Une aire urbaine est un espace continu qui se compose d'une ville-centre, de ses banlieues immédiates et d'une couronne périurbaine. La ville se caractérise par une densité importante de l'habitat et une population nombreuse. Elle est le lieu d'échanges, de flux de personnes, de marchandises.
Aujourd'hui en France, 85% de la population vit dans des espaces urbains, même si les villes ne recouvrent que 20% du territoire. Ce phénomène de concentration des populations dans les villes (urbanisation) profite particulièrement aux métropoles qui concentrent les populations, les activités spécialisées et les richesses. On parle ainsi de métropolisation.
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Les métropoles sont marquées par un rythme de vie frénétique, plus ou moins supporté par ses habitants. Grand Corps Malade, qui se définit comme un "Enfant de la ville", apprécie. "Je
me sens chez moi à Saint-Denis, quand y’a plein de monde sur les quais /
Je me sens chez moi à Belleville ou dans le métro New-yorkais /
Pourtant j’ai bien conscience qu’il faut être sacrément taré / Pour
aimer dormir coincé dans 35 mètres carrés / Mais j’ai des explications,
y’a tout mon passé dans ce bordel"
Les métropoles organisent le territoire qu'elles dominent. 35% des Français vivent dans l'une des dix premières aires urbaines. Ces métropoles ont un rayonnement économique important et concentrent les emplois les plus qualifiés, les sièges sociaux d'entreprises, les réseaux de transport et les activités de recherche-développement. L'accès aux services y est facile comme le concède Fabe dans "Si tu rêves de la métropole" "Si
tu rêves de stress, de bourse, de course à la promotion / De magasins
tout-par, de supermarchés pour des commissions / De superstars, de
caviar et si la tour Eiffel t'appelle, prends des ailes / Ici t'auras
tout ce que tu veux et même encore plus
Taxi, métro, R.E.R, bus, train, t'en rates un t'en / as un dans les
5mn / Un bus dans les 10mn, à l'arrivée des gens qui luttent /
Mouvement de foule, tout le monde court mais combien savent pourquoi ?
"
Une métropole de rang mondial ne dort jamais totalement. "Il est cinq heures, Paris s'éveille" chantée par Jacques Dutronc et écrite par Claude Lanzmann, propose une
description de la capitale à l'aube. Si les abattoirs de la Villette
n'existent plus, la frénésie d'activités reste bel et bien d'actualité. "Les banlieusards sont dans les gares / À la Villette, on tranche le lard / Paris by night, regagne les cars / Les boulangers font des bâtards / Il est cinq heures / Paris s'éveille"
Les principales métropoles de l'hexagone ont fait l'objet de chansons hommages de la part de chanteurs natifs ou en tout cas attachés à une ville de cœur. Quelques exemples. Renaud est "amoureux de Paname". Avec "Je suis Marseille", le collectif 13 organisé, représenté ici par Shurik'n, clame son amour de la cité phocéenne.> "Mars tous les coups partent, ville jugée coupable. / Ce rap, c'est la soupape (ouais), Notre-Dame nous garde. On parle pas de quota, diversité incroyable. / (...) C'est elle [Marseille] qui régit nos âmes, toile de fond de nos vies. Vas-y, traitre-nous de sauvage, une mère connaît ses petits. Plus il en viendra, plus il y en aura sur le parvis. Tu sais ce qu'on dit, blason brandi, c'est reparti."
Avec "Lyon presqu'île", Biolay nous propose une émouvante visite de sa ville d'adolescence. La tour crayon, les gares de Perrache et , la place Bellecour sont au rdv. "le point du jour, la statue d'or, la tour en stylo-bille / Lyon, presqu'île / Il y a une gare morne et l'autre fière d'aller jusqu'aux sports d'hiver / C'est comme si j'étais parti, parti hier / Et puis la statue du Roi Soleil sur la grand-place éternelle / Des belles cours gorgées, gorgées, gorgées de soleil"
Le Lyon de Benjamin Biolay.
Dans "ô Toulouse", ode à la cité gasconne, Nourago fait rouler les r, évoquant tour à tour le canal du midi, la brique rouge des Minimes, l'église saint-Sernin, le rouge et noir du stade toulousain, le Capitole, les hauts buildings et les avions qui ronflent gros.
Parmi les métropoles importantes qui structurent l'espace, et non citées précédemment, il ne faudrait pas oublier Lille, Bordeaux, Nice, Nantes, Strasbourg, Rennes ou encore Montpellier.
Les aires urbaines sont constituées de trois types d'espaces bien spécifiques. "Dans ma ville on traîne" d'Orelsan propose une expédition à Caen. Dès l'intro du morceau, il identifie les éléments constitutifs de l'aire urbaine. "Dans ma ville on traîne, entre le béton, les plaines / Dans les rues pavées du centre où tous les magasins ferment / On passe les week-ends dans les zones industrielles / Dans les zones pavillonnaires où les baraques sont les mêmes".
La ville-centre concentre le coeur historique avec ses monuments anciens, mais aussi les activités et services (commerces, administrations, etc...). Le prix du m² y atteint des sommets, ce qui participe à un phénomène de gentrification, chassant du cœur des villes les classes populaires. Thomas Dutronc décrit ce processus dans son titre "J'aime plus Paris"/ "Passé le périph / Les pauvres hères / N'ont pas le bon gout / D'être millionnaire / Pour ces parias / La ville lumière / C'est tout au bout / Du RER / Y a plus de titi / Mais des minets / Paris sous cloche / Ça me gavroche / Il est fini le pari d'Audiard / Mais aujourd'hui, voir celui d'Hédiard"
Bistanclaque revient pour sa part sur la métamorphose de la "Croix-Rousse" à Lyon. La spéculation foncière chasse les classes populaires du quartier historique des canuts, les ouvriers de la soie. Sous l'effet de l'embourgeoisement rapide, le quartier se transforme et perd ainsi son âme. "Et la ville bourgeoise / Te grignote les pieds (/ Cette ville te toise / Te met ans ses papiers / Te réduit au silence / Te refait la façade (…) Bienvenu à la croix rousse / Est-ce la dernière secousse et l’ennui à nos trousses… / Et chacun sa Croix Rousse"
Deuxième élément constitutif de l'aire urbaine, les banlieues accueillent une part importante de la population urbaine dans des pavillons ou des logements collectifs. Au
cours des décennies 1950-1960, l’État aménageur a engagé une politique
volontariste de grands travaux. La banlieue se hérisse de logements
collectifs appelés grands ensembles. En comparaison des logements
vétustes d'avant-guerre, les nouveaux logements font rêver. Bécaud nous
en livre une description idyllique. "A
l´escalier 6, bloc 21, / J´habite un très chouette appartement / Que
mon père, si tout marche bien, / Aura payé en moins de vingt ans. / On a
le confort au maximum, / Un ascenseur et un´ sall´ de bain. / On a la
télé, le téléphone / Et la vue sur Paris, au lointain."
