En 1962, un an après Gagarine, l'Amérique satellise à son tour un homme dans l'espace: John Glenn. Ce dernier vient de décéder à l'âge de 95 ans. Revenons sur son exploit.
***
Natif de l'Ohio, John Glenn passe une enfance tranquille à New Concord où il obtient un diplôme d'ingénieur. En 1941, il décroche son brevet de pilote et intègre le Marine Corps au sein de la Navy. Au cours de la seconde guerre mondiale, il mène de nombreuses expéditions de bombardement dans le Pacifique, notamment sur les îles Marshall.
A partir de 1950, il s'illustre de nouveau dans le cadre de la guerre de Corée. Son sang-froid et sa propension à attirer les obus ennemis lui valent d'ailleurs le charmant surnom de "Magnetic ass"!
De retour aux Etats-Unis, il multiplie les vols. En juillet 1957, à bord d'un F8U Crusader, il réalise le trajet Los Angeles-New York à vitesse supersonique (en 3 heures et 23 minutes). Mais le pilote vise plus haut et se passionne pour tout ce qui touche à l'espace. En avril 1959, Glenn fait partie des sept astronautes retenus pour lancer le programme Mercury.
De lourdes responsabilités incombent désormais aux "Mercury Seven" puisqu'ils doivent non seulement réussir leur mission, mais aussi tenter de combler le retard américain dans la "course aux étoiles". (1) Deux ans plus tôt en effet, en octobre 1957, l'URSS est parvenue à lancer le premier satellite artificiel dans l’espace, Spoutnik I. Un mois plus tard, ils mettent sur orbite un nouveau satellite, Spoutnik II, plus lourd et plus perfectionné, avec à son bord la chienne Laïka. En avril 1961, les Soviétiques consolident leur avance en envoyant le premier homme dans l’espace: Iouri Gagarine (bientôt suivi par Guerman Titov).
Dans le cadre de l'affrontement idéologique de la guerre froide, le retard américain dans le domaine social est vécu comme un véritable affront qu'il faut laver au plus vite. Ainsi, en 1960, un programme spatial ambitieux est mis sur pied avec pour objectif de parvenir à faire voler rapidement dans l'espace une capsule spatiale (Mercury) et son pilote. Un mois après Gagarine, les deux brefs vols suborbitaux d'Alan Shepard et de Gus Grissom constituent une première étape importante. Mais, par leur brièveté ( 15 minutes), ces "sauts de puces" confirment surtout le retard américain. L'étape suivante sera en revanche déterminante.
* "Good speed!" C'est le signal du départ.
Le 20 février 1962, John Glenn prend place à bord d'une fusée Mercury-Atlas
6. Après onze reports pour cause de mauvais et plus de trois heures d'attente, les propulseurs sont enfin mis à feu. Sanglé dans le siège minuscule de la capsule Friendship 7, l'astronaute est enfin lancé dans les étoiles. En l'espace de 4 heures et 55 minutes, Glenn effectue trois tours autour de notre planète avant de
retomber dans l'océan Atlantique, à 60 km de l'endroit prévu
par la Nasa.
L'Amérique peut enfin respirer. Un an après l'Union Soviétique, elle a son Gagarine. Décoré de la médaille du Congrès, Glenn accède à la notoriété. L'astronaute devient alors un véritable héros national. (2) A peine redescendu sur terre, le texan Sam Lightnin' Hopkins rend déjà hommage au courageux cosmonaute dans son Happy blues for John Glenn. (3)
L'événement permet à l'Amérique de Kennedy de se relancer dans la "course aux étoiles". L'hôte de la Maison Blanche peut désormais nourrir un nouvel espoir: celui de conquérir la Lune avant les Soviétiques...
"Happy blues for John Glenn" Ligthnin' Hopkins (1962)
People, I was sittin' this mornin' with this on my mind
Said there ain't no livin' man who gone around the world three times
John Glenn done it, yes he did
He did it, I'm talkin' about him only did it for fun(...)
****
Brave gens, ce matin j'étais assis avec ça en tête
Je me disais qu'aucun homme vivant n'avait fait le tour du monde trois fois
John Glenn l'a fait, oui il l'a fait
Il l'a fait, je vais vais vous parler de lui juste pour m'amuser (...)
