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mercredi 6 avril 2011

233. The Band: "The night they drove Old Dixie down" (1969)

En 1860, les Etats-Unis sont une nation profondément divisée dans laquelle les Etats du Nord et du Sud ne parviennent plus à coexister. Les deux sections qui composent les Etats-Unis, un Nord et un Sud séparés par la ligne Mason-Dixon, s'imposent dans les esprits bien plus qu'un sentiment national embryonnaire. La conquête des terres de l'Ouest attise les tensions Nord/Sud. Les immenses zones conquises deviennent un enjeu crucial. Le problème fondamental se résume ainsi: les terres conquises seront-elles libres ou esclavagistes? Sous la pression des événements, le temps des compromis semble révolu. Dans chaque camp, les thèses radicales s'imposent. Le sénateur de New York et chef du parti républicain, William H. Seward, dénonce la collusion du Slave Power et du gouvernement fédéral contrôlé par les démocrates (président Buchanan depuis 1856). Il redoute une extension de l'esclavage aux nouvelles terres conquises à l'ouest. L'Alabamien William L. Yancey, farouche partisan du droit des Etats souverains à quitter l'Union, lance l'idée de la sécession au cas où le candidat républicain l'emporte aux élections de 1860. Car dès l'origine, le dixième amendement à la constitution de 1787 circonscrit les prérogatives de l'État fédéral: "Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution ou refusés par elle aux États sont conservés par les États ou par le peuple." Mais la constitution ne dit rien sur la possibilité pour un État de quitter l'Union.  

* une crise politique. 

Dans la tradition antifédéraliste, les sudistes veulent que les Etats conservent tout le pouvoir, alors que les Nordistes continuent de faire confiance à l'Etat fédéral pour prendre les décisions importantes. Jusque là, les partis politiques rassemblaient des Américains des deux sections (Nord et Sud). Ainsi le parti démocrate fondé par Jefferson rassemblait les planteurs du Sud et les milieux populaires du Nord, le parti whig restait populaire auprès des milieux d'affaires. Démocrates comme whigs demeuraient favorables au maintien de l'Union. Mais la génération des Pères fondateurs qui était parvenu à maintenir l'Union n'est plus. La question de l’esclavage fait éclater ce système politique et la nouvelle génération de politiciens, confrontée à l'extension du territoire américain, se déchire. Des courants divisent bientôt les whigs en cotton whigs (favorables aux esclavagistes) et en conscience whigs. Finalement le parti périclite et perd de son influence au profit des démocrates dans le Sud. De nouvelles formations politiques apparaissent au mitan du siècle telles que le parti du sol libre en 1848 ou encore les know nothing, parti nativiste au programme avant tout xénophobe. La loi Kansas-Nebraska rebat également les cartes et entraîne le regroupement des adversaires de l'esclavage. Des démocrates hostiles à la domination des planteurs sudistes sur le parti, les partisans du sol libre, des Know nothing, donnent naissance dans le Wisconsin en 1854 au parti républicain. A l'époque ce parti est progressiste, hostile à l'esclavage et à son extension sur le territoire américain. Son programme réclame des terres libres à l'Ouest, des droits de douane élevés pour protéger l'industrie. Un certain Abraham Lincoln en prend bientôt les rênes. La recomposition du paysage politique s'opère désormais selon le principe de la sectionnalisation, ce qui rend très fragile la survie de l'Union.

Les résultats des élections présidentielles 1860. Cliquez sur la carte pour l'agrandir.

* L'ouverture des hostilités.

Aux élections présidentielles de novembre 1860, quatre candidats importants se présentent, et non deux comme il est de coutume aux Etats-Unis. Le candidat républicain est un modéré encore peu connu: Abraham Lincoln. Self-made man et excellent rhéteur il s'oppose à l'extension de l'esclavage aux nouvelles terres. Hostile à toute nouvelle concession au Sud, il fait de la préservation de l'Union une priorité absolue. Le parti démocrate part divisé. Le principal adversaire de Lincoln se nomme Breckinridge, un démocrate du Kentucky, prêt à la Sécession si les droits du Sud ne sont pas entièrement préservés. Pour lui, les États, antérieurs à l'Union, peuvent la quitter librement, comme ils y sont entrés. Il aspire en outre à légaliser l'esclavage sur l'ensemble du territoire américain en amendant la constitution. Le démocrate Douglas, quant à lui, tente péniblement de réunir les différents États sur un programme de compromis. Enfin Bell, Unioniste du Sud, aspire au maintien de l'Union.

Lincoln triomphe dans le Nord et l'Ouest, rassemblant 38% des suffrages, alors que Breckinridge l'emporte dans 11 Etat du Sud. Douglas n'atteint la majorité dans aucun Etat. Abraham Lincoln remporte ainsi l'élection présidentielle du 6 novembre 1860. Dès l'annonce de cette victoire, la Caroline du Sud prend la tête du mouvement sécessionniste du Sud profond. Le 20 décembre, une convention élue déclare l'Union dissoute. Le parti républicain vainqueur, les Etats à esclaves ne se sentent plus protégés par un gouvernement fédéral devenu hostile. En outre, l'agitation antiesclavagiste serait contraire à la Constitution. L'Alabama, la Georgie, le Mississippi, la Floride la Louisiane et le Texas font sécession à leur tour. Le 7 février, les délégués des États sécessionnistes adoptent la constitution de la Confédération des États d'Amérique et élisent, le 9, Jefferson Davis comme président.

Elu dès le 6 novembre 1860, Lincoln n'est investi que le 4 mars 1861. Celui, dont la préservation de l'Union reste la priorité absolue, doit faire face à une République du Sud composée de 7 États rebelles. Soucieux de ne pas envenimer une situation déjà explosive, Lincoln prononce un discours d'inauguration présidentiel conciliant. Après avoir rappelé que l'Union est "perpétuelle" et qu'il est donc illégal de la quitter, Lincoln assure aux Confédérés qu'ils ne prendrait pas l'initiative du conflit ("ce n'est pas moi qui tirerait le premier"). Virginie, Arkansas, Tennessee, Caroline du Nord rejoignent la sécession en avril et mai 1861 après moult hésitations. Jefferson Davis fait aussitôt de Richmond en Virginie, le véritable berceau de l'Union, la capitale confédérée. Les autres Etats du haut sud connaissent un vrai dilemme. Finalement les Borders States _ Delaware, Missouri, Maryland et Kentucky_ tous esclavagistes et situés au sud de la ligne Mason-Dixon, restent fidèles à l'Union, tout comme les comtés occidentaux de l'Etat de Virginie occidentale (ils s'érigeront en 1863 en un Etat de Virginie occidentale).

Les Etats-Unis durant la guerre civile [carte issue du site atlas-historique.net]. Cliquez sur la carte pour l'agrandir.

Dès le lendemain de la sécession, les États dissidents s'emparent des installations fédérales situées sur leur sol. Or, le major Anderson, commandant de la forteresse de Fort Sumter, en Caroline du Sud, refuse obstinément d'évacuer cette position stratégique. Les Confédérés s'emploient dès lors à s'emparer de ce qu'ils considèrent comme une anomalie intolérable. Le blocus dure déjà depuis plus de trois mois lorsque Lincoln annonce le 11 avril l'envoi d'une expédition de secours afin de ravitailler en vivre la garnison. Dès le lendemain à l'aube, le général Pierre de Beauregard ordonne aux artilleurs de faire feu. C'est ce bombardement de fort Sumter par les troupes confédérées qui précipite les Etats-Unis dans la guerre, le 12 avril 1861. Lincoln décrète aussitôt l'état d'insurrection et fait appel à 75 000 volontaires issus des milices des Etats. Il s'emploie en outre à rallier autour de lui les tendances politiques centrifuges pour sauvegarder l'Union. Les Confédérés pour leur part se préparent à contrer "l'invasion yankee". Prévoyant, Jefferson Davis obtient du Congrès une loi l'autorisant à recruter 100 000 hommes pour une année.