La piètre qualité de construction, le délabrement rapide de quartiers mal raccordés au centre-ville font rapidement de ces zones des repoussoirs, tout juste bonnes à accueillir les activités nécessitant beaucoup d'espace : aéroports, centres commerciaux, usines, dont se déleste la ville-centre. Dans "banlieue rouge", Renaud dépeint le quotidien monotone d'une habitante de ces quartiers. "Elle habite quelque part / Dans une banlieue rouge / Mais elle vit nulle part / Y a jamais rien qui bouge / Pour elle la banlieue c'est toujours la zone / Même si au fond d'ses yeux y a un peu d'sable jaune / Elle travaille tous les jours / Elle a un super boulot / Sur l'parking de Carrefour / Elle ramasse les chariots / Le week-end c'est l'enfer / Quand tous ces parigots / Viennent remplir l'coffre arrière / D'leur 504 Peugeot"
Pour les habitants des banlieues cossues de l'ouest parisien, les problèmes sont d'une autre nature. "Auteuil-Neuilly-Passy". "Hé mec / Je me présente / Je m'appelle Charles-Henri Du Pré / J'habite à Neuilly / Dans un quartier 'et alors paumé / Je suis fils unique / Dans un hôtel particulier / C'est la croix, la bannière / Pour me sustenter. / Pas un Arabe du coin / Ni un Euromarché / Auteuil, Neuilly Passy: tel est notre ghetto".
Troisième composante de l'aire urbaine: la couronne périurbaine. De nombreux citadins s'installent aujourd'hui à la périphérie de la métropole car les prix en centre-ville sont chers et les logements dépourvus de jardins et souvent petits. Le déplacement des citadins vers les espaces ruraux proches des villes se nomme la périurbanisation. Ce phénomène entraîne un étalement urbain, soit une extension de la ville qui progresse au détriment de l'espace rural alentour.
La périurbanisation a de nombreuses conséquences. Les Français habitent de plus en plus loin de leur lieu de travail ce qui provoque une augmentation des mobilités pendulaires. L'utilisation de la voiture est généralisée ce qui entraîne pollution et embouteillages. L'étalement urbain provoque la disparition des terres agricoles. Il implique aussi la construction d'équipements coûteux (routes, éclairages, gaz, eau) pour répondre aux besoins de nouveaux habitants. "La maison près de la fontaine" chantée par Nino Ferrer est rattrapée par la périurbanisation. "La maison près des HLM / A fait place à l'usine / Et au supermarché / Les arbres ont disparu, mais ça sent l'hydrogène sulfuré / L'essence".
La périurbanisation contribue à l'artificialisation et à la bétonisation des entrées de villes toutes plus moches les unes que les autres. Cet état de fait inspire à Dominique A le morceau "Rendez nous la lumière". "On voit des autoroutes, des hangars, des marchés / De grandes enseignes rouges et des parkings bondés / On voit des paysages qui ne ressemblent à rien / Qui se ressemblent tous et qui n'ont pas de fin"
Ceux qui vient dans la couronne périurbaine portent un jugement plus nuancé sur ces espaces. "Chaque week-end", Diziz la Peste et Alpéacha accueillent leurs amis, font chauffer les barbecues et s'ambiancent sur de la bonne musique, en dévorant des plats . [« Le soleil se couche sur la zone pavillonnaire / On est assis sur le toit, et y’a du bonheur dans l’air»]. Pour Liz Van Deuq, il y a une vie dans "les banlieues pavillonnaires" après dix heures du soir. "Fini le chant des tondeuses, la pelouse en est radieuse. Le vent joue à la balançoire. Il est l'heure des arroseurs, des clapotis au trottoir. Il y a une vie dans les banlieues pavillonnaires après 10 heures le soir."
En conclusion, si la population française est aujourd'hui largement citadine, la croissance urbaine s'avère inégale. Les villes du grand ouest et du sud du territoire sont les plus attractives car le cadre de vie y est perçu comme agréable et car elles profitent du développement d'activités dynamiques. Les villes du nord et de l'est de la France connaissent une croissance plus faible. Dominique A:" Je suis une ville" de Dominique donne la parole à une de ces villes rétrécissantes. (début) "Je suis une ville dont beaucoup sont partis / Enfin pas tous encore mais ça se rétrécit / Il reste celui-là qui ne se voit pas ailleurs / Celui-là qui s’y voit mais à qui ça fait peur / Et celle-là qui ne sait plus, qui est trop abrutie / Qui ne sait pas où elle est ou qui se croit partie"
Entre 1420 et 1440 dans les marches alpines du duché de Savoie, en particulier dans le Valais, des procès en sorcellerie d'un nouveau genre sont organisés. La sorcellerie traditionnelle, qui consiste à commettre des maléfices et à jeter des sorts cède le pas devant la sorcellerie démoniaque et collective pratiquée dans le cadre du sabbat. Le sorcier ou la sorcière est érigé par ceux qui les inventent comme de nouveaux boucs émissaires de la Chrétienté, après les Juifs, les hérétiques, les lépreux. La chasse s'inscrit dans le prolongement des mouvements de répression des courants religieux dissidents.
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Eugène Samuel Grasset (1845-1917), Public domain, via Wikimedia Commons
Dans un contexte de vive tension religieuse et de remise en question du
clergé, ce dernier s’invente de toute pièce un
nouvel ennemi. Les
théologiens chrétiens attribuent de plus en plus les malheurs du temps
(peste, crise économique, Grand Schisme) au diable. Pour s'imposer Satan se cherche des
alliés sur Terre: les Sorciers. Des traités (1), rédigés à la fin de la période médiévale,
propagent l'idée de l'existence d'une société secrète, une secte qui se réunirait la nuit, en secret, pour adorer le diable, forniquer, ripailler lors du sabbat, rassemblement nocturne au cours duquel se commettraient les sacrifices les plus infâmes. Le sorcier rend hommage au diable sous la forme d'un baiser obscène sur le postérieur, scellant ainsi son alliance avec le diable. Les participants y cuisinent et mangent de la chair humaine, dansent et s'unissent charnellement au démon. Lors de ces ébats contre nature, la violence est de mise et le coït avec le diable douloureux. Les sorciers confectionnent des maléfices à base de graisse d'enfant ou de substances toxiques destinés à répandre le mal autour d'eux. Dès lors pour les autorités judiciaires, il convient donc de débusquer les agents de subversion de la chrétienté: les sorciers et sorcières.