Notes:
1. L'expression désigne la surenchère dans la conquête spatiale entre l’URSS et les Etats-Unis.
2. Intime du clan Kennedy, John Glenn embrassera ensuite une carrière politique en tant que
sénateur de l'Ohio entre 1974 et 1997. Mais le souffle de l'aventure
coule toujours dans ses veines. Aussi, en octobre 1998, l'ancien astronaute reprend du service en retournant en orbite autour de la Terre à bord de la navette Discovery. A 77 ans, il décroche ainsi le titre de doyen de l'espace.
3. Le bluesman était d'autant plus admiratif qu'il avait lui-même une peur panique de l'avion.
Sources:
- Le Monde: "John Glenn, premier Américain à effectuer un vol en orbite autour de la Terre est mort."
mercredi 14 décembre 2016
mercredi 7 décembre 2016
317. Cuba en Afrique, une odyssée musicale.
Avec la
révolution cubaine de 1959, les barbudos emmenés par les
frères Castro et Che Guevara renversent Batista. Progressivement
Cuba intègre le bloc de l’est et joue un rôle majeur en Afrique.
Au cours des années 1970, ce sont ainsi des centaines de milliers de
Cubains qui partent combattre au Congo, en Angola, en Guinée-Bissau…
Au nom d'un idéal internationaliste, ces hommes entendent aider les
pays encore colonisés à se libérer, tout en permettant aux États
nouvellement indépendants de s'affranchir de toute tutelle
néocoloniale.
Or pour exporter la révolution, Che Guevara entend mener dans les points chauds du tiers-monde une guerre de guérilla similaire à celle qui a permis l'accession de Castro au pouvoir en 1959. En s'appuyant sur des armées populaires, il faut selon lui combattre « l'impérialisme yankee », multiplier les fronts afin de "créer deux, trois, plusieurs Vietnam". Pour le médecin argentin, la théorie du foco (foyer) doit tenir compte des principes suivants:
"1) Les forces populaires peuvent gagner une guerre contre l'armée régulière;
2) on ne doit pas toujours attendre que soient réunies toutes les conditions pour faire la révolution: le foyer insurrectionnel peut les créer;
3) dans l'Amérique sous-développée, le terrain fondamental de la lutte armée doit être la campagne."
L'internationalisme cubain se concrétise bientôt sous la forme d'un engagement militaire massif en Afrique.
En 1961, Castro arme ainsi le FLN algérien alors en lutte contre la France. Un an plus tard, Ahmed Ben Bella, nouveau dirigeant de l'Algérie indépendante, est accueilli en héros à la Havane.
En 1964, le Che s'embarque pour l'Afrique où il entend bien se faire l'ambassadeur de la révolution cubaine. En trois mois, il se rend auprès des régimes "amis" (la Guinée de Sékou Touré, le Mali de Modibo Keita, l'Algérie de Ben Bella, le Ghana de NKrumah, le Congo Brazzaville de Massamba-Débat...), mais aussi auprès des dirigeants nationalistes toujours en lutte pour obtenir l'indépendance de leur pays (Guinée-Bissau, Angola, Mozambique).
A l'occasion de ces rencontres, le Che prend ses distances avec l'URSS. A Alger, il fustige ainsi le "dévoiement bureautique" du grand frère soviétique qui exploite sans vergogne les pays du Tiers-Monde. De retour à la Havane, Castro lui reproche d'ailleurs ces critiques, mais la décision est prise d'exporter la guérilla révolutionnaire façon cubaine en Afrique. Dès lors, le Che n'apparaît plus en public. L'Argentin modifie son apparence physique, se coupe les cheveux, se rase la barbe et subit une opération qui lui modifie la mâchoire. Métamorphosé, il rejoint les maquis (Simba) de l'est de la République du Congo en lutte contre le pouvoir central. (1) D’après les informations recueillies par le Che lors de son premier voyage, c’est là que le mouvement révolutionnaire serait le plus avancé, en passe de remporter la victoire.
Après avoir traversés le lac Tanganyika depuis la Tanzanie, Le Che et les quelques barbudos qui l'accompagnent, prennent contact avec les maquisards et déchantent aussitôt. Mal organisés (2), les rebelles se querellent davantage qu'ils ne combattent l'adversaire. Dans ces conditions, ils ne font que perdre du terrain. Surtout, les malentendus culturels qui séparent guérilleros cubains et soldats congolais révoltés, transforment l’expédition en un véritable fiasco. Dans le journal qu'il tient au cours de son expédition congolaise, Guevara témoigne de son impréparation face aux réalités congolaises et ne peut que reconnaître sa déroute. « Ceci est l’histoire d’un échec. […] Pour être plus précis, ceci est l’histoire d’une décomposition. Lorsque nous sommes arrivés sur le territoire congolais, la Révolution était dans une période de récession ; ensuite sont survenus des épisodes qui allaient entraîner sa régression définitive ; pour le moment, du moins, et sur cette scène de l’immense terrain de lutte qu’est le Congo. »
Les Cubains rentrent au pays, dépités. Guevara ne s'avoue pourtant pas vaincu: « Le plus intéressant ici n’est pas l’histoire de la décomposition de la Révolution congolaise […], mais le processus de décomposition de notre moral de combattants, car l’expérience dont nous avons été les pionniers ne doit pas être perdue pour les autres et l’initiative de l’Armée prolétaire internationale ne doit pas succomber au premier échec. »".
