dimanche 31 mai 2009

163. Victor Jara:"Preguntas por puerto montt".

Víctor Lidio Jara Martínez (1932 -1973) était un chanteur, auteur et compositeur populaire chilien. Membre du Parti communiste chilien, il fut l'un des principaux soutiens de l'Unité Populaire du président Salvador Allende. Ses chansons engagées dénoncent la morgue des puissants ("Las casitas del barrio alto"), fustigent l'impérialisme américain (El Derecho de Vivir en Paz), rendent hommage aux grandes figures révolutionnaires latino-américaines (Corrido De Pancho Villa, Camilo Torres, Zamba del Che). Surtout, il narre la vie des petites gens, victimes de toutes les humiliations, notamment les populations indiennes (Vientos del pueblo).

Victor Jara.

Cet engagement n'est bien sûr pas du goût de Pinochet et ses sbires lorsque ceux-ci accèdent au pouvoir après avoir renversé Allende, démocratiquement élu quelques années plus tôt. Arrêté par les militaires lors du coup d'Etat du 11 septembre 1973, il est emprisonné et torturé à l'Estadio Chile (renommé Estadio Víctor Jara depuis 2003). Il y écrit son dernier poème : Estadio de Chile. Jara n'a pas le temps de le terminer. Il est assassiné le 15 septembre après avoir eu les doigts cassés.


"Nous sommes cinq mille / 
Dans cette petite partie de la ville /
 Nous sommes cinq mille / 
Combien serons-nous au total /
 Dans les villes et dans tout le pays ? / 
Rien qu’ici / 
Dix mille mains qui sèment / 
Et qui font marcher les usines / 
Combien de gens /
 Qui souffrent de faim, de froid, de panique, de douleur, / 
De pression morale, de terreur et de folie ! / 
Six d’entre nous se sont perdus /
Dans l’espace interstellaire / 
l'un est mort, un autre a été frappé comme jamais je n'aurais cru /
 que l'on puisse frapper un être humain. /
 Les autres ont voulu en finir avec toute leur peur: /
 l'un a sauté dans le vide, / 
un autre s'est fracassé la tête contre un mur, / 
tous avaient le regard fixé sur la mort. (...) 
de ce que j'ai ressenti, de ce que je ressens, naîtra un jour nouveau."


Une fois au pouvoir, Pinochet met tout en œuvre pour extirper le marxisme du Chili, avec le feu vert de Kissinger, le responsable de la politique étrangère américaine (dans le contexte de la guerre froide). La junte militaire procède à une répression sanglante (au moins 3000 morts, des milliers d'internements sans jugement). Le Parlement est dissous, les partis politiques supprimés. Pinochet prend le titre de “chef suprême de la nation”, en 1974.

Les victimes de ces régimes autoritaires sont les opposants de gauche, les communistes, mais aussi les populations indiennes. Le recours aux enlèvements et à la torture sont systématiques. Victor Jara revient d'ailleurs sur cette pratique dans son émouvant Te recuerdo Amanda: "sonne la sirène de l'usine pour le retour au travail. / Beaucoup ne reviennent pas / Manuel non plus / Je me souviens Amanda."

* Mais Jara n'a pas attendu le coup d'état de Pinochet pour s'en prendre aux abus d'autorité et à l'arbitraire. Avec sa chanson "Preguntas por Puerto Montt", il dénonce ouvertement le ministre de l'intérieur du gouvernement Frei, Pérez Zujovic, responsable du massacre de Puerto Montt, le 9 mars 1969. Ce jour-là, 250 policiers font irruption dans un camp de fortune habité par 90 familles qui occupent illégalement des terres laissées à l'abandon par un grand propriétaire terrien de la région. "Il est mort sans savoir pourquoi (...) / Vous devez répondre / Senor Perez Zujovic". Cette dénonciation en règle des violences lui vaudra d'être inquiété à de multiples reprises, jusqu'à son assassinat, cinq ans plus tard. Ainsi lors d'un concert donné en juillet 1969 au saint George college, un établissement fréquenté par les fils de bonne famille du barrio alto, le quartier haut. Il n'a pas le temps de finir d'interpréter cette chanson qu'une partie du public bombarde la scène de projectiles, obligeant à vider les lieux. Alors qu'il rentre chez lui, une puissante voiture percute sciemment la 2CV de Jara. Un peu plus tard, Jara apprendra que le fils cadet de Zujovic est élève au saint George college...