La guerre se déroule sur trois champs de bataille.

1. A l’Est, la guerre des capitales. Washington, et Richmond ne sont distantes que de 150 km. S’emparer de la capitale de l’ennemi serait évidemment un coup majeur. C’est là que vont se dérouler les batailles les plus acharnées. Les vallées permettant de remonter facilement du Nord au Sud deviennent un enjeu stratégique majeur, en particulier la vallée de la Shenandoah.

2. Le deuxième champ de bataille se situe à l’Ouest. Chaque camp entend s'assurer le contrôle des grands fleuves _Mississippi, Ohio, Tennessee_ qui contrôlent les communications de l’Union avec le Golfe du Mexique et de la Confédération avec le Texas et le Mexique.

3. Enfin, l'Union applique un blocus maritime autour des côtes de la Confédération.

Carte des principales batailles de la guerre de sécession. Cliquez sur la carte pour l'agrandir.

* Les forces en présence.

A la veille de la guerre, l'Union bénéficie d'atouts incontestables. Son potentiel démographique (22 millions d'individus) est renforcé par une immigration soutenue tout au long du conflit et son ascendant économique sur le Sud ne fait aucun doute. Le Nord concentre ainsi les principaux centres commerciaux et financiers du pays, 80% des usines, et jouit de ressources tant agricoles que minières importantes. Il s'appuie en outre sur un dense réseau ferroviaire.

Le Sud ne regroupe que 9 millions d'habitants dont 3 500 000 esclaves noirs que d'aucuns considèrent comme une cinquième colonne en puissance. Bref, les Sudistes combattent à un contre quatre. Ils souffrent de handicaps structurels importants: monoculture du coton, industrialisation limitée, marine insignifiante et un réseau ferroviaire très lâche. Ils souffrent enfin d'un manque cruel de capitaux et ne peuvent compter que sur la France et l'Angleterre pour assouvir leurs besoins en produits manufacturés. Les qualités militaires incontestables des Sudistes constituent en revanche un atout essentiel. Cette société agrarienne a toujours cultivé les valeurs guerrières. Aussi, les plus brillants officiers de l'armée régulière des Etats-Unis démissionnent pour s'engager dans les rangs de la Confédération (Lee, Jackson, Beauregard).

* Les campagnes de l'Est.

- La campagne de la Péninsule.

En faisant du maintien de l'unité de l'Union son principal but de guerre, Lincoln se doit de prendre l'initiative en organisant une marche sur Richmond. Aussi la petite armée du général McDowell se porte à la rencontre des troupes confédérées. La rencontre a lieu le 21 juillet 1861 près de Bull Run (Virginie), à 40 km au sud de Washington. Alors que les généraux sudistes Beauregard et Johnston sont sur le point d'être submergés, l'audacieuse contre-attaque du général "Stonewall" Jackson sème la panique dans les rangs de la petite armée de l’Union qui subit là son premier échec sanglant. L'humiliante défaite jette un froid au Nord. La guerre sera sans doute plus longue que prévue. Le Congrès permet l'engagement de 500 000 volontaires pour 3 ans. Néanmoins, les Confédérés, dont l'armée sort désorganisée de l'assaut, ne poussent pas leur avantage.

Lincoln charge McLellan, nouveau général en chef, de réorganiser l'armée nordiste. En mars 1862, à la tête de "l'armée du Potomac", il tente de créer la surprise en débarquant des troupes dans la péninsule de Virginie. Secondés par une attaque terrestre venue de Washington et dirigée par le général McDowell, les soldats sont censés prendre en tenaille Richmond, la capitale confédérée. Or l'habileté des généraux sudistes, en particulier Robert E. Lee, déjoue ce plan. "Stonewall" Jackson pousse même son avantage en lançant une contre-offensive en direction de Washington via la Shenandoah. En catastrophe Lincoln rappelle McDowell. L'étau se desserre sur la capitale confédérée et les offensives répétées du général Lee sauvent Richmond au cours de la sanglante bataille des Sept Jours (26 juin-2 juillet 1862). Les troupes nordistes de McLellan, menacées d'encerclement, battent en retraite. La campagne de la Péninsule a tourné au désastre.

Entrevue entre Lincoln et le général Mcclellan. Le président juge ce dernier trop timoré et ne lui fait bientôt plus confiance. Lincoln cherche un chef audacieux capable de faire triompher l'union. Il le trouve enfin l'homme de la situation en 1864, date a laquelle Grant est promu lieutenant-général.

- Bull Run et Antietam.

Les 29 et 30 août 1862, de nouveau sur le champ de bataille de Bull Run, Lee reprend l'offensive et triomphe des 70 000 hommes du général John Pope, successeur de McLellan. Ce succès sudiste libère la Virginie. Enhardi, Lee décide de porter la guerre dans le Nord, mais ses troupes restent bloquées lors de la bataille de l'Antietam le 17 septembre 1862. Cette victoire relative du Nord revêt une grande importance dans la mesure où elle décourage les Français et les Anglais de reconnaître officiellement la Confédération. En outre, c'est au lendemain de ce succès que Lincoln annonce l'affranchissement des esclaves (dont nous reparlerons plus longuement dans un prochain post).

Cadavres à l'issue de la bataille d'Antietam (17 septembre 1862: le jour le plus sanglant de l'histoire américaine). Les sudistes y perdent le quart de leurs forces.

- Le désastre de Fredericksburg.

Le 13 décembre 1862, le général Burnside lance une nouvelle offensive contre Richmond. De nouveau, Lee inflige une cuisante défaite aux hommes de l'Union (pourtant en supériorité numérique: 120 000 hommes contre 80 000) dans la localité de Fredericksburg où se retranchent les troupes du général sudiste. En mai 1863, alors que les troupes nordistes du général Hooker s'apprêtent à encercler les soldats de la confédération, une manœuvre audacieuse du "renard gris", bien épaulé par "Stonewall"Jackson, met en déroute l'armée yankee pourtant deux fois plus nombreuse. Bref, à l'issue d'âpres combats, les troupes sudistes tiennent bon à l'est. Savamment dirigées par le général Lee, elles apparaissent presque invicinbles. Mais il n'en va pas de même sur les deux autres théâtres d'opération.

* Front de l'ouest et blocus maritime.

La stratégie du Nord vise à encercler l'ennemi puis, à l'instar d'un anaconda, à l'étouffer (lithographie de 1861).

Sur le front de l'ouest, unionistes et confédérés ont en ligne de mire les Etats limitrophes (Border States), qui pourraient devenir d'importants couloirs de pénétration. Le Missouri connaît alors une terrible guérilla opposant les Jayhawkers, sympathisants de l'Union, aux Bushwackers ralliés à la confédération. Les troupes nordistes parviennent néanmoins à conserver le contrôle de cet État pivot. A partir de septembre 1861, l'armée sudiste de Polk tente de s'emparer de l'État voisin du Kentucky. Mais, ils sont pris de vitesse par le général Grant qui emporte en février 1862 deux positions clefs: les Forts Henry et Donelson qui ouvrent la route du Tennessee à l'invasion nordiste. Les troupes de Grant s'enfoncent alors dans les terres confédérées en longeant les rives du Tennessee. Un combat indécis les oppose alors aux hommes du général Johnston (tué lors du combat, il est remplacé par Beauregard) dans la localité de Shiloh. Au prix de très lourdes pertes, elles parviennent à repousser l'assaut et mettent en retraite les sudistes en avril 1862. Au cours de ces engagements, la flotte nordistes suit la progression des troupes sur le Mississippi qu'elle épaule efficacement comme lors de la conquête de Memphis en juin 1862. Désormais, les nordistes contrôlent toute le cours supérieur du Mississippi et menacent de couper les communications entre les États confédérés.

