Le 10 mai 1981, François Mitterrand prend sa revanche sur Valéry Giscard d'Estaing en rassemblant 51,8% des suffrages. Avec la victoire du candidat du Parti socialiste vient le temps de l'alternance. Les artistes, qui appelaient de leurs vœux une victoire de la gauche, exultent et composent des titres à la gloire du vainqueur. C'est le cas de Lenny Escudero avec "Le poing et la rose".
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Mitterrand fit longtemps figure d'outsider. Il naît à Jarnac, Charente, en 1916, dans une famille bourgeoise catholique et conservatrice. Etudiant proche de l'extrême droite dans les années 1930, il est mobilisé sur la ligne Maginot en 1939. Fait prisonnier par les Allemands, le 18 juin 1940, il réussit à s'échapper de son stalag après 18 mois de captivité. Il rejoint alors la zone libre et y occupe un poste dans l'administration de Vichy. Admirateur de Pétain et favorable à sa Révolution nationale, il s'en éloigne progressivement. En 1943, il s'engage ainsi dans la Résistance, jouant double jeu. Morland, dans "l'armée des ombres", il redevient Mitterrand quand il reçoit la francisque des mains de Pétain, la plus haute décoration du régime; un modèle de vichysto-résistant en somme. En 1947, encarté à l'UDSR, un parti de centre-gauche, il devient ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre. Dès lors, sous la IVème République, il occupe de nombreux postes ministériels, notamment celui de l'intérieur lorsqu'éclate la guerre d'Algérie.
Dombrance : "Mitterrand"
Le retour au pouvoir de Gaulle et l'instauration la cinquième République, sont l'occasion pour Mitterrand de dénoncer la pratique personnelle et autoritaire du général. Après deux échecs, contre de Gaulle en 1965, puis Giscard en 1974, il l'emporte à la troisième tentative et devient président le 10 mai 1981. Pour y parvenir, il réussit en 1971 à prendre les rênes du parti socialiste au congrès d'Epinay. Il convainc les radicaux de gauche et les communistes de signer un programme commun, dont le PS sera le principal bénéficiaire. En 1977, le grand compositeur grec Mikis Theodorakis et Herbert Pagani s'associent pour composer l'hymne du PS. "Changer la vie" fait la part belle aux chœurs "soviétisants", une touche très seventies.
Alors que la présidentielle 1981 se profile, le candidat Mitterrand entend se doter d'un morceau de campagne entraînant. Ce sera "Mitterrand président". Boîtes à rythme clinquantes, voix de poissonnière de l'interprète, les ingrédients du parfait attentat politico-musical sont réunis.
Pour la première fois sous la Vème République, la gauche accède au pouvoir, ce que confirme les résultats des législatives de juin. Plusieurs chansons composées aux lendemains de la victoire électorale témoignent de l'espoir soulevé par cette victoire au sein des milieux artistiques. Marcel Amont chante "Une rose à ton poing". En juillet, Jean-Roger Caussimon publie un 45 tours intitulé "Un soir de mai". "La rose a fleuri sur sa branche / Donnant son pourpre et son parfum / Au soir du deuxième dimanche / Du mois de mai 81". A l'automne, Barbara monte sur scène à Pantin et interprète "Regarde".
Pierre Mauroy, nommé premier ministre, met en œuvre une série de réformes visant à promouvoir la justice sociale et à renforcer le rôle de l'Etat dans l'économie avec notamment une vague de nationalisation dans le secteur bancaire, les assurances, l'énergie. D'autres mesures phares marquent cette période réformiste : passage de la semaine de travail de 40 à 39 heures sans diminution de salaire, adoption de la retraite à 60 ans, de la cinquième de congés payés. Robert Badinter, ministre de la Justice, porte devant l'Assemblée une loi conduisant à l'abolition de la peine de mort.
Barbara : "Si la photo est bonne"
Mitterrand se présente comme celui qui entend répondre aux attentes du monde de la culture. La libéralisation des ondes voit la prolifération des radios associatives. Jack Lang imagine une journée consacrée à la musique où professionnels comme amateurs pourraient descendre dans la rue pour jouer. A la fin de l'année 1983, en réaction aux violences et crimes racistes, les jeunes des Minguettes organisent une marche pour l'égalité et contre le racisme à travers toute la France. Au fil des étapes, l'événement prend de l'ampleur, au point de devenir incontournable. Dans les mois qui suivent, l'association SOS racisme, proche du PS, récupère le mouvement, en marginalisant les jeunes des Minguettes pourtant à l'initiative de la marche. Le 15 juin 1985, dans le cadre d'une grande fête organisée par SOS Racisme, des concerts se succèdent place de la Concorde. Pour l'occasion Carte de Séjour interprète "Douce France".
L'immense espoir soulevé par la victoire mitterrandienne est rapidement douché chez les électeurs de gauche. Le choc pétrolier la crise économique mondiale entretiennent les difficultés économiques et une persistance d'un chômage de masse. La politique de relance de la consommation ne porte pas ses fruits. L'impatience grandit comme en témoigne "Le changement" de François Béranger (1982). En 1982, "Ex Robin des bois" de Téléphone revient sur les désillusions et déceptions des militants socialistes.
Le pays connaît une forte inflation et une dégradation de la balance commerciale. Cette situation incite le président à adopter une politique de rigueur, fondée sur la réduction des déficits publics. Ce virage tient du reniement et de la trahison pour de nombreux électeurs de gauche. A droite, on se gausse. En 1984, dans une émission présentée par Michel Drucker, Thierry le Luron détourne "C'est la rose l'important", un tube de Bécaud qui devient "L'emmerdant, c'est la rose". En 1989, sur l'air du Bioman de Bernard Minet, Patrick Sebastien commet "Mitteran"... "Moitié momie, moitié robot / dans la galaxie socialo / Mitterran, Mitterran / Héros de l'univers".
En 1986, la droite triomphe lors des législatives, ce qui crée une situation inédite sous la Vème République. Mitterrand doit nommer un premier ministre issu de l'opposition, en l'occurrence Jacques Chirac. Dans le cadre de cette première cohabitation, le président se taille des domaines réservés. Garant des institutions, chef des armées, il conserve la haute main en matière de politique étrangère, alors que le premier ministre et son gouvernement contrôlent les affaires intérieures. En l'occurrence, Chirac privatise les entreprises nationalisées sous Mauroy et accentue la libéralisation de l'économie. La loi de Devaquet, qui vise à introduire une sélection à l'université, suscite de vives réactions. La répression policière conduit à l'assassinat de Malik Oussekine, le 6 décembre, et au retrait de la loi.