La mythologie du complot est à l’œuvre.
"la Salsa du démon", interprétée par le Grand Orchestre du Splendid, donne la parole à une sorcière plus volubile que dangereuse. Dépeinte sous les très d'une mégère, vieille et moche, elle ne se sépare pas de son balais. D'après les traités de démonologie, les sorcières se rendaient au sabbat en se déplaçant sur des sièges, puis juchés sur des balais ou des bâtons. "Horreur malheur / Oui, je suis la sorcière (horreur) / J'suis vieille, j'suis moche, j'suis une mégère (horreur, malheur) / Oui, oui, oui, sur mon balais maudit (horreur) / J'aime faire du mal au tout petit."
Un cadre
juridique et théologique se met en place à la fin de la période médiévale. Désormais, magiciens et jeteurs de sorts sont soupçonnés d'invoquer les démons et de pactiser avec le diable. Qualifiés d'hérétiques, idolâtres et apostats, ils deviennent passibles d'une condamnation à mort. Lors des visites pastorales, prêtres et prédicateurs incitent les fidèles à la délation des
sorciers. Les populations livrent les noms des personnes qu'elles soupçonnent d'être à l'origine de la mort d'un enfant ou du bétail, d'avoir déclenché une calamité naturelle entraînant de mauvaises récoltes ou encore de rendre les hommes impuissants.En un mot, d'avoir attaqué le capital de la communauté et stérilisé la vie.La rumeur publique, appuyée sur les dénonciations, permet d'ouvrir une procédure inquisitoire.Cette procédure d'exception élaborée au XIII° siècle par les Dominicains devient le modèle de la justice séculière et permet le recours à la torture. Tenue au secret, sans défenseur, la
personne incriminée ne connaît souvent ni son accusateur, ni les motifs de
son emprisonnement. Ainsi, une fois lancée, la machine judiciaire, implacable, broie les prévenus, transformés en sorciers et sorcières à brûler.
Avec "la sorcière et l'inquisiteur", les Rita Mitsouko imaginent l'arrivée de l'inquisiteur dans une région, puis sa confrontation avec une sorcière. Lors de la séance de torture, rien ne se passe comme prévu, et en dépit de ses efforts, c'est bien le cœur du tortionnaire qui finit par céder.
En cas de présomption très forte de culpabilité, le juge sollicite un chirurgien ou un médecin afin d'identifier la « marque du
diable », cette fameuse empreinte que le démon aurait laissé
sur le corps des personnes s’adonnant au sabbat. (2) A l'aide d'aiguilles, il s'agit de déceler sur le corps dénudés des accusés une zone dite « d’insensibilité », témoins du passage du malin. La
preuve corporelle établie, il s’agit d'obtenir des aveux.
"La chanson du bon chasseur de sorcière" de la Compagnie l'indécente retrace toutes les étapes de la procédure contre une inculpée. En vertu d'une chaîne immuable, cette dernière est dénoncée, accusée, incriminée, soumise à la marque du diable, puis à la torture. Les aveux arrachés et répétés, elle est exécutée.
L'accusée est soumise à un interrogatoire standardisé, formé de questions fermées. Le recours à la torture est systématique. Elle subit l’estrapade, une torture qui
consiste à suspendre la victime au bout d’une corde puis à la
jeter dans le vide afin de lui disloquer les os. Les mêmes questions
reviennent sans cesse selon un système d’interrogatoire
circulaire.Épuisée, brisée, soumise au feu roulant des questions d'un magistrat expérimentée,
la suppliciée finit souvent par passer à table, dénonçant à son tour de prétendus complices du complot satanique. Ainsi, en vertu d’un cercle vicieux, de nouveaux
suspects sont arrêtés, torturés. Une fois sorti de la salle de torture, l'accusé doit réitérer ses aveux.
Les
tribunaux condamnent alors généralement au bûcher, plus rarement à la
décapitation ou encore la noyade. Le bras séculier se charge d'accomplir
la sentence. Le corps est réduit en cendres, privant donc de sépulture
chrétienne et empêchant la résurrection du corps. Le châtiment par le feu permet également de purifier la société chrétienne du mal qu'elle a abrité, mais aussi de dissuader par l'exemple. Il se déroule donc en public.
Ripaille, un groupe de prog rock aujourd'hui oublié, publie en 1977 un album-concept intitulé "la vieille que l'on brûla". Il y est question d'une vieille femme seule, accusée de sorcellerie par la communauté villageoise, après le meurtre non élucidé d'une voisine. "Sur la place du marché, pour des histoires de sorcières / Hier / le crucifix levé approche le curé / Embrase les fagots / Que le feu purifie"
La
traque systématique des sorcières, sous la forme de véritables
chasses, s'épanouit à l'époque moderne dans
une Église en crise, bientôt fracturée par la Réforme.Entre 1560 et 1660, la répression sévit dans les Alpes et gagne de nouvelles régions telles que l'axe rhénan ou le saint-Empire romain germanique, un
espace en crise spirituelle et politique, fracturé en des centaines d’États. Protestants et catholiques s'y déchirent en de sanglantes guerres de religions. C'est dans
ce contexte anxiogène que s'épanouit la détestation des femmes,
une haine déjà bien ancrée dans la vie culturelle et
religieuse. Les démonologues défendent
l'idée que les femmes sont à l'origine de toutes les perversions, l'incarnation du péché originel.
Essentialisées, elles auraient un corps nauséabond composé d'humeurs
froides et humides. Un traité de 1486 contribue à faire d'elles les principales victimes de la chasse (7 à 8 sur 10 pour l'époque moderne, avec toutefois d'importantes disparités selon les lieux). L'ouvrage du dominicain Institoris sert de référence aux chasseurs. A la faveur de l'imprimerie, il se répand dans toute l'Europe.Intitulé Le "marteau des sorcières", ce best seller identifie le maléfique au féminin, témoignant d'une peur et d'une haine obsessionnelle contre les femmes, dépeintes en séductrices, voleuses de pénis et lascives. Il insiste également sur le pouvoir nocif des
règles.