Victor Jara:"Preguntas por puerto montt".

Muy bien, voy a preguntar,
por ti, por ti, por aquél
por ti que quedaste solo
y el que murió sin saber,
murió sin saber por qué
le acribillaban el pecho
luchando por el derecho
de un suelo para vivir.

Bon, je vais poser des questions,
pour toi, pour toi, pour lui
pour toi qui te retrouves seul
et lui qui est mort sans comprendre,
mort sans savoir pourquoi,
on le criblait de balle,
alors qu'il luttait
pour le droit à la terre
pour vivre.


¡Ay, que ser más infeliz
el que mandó disparar,
sabiendo cómo evitar
una matanza tan vil!

Ah quel être odieux
celui qui a demandé de tirer
alors qu'il savait comment éviter cette tuerie infâme!


Puerto Montt, oh Puerto Montt
Puerto Mont, oh Puerto Montt.


Usted debe responder
Señor Pérez Zujovic,
por qué al pueblo indefenso
contestaron con fusil.

Vous devez répondre
monsieur Pérez Zujovic.
Pourquoi au peuple sans défense
a-t-on répondu par les armes?


Señor Pérez, su conciencia
la enterró en un ataúd
y no limpiarán sus manos
toda la lluvia del sur.

Monsieur Pérez, votre conscience,
vous l'avez enterrée dans un cercueil
et toute la pluie qui tombe au sud
ne lavera pas vos mains.


Murió sin saber por qué,
le acribillaron el pecho
luchando por el derecho
de un suelo para vivir.

il est mort sans savoir pourquoi
on le criblait de balle,
alors qu'il luttait
pour le droit à la terre
pour vivre.


¡Ay, que ser más infeliz
el que mandó disparar,
sabiendo cómo evitar
una matanza tan vil!

Ah quel être odieux
celui qui a demandé de tirer
alors qu'il savait comment éviter cette tuerie infâme!


Puerto Montt, oh Puerto Montt
Puerto Montt, oh Puerto Montt

Pour aller plus loin:
- "Victor Jara, un chant inachevé" écrit par l'épouse de Jara est bien plus qu'un livre biographique. C'est toute une période qu'on éclaire sur le Chili de l'époque.

Liens:
- La lutte en chantant: le Cône sud (1ere partie). Deuxième et troisième parties.

- Victor Jara sur l'Histgeobox.

mardi 26 mai 2009

162. Louis Armstrong: "Go down Moses".




* A partir du XVIII°, l'évangélisation des esclaves se généralise. Or, comme le rappelle Gérard Herzaft: "Très rapidement, et probablement dès le début du XIX°, le chant religieux devint un des moyens d'expression privilégié (parce que bien sûr autorisé) du génie africain. Avec une considérable capacité d'adaptation, les esclaves noirs transformèrent les hymnes baptistes et méthodistes en ces chants religieux mêlant les origines africaine et européenne et qui se sont répandus dans le monde entier sous le nom de negro spirituals."


Les Negro spirituals ont pour thèmes la rédemption, le triomphe de l'espoir sur la misère et la délivrance. Ces chants reflètent la foi profonde des Afro-américains et renferment parfois des messages cachés de résistance. La plupart des maîtres d’esclaves ne peuvent pas les comprendre, ou sont obligés de les tolérer, à l’instar d’un negro spiritual traditionnel du XIXème siècle, Go down Moses, inspiré de l'Ancien Testament (Exode 5:1 et 8:1: "L'Éternel dit à Moïse : Va vers Pharaon, et tu lui diras : Ainsi parle l'Éternel : Laisse aller mon peuple, afin qu'il me serve."). Les Noirs donnent en effet un sens très particulier aux thèmes puisés dans la Bible, en particulier l'Ancien Testament. Les récits des souffrances et des peines des Hébreux ont eu une résonnance très profonde chez les esclaves noirs

La chanson raconte l'histoire de Moïse délivrant les Hébreux de l'esclavage en Égypte. Ce negro spiritual représente donc une allégorie du rêve de liberté des esclaves noirs américains. Toutes les références bibliques peuvent ainsi être transposées dans les Etats-Unis du début XIX°. L'Egypte évoque le Sud, Israël représente les esclaves africains d'Amérique, le pharaon les maîtres esclavagistes. La référence au Jourdain, dans une autre version du morceau évoque l'Ohio ou encore la frontière canadienne, synonymes de liberté.

Marc Chagall : La Traversée de la Mer Rouge, (fresque de la chapelle du Plateau d’Assy, en Haute Savoie).


