* Naissance de l'aviation de chasse.
Au fur et à mesure du conflit, les missions affectées à l'aviation se transforment. Les états-majors expérimentent ainsi les bombardements grâce à des escadrilles chargées de balancer sur l'ennemi les obus réformés.
Mais ce sont finalement les aviateurs eux-mêmes qui parviennent à démontrer l'utilité que peut avoir l'aviation d'un point de vue militaire. Ainsi, en octobre 1914, contre l'avis de l'état-major, les Français Frantz et Quénault (1), parviennent à détruire un avion ennemi grâce à la mitrailleuse Hotchkiss embarquée à bord de leur engin.
Roland Garros est le premier à monter une mitrailleuse sur le capot de son avion pour pouvoir tirer vers l'avant. Pour que les balles n'endommagent pas son appareil, l'aviateur met au point une hélice blindée, avec sur les pales des déflecteurs en acier écartant les projectiles qui viennent les heurter.
Le Hollandais Fokker, qui travaille pour le compte de l'Allemagne, fait véritablement entrer l'aviation de guerre dans une nouvelle ère avec l'invention d'une mitrailleuse synchronisée tirant entre les pales de l'hélice. Ce faisant, il donne un avantage technologique incontestables aux Allemands à l'été 1915. (2)
* Le baron rouge entre en scène.
Les tactiques de combat aérien restent très frustes jusqu'en 1916 avec l'élaboration d'une liste de huit règles de base à toujours respecter (le Dicta Boelcke). Auteur de ce nouveau credo, l'as allemand Oswald Boelcke impose également les premières Jagstaffeln, ou escadrilles spéciales de chasse (Jasta en abrégé), des unités compactes et agressives. Des tactiques s'élaborent et le combat individuel devient bientôt l'exception. A la tête de la Jasta 2, Boelcke prodigue son enseignement à ses élèves dont fait partie un certain Manfred von Richthofen, le futur "baron rouge".
Manfred von Richthofen en 1917. [Wiki C.] |
Von Richthofen naît en 1892 à Breslau en Silésie (actuelle Pologne) dans une vieille famille de juges et magistrats. Le jeune garçon est élevé par son père Albrecht dans une culture nationaliste et militaire. Soldat, ce dernier vit dans le souvenir des guerres passées. (3) En bon rejeton de l'aristocratie prussienne, Manfred intègre une institution de cadets, en sort officier de cavalerie et sert bientôt dans les uhlans.
Lorsque la première guerre mondiale éclate, le cavalier de vingt-deux ans découvre un conflit qui ne ressemble en rien à ce qu'il avait imaginé. Loin des combats livrés sabre au clair, la lutte se déroule dans les tranchées, la boue. Von Richthofen doit se rendre à l'évidence: la cavalerie ne sert à rien dans cette guerre moderne! De même, la lutte contre les francs-tireurs s'accompagne de terribles représailles et d'exactions aux antipodes du code d'honneur de la chevalerie. Manfred se sent plus meurtrier que soldat (4) dans cette sale guerre livrée par des civils dont il "méprise la rouerie et le manque de règles claires."
Après avoir combattu sur le front russe, von Richthofen est transféré en 1915 à Verdun, un secteur alors très calme, où il s'ennuie ferme. Lassé de combattre dans l'infanterie qui le prive de la gloire militaire à laquelle il aspire, il se porte volontaire pour devenir pilote et intègre l'escadrille Boelcke en septembre 1916, un mois avant la mort au combat du maître. Ses qualités de pilotage lui permettent de rapidement monter en grade. Le 11 janvier 1917, il prend le commandement de la Jasta 11. Au sein de l'escadrille, Richthofen impose des tactiques audacieuses. En opération, il vole à plus haute altitude que le reste de la formation dont les avions servent de leurre. Une fois l'adversaire berné, Richthofen fond sur lui en de fulgurants piqués. Très vite, la renommée du pilote dépasse les rangs de l'armée. Il devient un as.
* Les chevaliers du ciel.
"L'aviateur est une figure tissée d'images et de récits nés dans le creuset de la culture médiatique." (source A p). En effet, le nouvel imaginaire médiatique contribue à alimenter la fascination grandissante pour la chasse et les "chevaliers du ciel". Les journaux inaugurent des rubriques sportives où l'aéronautique figure en bonne place. La presse populaire, dont l'influence est alors considérable, contribue à cette fabrique des héros. Les pilotes deviennent de véritables vedettes dont les exploits s'apparentent aux joutes chevaleresques.