Les Cubains tournent ensuite leur regard vers l'Angola, toujours aux mains des Portugais. (3) L'aide cubaine prend différentes formes, de l'entraînement des soldats au financement de la lutte en passant par la formation médicale ou l'accueil d'étudiants africains à la Havane.
Cuba envoie à Agostinho Neto, chef du MPLA (mouvement populaire de libération de l’Angola de tendance marxisante), une division entière au milieu des années 1960. En dépit de cet appui, le mouvement de libération ne remporte aucun succès militaire décisif et c'est finalement la révolution des œillets en 1974 qui précipite la chute du régime dictatorial et marque la fin de l'empire colonial portugais.
L'Angola n'en a pourtant pas fini avec la guerre, loin s'en faut. (4) Désormais trois mouvements antagonistes s'affrontent. Le MPLA, qui profite des subsides de l'URSS et des Cubains, est en lutte contre le FNLA et l’UNITA, tous deux financés et armés par les Etats-Unis et l'Afrique du Sud.
Grâce à l'appui décisif de 35 000 soldats cubains (5) envoyés par Castro et armés par Moscou, le MPLA parvient à tenir la capitale Luanda. Aussi Neto proclame l’indépendance de l'Angola le 11 novembre 1975. En dépit de cette annonce, les affrontements s'éternisent. (6) L'Afrique du Sud, qui redoute par dessus-tout une propagation du socialisme en Afrique australe, apporte un appui logistique important à l'Unita dans sa lutte contre le MPLA. Après plus de douze années d'affrontements, la situation est dans l'impasse. Il faut négocier.
En juillet 1988, un accord en 14 points est enfin trouvé entre le MPLA/ Cuba et l'Afrique du Sud. Cette dernière s'engage à renoncer au "Sud-Ouest africain" (la future Namibie dont l'Afrique du Sud avait fait une province), (7) tandis que Cuba s’engage à retirer son contingent d’Angola. En décembre 1988, le protocole d’accord est ratifié. Il aboutit à l’indépendance de la Namibie et contribue à desserrer l’étau de l’apartheid en Afrique du sud. Au cours de l'année 1989, les derniers soldats cubains quittent le sol angolais au moment où la Havane n'a de toute façon plus du tout les moyens de financer quoi que ce soit.
Les tentatives d'exportation de la révolution en Afrique se sont donc soldés par des échecs cuisants. Sur le plan politique, il ne reste rien de l'engagement internationaliste cubain en Afrique. La solidarité combattante s'est métamorphosée quelque temps en une coopération de type humanitaire (assistance médicale par exemple). Finalement, c'est bien dans le domaine culturel que les legs semblent les plus solides, en particulier sur le plan musical.
Toujours dépendante des financements soviétiques pour s'équiper militairement, Cuba disposait pourtant avec sa musique d'une arme de séduction massive.
De fait, une vogue musicale afro-cubaine exceptionnelle s’empare de toute l’Afrique subsaharienne à la veille des indépendances. Tabu Ley Rochereau, immense chanteur congolais, racontait qu'à ses débuts, il avait dû apprendre des rudiments d'espagnol afin de pouvoir intégrer l'African Jazz de Joseph Kabasele. A la fin des années 1950 en effet, vouloir faire une carrière musicale au Congo sans maîtriser la langue des Cubains était impensable. Cette anecdote permet de mesurer l'influence considérable des musiques de l'île des Caraïbes sur une grande partie du continent africain au moment des indépendances et au cours de la décennie suivante
Amenés par les marins de passage dans les boîtes de nuit des villes portuaires, les musiques et rythmes cubains bénéficient alors d’un engouement extraordinaire. Les charanga et cha-cha-cha de l'Orquestra Aragon subjuguent l'auditoire locale. Lors de ses tournées africaines, la formation fait d'ailleurs figure d'ambassadrice de la musique cubaine. Membre de l'Orquestra Aragon, Rafael Lay Jr se souvient ainsi que "ces voyages étaient en partie financés par notre gouvernement, c'était une façon de poursuivre l'aventure africaine du Che."