Afin de s’exprimer sans risques, les esclaves noirs américains se dotent, au début du XIXème siècle, de tout un jargon de métaphores, incompréhensibles des maîtres blancs. De nombreuses chansons, hermétiques pour ces derniers, circulent de plantations en plantations. Le terme qui désigne le système mis en place afin d'organiser la fuite des esclaves est ainsi très représentatif de ce phénomène, on parle en effet d' underground railroad, ou chemin de fer souterrain.


En effet, cette quête de la liberté célébrée dans les spirituals pouvait être gagnée par la fuite hors des États du sud esclavagiste. A partir de la fin du XVIII ème siècle, puis surtout au début du XIXème, plusieurs groupes religieux, notamment les quakers ( puis les méthodistes, presbytériens et congrégationalistes), organisent la fuite des fuyards ou lèvent des fonds afin de financer cette entreprise.

* L'underground railroad. Pourquoi cette référence au train?

Cette référence au "chemin de fer clandestin" est bien sûr métaphorique. Les esclaves en fuite n'utilisent pas de trains et encore moins de tunnels. Ils reprennent en revanche le champ sémantique du rail. Prenons quelques exemples: à la tête de l'entreprise périlleuse que constitue une tentative de fuite se trouve le chef de train ou conductor, un individu qui connaît la région arpentée, et qui conduit un ou plusieurs esclaves jusqu'à une gare (station). Certains opposants à l'esclavage mettaient ainsi leur domicile à la disposition des fugitifs. Ils y trouvaient abri, de quoi se restaurer et un peu d'argent pour poursuivre leur route. Afin de repérer facilement les stations, les "hôtes" faisaient briller des chandelles aux fenêtres.

En fait, les stations, distantes d'environ 20 miles, constituaient autant d'étapes sur le chemin vers la liberté, à l'instar d'une ligne de train. Pour se déplacer, les conducteurs utilisaient des moyens de transport discrets, mais pratiques, tels que des chariots bâchés ou des charrettes à double fond. La plupart du temps, les fuyards se reposaient la journée et ne voyageaient que de nuit, afin d'être les plus discrets possible.

On estime que 40 000 à 100 000 esclaves ont fuit le sud esclavagiste en utilisant les structures de l'underground Railroad.


Vision romantique d'esclaves en fuite.

Bien sûr, les propriétaires des plantations enrageaient face aux fuites, parfois massives d'esclaves. Aussi, firent-ils pression sur les autorités pour faire passer la loi sur les fugitifs (1850). Toute personne fournissant aide à un fugitif était passible de 6 mois d'emprisonnement et 1000 dollars d'amende. De très nombreuses peines furent infligées, sans mettre un terme pour autant à l'underground railroad. Certains conducteurs payèrent en tout cas très cher leur engagement, à l'image de John Fairfield, un des conducteurs blancs les plus célèbres, tué au cours d'une expédition pour l'Underground ou encore Calvin Fairbank, emprisonné près de 17 années d'emprisonnement pour ses activités antiesclavagistes.

* Quelles destinations?


Les différentes routes et chemins secrets sillonnaient le sud, en direction du nord. On estime que vers 1850, environ 3000 personnes travaillaient pour l'Underground Railroad. Les routes conduisant au Canada étaient variées. Les principales partaient du Kentucky ou de la Virginie et passaient par l'Ohio, où se trouvait le réseau le plus complet.

Le Canada représenta la terre promise pour les esclaves en fuite. En effet, les esclaves noirs américains quittaient clandestinement le sud, et tentaient de gagner les États du nord antiesclavagistes, en franchissant la ligne Mason-Dixon, qui séparait la Pennsylvanie du Maryland et se prolongeait à l'ouest. Beaucoup poursuivaient leur route jusqu'au Canada, puisque, dès 1793, une loi contre les esclaves en fuite autorisait les propriétaires d'esclaves à venir récupérer leur "bien" dans les États du Nord. Ces derniers n'étaient donc pas un refuge sûr pour les rescapés, à la différence du Canada.



Sur cette carte, on distingue les Etats esclavagistes au sud de la ligne Mason Dixon et les Etats du Nord (en gris).

* Harriet Tubman, la" Moïse noire".