La prise de la Nouvelle Orleans, le 29 avril 1862.

En l'absence de flotte, la Confédération peine à contrecarrer le blocus maritime mis en place par les nordistes dans le but de provoquer l'asphyxie économique du Sud. Les sudistes tentent bien de mener une guerre de course, mais les briseurs de blocus éprouvent de grandes difficultés à percer le rideau maritime fédéral. En conséquence, les échanges commerciaux de la Confédération enregistrent une chute vertigineuse. L'inflation et la pénurie s'installent. Le puissant port de la Nouvelle Orléans, la plus grande ville du Sud qui commande l'embouchure du Mississippi, est conquis par l'escadre fédéral de l'amiral David Farragut le 29 avril 1862. La confédération ne contrôle désormais que le cours moyen du fleuve, entre la position fortifiée de Vicksburg et Port Hudson en Louisiane. Les communications intérieures du Sud ne tiennent qu'à un fil.

* La victoire de l'Union.

- Gettysburg et Viksburg.

Constatant la supériorité des ressources humaines et matérielles du Nord, Lee redoute la guerre d'usure et entend frapper un coup décisif, susceptible de mettre un terme à la guerre dans des conditions favorables au Sud. A l'été 1863, il engage une vaste offensive en territoire ennemi. Fin juin, son armée, forte de 70 000 hommes, franchit le Potomac. Le général nordiste Goron Meade se porte à sa rencontre. L'assaut fougueux des confédérés se brise sur les défenses adverses et laissent sur le champ de bataille de Gettysburg de très nombreux cadavres. Après trois jours d'une lutte acharnée, Lee bat en retraite vers la Virginie. On dénombre 51 000 victimes (28 000 côté sudiste).

Au même moment sur le front de l'ouest, les troupes fédérales campent à partir de mai 1863 devant la citadelle de Vicksburg. Affamés, les assiégés n'ont d'autre issue que de capituler le 4 juillet 1863. La garnison de Port Hudson cède peu après. Les territoires de la Confédération sont définitivement coupés en deux. Les Nordistes contrôlent désormais l'intégralité du cours du Mississippi et s'apprêtent à porter l'estocade au cœur du Vieux Sud.

- le baroud d'honneur du "renard gris".

Le 9 mars 1864, Ulysse S. Grant, le vainqueur de Vicksburg est promu au grade suprême de lieutenant- général. A la tête d'un demi-million d'hommes, en comparaison desquels les troupes de Lee paraissent faméliques, il lance depuis le Nord une campagne tournée vers l'offensive. L'Etat de Virginie est alors de théâtres d'une succession d'affrontements (la Wilderness du 5 au 7 mai, Spotsylvania du 8 au 12 mai, Cold Harbor le 3 juin) particulièrement meurtriers. On dénombre 50 000 morts unionistes et 30 000 sudistes. Grant, conscient de l'incapacité de Lee à reconstituer ses forces, n'en a cure et poursuit sa route vers le Sud. Farid Ameur (cf: sources 1) parle d'une "horrible guerre d'attrition". D'aucuns l'accusent de n'être qu'un boucher, insensible aux souffrances de ses soldats. Acculé, Lee organise la défense de la capitale rebelle. Ses 40 000 hommes se terrent dans des tranchées qui préfigurent à bien des égards celles de la grande guerre. Les Nordistes devront mener un siège en règle, éprouvant, pour en terminer. Entre temps, le général sudiste joue son dernier va-tout par l'entremise du général Early qui lance le 11 juillet 1864 une diversion à travers la vallée de la Shenandoah. Ses hommes ne sont arrêtés in extremis aux portes de Washington. Le général Sheridan ravage alors la vallée, pour empêcher toute nouvelle offensive par cette voie.

Carte de la "marche vers la mer". Parti d'Atlanta le 16 novembre 1864, William Sherman pratique la tactique de la terre brûlée et ne laisse derrière lui que des cendres. Le 20 décembre, il a atteint son but, Savannah.

- La campagne d'Atlanta et la marche à la mer.

Alors que Grant attaque à l'Est, William T. Sherman, son bras droit, parti de l'Ouest (Chatanooga) marche sur Atlanta. Les troupes éthiques de Johnston s'avèrent incapables d'enrayer la progression des 100 000 hommes de Sherman. Ce dernier mène une véritable guerre de destruction, susceptible en outre de démoraliser l'adversaire et de hâter sa reddition. Johnston jugé trop timoré est bientôt remplacé par l'impétueux Hood. Ce dernier ne peut empêcher la prise d'Atlanta après plusieurs semaines de siège. Les sudistes évacuent le 31 août la ville, incendiée dès le lendemain. Il s'agit d'une prise de choix, car la capitale géorgienne est le second centre industriel du Sud, un nœud ferroviaire capital. Sa perte mine considérablement le moral des troupes rebelles dont le territoire se réduit à une peau de chagrin.

La ville d'Atlanta est la proie des flammes.

A partir d'Atlanta, Sherman entame la « marche vers la mer », avec pour objectif Savannah sur le littoral atlantique. Ses troupes ont pour consigne de vivre sur le pays traversé. Pillages, incendies, massacres terrorisent la population. Les "colonnes infernales" de Sherman ravagent les régions traversées, ne laissant dans leur sillage que des cendres. L'armée sudiste en pleine débandade ne peut contrer ce raid furieux. Des milliers d'esclaves sont libérés au fur et à mesure de la progression des troupes fédérales. Enfin, Savannah est en vue le 20 décembre 1864, pillée le lendemain. Sherman bifurque alors vers le nord à travers la Caroline du Sud, à la rencontre des soldats de Grant en plein siège de Richmond. Columbia, Charleston, sont mises à sac en février 1865. L'étau s'est refermé sur l'armée de Lee...

Le dénouement du conflit se joue en Virginie, entre la capitale confédérée et Petersburg. Privés de leur réservoir à grain (la Shenandoah) les soldats rebelles souffrent de graves pénuries. Les désertions se multiplient dans les rangs d'une armée exsangue et démoralisée. Le congrès confédéré en vient même à ratifier, le 13 mars, une mesure autorisant le recrutement des Noirs dans l'armée (émancipés pour l'occasion!). Décision sans effet compte tenu des nombreuses libérations opérées par les troupes nordistes. En mars 1865, les généraux Grant, Meade et Sheridan reprennent l'offensive à la tête de 120 000 hommes. Lee doit évacuer Petersburg après 9 mois de siège. Les fédéraux se lancent à la poursuite de Lee le long du fleuve Appomattox. La mort dans l'âme, ce dernier rencontre Grant à Appomattox Court House le 9 avril 1865 pour signer la déclaration de reddition. L'entrevue entre les deux commandants en chef, emprunte d'un grand respect mutuel, se solde par une capitulation généreuse. Les derniers combats cessent le 26 mai 1865. La guerre civile est terminée. Lincoln, réélu en 1864, est assassiné cinq jours plus tard.

Photo prise lors de la prise de Petersburg en 1864.

* Les raisons d'une victoire annoncée.

La guerre de Sécession entretient la vigueur économique du Nord, car les armées réclament un approvisionnement continu et massif, ce qui maintient le dynamisme agricole, industriel de l'Union. Trois mesures législatives symbolisent cette prospérité et permettent au Nord de mieux supporter l'effort de guerre:

- Le Pacific Railroad Act adopté le 1er juillet 1862 permet l'extension du réseau de voies ferrées avec la création de deux transcontinentaux (achevés après la guerre il est vrai). Ils participent incontestablement au décollage économique, tout en accélérant la conquête de l'ouest.