Jeunes, presque tous promis à la mort, les premiers pilotes viennent à quelques exceptions près de l'aristocratie ou de la grande bourgeoisie. En favorisant l'entre-soi, cette situation contribue largement à forger un état d'esprit particulier chez les aviateurs. Jalousés par les troupes au sol, les pilotes jouissent très vite d'une grande popularité.
La presse des différents pays belligérants décerne le titre "d'as" aux pilotes ayant abattu un certain nombre d'ennemis. En France, un pilote devient "as" de guerre s'il compte au moins cinq victoires. L'homologation d'une victoire est possible lorsque des témoins assistent à la chute d'un avion dans le camp "ami". Un véritable palmarès s'établit à la tête duquel se trouve "l'as des as", l'aviateur ayant obtenu le plus grand nombre de victoires. (5) En France, René Fonck, Charles Nungesser, Georges Guynemer deviennent des héros patriotiques, célébrés dans "la guerre aérienne illustrée", un hebdomadaire animé par l'ancien journaliste sportif Jacques Mortane.
Georges Guynemer à bord de son Morane Saulnier. [By Agence Rol (BNF, ark:/12148/btv1b69455912, Rol, 46105) [CC0], via Wiki C] |
L'exposition médiatique dont bénéficient les pilotes est bientôt encouragée par l'armée. Aux lendemains du désastre de Verdun, les quartiers généraux prennent l'habitude de communiquer le nom des aviateurs. La France a alors besoin de héros capables d'incarner le combat. Alors que la guerre dure depuis près de deux ans et a déjà fait 650 000 morts, aucune issue rapide au conflit ne paraît envisageable. Il faut redonner du souffle. Dans la guerre de masse, industrielle et mécanique où l'artillerie tient la première place, l'idée se fait jour qu'il existerait un esprit aviateur, une éthique particulière, un code d'honneur tout droit hérité de la chevalerie médiévale impliquant le respect de l'adversaire. Quand la boue des tranchées noie dans l'anonymat les fantassins, l'aviateur, lui, se hisse au-dessus de la mêlée, dans un lieu inaccessible à la majorité des hommes. L'aviation, une arme moderne et individuelle, pourvoit au besoin de jeunes héros. En France, les plus talentueux aviateurs deviennent des célébrités.
- Charles Nungesser termine ses patrouilles de chasse par des acrobaties, ce qui lui vaut des jours d'arrêt. Lourdement blessé au cours d'une mission, "le hussard de la mort" se trouve dans un état pitoyable, ce qui empêche d'en faire un héros mobilisable pour le pays.
- Issu de la bonne société, Georges Guynemer et sa figure angélique personnifie le combat tout en donnant une bonne image du pays. Au sein de l'escadrille N3, dite "escadrille des cigognes", il remporte au total 53 victoires. Sa mort, à seulement 23 ans, provoque un choc considérable. (6)
L'avion du baron rouge. [Wiki C.] |
Dans le camp adverse, Manfred von Richthofen est l'incontestable vedette.
Alors que l'état major demande de peindre les avions allemands dans des couleurs discrètes, le baron opte pour le rouge. Ceci explique son surnom. Sous son impulsion, l'aviation allemande possède une incontestable supériorité sur les escadrilles alliées. Au cours du seul mois d'avril 1917 ("bloody april"), Richthofen abat 21 avions anglais. (7) L'état major allemand entend bien exploiter l'extraordinaire notoriété dont jouit désormais le pilote. En mai, l'aviateur reçoit une permission exceptionnelle. Il rencontre le kaiser Guillaume II, puis rédige - avec l'aide des services de propagande de l'armée - une autobiographie. Le succès est immense. Des cartes postales à son effigie inondent le pays.
Le 6 juillet, le baron est sérieusement blessé à la tête. L'état-major, qui cherche à protéger son héros, envisage de lui retirer son commandement, mais Richthofen refuse catégoriquement de quitter le service. Un mois après sa blessure, le pilote redécolle.
A partir de septembre 1917, le baron vole sur le Fokker Triplan, un avion très performant qui lui permet d'enchaîner les succès. Parmi tous les pilotes de la guerre, Richthofen possède d'ailleurs le record absolu de victoires (80 au total).