Dans un de ses premiers enregistrements, le tout jeune Laurent Voulzy fait de "la sorcière" la victime expiatoire d'un ordre social chancelant. "Ils
m'ont battu, cloué un hibou / Un hibou à ma porte / On juge les
sorcières traînées au bûcher / Le Diable les emporte / Ils ont fait cercle et se sont mis à danser / Autour de flammes qui commençaient à
monter
Jusqu'à la fin, elle n'a pas compris / N'a pas compris / Pas une fois
elle n'a poussé de cri / Poussé de cri / Elle m'a regardé dans la fumée
brune"
Chaque région a son histoire de la chasse et ses spécificités
(sexe des victimes, âge, milieu
social, monde rural ou citadin). Dans certaines régions helvétiques, on ne frappe que des hommes, dans d'autres que des femmes, dans le royaume de France, ces dernières sont aussi nombreuses que leurs homologues masculins. Toutes les femmes sont susceptibles de faire l'objet de
poursuites, mais certains profils sont particulièrement visés. C'est le cas des femmes seules échappant à la tutelle masculine.
Les veuves concentrent les craintes, car en survivant à leur mari,
elles prêtent le flanc aux accusations les plus graves. De même, les guérisseuses des campagnes ou les sage-femmes entrent progressivement dans le collimateur des chasseurs de sorcières. (3) Envisagées comme des concurrentes directes des prêtres, leur recours à des rites prétendument magiques, leur usage des plantes médicinales deviennent suspects au yeux du clergé. L’anathème
contribue à marginaliser tout un pan du savoir féminin. Et, pour
les médecins - des hommes - la chasse aux sorcières est aussi un moyen de
s'octroyer le monopole des corps malades.
Chez Claire Gimatt, la sorcière adopte les traits d'une guérisseuse, adepte des plantes médicinales. "Sorcières" "Au fond des forêts
/ j’ai trouvé la sorcière
/ bannie, condamnée
/ femme aux plantes amères
/ Elle guérissait les maux des hommes, des femmes, des animaux
/ juste avec des herbes broyées dans de l’eau
/ interdite d’onguent, elle n’est qu’une ombre
/ qui hante les bois, qui rôde avec les chats noirs"
La misogynie ambiante accuse les femmes célibataires d'avoir une sexualité débridée et d'être ainsi à l'origine des naissances adultérines. Le fait de cantonner les femmes aux tâches ménagères les rend également plus suspectes. Quoi de plus simple pour une cuisinière que de concocter un philtre maléfique, de jeter du poison dans la marmite ou dans l'eau. Ainsi, cette place stratégique, derrière les fourneaux, en fait une coupable idéale. Au fil des décennies, la chasse cible de plus en plus les femmes, surtout les plus pauvres. Rappelons que ceux qui traquent sont des hommes. Eux seuls ont la mainmise sur tout le processus de poursuite des sorcières: juges, chirurgiens, bourreaux.
Derrière
la persécution se cache un imaginaire du complot, un fantasme, un
schème. Cet
imaginaire du complot est ancien. Il apparaît dès le début du
XIV°, avec la dénonciation de différents groupes accusés de mille
maux: les Templiers, les lépreux, les Juifs, les hérétiques
vaudois, puis les sorcières. La
croyance est très répandue comme le prouve le cas de Jean Bodin
(1530-1596). Le brillant juriste, auteur de La démonomanie
des sorciers (1581), considère
que les sorciers sont infiltrés partout, dans la magistrature, à la
Cour, dans l’Église, jusque dans l'entourage du roi de France...
Cette
croyance en un complot généralisé perdura longtemps. Les
conspirationnistes se choisiront de nouvelles cibles, les jésuites,
les francs-maçons, encore les juifs...
Dans la "Chasse aux sorcières" d'Hippocampe fou, l'accusée retourne le stigmate, insistant sur l'utilité sociale de la sorcière. Faiseuse d'ange, elle est aussi celle qui accueille les enfants mal-formés dans son antre. Au bout du compte, le mal n'est pas là où on le cherche. "Nous vous accusons de pratiquer de sombres ablutions,
/ De laisser cours à vos pulsions les plus démoniaques,
/ De danser nue sous l'orage
/ Mais voici venu le temps des punitions comme l'a prédit l'oracle.
/ Vous n'êtes qu'une sorcière, une tortionnaire hors-pair ;
/ Noir est le sang qui coule dans vos artères.
/ Nous allons vous étriper, crever vos yeux,
/ Purifier votre âme par le feu. Amen."
Au fil du XVII° siècle, les bûchers se raréfient. En 1682, un arrêt du Parlement de Paris décriminalise la sorcellerie. Les inculpations trop vagues ne conduisent plus à un procès, le recours à la torture se raréfie. Les autorités utilisent des dispositifs de freinage afin de calmer les ardeurs de petits seigneurs trop zélés. L'historien Robert Mandrou explique ce recul par la
poussée du rationalisme chez les intellectuels. De
plus en plus présents lors des procédures judiciaires, les médecins
portent un nouveau regard. La marque n'est plus vue comme d'origine
diabolique, mais comme le stigmate d'une pathologie. (4) Les coups contre la traque des sorcières sont parfois même portés depuis l'intérieur même du système. Ainsi, le jésuite Frédéric Spee, confesseur de sorcières, finit par témoigner contre le dispositif. Dans un traité publié de manière anonyme, il démonte de manière très précise les procédés utilisés par les bourreaux pour extorquer des aveux. Dans
la plupart des pays d'Europe, la sorcellerie est ravalée au rang de
superstition, indigne donc d'être poursuivie en justice.
Dans
certaines régions cependant, les exécutions se poursuivent longtemps.
C'est le cas dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord avec le
procès des sorcières de Salem dans le Massachusetts, en 1692.Certes, en France, quelques procès retentissants défrayent
la chronique dans la première moitié du siècle, comme l'affaire
des possessions d'Aix-en-Provence (1609-1611), celles de Loudun
(1632-1634), de Louviers (1643-1647), d'Auxonne (1658-1663). Ces
affaires se distinguent cependant des précédentes car elles se
déroulent au cœur des villes, dans des couvents féminins où se
nouent normes religieuses plus strictes, intrigues politiques locales
et troubles psychologiques. Et, chaque fois, ce sont des hommes qui
finiront sur le bûcher.
"Mords toi la langue / Jure de la fermer / Invente quelque chose / Invente quelque chose de bon ... (...) Brûle la sorcière / Réduis-la en cendres et en os.", chante Queen of the Stone Age dans leur morceau "Burn the witch". Derrière la sorcellerie se cache aussi des histoires de jalousies et de paranoïa. Les perturbations météorologiques, entraînent des vagues de dénonciation et l'ouverture de procès. Les autorités cherchent ainsi à purger les mauvais éléments des sociétés villageoises.