Certains "conducteurs" devinrent de véritables héros. C'est le cas d'Harriet Tubman, une ancienne esclave qui effectua 19 périples secrets dans le Sud au cours desquels elle mena plus de 300 esclaves vers la liberté. Harriet Tubman ne se fit jamais fait prendre, malgré l'acharnement des esclavagistes à la faire capturer. Ainsi, les propriétaires des plantations avaient offert 40000 dollars de récompense pour sa capture. Son acharnement remarquable à libérer les esclaves lui valut le surnom de "Moïse de son peuple" (on y revient). L'abolitioniste John Brown l’appelait «General Tubman ».

L'intense activité de Harriet Tubman lui vaudra le surnom de " Moïse de son peuple".

Les propriétaires d’esclaves offrirent une récompense de 40 000 dollars à qui parviendrait à la capturer.

Au bout du compte, les efforts de quelques individus courageux (les "chefs de gare", "conducteurs" évoqués plus haut, qui risquaient gros) permirent d’affranchir des dizaines de milliers d’esclaves. Les récits terrifiants des fuyards contribuèrent aussi à creuser un peu plus le fossé entre les Etats du Nord et ceux du Sud.



Louis Armstrong.





Go down Moses.

Le choeur chante:

go down Moses
Way down in Egypt land
Tell old pharaoh to
Let my people go!

Va Moïse
loin en terre d'Egypte
dire au vieux pharaon
de laisser partir mon peuple!

Armstrong:
When Israel was in Egypt land...
Let my people go!
Oppressed so hard they could not stand...
Let my people go!

Quand Israël était en terre d'Egypte
laisse partir mon peuple
si opprimé qu'il ne pouvait résister...
laisse partir mon peuple!

So the Lord said: go down, Moses
Way down in Egypt land
Tell old pharaoh to
Let my people go!

Ainsi dit le Seigneur: Va Moïse
loin en terre d'Egypte
dire au vieux pharaon
de laisser partir mon peuple!

Thus spoke the Lord, bold Moses said:
Let my people go!
If not I'll smite your firstborns dead
Let my people go!

"Ainsi dit le Seigneur", l'intrépide Moïse dit:
"Laisse partir mon peuple;
sinon je vais tuer ton premier-né
Laisse partir mon peuple!"

Cause the Lord said : go down, Moses
Way down in Egypt land
Tell old pharaoh to
Let my people go!


Ainsi dit le Seigneur: Va Moïse
loin en terre d'Egypte
dire au vieux pharaon
de laisser partir mon peuple!

No more shall they in bondage oil.
Let my people go.
Let them com out with Egypt's spoil.
Let my people go

"Qu'il ne subisse plus jamais l'esclavage,
laisse partir mon peuple;
laisse les sortir avec les richesses d'Egypte,
laisse partir mon peuple!"

The Lord told Moses what to do,
Let my people go,
To lead the Hebrew children through,
Let my people go.

Le Seigneur a dit à Moïse ce qu'il faut faire
laisse partir mon peuple;
ramener les enfants d'Israël,
laisse partir mon peuple!

....

Sources:
- G. Herzaft:"le blues", que sais-je?, PUF.
- "La pensée noire. Les textes fondamentaux". Le Point Hors-Sérien °22, avril-mai 2009, p28.
- Nicole Bacharan: "Les Noirs américains. Des champs de coton à la Maison Blanche", éditions Panama, 2008, p48.

Liens:
* D'autres titres sur l'esclavage sur le blog:
- Sagbohan Danialou: "Commerce triangulaire".
- Randy Newman: "Sail away".
* de nombreux liens pour approfondir sur l'underground railroad.
* Jeux et documents
- "Escape from slavery."

mercredi 20 mai 2009

161. Joan Baez:"Birmingham sunday".

En 1963, nous sommes en pleine bataille pour les droits civiques des Afro-américains dans une Amérique profondément ségréguée.

Birmingham, la capitale économique de l'Alabama et la ville la plus peuplée de l'état, intéresse très tôt les mouvements pour les droits civiques, notamment la SCLC de Martin Luther King (MLK). En effet, cette ville constitue une citadelle de la ségrégation où les relations entre blancs et noirs s'avèrent particulièrement tendues.
Les églises, les maisons des manifestants pour les droits civiques explosent la nuit et la police n'inquiète (ou feint de ne jamais retrouver) les poseurs de bombes qui agissent donc en toute impunité. Cette sinistre spécialité vaut d'ailleurs à la ville le surnom de Bombingham.

