la drogue et en particulier le LSD). On reste toutefois dans le même quartier du grand port nord-ouest de l'Angleterre. Strawberry Field est, ou plutôt était, un orphelinat de l'Armée du Salut, situé à environ deux kilomètres au sud-est de la jonction Penny Lane/Smithdown Road. Lennon jouait enfant dans les jardins de cet orphelinat puisque, abandonné par son père, il est confié par sa mère, Julia, à sa tante, qui habite 251 Menlove Avenue (voir photos de la maison ci dessous). Lennon grandit dans un secteur beaucoup plus aisé de la banlieue liverpuldienne, où vivent bon nombre de médecins et avocats (Rappelons que les deux autres membres du quator sont, eux, de véritables rejetons de la working-class et des cités ouvrières de Liverpool).

Éternels fans des Beatles, les mancuniens
d'Oasis choisissaient en couverture de leur
single "Live Forever" sorti en aout 94, une
photo du 251 Menlove Avenue.




La maison de "Aunt Mimi" ou Mendips, dans
laquelle Lennon vécut jusqu'en 1963 à deux pas
de Stawberry Field.
(photo vservat)
Plaque du 251 Menlove Avenue.
(photo vservat)













Il ne reste aujourd'hui que peu de choses de l'endroit dont parle John Lennon puisque le bâtiment de l'orphelinat contemporain de l'auteur a fermé définitivement ses portes en mai 2005. On peut encore voir l'entrée avec ses grilles, mais l'immeuble victorien d'origine fut détruit en 1977. Dans un langage passablement crypté et sous influence lysergique, Lennon arrive néanmoins à faire revivre quelque chose de la douceur mais aussi des peurs de son enfance dans ce jardin où il venait se réfugier à l'ombre des arbres, ou animer avec quelques amis les fêtes d'été en vendant des "limonades pour 1 penny".(10)





Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse-moi t'emmener car je m'en vais à Strawberry Fields
Nothing is real and nothing to get hung about.

Rien n'est réel et il n'y a pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.

Strawberry Fields pour toujours.

Living is easy with eyes closed, misunderstanding all you see.

La vie est facile les yeux fermés, sans rien comprendre de ce que tu vois
It's getting hard to be someone but it all works out, it doesn't matter much to me.

Cela devient dur d'être quelqu'un mais ça finit par marcher, et ça m'est bien égal
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse-moi t'emmener car je m'en vais à Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.

Rien n'est réel, pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.

Strawberry Fields pour toujours.

No one I think is in my tree, I mean it must be high or low.

Personne, je pense n'est dans mon arbre, je veux dire qu'il doit etre en haut ou en bas
That is you can't you know tune in but it's all right, that is I think it's not too bad.

C'est pourquoi tu ne peux rien capter mais ce n'est rien, c'est que je pense que ce n'est pas plus mal
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse moi t'emmer car je m'en vais à Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.

Rien n'est réel et il n'y a pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.

Strawberry Fields pour toujours.

Always, no sometimes, think it's me, but you know I know when it's a dream.
Toujours, non parfois, je pense que c'est moi, mais je sais quand c'est un rêve.
I think I know I mean a 'Yes' but it's all wrong, that is I think I disagree.
Je crois que je sais que je veux dire "oui", mais c'est faux, c'est que je crois que je ne suis pas d'accord.
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse moi t'emmer car je m'en vais à Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.
Rien n'est réel et il n'y a pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.
Strawberry Fields pour toujours.
Strawberry Fields forever
Strawberry Fields pour toujours.



Notes :
1 : Elle est due dès 1845 au mildiou qui affecte les récoltes de pomme de terre qui donne du travail et à manger à une population irlandaise rurale. Elle dure 4 ans, mais ses conséquences s'étalent sur des décennies par le déficit démographique provoqué, le décès massif des populations (500 000 à 1 million), les réfugiés et les émigrants étant estimés à 4 millions.
2 : Le Skiffle est une sorte de musique folk, blues et country originaire du sud des Etats-Unis se démarquant par l'utilisation d'instruments et d'accords simples. La batterie, par exemple est remplacée par un wasboard (planche à laver sur laquelle on tape avec des dés à coudre) ou un tea chest bass (un manche de balai fixé à une caisse de bois avec une corde tendue) pour jouer de la basse. On y emploie aussi des guitares acoustiques, des banjos, des kazoos.
3 : voir le site et l'article de Aug sur l'histgeobox : http://lhistgeobox.blogspot.com/2009/08/178-u2-sunday-bloody-sunday.html
4 : Le nom de la rue vient de celui du marchand d'esclaves James Penny.
6 : Voir le site
7 : En mars 1966, les déclarations de Lennon sur la célébrité des Beatles comparée à celle de Jésus font scandale. Il s'ensuit une tournée aux Philippines absolument apocalyptique qui doit se poursuivre ensuite aux Etats-Unis. Les déclarations sur Jésus de Lennon ont attisé les rancoeurs dans la Bible Belt et la tournée s'achève au Candlestick Park de san Francisco sous les interventions permanentes de la police. Suite à ces évènements les Beatles se séparent momentanément pour se remettre. Ils décident aussi de stopper les concerts et de se concentrer sur es disques.
8 : Les 2 titres ne seront finalement pas intégré à l'abum sorcier "Sgt Pepper" dont la durée d'enregistrement n'eut d'égale qe son inventivité technique, favorisé en cela par le fait qu'EMI ait mis le studio 2 d'Abbey Road à disposition du groupe en permanence. Ils seront ultérieurement intégrés au "Magical Mystery Tour".
9 : Le coquelicot ou poppy est la fleur que chaque anglais porte à la boutonnière pour le Remembrance Day, en hommage aux morts de la Grande Guerre.
10 : "In the class system, it was about half a class higher than Paul, George and Ringo, who lived in government-subsidized housing. We owned our house and had a garden. They didn't have anything like that. Near that home was Strawberry Fields, a house near a boys' reformatory where I used to go to garden parties as a kid with my friends Nigel and Pete. We would go there and hang out and sell lemonade bottles for a penny. We always had fun at Strawberry Fields. So that's where I got the name. But I used it as an image." Interview de John Lennon donnée au Magazine Playboy en aout 1980 et publiée en janvier 1981, donc après son assassinat. Elle se lit en intégralité ici.


Bibliographie :
Les Inrocks 2, The Beatles, le groupe du siècle, N° spécial.
Rolling Stones, The Beatles, Hors série collector, avril 2010.
Rock and Folk, Imagine The Beatles 2009, octobre 2009.
Steve Turner, Les Beatles - les secrets de toutes leurs chansons volume 2, années 1967-1970, Hors collection, 2010.
Jacques Colin, The Beatles, Gilles Verlant presse, Hors Collection, 2005.
G. Emerick, H. Massey, En studio avec les Beatles, Le mot et le reste, novembre 2009.


PS : Un merci appuyé à Virginie qui a corrigé mes traductions laborieuses depuis la Roumanie.