En Guinée, au Sénégal, au Mali, le Bembeya Jazz national, l’orchestre Baobab et les Maravillas mettent les sons cubains à l’honneur, introduisant cuivres et rythmes caribéens à leur musique. Certaines de ces formations se rendent même à Cuba pour étudier, enregistrer, se produire. Le saxophoniste Mamadou Barry, ancien chef d'orchestre des Amazones de Guinée se souvient:" Nous étions 1800 musiciens et artistes. 1800 pour représenter les dix pays d'Afrique de l'Ouest au 11ème Festival mondial de la Jeunesse et des étudiants de La Havane en 1978. Arrivés par avion à Oran, on nous fit embarquer sur un bateau russe de sept étages. Je me souviens encore son nom, le Nakimo. Le voyage dura dix-sept jours. C'était de la folie. Il y avait plusieurs boîtes de nuit et des orchestres se produisaient non-stop sur le grand pont. Tu dors, tu te réveilles et tu trouves toujours quelqu'un pour jouer. Les Congolais étaient là avec les Bantous de la Capitale. Pour représenter la Guinée, il y avait le Bembeya Jazz et Keletigui." Ces échanges musicaux intensifs contribuèrent assurément à l'essor des rythmes afro-cubains.
Les formations africaines ne se contentent toutefois pas de mettre à leur répertoire cha cha cha, merengue, pachanga ou bolero. Elles s'approprient véritablement ces rythmes et s'en inspirent pour créer une musique véritablement originale. Ceci vaut particulièrement pour le Congo où les sonorités cubaines – en particulier le jeu des claves – irriguent la rumba congolaise; une polyphonie de guitare y remplaçant le piano.
Au fond, l'influence des rythmes cubains sur les musiques d'Afrique de l'ouest n'est qu'un juste retour des choses dans la mesure où la rumba cubaine n'est rien d'autre que le mélange (exquis) des musiques latino-américaine aux rythmes importés d'Afrique centrale par les esclaves au milieu du XIXème siècle.
Pour se convaincre que l'influence cubaine sur les musiques africaines n'est pas qu'une vue de l'esprit, nous avons sélectionné (et commenté) ces 8 merveilles afro-cubaines:
1. Bembeya Jazz National: "Sabor de guajira"(1968). Fer de lance de la politique d'authenticité culturelle voulue par le guinéen Sékou Touré (au pouvoir de 1958 à 1984), la musique du Bembeya représente une synthèse parfaite des rythmes afro-cubain et mandingues.
A la fin du morceau, on entend un des musiciens prononcer les mots suivants:
"En décembre 1965, j'étais à Cuba avec la délégation guinéenne qui a participé aux travaux et aux festivités de la Tri-continentale. Un soir, je chantais "Guantanamo" en présence du vieil animateur et compositeur Abelardo Barroso. Le vieux était tellement content et tellement fier qu'il a proclamé devant tout le peuple cubain que je suis son fils. Nous avons tous les deux pleuré de joie et de reconnaissance. Je n'oublierai jamais mon passage à Cuba. "
2. Maravillas de Mali: "Lumumba". Formés au conservatoire de la Havane de 1963 à 1973, les Maravillas s'épanouissent dans le Mali socialiste de Modibo Keita (de 1960 à 1968). Ils rendent ici hommage à Patrice Lumumba.
3. Orchestra Baobab: "El carretero". Cette formation sénégalaise star reprend ici un classique cubain (écrit par Guillermo Portabales et popularisé par le Buena Vista Social Club).
4. Africando: "Yay boy". Formé en 1992, Africando mélange avec bonheur les sonorités afro-cubaines.
5. African Jazz: "indépendance cha cha". Fondateur du crucial African Jazz en 1953, Joseph Kabasele révolutionne la musique congolaise en électrifiant la rumba nationale et y introduisant tubas et trompettes.
6. Super Eagles: "Manda Ly". Le Sénégal fut, davantage encore que tous les autres pays d'Afrique de l'ouest, durablement imprégné par la musique cubaine. Ce répertoire afro-cubain forge la matrice de la musique moderne sénégalise.