Par O'Halloran, Thomas J., photographer [Public domain], via Wikimedia Commons


Ces violences poussent MLK et Fred Shuttlesworth, un pasteur de Birmingham devenu la cible favorite des poseurs de bombes, à mener une opération d'envergure dans la ville. Nous sommes alors au printemps 1963. Ce projet C (comme "confrontation") entend mettre à jour la violence de la police locale, en particulier celle de son chef "Bull" O'Connor, adepte de la manière forte face aux manifestations pacifiques et hostile à toute remise en question de la ségrégation dans le Sud des Etats-Unis.

Après plusieurs reports, le projet C est lancé le 3 avril 1963. King entend s'appuyer sur un réseau de volontaires prêts à aller en prison. Les organisateurs du mouvement ne ciblent pas le pouvoir politique, mais les firmes pratiquant la ségrégation au quotidien (Woolworth's, H. L.). Un manifeste réclame l'accès à tous des commodités dans la magasins, l'embauche des Noirs par les employeurs, la parité entre Noirs et Blancs dans la gestion de la ville...

La SCLC et l'Alabama Christian Mouvement for Human Rights, le mouvement de Shuttlesworth, parviennent ainsi à créer une situation de crise qui atteint son paroxysme à Pâques. Malgré les injonctions du tribunal local qui interdit les manifestations dans la ville, MLK entame une marche vers le centre de Birmingham, le vendredi saint 12 avril. Aux approches du quartier blanc, les manifestants sont arrêtés.

(Wikimedia Commons)


Lors de son séjour en prison, MLK rédige sa fameuse "lettre de la prison de Birmingham", dans laquelle il place les pasteurs blancs locaux face à leurs contradictions:

"L’histoire est la longue et tragique illustration du fait que les groupes privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans y être contraints. Il arrive que des individus soient touchés par la lumière de la morale et renoncent d’eux même à leurs attitudes injustes, mais les groupes ont rarement autant de moralité que les individus. Nous avons douloureusement appris que la liberté n’est jamais accordée de bon gré par l’oppresseur ; elle doit être exigée par l’opprimé. Franchement, je ne me suis jamais engagé dans un mouvement d’action directe à un moment jugé « opportun », d’après le calendrier de ceux qui n’ont pas indûment subi les maux de la ségrégation."

Grâce à l'intervention des Kennedy (notamment Robert, alors attorney général) et au versement d'une caution de 50 000 dollars par l'acteur et chanteur Harry Belafont, ami et soutien de MLK, ce dernier est enfin libéré. Il se trouve alors face à un dilemme, puisque les militants prêts à se faire arrêter de nouveau font défaut (des centaines croupissent toujours dans les prisons de la ville). La SCLC se tourne alors vers les lycéens qu'elle a initiés à la non-violence. A cette occasion, elle découvre que des centaines d'écoliers du primaire semblent prêt à se joindre au mouvement. C'est ainsi que se constitue cette "croisade des enfants" très controversée, qui lance de nombreux jeunes dans les rues. de Birmingham.

Or, MLK souhaite médiatiser l'opération au maximum. Il entend créer un électro-choc chez l'Américain moyen en lui mettant sous les yeux ce qu'il ne veut pas voir. A ce titre, l'opération est une réussite, dans la mesure où les manifestants des droits civiques sont agressés par des chiens dressés pour attaquer, renversés par les jets d'eau à très forte pression qui sortent des lances des pompiers et tout cela sous les flashs des photographes... La présence importante des enfants et adolescents dans le cortège ne modère en rien la répression policière. Les images d'enfants mordus par les chiens policiers font le tour du monde et obligent l'Etat fédéral à réagir. Dans un de ses éditoriaux, le New York Times se fait l'écho du malaise ressenti par un nombre croissant d'Américains:

"Aucun Américain instruit dans le respect de la dignité humaine ne peut lire sans honte le récit des actes de barbarie commis par les autorités de la police de l’Alabama à l’encontre des manifestants, noirs et blancs, pour les droits civiques. L’utilisation de chiens policiers et de lances d’incendie sous forte pression pour réprimer des écoliers à Birmingham est un déshonneur pour la nation. Parquer comme du bétail des centaines d’adolescents et même de gamins dans des prisons et des maisons de détention sous prétexte qu’ils exigent le respect de leur droit naturel à la liberté est une parodie de la justice."