- Celle-ci est encore favorisée par le Homestead Act de mai 1862 qui inaugure une vaste colonisation de l'Ouest en accordant une propriété de 160 acres (64 ha) à tout homme blanc qui s'engage à y résider 5 ans. Le succès rencontré par cette mesure procure à l'Union un efficace outil agricole.

- Enfin, le National Bank Act du 25 février 1863 donne naissance à un système bancaire national. La guerre éprouve très durement la Confédération, accentuant le déséquilibre entre les deux sections. Très éprouvé par le blocus, le Sud sacrifie son industrie textile à l'armement, alors que les produits manufacturés font cruellement défaut. Le réseau ferré déjà insuffisant est amputé d'un grand nombre de voies à la suite des combats. L'agriculture, presque exclusivement tournée vers le coton, doit être reconvertie en urgence vers les denrées alimentaires de base en pleine guerre. Tabac, café et sel viennent vite à manquer. La famine affecte même durement les troupes dans les derniers mois du conflit. La supériorité matérielle du Nord n'explique pas tout et la défaite du Sud n'est pas totale.

The Band.

Dans son classique Mystery Train (cf: sources 2), Greil Marcus présente avec justesse le morceau du Band. "The night they drove Old Dixie down, (...) n'est pas tant une chanson sur la Guerre civile que sur la façon dont chaque Américain porte en lui cet événement. Ici, il s'agit d'un homme appelé Virgil Kane, qui n'a pas la prétention de parler au nom de qui que ce soit; mais quelque chose dans le ton de sa voix exige que tout le monde écoute. En quelques courts vers, nous en apprenons beaucoup sur lui. C'est un pauvre fermier blanc de la partie sécessionnistes du Tennessee, qui n'a probablement pas plus de vingt ans, et qui a survécu aux attaques de la cavalerie du général Stoneman contre le train de Danville, qu'il défendait. Une fois la guerre finie, un coup d'œil de Robert E. Lee a autant d'importance pour lui que la mémoire de son frère, mort en combattant au nom de l'attachement à la terre qui a donné tout son sens à la guerre de Virgil Caine. Il veut nous faire comprendre que la guerre lui a coûté presque tout ce qu'il avait. [...]

Il est impossible de se soustraire à la vérité de celui qui chante -non pas toute la vérité, mais sa vérité - [...]. La chanson laisse derrière elle le sentiment que malgré toutes les oppositions, les Américains ont encore cet événement lointain en commun. Parce qu'à ce jour aucun d'entre nous [les Américains] n'a échappé à son impact, ce que nous avons en commun, c'est une capacité à être affecté par une histoire comme celle-là." En effet, la guerre de sécession occupe toujours une place primordiale dans la mémoire collective américaine.

Richmond and Danville railroad. Cette voie ferrée représente le principal axe de communication du vieux Sud, essentiel pour le ravitaillement de la capitale rebelle. The Band nous fait revivre ici les dernières heures du conflit et ses lendemains difficiles pour l'ex-confédération. Virgil a participé à la défense de Petersburg, alors que le ravitaillement de Richmond n'était plus assuré par la voie ferrée venant de Danville (Virginie). En s'emparant de cette ligne, la cavalerie dirigée par le général unioniste Stoneman (il s'agit plutôt de Sheridan en 1865) précipite la fin d'un siège qui durait depuis 9 mois (juin 1864 à avril 1865). Les soldats sudistes de Lee, affamés et exténués, cessent les combats la mort dans l'âme ("we were hungry / just barely alive"). La chanson met ainsi l'accent sur la complexité d'un conflit qu'on ne saurait résumer à une opposition entre un sud esclavagiste et un nord abolitionniste, même si la question de l'esclavage reste une pierre d'achoppement essentielle entre les deux sections. D'une part, quatre Etats bordiers fidèles à l'Union sont esclavagistes, d'autre part le parcours des hommes échappe à toute classification simpliste. En dépit de son rejet de "l'institution particulière" et alors même qu'il juge inconstitutionnelle la sécession, Robert E. Lee combat dans les rangs de la Confédération. Mais l'attachement à sa terre natale, la Virginie, l'emporte. Il démissionne de l'armée fédérale et s'engage dans l'armée confédérée. A contrario, Farragut, originaire du Tennessee, s'engage aux côtés de l'Union.

La video ci-dessus est tirée de "the Last waltz", un documentaire consacré au Band et signé Martin Scorsese. Le réalisateur filme le concert d'adieu du groupe au Bill Graham's Winterland Ballroom de San Francisco le jour de Thanksgiving 1976. "The night they drove old Dixie down", écrite par le guitariste du groupe Robbie Robertson, est ici sublimement interprétée par le batteur Levon Helm. 
 
The Band: "The night they drove Old Dixie down"
Virgil Caine is the name and
 I served on the Danville train 
'Til Stoneman's cavalry came and tore up the tracks again
In the winter of '65, we were hungry, just barely alive 
By May the tenth, Richmond had fell 
It's a time 
I remember, oh so well 
 
 The night they drove old Dixie down 
And the bells were ringing 
The night they drove old Dixie down 
And the people were singing 
They went, "La, la, la" 
 
Back with my wife in Tennessee, 
when one day she called to me
 "Virgil, quick, come see, there go the Robert E.Lee"
 Now I don't mind choppin' wood, and
 I don't care if the money's no good 
Ya take what ya need and ya leave the rest 
But they should never have taken the very best 
 
The night they drove old Dixie down 
And the bells were ringing
 The night they drove old Dixie down 
And all the people were singing 
They went, "La, la, la" 
 
Like my father before me, 
I will work the land 
And like my brother above me, who took a rebel stand 
He was just eighteen, proud and brave, 
but a Yankee laid him in his grave
 I swear by the mud below my feet 
You can't raise a Caine back up when he's in defeat
 
 The night they drove old Dixie down 
And the bells were ringing 
The night they drove old Dixie down 
And all the people were singing 
They went, "Na, na, na" 
 
The night they drove old Dixie down 
And all the bells were ringing 
The night they drove old Dixie down 
And the people were singing 
They went, "Na, na, na"
 
 *********** 
Virgile Caine est mon nom, 
j'ai servi à bord du train de Danville 
jusqu'à ce que la cavalerie de Stoneman arrive
et détruise encore une fois la voie ferrée 
Durant l'hiver 1865, nous étions affamés, à peine vivants 
En mai, le 10, Richmond tomba 
C'est une époque dont je me souviens, oh tellement bien 
 
Refrain: 
La nuit où le vieux Dixie (Sud) est tombé les cloches sonnaient
 La nuit où le vieux Dixie est tombé 
Les gens chantaient 
Ils sont partis, "La, la, la" 
 
 Je revins avec ma femme dans le Tennessee, quand un jour elle m'appela: 
"Virgile, dépêche toi, voilà Robert E. Lee" 
Maintenant, peu m'importe de couper du bois, 
peu m'importe de ne pas me faire beaucoup de fric 
Tu prends ce dont tu as besoin et tu laisses le reste 
Mais ils n'auraient jamais dû prendre le meilleur 
 
Refrain 
 
Comme mon père avant moi, 
je vais travailler la terre 
Et comme mon frère ainé, 
qui a pris une position rebelle 
Il avait juste dix-huit ans, 
était fier et courageux, 
mais un Yankee l'a tué 
Je jure sur la boue sous mes pieds 
qu'on ne peut pas relever un Caine une fois défait 
 
 refrain (2X) 
 
Merci à Marie pour son coup de main et à Jérôme pour la découverte du merveilleux album du Band.  
 