La représentation des sorcières ne cesse de se transformer au gré des époques et des attentes. Figure du mal absolu ou de la liberté féminine, elle offre des
visages extrêmement divers.Le
personnage de fiction se présente bien souvent sous deux formes contraires :
la jeune sorcière séduisante incarnant l'eros, et la vieille
femme monstrueuse, personnification de la mort.Elle s'impose comme une source d'inspiration dans le domaine de la peinture (pour Goya, Dürer ou Bosch) et la littérature, que l'on songe à la Célestine de Fernando de Rojas, au Macbeth de Shakespeare, aux créatures inquiétantes des contes de Perrault ou des frères Grimm ou encore à la sorcière romantique et rebelle chez Michelet. (5)
Le sabbat fournit un prétexte rêvé aux
artistes peintres. Ainsi, vers 1550, la Sorcière d'Albrecht
Dürer(vers 1500) prend les traits d'une vieille femme nue, juchée sur un capricorne.
Chez Francisco de Goya (1746-1828), la représentation de la sorcière permet de
mettre en scène la bêtise, l'esprit superstitieux et
l'obscurantisme de ses contemporains.
Dans
Macbeth, écrit par Shakespeare au début du XVII° siècle, les prophéties
délivrées par les trois sorcières rythment l'intrigue. Elles symbolisent
le chaos et la discorde, concoctant des philtres à l'attention du
général régicide.
Les musiciens se
plaisent également à décrire l'intrigant ballet des sorcières dont les
incantations et autres philtres magiques suscitent la fascination. L'opéra mobilise particulièrement les sorcières de la mythologie gréco-romaine: Alcina (6) chez Haendel, Didon chez Purcell, Médée pour Cherubini et Charpentier. Verdi, quant à lui, puise l'inspiration chez Shakespeare. Terrées dans leur caverne, elles y concoctent des philtres maléfiques.
Au
XX° siècle, le cinéma, la bande dessinée, la fiction
achèvent la mue de la sorcière, de plus en plus souvent valorisée, voire réhabilitée. En
1926, la chorégraphe Mary Wigman propose Hexentanz, la « Danse de la
sorcière ». Dans un état d'extase, l'inquiétante créature trouble et
fascine. Dans La
Belle au bois dormant (1959), la sorcière Maléfique possède le
don d’ubiquité.Les séries comme la « Sorcière
bien aimée » ou « Charmed » la valorisent, tout en la rendant assez inoffensive.
De nos jours, la figure de la sorcière s'est imposée comme une égérie pour les féministes. Dans
l'Europe en ébullition de la fin des années 1960 et de la décennie
suivante, la sorcière est enrôlée sous la bannière des mouvements
contestataires de gauche comme l'incarnation d'un désir de
transformation de la société et d'insurrection contre le
patriarcat. (7)Dans les milieux lesbiens et
queer, parfois organisés en Witch Bloc, la sorcière incarne un autre type de sexualité, en lutte contre
l'hétéronormativité et le patriarcat. (8)Dans le Shining
de Kubrick, la sorcière est une superbe
jeune femme nue qui se transforme lorsque Nicholson l'étreint en un
un cadavre en putréfaction.
Dans
La Belladone de la tristesse (1973),
un film d'animation librement adapté de La Sorcière de Michelet,
une très belle jeune femme, victime d'un viol collectif,
se transforme en un ange de vengeance et d'extermination.
Une « sorcière
comme les autres» d'Anne Sylvestre (1975) est une chanson adressée par une
femme aux hommes. Après avoir rappelé à quel point elle s'est mise
aux services de ces derniers, l'énonciatrice affirme sa capacité à
s'émanciper. Le titre prône l'égalité.
Dans l'imaginaire, la sorcière est désormais envisagée comme une femme forte qui décide de vivre de manière indépendante, en marge certes, mais échappant à la pesante tutelle masculine. Pour les adeptes de la
Wicca, un mouvement spirituel néopaïen apparu en Grande-Bretagne dans les
années 1950, la sorcière devient la détentrice de croyances ancestrales et le sabbat une réunion entre femmes et le lieu d'épanouissement de la sororité.
Alors qu'une accusation de sorcellerie pouvait vous envoyer au bûcher, de nos jours, certaines se revendiquent "sorcières". Ainsi pour Pomme et Klô Pelgag, "si tu sais être seule dans la vie / Si tu suis ton instinct dans la nuit / Si tu n'as besoin de personne pour te sauver / Si tu trouves que rien ne remplace ta liberté", "tu es sûrement une sorcière".
La figure
de la sorcière est réhabilitée. Elle est désormais envisagée comme une femme savante, indépendante, artiste...
C°: Les chasses aux sorcières de l'époque moderne ont conduit aux bûchers des femmes, des hommes et même des enfants. Il est difficile
d’établir un bilan des victimes. Sur les 110 000
procès identifiés entre 1580 et 1640, on dénombre de 60 à 70 000 condamnations à mort. Les suppliciés appartiennent à des groupes sociaux très divers, du notable au marginal.
Derrière
la traque des déviants, il convient d'insister sur les motivations
politiques de la chasse. Ainsi, la répression du crime a permis l'affirmation du
droit de haute justice ou l'exercice d'une justice d'exception, notamment dans les zones
frontières fragiles, où l'obéissance restait problématique(marges de
Savoie, Pays Basque, Lorraine). D'autre part, l'incitation à la délation
a constitué un exutoire, un moyen de régulation des conflits sociaux ainsi qu'une opportunité pour les autorités judiciaires d'éliminer les vengeances privées. Enfin, si la traque des sorcières émane des cercles du pouvoir politique, judiciaire et religieux, elle n'en a pas moins trouvé un écho très fort au sein de la société toute entière et ce sont bien des accusations populaires qui déclenchent la machine répressive.
En utilisant la figure de la sorcière, l'impressionnant morceau "Burn the witch" de Radiohead peut être interprété comme une dénonciation de la paranoïa et de l'intolérance de nos sociétés occidentales face à la crise migratoire. "Restez
dans la pénombre / Acclamez la potence / C'est un rassemblement / C'est
une lente attaque de panique qui plane (...) Brûle la sorcière / Brûle
la sorcière / Nous savons où tu vis."
La chasse aux sorcières est un dispositif de terreur, un dispositif qui produit l'ennemi. Ainsi, une fois que la traque cesse, les sorcières se volatilisent. Dans ses "Lettres philosophiques", Voltaire note que "les sorcières ont cessé d'exister quand nous avons cessé d'en brûler." Rappelons pour finir que le crime de sorcellerie est imaginaire et qu'il s'agit d'un crime forgé par les élites intellectuelles, laïques et religieuses.