  Marshall Frady dans la biographie de Martin Luther King revient sur ce célèbre cliché (ci-dessus): "Alors qu’il se trouvait dans le Bureau ovale, le regard du Président tomba sur une photo parue dans la presse. Elle montrait un policier agrippant d’une main par la chemise un jeune Noir, tandis qu’il tenait de l’autre la laisse d’un chien policier qui tournoyait autour du gamin. « C’est écoeurant », lâcha le président au groupe de visiteurs présents ce jour-là."

Les pompiers eux-mêmes renâclent à utiliser leurs "armes" face à des foules pacifiques en prière (comme le 5 mai). La stratégie adoptée pour ce plan C s'avère donc payante, puisque le 10 mai, après d'interminables négociations avec des hommes d'affaires de Birmingham, un accord est trouvé. Pour autant, la ville n'en a pas fini avec les violences racistes. Le 11 mai, la maison d'A. D. King, le frère de MLK, est plastiquée. Une autre bombe explose à proximité du Gaston Motel où MLK réside au cours des événements. Le Klan, toujours très vivace en Alabama, semble se trouver derrière ces violences. En réponse, les population noires pillent et agressent le forces de police. Le président Kennedy est alors contraint d'envoyer 3000 soldats fédéraux aux alentours de Birmingham.

Par Adam Jones from Kelowna, BC, Canada [CC BY-SA 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia Commons

Les violences de Birmingham se soldent par la mort des quatre fillettes dans l'attentat visant l'église baptiste de la 16ème rue. Le 15 septembre 1963, trois membres du Ku Klux Klan placent 19 bâtons de dynamite dans le sous-sol du temple baptiste de la Seizième Rue, siège officieux du mouvement de Birmingham. Quatre jeunes filles – Addie Mae Collins, Carole Robertson, Cynthia Wesley et Denise McNair – décèdent dans l’attentat et 22 personnes sont blessées. La manifestation de protestation face à ces assassinats est, elle aussi, endeuillée par la mort de deux autres adolescents (13 et 16 ans), qui ont le tort de croiser la route de la police de "Bull" O' Connor.

La chanson Birmingham sunday revient sur cet épisode dramatique. Chanté ici par Joan Baez, le morceau fut composé par une étoile filante du folk: Richard Farina.
Né d'un père cubain et d'une mère irlandaise, Richard Fariña grandit à Brooklyn. Etudiant, il écrit des nouvelles et des poèmes pour des revues universitaires. Il décide de devenir parolier et fréquente la jeune scène folk new yorkaise, notamment Bob Dylan. Figure de la contre-culture, il multiplie les titres engagés. En 1963, il épouse Mimi Baez, la sœur de Joan. Il collabore avec ces dernières sur plusieurs titres folk. Trois ans plus tard, il meurt dans un accident de moto, le jour de la fête organisée pour ses 29 ans...

Cette chanson émouvante est magnifiée par l'interprétation de Joan Baez dont la voix cristalline donne le frisson et tranche avec l'horreur du crime commis.




"Birmingham Sunday". Richard Farina.

Come round by my side and I'll sing you a song.
I'll sing it so softly, it'll do no one wrong.
On Birmingham Sunday the blood ran like wine,
And the choirs kept singing of Freedom.

Venez vous asseoir près de moi et je vais vous chanter une chanson.
Je vais la chanter si doucement, elle vous plaira.
A Birmingham dimanche le sang coula comme le vin
et les chœurs continuèrent à chanter la Liberté

That cold autumn morning no eyes saw the sun,
And Addie Mae Collins, her number was one.
At an old Baptist church there was no need to run.
And the choirs kept singing of Freedom,
The clouds they were grey and the autumn winds blew,
And Denise McNair brought the number to two.

Par ce froid matin d'automne, personne ne vit le soleil,
et Addie Mae Collins fut la première.
A la vieille église baptiste, il n'y avait aucun besoin de courir,
et les choeurs continuèrent à chanter la Liberté,
les nuages étaient gris et les vents d'automne soufflaient,
Denise McNair porta le nombre à deux

The falcon of death was a creature they knew,
And the choirs kept singing of Freedom,
The church it was crowded, but no one could see
That Cynthia Wesley's dark number was three.
Her prayers and her feelings would shame you and me.
And the choirs kept singing of Freedom.

Le faucon de la mort est une créature qu'elles connaissaient
et les chœurs entonnèrent des chants de Libération
L'église était comble, mais personne ne put voir
que le sombre numéro de Cynthia Wesley était le trois
ses prières et sa sincérité vous aurez rendu honteux, vous et moi.
et les chœurs
continuèrent à chanter la Liberté.