7. Franco: "Tcha tcha tcha de mi amor". Grand rival de Kabasele, Franco reste sans conteste le plus populaire des chanteurs congolais.
8. Gnonnas Pedro: "Yiri yiri boum". Gnonnas Pedro constitue (avec l'Orchestre Poly-Rithmo de Cotonou) le fer de lance funky de la « République populaire du Bénin », dirigée par Mathieu Kérékou de 1975 à 1990.
Notes:
1. En novembre 1964, Joseph-Désiré Mobutu, commandant de l'armée, fomente un coup d'Etat en République du Congo et impose sa dictature. Pour ce faire, il bénéficie du soutien tacite des puissances occidentales dont les entreprises convoitent les riches sous-sol congolais.
2.Le chef de zone Laurent-Désiré Kabila ne bouge guère de la Tanzanie voisine.
3. Avant de rentrer pour Cuba, Guevara rencontre les dirigeants des mouvements nationalistes des colonies toujours aux mains des Portugais: Amilcar et Luis Cabral, fondateurs du Partido Africano da Independencia da Guiné e Cabo Verde (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert ou PAIGC).
4. Dans le contexte de la guerre froide, les deux grands lorgnent sur ce pays riche en ressources (pétrolières et diamantifères). L'Afrique du Sud qui redoute une contagion socialiste en Afrique australe entrent dans aussi dans le conflit.
5.On estime que près de 350 000 Cubains ont combattu en Angola durant toute la durée de la guerre civile.
6. Grâce aux importants subsides débloqués par le président américain Ronald Reagan, l'UNITA reprend l'avantage sur la coalition angolo-cubaine lors de la bataille de Cuito Canavale en 1987.
7. Des élections doivent être organisées sous le contrôle des Nations Unies.
Sources:
- Le Monde du 28/11/2016: « En Afrique, la petite Cuba s'est donné un rôle planétaire. »
- "Le rêve d'un monde castriste", Le Monde du jeudi 21 février 2008.
- "Le rêve africain de Castro", Jeune Afrique.
- F. Mazzoleni:"l'épopée de la musique africaine", Hors collection, 2008.
- E. M'Bokolo:"Afrique noire, histoire et civilisation", Hatier, 2008.
- Ernesto Guevara: Passages de la guerre révolutionnaire : le Congo, Métailié (2000)
- Deux émissions de l'Afrique enchantée: Africuba et Cubafrica.
"Che Guevara est lui aussi Africain".
Liens:
- Pan African Music: "La musique, soft power cubain en Afrique."
- Pan African Music: "Le Congo dans le grand bain de l'Afro Cubain."
- Le fabuleux destin de l'Afro-cubain: épisode 1, 2, 3 et 4.
- Une sélection de morceaux par Pan African Music.
Or pour exporter la révolution, Che Guevara entend mener dans les points chauds du tiers-monde une guerre de guérilla similaire à celle qui a permis l'accession de Castro au pouvoir en 1959. En s'appuyant sur des armées populaires, il faut selon lui combattre « l'impérialisme yankee », multiplier les fronts afin de "créer deux, trois, plusieurs Vietnam". Pour le médecin argentin, la théorie du foco (foyer) doit tenir compte des principes suivants:
"1) Les forces populaires peuvent gagner une guerre contre l'armée régulière;
2) on ne doit pas toujours attendre que soient réunies toutes les conditions pour faire la révolution: le foyer insurrectionnel peut les créer;
3) dans l'Amérique sous-développée, le terrain fondamental de la lutte armée doit être la campagne."
L'Angolais Agostinho Neto et le Cubain Fidel Castro. |
L'internationalisme cubain se concrétise bientôt sous la forme d'un engagement militaire massif en Afrique.
En 1961, Castro arme ainsi le FLN algérien alors en lutte contre la France. Un an plus tard, Ahmed Ben Bella, nouveau dirigeant de l'Algérie indépendante, est accueilli en héros à la Havane.
En 1964, le Che s'embarque pour l'Afrique où il entend bien se faire l'ambassadeur de la révolution cubaine. En trois mois, il se rend auprès des régimes "amis" (la Guinée de Sékou Touré, le Mali de Modibo Keita, l'Algérie de Ben Bella, le Ghana de NKrumah, le Congo Brazzaville de Massamba-Débat...), mais aussi auprès des dirigeants nationalistes toujours en lutte pour obtenir l'indépendance de leur pays (Guinée-Bissau, Angola, Mozambique).