La structure qu'il commande évolue. Un nouveau groupe de chasse réunit plusieurs escadrilles. Celle du baron est bientôt surnommée "le cirque volant", à cause des avions bariolés qui la compose. L'escadrille se déplace en fonction de l'évolution du front. Lorsqu'une mission est finie, il faut démonter les baraques en tôles, charger les pièces des avions dans un train, puis choisir un aérodrome, remonter les avions, pour enfin repartir à l'attaque.
Les restes du Fokker Triplan du baron rouge. [Wiki C.] |
* La dure réalité
Lors des permissions, les as mènent grand train. Aux yeux des poilus ordinaires, ils passent pour des noceurs. Cette fureur de vivre s'explique sans doute par les risques encourus lors des combats. Les pertes dans l'aviation sont en effet terribles et l'espérance de vie d'un pilote, très réduite. Albert Ball meurt à 21 ans, Guynemer à 22, Oswald Boelke à 25, von Richthofen et Max Immelmann à 26, Roland Garros à 30 ans. Outre l'ennemi, l'avion lui-même est un danger constant pour le pilote et les accidents très fréquents.
Le 21 avril 1918 alors qu'il vole dans le secteur d'Amiens, Richthofen se lance à la poursuite d'un jeune pilote canadien (Wilfried May). Il est à son tour pris en chasse par l'as canadien Roy Brown. Pour échapper aux tirs, le baron doit s'exposer aux lignes ennemies. Un projectile tiré par l'artillerie australienne précipite la chute de son avion et la mort du baron. Le lendemain, dans le petit cimetière de Bertangles, des soldats anglais et australiens rendent les honneurs à leur pire adversaire. (8)
De son vivant, le personnage fascinait déjà ses contemporains; une fois trépassé le baron rouge devient légende et sa mémoire fait l'objet de multiples réappropriations. Herman Göring, qui a succédé à Richthofen à la tête de l'escadre de chasse en juillet 1918, entretient le culte du héros disparu. Devenu chef de la Luftwaffe du IIIe Reich, l'ancien pilote récupère la figure du baron pour le compte des nazis. Ces derniers érigent une stèle en son honneur, financent un musée Richthofen dans sa ville natale, célèbrent l'anniversaire de sa mort et donnent son nom à la première escadre de la Luftwaffe. Le mythe survivra néanmoins à cette récupération. Après la seconde guerre mondiale, le pilote fait son apparition dans des bandes dessinées (Snoopy, Corto Maltese...), des romans, des films, des chansons... Exemple ici avec le titre "baron rouge" chanté en 1985 par les Gangsters d'amour, groupe mythique de la scène belge du milieu des années 1980.
Sur une musique millésimé eigthies, les paroles du regretté Jeff Bodart témoignent de l'aura dont jouit le baron plusieurs décennies après sa disparition. Le prestige du pilote ("On ne compte plus tes victoires", "le premier des as") est encore renforcée par l'attitude chevaleresque ("Salut plutôt qu'achève") dont on prétend qu'il fit preuve en vol. Pour autant, le parolier n'élude pas la dangerosité des combats aériens ("facile d'accrocher par derrière un ticket pour l'enfer"). Loin de protéger Richthofen, son impressionnant palmarès en fait une cible de choix, un véritable trophée ("Tels étaient leurs vrais plans / Briser le premier des as"). Dans ses conditions, "nul ne pouvait s'en tirer / Richthofen est tombé". Sa disparition a tout d'une catastrophe pour l'armée allemande ("Pour le Reich quel désastre").
Aujourd'hui, le culte Richthofen persiste et s'articule toujours autour du même thème: un pilote de légende, un chevalier du ciel dont le surnom se prête particulièrement bien à l'exploitation commerciale.
Notes:
1 . A l'époque, chaque avion accueille deux individus: un pilote et un observateur, puis tireur chargé de larguer les obus par dessus les lignes ennemies.
2. Le Fokker Eindecker - le premier véritable avion avion de chasse - est un monoplan armé d'une mitrailleuse synchronisée sur le capot du moteur avant.
3. Au cours d'une parade, Albrecht sauve un de ses soldats tombés de cheval dans les eaux glacées de l'Oder. Le sauvetage provoque une grave surdité et entraîne son renvoi. Il en éprouve une grande amertume et reporte désormais ses espoirs de gloire militaire sur ses enfants.