Young Carol Robertson entered the door
And the number her killers had given was four.
She asked for a blessing but asked for no more,
And the choirs kept singing of Freedom.

La jeune Carol Robertson entra
et le chiffre que ses tueurs lui avait attribué était le quatre.

Elle demanda une bénédiction, en vain,

et les chœurs
continuèrent à chanter la Liberté.


On Birmingham Sunday a noise shook the ground.
And people all over the earth turned around.
For no one recalled a more cowardly sound.
And the choirs kept singing of Freedom.

Ce dimanche à Birmingham un bruit fit trembler le sol?
personne n'avait entendu un son si lâche.
Et les choeurs continuèrent à chanter la Liberté.


The men in the forest they once asked of me,
How many black berries grew in the Blue Sea.
And I asked them right with a tear in my eye.
How many dark ships in the forest?

Les hommes dans la forêt me demandèrent un jour,
combien de baies noires se développèrent dans la mer.
Je leur ai demandé alors avec une larme au fond de l'œil.

Combien y a -t-il de sombres navires dans la forêt?


The Sunday has come and the Sunday has gone.
And I can't do much more than to sing you a song.
I'll sing it so softly, it'll do no one wrong.
And the choirs keep singing of Freedom.

Ce dimanche est venu et il est passé
et je ne peux pas faire plus que de vous chanter cette chanson.

Je la chanterai si doucement, qu'elle plaira à tous.
Et les chœurs continuèrent à chanter la Liberté.

Sources:
- C. Johnson et B. Adelman: "I have a dream", éditions de la Martinière.
- N. Bacharan: "Les Noirs américains _ des champs de coton à la Maison Blanche", éditions Panama, 2008.
- M.A. Combesque: "Martin Luther King Jr", Le Félin, 2008.

Liens:
* De nombreux titres sont consacrés à ce thème sur L'histgeobox:
- Bob Dylan: "Only a pawn in their game".
- Nina Simone: "Mississippi Goddam".
- Phil Ochs: "Too many martyrs".
- John Coltrane: "Alabama".

* Pour en savoir plus sur le Projet C, ce sublime site (en anglais).
* Extraits de la "Lettre de la geôle de Birmingham".

mardi 19 mai 2009

160. Antoine: "la loi de 1920".

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec la victoire du Bloc National, la France se dote d'une majorité très conservatrice (en 1919). Cette "Chambre bleu horizon" a une obsession nataliste. Il s'agit de repeupler le pays après l'hécatombe de la grande guerre. Pour les parlementaires, cette mission incombe aux femmes, qui doivent se montrer à la hauteur des sacrifices consentis par les hommes au cours du conflit, au cours duquel ils n'ont pas hésité à verser l'impôt du sang.   

Cette chambre vote ainsi en 1920 une loi réprimant « la provocation à l'avortement et à la propagande anticonceptuelle ». Elle assimile la contraception à l’avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite.
Avec la loi de 1920, la femme qui avorte est passible des Assises puisque l'avortement est assimilé à un crime. Or, paradoxalement, les inculpées bénéficient souvent de l'indulgence des jurés qui acquittent dans 80% des cas. C'est la raison pour laquelle, les pouvoirs publics correctionnalisent l'avortement par la loi du 23 mars 1923, dans l'espoir que les juges professionnels soient plus sévères. De fait, entre 1925 et 1935, les acquittements tombent à 19% des affaires.
Cependant, la répression de l'avortement est une goutte d'eau par rapport aux avortements réalisés (supérieur à 100 000 par an d'après les spécialistes. Or, entre 1925 et 1932, on recense 400 à 500 poursuites par an).
Or, cette politique s'avérera d'une grande inefficacité, puisque la baisse de la natalité, déjà amorcée en 1870 et en 1920, se prolonge jusqu’en 1941. Le taux de natalité atteint son point le plus bas au cours des années 1930. Comment l'expliquer? La pratique du coït interrompu reste très usitée. Par ailleurs, le préservatif, reste autorisé, car il permet de se protéger des maladies vénériennes. Surtout, ces mesures obligent des milliers de femmes à avorter clandestinement dans des conditions sanitaires déplorables. Ces lois contribuent avant tout à l'ignorance en matière sexuelle. Affiche de propagande. La petite fille apprend sa future "mission".
 