Notes:
1. Le plus célèbres de ces traités de lutte contre la sorcellerie se nomme le Malleus Maleficarum
(« Marteau des sorcières »). Ce traité, rédigé en
latin par un dominicain est imprimé vers 1486. Conçu pour les inquisiteurs et les agents de la justice ecclésiastique
ou laïque, le texte fournit des cas pratiques et s'organise sous forme de questions-réponses dans lesquelles pouvaient puiser les enquêteurs. L’ouvrage, qui connaît une très grande diffusion en Europe, alimente et témoigne
de la misogynie ambiante.
2. L’examen
s’accompagne souvent d’une pesée car les juges sont convaincus
que le corps diabolique est, par nature, plus léger que l’air. La
« preuve par l’eau » constitue une autre preuve de
sorcellerie. Quand on suspecte une femme d’être sorcière, on la
dénude, puis on la jette à l’eau. Si elle coule, elle était
normale, mais elle coule... Face, tu perds, pile, tu perds aussi.
La marque est censée apporter une marque scientifique, irréfutable de la présence du diable.
3. Dans
le Malleus Maleficarum,
la sage-femme représente le mal absolu. Les inquisiteurs les
accusent de tuer les nouveau-nés afin d’utiliser leurs corps pour
des rituels sacrilèges lors des sabbats. Dès
lors qu’un accouchement se passe mal (ce qui était extrêmement
fréquent à l’époque), les sage-femmes se retrouvent confrontées
aux soupçons des parents. Beaucoup d’entre elles font l’objet de
procès en sorcellerie.
4. Les médecins ne considèrent plus les inculpées comme des ensorcelées diaboliques, mais comme des "mélancoliques". Au XVIII° et XIX° s., la sorcière cède la place à l'hystérique, à enfermer et traite dans un asile.
5. En
1862, la Sorcière de
l'historien Jules Michelet rompt avec l'image maléfique
traditionnelle. Sa
sorcière, jeune et belle, vit dans une humble chaumière avec son époux. Son destin bascule le jour où le seigneur la
viole. Humiliée, elle
devient « la sombre fiancée du diable », marginale et
crainte. Pour l'historien, le savoir-faire médical des sorcières, combattu et
disputé par l’Église et les médecins, devient pour Michelet une
force positive.
6. La
sorcière apparaît dans la littérature gréco-latine sous le traits
de Circé et Médée. La première
transforme en pourceaux les compagnons d'Ulysse à l'aide d'un
philtre. La seconde maîtrise l'art des onguents. Elle aide Jason
dans sa quête de la Toison d'or avant de se venger de manière
terrifiante de son infidélité. Le sabbat est absent des sources
gréco-latines.
7. Citons le collectif féministe new-yorkais W.I.T.C.H. (Women's International Terrorist Conspiracy from
Hell) pour « Conspiration terroriste internationale des femmes
venues de l'enfer », les féministes italiennes et leur slogan "Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour" ou la revue française Sorcières créée par la philosophe Xavière Gauthier.
8. Par
empathie, mais au risque de l'anachronisme, certains auteurs
contemporains assimilent la chasse aux sorcières à un "féminicide",
plaquant sur le passé les grilles de lecture d'aujourd'hui.
Benjamin
Biolay naît en 1973 à Villefranche-sur-Saône (1), non loin de la métropole
lyonnaise où, enfant, il se rendait fréquemment, car son père y
travaillait. « On
arrivait par le 9e arrondissement, assez
crade, ensuite on entrait dans les beaux quartiers. J’aimais ce
contraste. Je me disais : “ Dans un premier temps, je viendrai vivre
ici. ” Je me suis installé adolescent pour faire le conservatoire et je
suis resté une dizaine d’années. » (source C)
Puis Biolay s'installe à Paris, devient chanteur, célèbre. Un soir de vague à l'âme, alors qu'il se trouve à Bruxelles, pris d'une bouffée de nostalgie et sous l'effet de l'alcool, de soudaines réminiscences de sa ville de cœur lui inspirent la chanson Lyon presqu'île. Dans une interview accordée aux Inrocks, le chanteur revenait ainsi sur la genèse du morceau:"Oui, bourré à 7 heures du matin à Bruxelles. Je suis rentré seul à
l’hôtel et j’ai commencé à jouer de la guitare. Je ponds un rythme à la
Gipsy Kings et ça me fait marrer. D’un coup, je me rends compte que
l’air me fait penser à Lyon. Dans Lyon presqu’île, j’ai choisi
de décrire la ville comme une ville du Sud, ouverte sur l’Italie. Ça me
fait plaisir que les Lyonnais l’aiment, qu’on la passe au stade de
Gerland."
Le titre propose une approche sensible et géographique des lieux. Le titre permet de rappeler qu'un espace, avant d'être un objet d'étude, reste surtout un lieu de vie, un espace vécu où l'on use ses fonds de culottes. "On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville", comme le suggère Bernard Lavilliers, Stéphanois de naissance et de cœur. Ici, Biolay se remémore, ému, les lieux de son adolescence et de sa jeunesse lyonnaise. Les souvenirs reviennent en nombre et «c'est comme si j'étais parti la veille», constate le chanteur.
Biolay s'extrait des brumes éthyliques pour s'ancrer à la confluence de La Saône et du Rhône, là où «l'eau qui dormait se réveille». Il insiste ensuite sur la topographie des lieux. Le titre du morceau se réfère à la presqu'île, une langue de terre installée au pied de la colline de la Croix Rousse. Cette dernière est identifiée dans le premier couplet à la "colline qui crie", sur les pentes de laquelle travaillaient au XIX° siècle, les canuts, ces ouvriers de la soie dont les révoltes récurrentes et bruyantes secouèrent la ville. Par opposition à la colline qui travaille, Biolay évoque Fourvière, "la colline qui prie". Située à l'ouest, sur la rive droite de la Saône, elle est surmontée par la basilique Notre-Dame, construite fin XIX° dans un style néo-byzantin.
La carte au format pdf téléchargeable en cliquant ici.
Le chanteur identifie également les lieux et monuments emblématiques de Lyon. A l'aide d'un jeu de mot, Biolay mentionne les "belles cours", clin d’œil à la fois aux cours Renaissance du Vieux Lyon auxquels on accède grâce à des passages appelés traboules, mais aussi à «la grand place éternelle» lyonnaise: la place Bellecour. En son cœur trône «la statue du roi Soleil», celle de la Vierge Marie - «la statue d'or» de la chanson - est juchée au sommet de la basilique Notre Dame. Il est enfin question de la « tour en stylo bille», le gratte-ciel du Crédit lyonnais situé dans le quartier des affaires de la Part-Dieu et que les Lyonnais désignent généralement comme la "tour crayon".