Sources: 
1 Farid Ameur: "La guerre de Sécession", PUF, Que sais-je?, 2004. Remarquable mise au point sur le sujet. L'auteur narre avec rigueur et vivacité les diverses péripéties de la guerre de Sécession.
2 Greil Marcus: "Mystery train", folio, 2003. 
3 André Kaspi: "La guerre de Sécession: les Etats désunis", découvertes Gallimard. 4 Bernard Vincent: "Histoire des Etats Unis", Champs Flammarion, 1999. 

mardi 14 septembre 2010

219. Irving Kaufman: "Don't bite the hand that's feeding you"

L'histgeobox consacre plusieurs billets aux conséquences politiques et sociales de l'importante émigration irlandaise aux Etats-Unis du XIX° siècle au début du XX°.
Entre 1815 et 1930, 18 millions de Britanniques quittent leur terre natale pour aller s'installer sur d'autres continents, en particulier vers l'Amérique.
* La "maladie de la pomme de terre" (mildiou) entraîne une terrible famine qui tue et précipite sur les chemins de l'exil des milliers d'Irlandais. La chanson "Dear Old Skibbereen" chantée par Sinead O'Connor nous permet de revenir sur ce drame national.
* Ces migrations de la misère se déroulent dans des conditions terrifiantes. L'entassement, le manque d'hygiène et les organsimes affaiblis par les carences alimentaires font des navires de véritables mouroirs dont les Pogues parlent dans leur morceau "Thousands are sailing".

* Une fois arrivés à destinations, les Irlandais occupent les postes les plus ingrats. La version de la chanson traditionnelle "Poor Paddy on the railway", interprétée ici par les Pogues, évoque l'existence difficile d'un Irlandais obligé de travailler sur les lignes de chemins de fer en construction en Angleterre (Liverpool, Leeds...).

* Les immigrants aspirent à vivre dignement et si possible à s'enrichir. Pourtant, les conditions d'existence s'avèrent la plupart du temps très difficiles pour les migrants, bien loin du pays de cocagne vanté par les compagnies maritimes. Outre la douleur du déracinement, ils souvent accueillis avec réticence, voire victimes de xénophobie:
- La chanson "No Irish need apply" ("pas besoin d'Irlandais") illustre l'hostilité des Américains de "souche" envers les nouveaux venus.
- Les paroles du morceau "Don't bite the hand that's feeding you"(le présent article) rendent perceptibles le racisme dont sont toujours victimes les immigrés au début du XX°.
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Drapeau du Know Nothing party enjoignant les Américains de souche à se méfier des étrangers.

Certains Américains de "souche" (non pas les indiens, mais les Anglo-saxons protestants descendants de colons britanniques) s'organisent en associations et donnent naissance au mouvement « nativiste ». Ce mouvement politique xénophobe lutte contre "l'invasion" et l'influence des immigrés catholiques irlandais, et accessoirement allemands. Il apparaît aux Etats-Unis en 1836, sur fond de graves problèmes financiers.
D'abord organisés en sociétés secrètes, les nativistes se rassemblent au sein du Know-Nothing Party ("Je ne sais rien": la réponse que font les militants du Parti aux officiers de police lors des interrogatoires).
Aux lendemains de la grande famine, en lien avec l'afflux massif d'immigrants irlandais misérables, le mouvement connaît un essor fulgurant, concrétisé par la création de l'American Party qui parvient à faire élire 6 gouverneurs, 75 représentants au Congrès entre 1835 et 1860. Un quart des suffrages se portent même sur leur candidat, Millard Fillmore, aux présidentielles de 1856!

Les attaques des nativistes ne se cantonnent pas aux joutes oratoires, mais se caractérisent par une grande violence qui vise tout particulièrement les catholiques, perçus comme une cinquième colonne susceptible de trahir l'Union à la première occasion venue. En 1834, des émeutiers incendient le couvent des Ursulines à Charlestown (Massachussets). Dix ans plus tard, un litige relatif à la version de la Bible à utiliser dans les écoles publiques de Philadelphie conduit à l'incendie de deux églises catholiques. En 1836, la publication du pamphlet anticatholique Awful Disclosures of Maria Monk ("Les Révélations horribles de Maria Monk") rencontre un grand succès. On y dénonce de prétendus cas d'infanticides et abus sexuels dans un couvent de New York.

Les Etats pontificaux réduits à leur portion congru en Europe, les nativistes redoutent que le Vatican ne se tourne alors vers les Etats-Unis. Les catholiques irlandais seraient donc des traitres en puissance. Caricature de Thomas Nast (1870).

L'influence politique des nativistes est loin d'être négligeable puisqu'ils parviennent à obtenir des lois sur l'immigration plus restrictives. Pour la première fois le recensement de 1850 distingue les personnes nées sur le sol américain et celles nées à l'étranger.
Dans le Massachusetts, sous la pression des Know-Nothing, les autorités imposent la lecture de la Bible protestante dans les écoles publiques et interdisent l'enseignement des langues étrangères. Les Irlandais ne peuvent plus devenir employés d'Etat, tandis que leurs milices sont dissoutes.

Afin de circonscrire l'influence des Irlandais, les élites traditionnelles usent de divers subterfuges. Peter Collier et David Horowitz constate avec pertinence: "Quand les premiers Irlandais étaient arrivés, les brahmanes [les Américains de "souche"] si éloquents sur le chapitre de la démocratie, avaient tenté d'amortir l'influence des nouveaux venus par des moyens légaux; ils avaient d'abord entrepris de prolonger de cinq à vingt et un ans le délai de résidence nécessaire pour être électeur. Quand cette manœuvre et quelques autres eurent échoué, ils cherchèrent à contenir les Irlandais dans des quartiers de baraquements, mi-ghettos, mi-bidonvilles. Mais cette quarantaine qui leur était imposée, combinées avec les habitudes contractées sur l'Ancien Continent en matière d'organisations clandestines et d'autodéfense, devait conférer aux Irlandais de Boston un sens politique sans égal parmi les groupes d'immigrants."
Les attaques contre les Irlandais aboutissent à souder les rangs au sein des communautés de migrants en butte au racisme et leurs permettent de trouver des parades, notamment sur le plan politique.

Caricature soutenant le Know nothing Party, parue dans le Smithonian Magazine, 1850, the Granger Collection. L'Irlandais à gauche d'un Allemand porte une urne électorale ("ballot").

Dès lors, Les nativistes ont beau jeu de dénoncer l'influence néfaste des Irlandais sur les élections locales. Les effectifs importants d'Américains d'origine irlandaise dans certaines métropoles du Nord Est telles que Boston, New York ou Chicago, leurs permettent de s'organiser sur le plan politique. Dès les années 1870, ils forment des associations et des clubs, souvent autour de bars. Grâce à un intense travail de terrain, les organisateurs de ces groupes parviennent à s'emparer des rênes du parti démocrate local, permettant ainsi de distribuer des emplois locaux à la communauté. Athanase-Philippe Cucheval-Clarigny témoigne en 1850 de l'émergence du mouvement nativiste en réaction à l'influence politique des Irlandais catholiques: "A New York et dans quelques autres villes, les émigrants sont assez nombreux pour exercer une influence sensible sur les élections locales. Ils en ont tiré parti. Les Irlandais notamment se sont promptement organisés; ils votent avec ensemble dans toutes les élections, passant sans cesse d'un parti à l'autre, et sans autre préoccupation que de s'emparer des petites charges électives. [...]
Cette invasion par les étrangers des fonctions municipales et de tous les emplois qui en dépendent était devenue à cette époque si fréquente et si complète qu'elle exaspéra les Américains. Ceux ci ne purent supporter d'être ainsi dépouillés par de nouveaux venus qui étaient à peine citoyens, qui souvent même n'avaient pas encore droit de cité.