A l'occasion de ces rencontres, le Che prend ses distances avec l'URSS. A Alger, il fustige ainsi le "dévoiement bureautique" du grand frère soviétique qui exploite sans vergogne les pays du Tiers-Monde. De retour à la Havane, Castro lui reproche d'ailleurs ces critiques, mais la décision est prise d'exporter la guérilla révolutionnaire façon cubaine en Afrique. Dès lors, le Che n'apparaît plus en public. L'Argentin modifie son apparence physique, se coupe les cheveux, se rase la barbe et subit une opération qui lui modifie la mâchoire. Métamorphosé, il rejoint les maquis (Simba) de l'est de la République du Congo en lutte contre le pouvoir central. (1) D’après les informations recueillies par le Che lors de son premier voyage, c’est là que le mouvement révolutionnaire serait le plus avancé, en passe de remporter la victoire.
Che Guevara au Congo en 1965. |
Après avoir traversés le lac Tanganyika depuis la Tanzanie, Le Che et les quelques barbudos qui l'accompagnent, prennent contact avec les maquisards et déchantent aussitôt. Mal organisés (2), les rebelles se querellent davantage qu'ils ne combattent l'adversaire. Dans ces conditions, ils ne font que perdre du terrain. Surtout, les malentendus culturels qui séparent guérilleros cubains et soldats congolais révoltés, transforment l’expédition en un véritable fiasco. Dans le journal qu'il tient au cours de son expédition congolaise, Guevara témoigne de son impréparation face aux réalités congolaises et ne peut que reconnaître sa déroute. « Ceci est l’histoire d’un échec. […] Pour être plus précis, ceci est l’histoire d’une décomposition. Lorsque nous sommes arrivés sur le territoire congolais, la Révolution était dans une période de récession ; ensuite sont survenus des épisodes qui allaient entraîner sa régression définitive ; pour le moment, du moins, et sur cette scène de l’immense terrain de lutte qu’est le Congo. »
Les Cubains rentrent au pays, dépités. Guevara ne s'avoue pourtant pas vaincu: « Le plus intéressant ici n’est pas l’histoire de la décomposition de la Révolution congolaise […], mais le processus de décomposition de notre moral de combattants, car l’expérience dont nous avons été les pionniers ne doit pas être perdue pour les autres et l’initiative de l’Armée prolétaire internationale ne doit pas succomber au premier échec. »".
Les Cubains tournent ensuite leur regard vers l'Angola, toujours aux mains des Portugais. (3) L'aide cubaine prend différentes formes, de l'entraînement des soldats au financement de la lutte en passant par la formation médicale ou l'accueil d'étudiants africains à la Havane.
Cuba envoie à Agostinho Neto, chef du MPLA (mouvement populaire de libération de l’Angola de tendance marxisante), une division entière au milieu des années 1960. En dépit de cet appui, le mouvement de libération ne remporte aucun succès militaire décisif et c'est finalement la révolution des œillets en 1974 qui précipite la chute du régime dictatorial et marque la fin de l'empire colonial portugais.
L'Angola n'en a pourtant pas fini avec la guerre, loin s'en faut. (4) Désormais trois mouvements antagonistes s'affrontent. Le MPLA, qui profite des subsides de l'URSS et des Cubains, est en lutte contre le FNLA et l’UNITA, tous deux financés et armés par les Etats-Unis et l'Afrique du Sud.
Grâce à l'appui décisif de 35 000 soldats cubains (5) envoyés par Castro et armés par Moscou, le MPLA parvient à tenir la capitale Luanda. Aussi Neto proclame l’indépendance de l'Angola le 11 novembre 1975. En dépit de cette annonce, les affrontements s'éternisent. (6) L'Afrique du Sud, qui redoute par dessus-tout une propagation du socialisme en Afrique australe, apporte un appui logistique important à l'Unita dans sa lutte contre le MPLA. Après plus de douze années d'affrontements, la situation est dans l'impasse. Il faut négocier.
En juillet 1988, un accord en 14 points est enfin trouvé entre le MPLA/ Cuba et l'Afrique du Sud. Cette dernière s'engage à renoncer au "Sud-Ouest africain" (la future Namibie dont l'Afrique du Sud avait fait une province), (7) tandis que Cuba s’engage à retirer son contingent d’Angola. En décembre 1988, le protocole d’accord est ratifié. Il aboutit à l’indépendance de la Namibie et contribue à desserrer l’étau de l’apartheid en Afrique du sud. Au cours de l'année 1989, les derniers soldats cubains quittent le sol angolais au moment où la Havane n'a de toute façon plus du tout les moyens de financer quoi que ce soit.