4. Pour préserver la légende du baron, les biographes passent sous silence la lutte implacable contre les francs-tireurs ou encore l'exécution sommaire de moines soupçonnés d'aider les Français.
5. Un insatiable esprit de compétition anime les pilotes. Cette rivalité existe avec les aviateurs ennemis, mais aussi les alliés, au sein des escadrilles et parfois même à l'intérieur d'une famille. Un vif antagonisme oppose par exemple les deux frères Richthofen, Lothar et Manfred.
6. "Tombé au chant d'honneur le 11 septembre 1917, héros légendaire tombé en plein ciel de gloire après trois ans de lutte ardente. Restera le plus pur symbole des qualités de la race: ténacité indomptable, énergie farouche, courage sublime. Animé de la foi la plus inébranlable en la victoire. Il lègue aux soldats français un souvenir impérissable qui exaltera l'esprit de sacrifice et les plus nobles émulations", peut-on lire sur la citation posthume à l'ordre de l'armée en date du 16 septembre 1917. Sa mémoire, entretenue avec constance par les anciens combattants au cours de l'entre-deux-guerres, est aussi utilisé à des fins pédagogiques dans les classes. Au sortir de la guerre, le Parlement décide même d'inscrire son nom au Panthéon, sanctification républicaine ultime (plaque inaugurée au 1922).
7. Si les Britanniques disposent de plus d'avions que leurs adversaires, ils sont obsolètes et incapables de rivaliser avec les excellents avions allemands (Fokker Dr.1 Triplan à partir d'août 1917). De même, le niveau de formation des pilotes anglais laisse à désirer.
8. En 1919, la sépulture de von Richthofen est transférée de Bertangles au cimetière allemand de Fricourt dans la Somme. A la demande de sa famille, la dépouille du baron est rendue aux autorités allemandes, son cercueil est alors conduit lors de funérailles grandioses à l'Invalidenfriedhof de Berlin en 1925. Depuis 1975, il repose dans le caveau familial du cimetière de Wiesbaden. Une plaque commémorative indique toujours l'endroit où son avion s'écrasa.
Gangsters
d'amour: "Le baron rouge"
On ne compte
plus tes victoires
Tu frappais
pour la gloire
Ne
combattant pas sans trêves,
Salue plutôt
qu'achève
Jamais le
baron vainqueur
Ne s'acharne
sur sa proie
Refrain:
Hey baron
rouge
Ton vieux
Fokker
Sent
l'essence et la peur
Mais les
ennemis abattus
Te
retrouvent au combat
Balançant
sur leurs triplans
Tels étaient
leurs vrais plans
Briser le
premier des as
Pour le
Reich quel désastre
Refrain
Facile
d'accrocher par derrière
Un ticket
pour l'enfer
Les feux de
leurs mitrailleuses
Sans merci
les tueuses
Nul ne
pouvait s'en tirer
Richthofen
est tombé
Refrain
Hey baron
rouge
Ton vieux
chasseur
Sent la mort
et l'honneur
Fokker Wulf
Fokker Wulf Fokker Wulf
Sources:Source A. Juan Vazquez Garcia:"Les as de l'aviation. Pluie d'exploits dans les airs", in Histoire et civilisations n°39, mai 2018.
Source B. Mélodie Simard-Houde: "Un nouvel imaginaire médiatique. La fabrique des héros.", in Histoire et civilisations n°39, mai 2018.
Source C. Mission centenaire: "Manfred von Richthofen: vie et mort du baron rouge"
Source D. 2000 ans d'histoire: "Le baron rouge".
Source E. "Les aviateurs de la grande guerre"
Source F. La fabrique de l'histoire: "Georges Guynemer, l'héroïsme à ciel ouvert"
Liens:
- BCU 14-18: "La Grande guerre et le heavy metal: la figure du baron rouge"
- En envor: "La mort du baron rouge vu par la presse bretonne."
- Histoire par l'image: "L'aviation dans la Guerre de 14-18", "Chevaliers du ciel: les aviateurs, nouveaux héros de la grande guerre".
- Un site consacré au regretté Jeff Bodart et un groupe facebook.
- Liste des as de la Première guerre mondiale.