Les infrastructures de transports ne sont pas oubliées. Indispensables aux déplacements des habitants à l'intérieur de la ville, elle permettent également de l'ouvrir au monde. A l'échelle d'une existence humaine, elle sont aussi des lieux de départs vers un ailleurs professionnel ou récréatif. «La gare morne et l'autre fière» sont celles de Perrache et de la Part-Dieu. Cette dernière peut se targuer de transporter les Lyonnais «jusqu'aux sports d'hiver».
Biolay joue du contraste et des effets de lumière. Les paroles ne cessent de se référer à l'astre lumineux, qu'il s'agisse de la mention du quartier du « Point du jour » ou de l'évocation de la tarte aux pralines, dont les couleurs chaudes donnent l'illusion que l'on «mange un morceau de soleil». Tiré de sa léthargie, le chanteur est aveuglé par l'éclat d'une ville aux atours méridionaux, dont les «cours sont gorgées de soleil».
Le chanteur se fait aussi sociologue pour décrire au plus près l’embourgeoisement qu’a connu la ville, désormais peuplée de « hippie[s], hippie[s] chic[s]», comme toutes les autres métropoles.
Laissons les derniers mots au géographe Yann Calbérac (source A), pour lequel "les souvenirs enfouis sous les eaux dormantes remontent à la surface et encerclent la presqu’île. Et la litanie finale de Lyon presqu’île traduit la persistance du souvenir."
1. Dans "Je me suis rappelé / De là où j'ai passé / Mes plus belles années / Sorbet glacé / Je me suis rappelé / Que j'ai tout oublié / Je ne prendrai plus jamais / L'autocar Planche / Villefranche"
Sources:
A. Yann Calbérac. Lyon presqu'île. Raphaël Pieroni; Jean-François Staszak. Villes enchantées. Chansons et imaginaires urbains, Georg Editeur, pp.174-175, 2022, 9782825713020.(en version pdf en cliquant ici)
La première guerre mondiale continue de susciter un grand intérêt qui se mesure - entre autres productions culturelles - au grand nombre de chansons populaires consacrées au conflit.
{ce billet est aussi à écouter en version podcast }
La guerre oppose la Triple Alliance (Empire allemand, Empire d'Autriche-Hongrie, Italie) à la Triple Entente (France, Royaume-Uni, Empire de Russie). Les États espèrent une guerre courte, mais après les grandes offensives de la guerre de mouvement de l'automne 1914, les hommes s'enterrent dans les tranchées pendant quatre longues années. Dès lors, il s'agit de garder sa position coûte que coûte. "Enfant soldat" du groupe Ben'Bop emprunte les mots de Cendrars pour nous plonger dans ce sinistre univers.
Au front, les soldats sont confrontés à la violence extrême des combats au cours desquels des armes, toujours plus sophistiquées et destructrices, sont utilisées: obus, grenades, mitrailleuses, gaz, lance-flamme, chars... Le ton désespéré adopté par Miossec pour son morceau intitulé "la guerre" témoigne de l'âpreté des combats et de la violence, omniprésente. "Ici, le temps ne compte pas / car chaque minute se bloque sous la peur / Comment te dire tu ne t'imagines pas / Ce qu'on pratique comme horreur / Pour gagner une forêt, un lac, un bois".
Dans les tranchées, les soldats souffrent de conditions de vie effroyables. Confrontés aux intempéries, ils endurent les rudes températures hivernales. En cas de précipitations importantes, la tranchée devient bourbier. L'absence d'hygiène est est due à l'impossibilité de se laver, mais aussi à la prolifération des poux et des rats. Les difficultés de ravitaillement en première ligne tiraillent les organismes de soldats soumis à la faim et à la soif.
Moussut T e lei Jovents racontent l'histoire de "Paul, Emile et Henri", trois jeunes hommes contraints de quitter leurs champs pour le front. Ils y trouveront la "mort avant d'avoir trente ans" "Je
ne suis pas doué pour chanter l’enfer, / C’est fait de boue, de vermine
et de froid, / C’est fait de cris et de coups de tonnerre / Et de
copains qui tombent autour de toi. / Ici, la mort ne fait pas de
manières, / Elle en emporte cent à chaque fois, / Pauvres garçons
mélangés à la terre, / Loin de chez eux, sans avoir su pourquoi."
Les poilus tiennent pour des motifs patriotiques, grâce à la chaude camaraderie des tranchées et par crainte de la répression, mais après quatre années de combats acharnés, mais non décisifs, les pertes sont considérables chez les belligérants. Dans la mémoire sélective de la grande guerre, la bataille de Verdun, en 1916, apparaît comme le combat emblématique du conflit.
"Verdun" (1979) est pour Michel Sardou un lieu de bravoure et d'héroïsme, certes mais aussi le théâtre d'une grande boucherie. Il insiste sur le décalage dans la représentation de la bataille entre ceux qui y ont participé et ceux qui n'en ont entendu parler que dans les livres. Pour ces derniers, Verdun n'est qu'un "champ perdu dans le nord-est, entre Epinal et Bucarest", "c'est une statue sur la Grand Place / finalement la terreur ce n'est qu'un vieux qui passe". / Bondage T: "les bouchers de Verdun" Certains discours sur les horreurs de la grande guerre s'inscrivent dans les logiques de la repentance.
L'absence de perspective, le sentiment d'être envoyé à l'abattoir dans des offensives aussi meurtrières que vaines par un état-major déconnecté du front, entraînent le refus de monter en première ligne chez certains régiments de l'armée française au cours de la bataille du Chemin des Dames, un épisode ayant longtemps souffert d'un déficit mémoriel. Ce n'est plus le cas désormais aujourd'hui, mais avec "soldats de plomb", Prisca montre à quel point il est difficile de comprendre aujourd'hui ce qu'on fit endurer aux combattants .
Le conflit peut être qualifié de guerre totale dans la mesure où il mobilise toutes les ressources humaines, technologiques et économiques des États belligérants. A l'arrière, la guerre aggrave les conditions de vie des civils qui supportent le rationnement, les pénuries et parfois les bombardements. Dans les territoires occupés par les Allemands (la Belgique, le Nord de la France), les populations se voient imposer le travail forcé et des confiscations.