Les tentatives d'exportation de la révolution en Afrique se sont donc soldés par des échecs cuisants. Sur le plan politique, il ne reste rien de l'engagement internationaliste cubain en Afrique. La solidarité combattante s'est métamorphosée quelque temps en une coopération de type humanitaire (assistance médicale par exemple). Finalement, c'est bien dans le domaine culturel que les legs semblent les plus solides, en particulier sur le plan musical.
Les Maravillas de Mali, La Havane, 1967. |
Toujours dépendante des financements soviétiques pour s'équiper militairement, Cuba disposait pourtant avec sa musique d'une arme de séduction massive.
De fait, une vogue musicale afro-cubaine exceptionnelle s’empare de toute l’Afrique subsaharienne à la veille des indépendances. Tabu Ley Rochereau, immense chanteur congolais, racontait qu'à ses débuts, il avait dû apprendre des rudiments d'espagnol afin de pouvoir intégrer l'African Jazz de Joseph Kabasele. A la fin des années 1950 en effet, vouloir faire une carrière musicale au Congo sans maîtriser la langue des Cubains était impensable. Cette anecdote permet de mesurer l'influence considérable des musiques de l'île des Caraïbes sur une grande partie du continent africain au moment des indépendances et au cours de la décennie suivante
Amenés par les marins de passage dans les boîtes de nuit des villes portuaires, les musiques et rythmes cubains bénéficient alors d’un engouement extraordinaire. Les charanga et cha-cha-cha de l'Orquestra Aragon subjuguent l'auditoire locale. Lors de ses tournées africaines, la formation fait d'ailleurs figure d'ambassadrice de la musique cubaine. Membre de l'Orquestra Aragon, Rafael Lay Jr se souvient ainsi que "ces voyages étaient en partie financés par notre gouvernement, c'était une façon de poursuivre l'aventure africaine du Che."
En Guinée, au Sénégal, au Mali, le Bembeya Jazz national, l’orchestre Baobab et les Maravillas mettent les sons cubains à l’honneur, introduisant cuivres et rythmes caribéens à leur musique. Certaines de ces formations se rendent même à Cuba pour étudier, enregistrer, se produire. Le saxophoniste Mamadou Barry, ancien chef d'orchestre des Amazones de Guinée se souvient:" Nous étions 1800 musiciens et artistes. 1800 pour représenter les dix pays d'Afrique de l'Ouest au 11ème Festival mondial de la Jeunesse et des étudiants de La Havane en 1978. Arrivés par avion à Oran, on nous fit embarquer sur un bateau russe de sept étages. Je me souviens encore son nom, le Nakimo. Le voyage dura dix-sept jours. C'était de la folie. Il y avait plusieurs boîtes de nuit et des orchestres se produisaient non-stop sur le grand pont. Tu dors, tu te réveilles et tu trouves toujours quelqu'un pour jouer. Les Congolais étaient là avec les Bantous de la Capitale. Pour représenter la Guinée, il y avait le Bembeya Jazz et Keletigui." Ces échanges musicaux intensifs contribuèrent assurément à l'essor des rythmes afro-cubains.
Les formations africaines ne se contentent toutefois pas de mettre à leur répertoire cha cha cha, merengue, pachanga ou bolero. Elles s'approprient véritablement ces rythmes et s'en inspirent pour créer une musique véritablement originale. Ceci vaut particulièrement pour le Congo où les sonorités cubaines – en particulier le jeu des claves – irriguent la rumba congolaise; une polyphonie de guitare y remplaçant le piano.
Au fond, l'influence des rythmes cubains sur les musiques d'Afrique de l'ouest n'est qu'un juste retour des choses dans la mesure où la rumba cubaine n'est rien d'autre que le mélange (exquis) des musiques latino-américaine aux rythmes importés d'Afrique centrale par les esclaves au milieu du XIXème siècle.
Pour se convaincre que l'influence cubaine sur les musiques africaines n'est pas qu'une vue de l'esprit, nous avons sélectionné (et commenté) ces 8 merveilles afro-cubaines:
1. Bembeya Jazz National: "Sabor de guajira"(1968). Fer de lance de la politique d'authenticité culturelle voulue par le guinéen Sékou Touré (au pouvoir de 1958 à 1984), la musique du Bembeya représente une synthèse parfaite des rythmes afro-cubain et mandingues.