On réclama vivement contre l'influence illégitime exercée sur les affaires de l'Union [les Etats-Unis] par les étrangers qu'une générosité imprudente assimilait entièrement aux véritables Américains. Une agitation commença, des associations se formèrent pour réclamer la révision des lois de naturalisation, et pour ne porter dans les élections que des candidats américains de naissance."

Caricature de Joseph Keppler parue dans Puck, 1893. De riches Américains, eux-mêmes anciens immigrés, s'opposent à l'arrivée de nouveaux migrants.


* Violences contre les ouvriers asiatiques.

Si les nativistes rejettent particulièrement les Irlandais, ils fustigent tous les immigrés en général. Dans le dernier tiers du XIX° siècle, les immigrés asiatiques deviennent une de leurs cibles favorites.

Entre 1849 et 1882, 25 000 Chinois migrent aux Etats-Unis et travaillent dans les Etats de la côte ouest. Considérés comme des concurrents potentiels par les travailleurs californiens, les Chinois se voient confier les travaux les plus ingrats tels que la construction de voie ferrée (la Central Pacific Railroad en particulier). Une fois les chantiers ferroviaires terminés, les Chinois désœuvrés se dirigent vers San Francisco où ils deviennent des boucs émissaires faciles pour les ouvriers américains lors des crises économiques. Un mouvement anti-chinois animé par Denis Kearney, récent immigrant irlandais, voit même le jour.
Tout un ensemble de lois discriminatoires sont élaborées contre eux. Ainsi, la cour suprême de Californie disqualifie le témoignage des Chinois contre les Blancs en 1854. En 1868, le sénateur républicain Charles Sumner fait voter une loi interdisant la naturalisation des Chinois.
En 1871, la foule pend vingt Chinois au cours d'une nuit à Los Angeles. En 1885, à Rockspring, des ouvriers chinois embauchés pour briser une grève sont massacrés par des ouvriers américains (28 morts), leurs maisons incendiées.

Caricature (aux alentours de 1865). Deux immigrant, Chinois et Irlandais, dévorent l'oncle Sam, avant que l'Irlandais ne soit avalé à son tour par le Chinois.

Les autorités relaient ce mouvement en adoptant une Loi d'exclusion des Chinois en 1882. Les immigrants japonais et coréens subissent au début du XX° siècle l'animosité des syndicats ouvriers qui les accusent d'accepter des salaires de misères, au détriment des ouvriers américains. En 1905, une Ligue pour l'exclusion des Japonais et des Coréens voit même le jour.

* Regain de tensions au début du XX° siècle.

Les prises de position racistes ne se limitent désormais plus aux nativistes les plus farouches. Pour gagner des suffrages, les hommes politiques en campagnes n'hésitent pas à exprimer des sentiments xénophobes. En 1921, Calvin Coolidge (élu président deux ans plus tard) lance: "il y a des considérations raciales trop importantes pour qu'on les néglige... les Nordiques se multiplient avec succès. Avec les autres races, les résultats montrent qu'il y a détérioration sur les deux plans. Pour préserver la qualité de l'esprit et du corps. Il est tout aussi nécessaire pour une nation de respecter les lois ethniques que de respecter les lois sur l'immigration."

Les différents Etats du pays votent alors des lois racistes, anti-asiatiques notamment. Par exemple, la Californie adopte en 1913 l'Alien Land Law. Désormais, les Japonais ne peuvent plus posséder de terres.
Autre exemple, une Américaine qui épouse un étranger perd aussitôt sa nationalité, du moins jusqu'en 1922 (adoption du Cable act). Cette disposition reste de mise au delà de cette date pour celles qui se marient avec un Asiatique (qui ne peut être naturalisé).
D'autres mesures visent à restreindre les flux migratoires vers les Etats-Unis. Ainsi, à partir de 1924, le Johnson Act fixe des quotas (2% de ce que chaque groupe ethnique représentait en 1890).

Caricature anti-chinoise parue dans l'Illustrated WASP de San Francisco (1877).

La culture populaire américaine se fait parfois l'écho de ce rejet des immigrés. Ici, la chanson "Don't bite the hand that feeds you" de Thomas Hoeir reflète les idées xénophobes et "nativistes" d’une partie de l’opinion américaine. Le morceau date de 1916, en pleine guerre mondiale...

"Si vous n’aimez pas votre Oncle Sam, / Retournez chez vous au delà des mers, / Dans le pays dont vous venez."
Ces paroles xénophobes d'un autre temps font pourtant étrangement écho aux slogans nauséabonds utilisés par Donald Trump et consorts.




"Don’t Bite the hand that Feeds You" (1916) ["Ne mords pas la main qui te nourrit"]

Last night, as Iay a-sleeping
A wonderful dream came to me
I saw Uncle Sammy weeping
For his children over the sea;
They had come to him friendless ans starving,
When from tyran’s oppression they fled..
But now they abuse and revile him,
Till at last in just anger he said:
“If you dont like your Unccle Sammy,
Then go back to your homme o’ver the sea,
To the land from where you came,
Whatever be its name,
But dont be ungratful to me!
If you dont like the stars in old Glory,
If you dont like the Red, White, and blue,
Then dont act like the cur in the story
Dont bite the hand that feeding you!
You recall the day you landed,
How I welcomed you to my shores
When you came here empty handed,
And allegiance forever you swore?
I gathered you close to my bosom,
Of food and of clothes you got both,
So when in trouble I need you,
You will have to remember you oath

-------------------
Cette nuit en m’endormant
J’ai fait un rêve merveilleux,
J’ai vu l’oncle Sam qui pleurait
Pour ses enfants au delà des mers,
Ils venaient à lui rejetés et affamés
Fuyant l’oppression des tyrans.
Mais maintenant ils l’outragent et l’insultent
Jusqu’à qu’il leur dise avec colère :
Si vous n’aimez pas votre Oncle Sam,
Retournez chez vous au delà des mers,
Dans le pays dont vous venez,
Quelque soit son nom
Mais ne soyez pas ingrats
Si vous n’aimez pas la gloire étoilée
Si vous n’aimez pas le rouge, blanc, bleu
Ne faites pas comme le misérable de l’histoire,
Ne mordez pas la main qui vous nourrit.
Souvenez-vous du jour où vous avez débarqué
Je vous ai accueilli sur nos côtes
Vous aviez les mains vides
Vous avez juré d’être loyal
Je vous ai pris près de mon coeur
Je vous ai nourri et habillé
Si j’ai besoin de vous
Souvenez-vous de votre serment.

Sources:
  • Peter Collier et David Horowitz: Les Kennedy, une dynastie américaine, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
  • E. Melmoux et D. Mitzinmacker: Dictionnaire d'histoire contemporaine, Nathan, 2008.
  • Peter Gray, L'Irlande au temps de la grande famine, Découvertes Gallimard, 1995.
  • Howard Zinn: "Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours", Agone, 2002, p262.
  • Le site Strabon.
  • Caricatures hostiles aux immigrés irlandais.
  • AnnieMariage-Strauss: "les Etats-Unis face à l'immigration", Ellipses, 2002.
Liens:
- Série de caricatures nativistes.

vendredi 10 septembre 2010

218: "No Irish need apply". (1862)

Sur l'histgeobox, nous nous intéressons aux conséquences politiques et sociales de l'importante émigration irlandaise aux Etats-Unis du XIX° siècle au début du XX°.
Entre 1815 et 1930, 18 millions de Britanniques quittent leur terre natale pour aller s'installer sur d'autres continents, en particulier vers l'Amérique.
* La "maladie de la pomme de terre" (mildiou) entraîne une terrible famine qui tue et précipite sur les chemins de l'exil des milliers d'Irlandais. La chanson "Dear old Skibbereen" chantée par Sinead O'Connor nous permet de revenir sur ce drame national.
* Ces migrations de la misère se déroulent dans des conditions terrifiantes. L'entassement, le manque d'hygiène et les organsimes affaiblis par les carences alimentaires font des navires de véritables mouroirs dont les Pogues parlent dans leur morceau "Thousands are sailing".
* Une fois arrivés à destinations, les Irlandais occupent les postes les plus ingrats. La version de la chanson traditionnelle "Poor Paddy on the railway", interprétée ici par les Pogues, évoque l'existence difficile d'un Irlandais obligé de travailler sur les lignes de chemins de fer en construction en Angleterre (Liverpool, Leeds...).