Combien d'existence sacrifiée par la guerre? Pour Gérard Berliner, "Louise" est une femme de chambre tombée amoureuse et enceinte d'un ouvrier parti au front. A l'annonce de la mort de ce dernier, elle décide, désespérée, d'avorter.
Le conflit implique à la fois le front et l'arrière, les soldats comme les civils. La correspondance joue un rôle crucial et, en dépit de la censure, elle reste ce fil ténu qui relie le poilu à sa bien aimée et sa vie d'avant. "Les lettres" de Maxime Le Forestier nous en donne un bel exemple. "Août 1914, ma femme, mon amour / En automne au plus tard, je serai de retour pour fêter la victoire. / Nous sommes les plus forts, coupez le blé sans moi. / La vache a fait le veau, attends que je sois là pour le vendre à la foire. / Le père se fait vieux, le père est fatigué. / Je couperai le bois, prends soin de sa santé, je vais changer d'adresse. / N'écris plus, attends-moi, ma femme, mon amour / En automne au plus tard je serai de retour pour fêter la tendresse."
Les populations sont entièrement mobilisées pour remporter la victoire. Une véritable économie de guerre se met en place. Les usines s'orientent vers la production d'armements. Comme la guerre coûte chère, les États s'endettent, augmentent les impôts et recourent aux emprunts auprès de leur population ou des États-Unis. Afin de soutenir le moral des populations et convaincre que la victoire est proche, les États contrôlent strictement l'information, n'hésitant pas à censurer ou à user et abuser d'une propagande grossière que d'aucuns considèrent comme un véritable "bourrage de crâne".
Les familles redoutent de recevoir le courrier annonçant le décès de l'être aimé. La funeste nouvelle est parfois aussi portée par les camarades de régiment du défunt comme dans ce morceau de François Hadji Lazaro."en cet hiver de 1915, il vous aimait très fort" "C'est arrivé au milieu des plaines / Ils ont tiré sans discontinuer / Lui, il a pris un éclat dès les premières salves / Il est retombé dans la tranchée / Oui madame, je sais qu'on a du vous prévenir / Le courrier de l'état major a dû vous prévenir / Moi madame, j'étais comme son frère à ce martyr."
Dans l'Empire ottoman, les Arméniens, une minorité chrétienne installée dans l'est de la Turquie, sont accusés de pactiser avec l'ennemi russe. Considérés comme des traîtres par le courant nationaliste jeune-turc, les Arméniens font l'objet d'une extermination systématique. A partir d'avril 1915, les hommes sont fusillés, tandis que femmes et enfants sont déportés vers des camps situés en Mésopotamie. La plupart meurt en chemin, au cours de véritables marches de la mort. Au total, environ un million d'Arméniens meurent au cours de ce génocide. R. Wan leur rend hommage avec l'émouvant et poétique "papier d'Arménie". "Le papier d'Arménie, le passeport d'Aznavour
/ brûle mon ennui dans des roulis étranges. / Il brûle le souvenir d'une liste en boule une fumée de martyrs que l'armée nie en bloc"
La première guerre mondiale fait plus de 10 millions de morts, dont près de 9 millions de soldats. On déplore également des millions de blessés, invalides, traumatisés, défigurés (gueules cassées). Par
son ampleur inédite, sa dimension planétaire, le conflit s'impose comme
la guerre de référence. Ce n'est pas ce bon vieux Georges qui dira le
contraire: "La guerre de 14-18" "Depuis
que l'homme écrit l'Histoire, / Depuis qu'il bataille à cœur joie /
Entre mille et une guerr's notoires, / Si j'étais t'nu de faire un
choix, / A l'encontre du vieil Homère, / Je déclarerais tout de suit' : /
"Moi, mon colon, cell' que j'préfère, / C'est la guerr' de
quatorz'-dix-huit !"On déplore également de très nombreux orphelins et veuves de guerre. Barbara se glisse dans la peau de l'une d'entre elles. Tourneboulée, fataliste, elle entend continuer à vivre, vaille que vaille. "Mon amant est mort à la guerre / Je venais d'avoir 19 ans / Je fus à lui seul toute entière / De son vivant / Mais quand j'ai appris ça / Je ne sais ce qui se passe / Je ne sais quelle folie / Je ne sais quelle furie / En un jour, je pris 3 amants / Et puis encore autant / Dans le même laps du temps
Si ça devait arriver / C'est que ça devait arriver / Tout dans la vie arrive à son heure / Il faut bien qu'on vive / Il faut bien qu'on boive / Il faut bien qu'on aime / Il faut bien qu'on meure".
Dès la fin du conflit, les femmes sont invitées à quitter leurs emplois pour regagner leurs foyers. En dépit de leur implication dans l'effort de guerre et de leurs sacrifices, elles n'obtiennent pas le droit de vote. Les voilà de nous nouveau cantonnées à leur rôle de mères comme le déplorent les Femmouzes T dans la chanson "La femme du soldat inconnu" "Il fallait qu'il s'en aille / Il est pas revenu / Il a eu sa médaille / Mon soldat inconnu / Des honneurs à la noix / Et quand la mort m'a prise / Je n'ai eu que l'honneur / De la femme soumise
Ad vitam eternam j'aurai pas ma statue / Je n'étais que La Femme Du Soldat Inconnu".
Le continent européen sort dévasté avec des milliers d'hectares impropres aux cultures, des villes en ruines, des villages détruits. Avec son titre "Les mirabelles", MC Solaar adopte le point de vue d'un village. Cette personnification lui permet de retracer l'histoire du patelin, de sa création à sa destruction par la guerre. "Des
blessés, des macchabées, / mais là au moins je vivais ! / Ça fait plus
d’cent ans que je n'ai plus d'habitants / Quelques mots sur une plaque
et puis des ossements. / Je le dis franchement : c'est pas latent,
j'attends Le retour de la vie dans la paix ou le sang. / Trop court
était l'enlisement... / Je n'ai plus aucun habitant..."
A l'issue de la guerre, les traités de paix imposés par les vainqueurs modifient la carte de l'Europe, tandis qu'une Société Des Nations est créée pour préserver la paix. Après
une période de relatif effacement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la mémoire de
la grande guerre occupe de nos jours une grande place. Les références à l'univers des tranchées restent omniprésentes dans de nombreux morceaux contemporains tels que "le défroqué" de Miossec ou "la lettre de métal" d'Indochine.
Ce blog, tenu par des professeurs de Lycée et de Collège, a pour objectif de vous faire découvrir les programmes d'histoire et de géographie par la musique en proposant de courtes notices sur des chansons et morceaux dignes d'intérêt.