A la fin du morceau, on entend un des musiciens prononcer les mots suivants:
"En décembre 1965, j'étais à Cuba avec la délégation guinéenne qui a participé aux travaux et aux festivités de la Tri-continentale. Un soir, je chantais "Guantanamo" en présence du vieil animateur et compositeur Abelardo Barroso. Le vieux était tellement content et tellement fier qu'il a proclamé devant tout le peuple cubain que je suis son fils. Nous avons tous les deux pleuré de joie et de reconnaissance. Je n'oublierai jamais mon passage à Cuba. "
2. Maravillas de Mali: "Lumumba". Formés au conservatoire de la Havane de 1963 à 1973, les Maravillas s'épanouissent dans le Mali socialiste de Modibo Keita (de 1960 à 1968). Ils rendent ici hommage à Patrice Lumumba.
3. Orchestra Baobab: "El carretero". Cette formation sénégalaise star reprend ici un classique cubain (écrit par Guillermo Portabales et popularisé par le Buena Vista Social Club).
4. Africando: "Yay boy". Formé en 1992, Africando mélange avec bonheur les sonorités afro-cubaines.
5. African Jazz: "indépendance cha cha". Fondateur du crucial African Jazz en 1953, Joseph Kabasele révolutionne la musique congolaise en électrifiant la rumba nationale et y introduisant tubas et trompettes.
6. Super Eagles: "Manda Ly". Le Sénégal fut, davantage encore que tous les autres pays d'Afrique de l'ouest, durablement imprégné par la musique cubaine. Ce répertoire afro-cubain forge la matrice de la musique moderne sénégalise.
7. Franco: "Tcha tcha tcha de mi amor". Grand rival de Kabasele, Franco reste sans conteste le plus populaire des chanteurs congolais.
8. Gnonnas Pedro: "Yiri yiri boum". Gnonnas Pedro constitue (avec l'Orchestre Poly-Rithmo de Cotonou) le fer de lance funky de la « République populaire du Bénin », dirigée par Mathieu Kérékou de 1975 à 1990.
Notes:
1. En novembre 1964, Joseph-Désiré Mobutu, commandant de l'armée, fomente un coup d'Etat en République du Congo et impose sa dictature. Pour ce faire, il bénéficie du soutien tacite des puissances occidentales dont les entreprises convoitent les riches sous-sol congolais.
2.Le chef de zone Laurent-Désiré Kabila ne bouge guère de la Tanzanie voisine.
3. Avant de rentrer pour Cuba, Guevara rencontre les dirigeants des mouvements nationalistes des colonies toujours aux mains des Portugais: Amilcar et Luis Cabral, fondateurs du Partido Africano da Independencia da Guiné e Cabo Verde (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert ou PAIGC).
4. Dans le contexte de la guerre froide, les deux grands lorgnent sur ce pays riche en ressources (pétrolières et diamantifères). L'Afrique du Sud qui redoute une contagion socialiste en Afrique australe entrent dans aussi dans le conflit.
5.On estime que près de 350 000 Cubains ont combattu en Angola durant toute la durée de la guerre civile.
6. Grâce aux importants subsides débloqués par le président américain Ronald Reagan, l'UNITA reprend l'avantage sur la coalition angolo-cubaine lors de la bataille de Cuito Canavale en 1987.
7. Des élections doivent être organisées sous le contrôle des Nations Unies.
Sources:
- Le Monde du 28/11/2016: « En Afrique, la petite Cuba s'est donné un rôle planétaire. »
- "Le rêve d'un monde castriste", Le Monde du jeudi 21 février 2008.
- "Le rêve africain de Castro", Jeune Afrique.
- « Cuba,une odyssée africaine ». Ce documentaire revient sur l'engagement des Cubains en Afrique.
- Mondomix n°36, article consacré aux 70 ans de l'Orquestra Aragon.- F. Mazzoleni:"l'épopée de la musique africaine", Hors collection, 2008.
- E. M'Bokolo:"Afrique noire, histoire et civilisation", Hatier, 2008.
- Ernesto Guevara: Passages de la guerre révolutionnaire : le Congo, Métailié (2000)
- Deux émissions de l'Afrique enchantée: Africuba et Cubafrica.
"Che Guevara est lui aussi Africain".
Liens:
- Pan African Music: "La musique, soft power cubain en Afrique."
- Pan African Music: "Le Congo dans le grand bain de l'Afro Cubain."
- Le fabuleux destin de l'Afro-cubain: épisode 1, 2, 3 et 4.
- Une sélection de morceaux par Pan African Music.
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