* Les immigrants aspirent à vivre dignement et si possible à s'enrichir. Pourtant, les conditions d'existence s'avèrent la plupart du temps très difficiles pour les migrants, bien loin du pays de cocagne vanté par les compagnies maritimes. Outre la douleur du déracinement, ils souvent accueillis avec réticence, voire victimes de xénophobie:
- La chanson "No Irish need apply" ("pas besoin d'Irlandais", le présent article) illustre l'hostilité des Américains de "souche" envers les nouveaux venus.
- Les paroles du morceau "Don't bite the hand that's feeding you" rendent perceptibles le racisme dont sont toujours victimes les immigrés au début du XX°.
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Pour les migrants irlandais, durement touchés par la grande famine, les Etats-Unis représentent une véritable terre promise. Après un voyage transatlantique très éprouvant (pour ceux qui arrivent en vie), les migrants viennent grossir les rangs de la diaspora irlandaise en plein essor. Ils représentent le tiers de tous les immigrés installés aux États-Unis dans les années 1850, un chiffre impressionnant si l'on considère que la population irlandaise n'a jamais dépassé les 8,5 millions. C'est aussi au cours de ces années que l'hostilité envers les nouveaux venus atteint son paroxysme.

Le caricaturiste Thomas Nast dépeint une bande d'Irlandais hirsutes agressant les policiers en une véritbale bataille rangée, le jour de la saint Patrick. On retrouve ici les stéréotypes anti-irlandais en cours chez les nativistes pour lesquels ces immigrés errent en bande dans les grandes villes du nord-est, semant dans leur sillage la violence et le crime.

Désignés par des sobriquets dégradants, les Irlandais sont appelés "Paddys" et les femmes "Bridgets" ou "Biddys", en référence aux prénoms répandus dans leur communauté (Paddy diminutif de "Padraic" - Patrick, en Gaëlique).
Les natives (Américains de "souche") se gaussent de leur fort accent (beaucoup parlent entre eux le gaélique) et des traditions rurales que ces immigrés conservent dans le Nouveau Monde. Confinés dans des quartiers pauvres surpeuplés, tels que le Five Points district de New York), les Irlandais sont considérés par les Américains de souche comme une plèbe inassimilable à la mentalité archaïque. De nombreux stéréotypes courent sur leur compte. Paresseux, querelleurs, ivrognes, ces immigrés représenteraient donc un danger pour la jeune République. Délinquants en puissance, les Paddys appauvrissent les Etats-Unis. Certains les perçoivent même comme une cinquième colonne. Le catholicisme, trait constitutif de l'identité d'une majorité d'Irlandais, constitue le principal reproche qui leur est adressé par les nativistes. Les plus virulents doutent même de leur loyauté au pays en cas de conflits. A n'en pas douter, ils feront allégeance au Pape plutôt qu'à leur pays d'adoption (à une époque où l'Eglise catholique se range naturellement dans le sillage des puissances despotiques européennes).


Thomas Nast: The Usual Irish Way of Doing Things, caricature parue dans le Harper's Weekly du 2 septembre 1871. Anti-catholique et nativiste , Nast présente la communauté irlandaise et le clergé catholique sous un jour peu favorable.
Certains caricaturistes américains vont jusqu'à doter les immigrés irlandais de caractéristiques physiques permettant de les identifier sur le mode racial. Le nez retroussé, le front bas, l'Irlandais est prognathe. Bref, ses traits sont simiesques.

Les femmes sont des mégères difformes, bagarreuses et autoritaires.
Dans leur optique, les Irlandais (avant d'être remplacés dans ce rôle par les populations d'Europe du sud et de l'est dans les décennies qui suivent) incarnent la lie de la race blanche. Les "Américains de souche" les désignent d'ailleurs sous le terme de white negroes.
Même pour ceux qui font fortune aux Etats-Unis, il s'avère très difficile de se faire accepter et de côtoyer les notables WASP. Dans une ville comme Boston par exemple, l'élite traditionnelle ("les Brahmanes") considère les Irlandais comme des pestiférés, ce qui aboutit à une coupure hermétique de la ville entre deux cultures, inégales et séparées.

Une domestique d'origine irlandaise repréentée sous un jour peu avenant.

Joseph P. Kennedy, père de John et Robert, se voit refuser son admission au Cohasset Country Club en raison de ses origines sociales et ethniques. Sa fortune et son entregent ne suffisent pas à lui ouvrir toutes les portes. Il est de bon ton alors de se moquer de la bêtise supposée des Irlando-américains grâce aux irish jokes (équivalent de nos blagues belges).
Rien ne symbolise mieux la discrimination dont sont victimes les Irlandais à partir des années 1840 que les affiches où les petites annonces portant la mention No Irish need Apply ("inutile aux Irlandais de postuler"). Quelques historiens contestent toutefois l'importance de cette mention (dont la fréquence serait très exagérée selon eux).

Petite annonce sur laquelle figure la mention No Irish need apply.

Quoi qu'il en soit, l'acronyme NINA symbolise de la xénophobie anti-irlandaise dans la mémoire collective des Américains d'origine irlandaise. Une chanson éponyme connaît un succès populaire certain en 1862. Elle fait l'objet du présent article.
D'autres reproches pèsent bientôt sur les Irlando-américains qui parviennent néanmoins à se faire embaucher.
Les syndicats les accusent d'accepter de travailler pour un salaire bien inférieur à ceux perçus par les travailleurs américains, d'être des jaunes, des briseurs de grève qui fragilisent les mouvements sociaux (incontestablement, les employeurs jouent de la concurrence entre les migrants fraîchement arrivés aux Etats-Unis et les "native").
Parmi les classes dirigeantes, on redoute la constitution d'un prolétariat Irlando-américain permanent. L'oisiveté et l'absence de volonté propres aux Irlandais les empêcheraient, selon eux, de gravir les échelons de la société.

Nouvelle caricature de Puck (juin 1882): "la pension de famille de l'oncle Sam: le mauvais coucheur". Dénoncés comme bagarreurs et rétifs à toute autorité, l'Irlandais est ici le mauvais coucheur, celui qui réveillent les autres immigrés et qui menace du point l'oncle Sam.

Un article du Chicago Evening Post résume les préjugés dont les Irlandais sont victimes: "Égratignez un criminel ou un indigent, c'est un catholique irlandais que vous aurez de grandes chances de chatouiller - un catholique irlandais qui est devenu criminel ou indigent à cause du prêtre et des politiciens qui l'ont trompé et l'ont maintenu dans l'ignorance, en un mot, un sauvage à l'état de nature".
Ces stéréotypes ethniques initiés par le « Know nothing party » au milieu du XIXe siècle, nourrissent les sentiments xénophobes des « Natives americans » (américains de souche) contre les minorités catholiques et les étrangers en général.


Caricature publiée dans le magazine Puck, le 26 juin 1889: "Le mortier de l'assimilation et l'élément qui refuse de se mélanger". Une femme, allégorie des Etats-Unis, mélange les immigrés dans son mortier ("citoyenneté") à l'aide d'une cuiller ("droits égaux"). L'immigrant irlandais regimbe, arborant un drapeau en symbole de ses origines et de son soutien aux nationalistes irlandais opposés aux Britanniques.
Les discriminations dont furent victimes les Irlandais au XIX° siècle sont incontestables, toutefois il n'eurent jamais à endurer un racisme comparable à celui dont souffrir les Afro-américains ou les Asiatiques, que les autorités refusent très longtemps de considérer comme des citoyens à part entière.
D'ailleurs, les travailleurs irlandais, immigrés récents , pauvres et méprisés par les natifs américains, n'éprouvent aucune sympathie pour les populations urbaine noires avec lesquelles ils se trouvent en concurrence dans de nombreux secteurs d'activités délaissées par le reste de la population.

Des émeutiers tabassent un Noir lors des émeutes de 1863 à New York.

Des heurts particulièrement violents éclatent ainsi en pleine guerre de Sécession. Les Irlandais manifestent beaucoup de réticences à revêtir l'uniforme nordiste, car ils sont hostiles aux républicains (à l'époque abolitionnistes), donc à la guerre, et favorables aux démocrates.
En juillet 1863, des émeutes endeuillent New York lorsque débute la conscription. Pendant trois jours, des groupes de travailleurs blancs, dans lesquels on compte de très nombreux irlandais, saccagent les bureaux de recrutement. Les émeutiers refusent la guerre, mais ils tournent aussi leur colère contre les riches, les républicains et les Noirs. Ils incendient l'orphelinat consacré aux enfants noirs et pendent les individus noirs qu'ils croisent sur leur chemin. Les immigrés des taudis du sud de Manhattan refusent d'aller "se faire tuer pour les Noirs".
Howard Zinn peut ainsi conclure dans son "histoire populaire des Etats-Unis": "La haine racial devint un substitut idéal de la frustration de classe."


"American gold : On travaille pour avoir de l'or en Amérique, on attend l'or en Irlande." Caricature du journal Puck du 24 mai 1882. Les Irlandais sont représentés ici comme des profiteurs. Sur la partie gauche de la caricature, un immigré irlandais travaille dans une mine d'or. Le précieux minerai est alors envoyé en Irlande. Le pays d'accueil n'en tire aucun bénéfice. A droite, sa famille, restée en Irlande, attend dans l'oisiveté l'or américain.

A la fin du XIX°, d'aucuns accusèrent les Irlandais de se replier sur leur communauté ou leurs familles. Mais, face au rejet dont ils furent l'objet, comment s'en étonner ? Comme le rappelle Peter Gray, "l'émigration continue, la ségrégation et un patriotisme virulent soudent les communautés irlandaises". Elles se tournent naturellement vers "les institutions de défenses: l’Église catholique, l'appareil politique du parti démocratique - comme Tammany Hall à New York- et le mouvement nationaliste."

De nos jours, les Américains d'origine irlandaise comptent parmi les groupes ethniques les plus prospères du pays. En dépit des affirmations des nativistes, nombre d'Irlandais sont parvenus à gravir progressivement les échelons de la société américaine. Cette mobilité sociale ascendante s'accompagne d'une dissémination de ces populations sur tout le territoire américain au cours du XX° siècle (plus seulement dans les grandes métropoles de Nouvelle Angleterre) et une multiplication des mariages en dehors de la communauté irlandais-américaine. Par voie de conséquence, leur sentiment d'identité a perdu de sa cohésion.



NO IRISH NEED APPLY

I'm a decent boy just landed
From the town of Ballyfad;
I want a situation, yes,
And want it very bad.
I have seen employment advertised,
"It's just the thing," says I,
"But the dirty spalpeen ended with
'No Irish Need Apply.' "

"Whoa," says I, "that's an insult,
But to get the place I'll try,"
So I went to see the blackguard
With his "No Irish Need Apply."
Some do count it a misfortune
To be christened Pat or Dan,
But to me it is an honor
To be born an Irishman.

I started out to find the house,
I got it mighty soon;
There I found the old chap seated,
He was reading the Tribune.
I told him what I came for,
When he in a rage did fly,
"No!" he says, "You are a Paddy,
And no Irish need apply."

Then I gets my dander rising
And I'd like to black his eye
To tell an Irish gentleman
"No Irish Need Apply."
Some do count it a misfortune
To be christened Pat or Dan,
But to me it is an honor
To be born an Irishman.

I couldn't stand it longer
So a hold of him I took,
And gave him such a welting
As he'd get at Donnybrook.
He hollered, "Milia murther,"
And to get away did try,
And swore he'd never write again
"No Irish Need Apply."

Well he made a big apology,
I told him then goodbye,
Saying, "When next you want a beating,
Write `No Irish Need Apply.' "
Some do count it a misfortune
To be christened Pat or Dan,
But to me it is an honor
To be born an Irishman.

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Irlandais s'abstenir

Je suis un jeune homme convenable qui arrive juste
De la ville de Ballyfad;
Je veux un travail, oui,
Et je le veux vraiment.
J'ai vu un poste offert,
"C'est ce qu'il me faut," dis-je,
"Mais le sale papillon se terminait par
'Irlandais s'abstenir.' "

"Whoa," dis-je, "c'est une insulte,
Mais je vais tenter d'avoir la place,"
Je vais donc voir cette canaille
Avec son "Irlandais s'abstenir."
Pour certains c'est une malchance
D'être baptisé Pat ou Dan,
Mais pour moi c'est un honneur
D'être né Irlandais.

Je commence à chercher l'adresse,
Je la trouve vraiment vite;
Là je trouve le vieux compère assis,
En train de lire "the Tribune".
Je lui dit pourquoi je viens,
Quand il s'enrage,
"Non!" dit-il, "Tu es un Paddy,
Et 'Irlandais s'abstenir'."

J'ai alors senti ma colère monter
Et j'ai voulu lui pocher un œil
Pour avoir dit à un gentilhomme Irlandais
"Irlandais s'abstenir."
Pour certains c'est une malchance
D'être baptisé Pat ou Dan,
Mais pour moi c'est un honneur
D'être né Irlandais.

Je ne pouvais le souffrir plus longtemps
Je l'ai alors attrapé,
Et lui ai flanqué une raclée
Comme celle qu'il aurait pris à Donnybrook.
Il braillait, "Milia murther,"
Et il a tenté de s'échapper,
Et il a juré qu'il n'écrirait plus jamais
"Irlandais s'abstenir."

Il s'est donc profondément excusé,
Je lui ai donné mon au-revoir,
En disant, "La prochaine fois que vous voudrez une raclée,
Ecrivez 'Irlandais s'abstenir.' "
Pour certains c'est une malchance
D'être baptisé Pat ou Dan,
Mais pour moi c'est un honneur
D'être né Irlandais.

Sources:
  • Peter Collier et David Horowitz: Les Kennedy, une dynastie américaine, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
  • E. Melmoux et D. Mitzinmacker: Dictionnaire d'histoire contemporaine, Nathan, 2008.
  • Peter Gray, L'Irlande au temps de la grande famine, Découvertes Gallimard, 1995.
  • Howard Zinn: "Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours", Agone, 2002, p262.
  • Le site Strabon.
  • Caricatures hostiles aux immigrés irlandais.

Liens:
- Paroles et traduction trouvées sur "Chants pour une Irlande libre".
- A history of Ireland in songs.
- Concordance des temps.