Durant toute l'entre-deux-guerre, c'est le modèle de la femme au foyer qui domine, alors même que la part des femmes actives augmente. Rappelons également que dans ces mêmes années apparaît aussi le modèle de la "garçonne" des "années folles", une femme libérée, aux robes et cheveux courts, qui vit de manière indépendante. Le conservatisme, l'influence de l'Eglise, empêche toute évolution significative au cours des années 1920. D'ailleurs, même le Front populaire, malgré l'hostilité déclarée des radicaux et des socialistes à ces lois, n'ose pas abolir cette législation rétrograde.
La loi de 1939, qui promulgue le Code de la famille, renforce la répression. Avec la capitulation de 1940, la propagande exalte plus que jamais les femmes au foyer, qui s'épanouissent dans leur rôle de mères. La famille devient l'institution clef du régime et la répartition des rôle en son sein ne souffre aucune exception. Le père détient l'autorité et s'exprime dans le travail, tandis que la mère reste la gardienne du foyer. Elle s'épanouit dans la maternité et dispense son amour à sa progéniture. Dans ces conditions, tout ce qui éloignerait les femmes de la maternité doit être réprimé. L'avortement est qualifié de "nuisible au peuple français" et la loi du 15 février 1942 punit très sévèrement ceux qui aident les femmes à avorter (l'avortement devient crime d'Etat). Des sections spéciales de policiers sont créées. Les tentatives sont punies comme les avortements. Pour l’exemple, une avorteuse est condamnée à mort et guillotinée en juillet 1943. Plus de 15 000 condamnations à des peines diverses sont prononcées jusqu’à la Libération.

Propagande nataliste, sous le régime de Vichy.

Le préambule de la Constitution de 1946 pose le principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes dans tous les domaines. Mais, il s'agit avant tout d'une déclaration d'intention. Il faut attendre la seconde moitié des années cinquante pour voir la situtation évoluer véritablement. Le dr Marie-Andrée Lagroua Weill Hallé, la fondatrice de l'association "Maternité heureuse", bientôt rebaptisé Planning familial (photo AFP).
 
En 1956, quelques médecins, journalistes et femmes d’origine bourgeoise, médiatisent la question des grossesses non désirées. En 1956, un groupe de femmes fonde l'association La Maternité heureuse autour de Marie-Andrée Weil-Hallé. L’objectif est de diffuser la contraception en fournissant aux femmes les moyens d'espacer des naissances en fournissant des diaphragmes importés clandestinement de Suisse, d'Angleterre. L'association entend aussi faire modifier la loi de 1920. En 1960 l'Assemblée générale de l'association ajoute à "Maternité Heureuse", le sous titre "Mouvement français pour le Planning Familial ". L'année suivante, les premiers centres d'accueil s'ouvrent à la population, en toute illégalité (jusqu'en 1967). Les membres du Planning familial fournissent une oreille attentive à toutes les femmes qui le souhaitent. Elles mesurent à cette occasion le poids de l'ignorance et du silence sur les comportements sexuels des hommes et des femmes, aggravés par la loi de 1920. De haute lutte, le MFPF parvient à s'imposer comme un acteur essentiel (en 1971 il est agréé comme mouvement d'éducation populaire). Le MFPF entend donc mieux renseigner les femmes afin que celles-ci puissent maîtriser leur propre corps. Cette action connaît des réticences : l'Église catholique, les communistes (M. Thorez lance: « Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient-elles le droit d'accéder aux vices de la bourgeoisie ? »), l’académie de médecine, entre autres, freinent au maximum un mouvement pourtant inéluctable. Il faut dire que depuis 1956, après des dizaines d'années de recherches et d'expérimentations, les scientifiques américains Gregory Pincus et John Rock ont mis au point une formule efficace pour empêcher l'ovulation chez la femme. La pilule est commercialisée aux Etats-Unis le 23 juin 1960. Or, en France, il faudra encore attendre sept ans, avec la loi Neuwirth, pour les petits comprimés à avaler soient légalisés. 
 Lucien Neuwirth défend son texte à l'Assemblée (photo AFP): "L'heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle et due souvent au seul hasard à une maternité consciente et pleinement responsable". Il y rencontre de très nombreuses résitances dans son camps. Jean Couramos, député de la Moselle, affirme péremptoire: "Les maris ont-ils songé que désormais c'est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d'avoir ou de ne pas avoir d'enfants en absorbant la pilule, même à leur insu ? Les hommes perdront alors la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus qu'un objet de volupté stérile." Lucien Neuwirth, un ancien résistant et membre de l'UDR, le parti gaulliste, défend le texte à l'Assemblée. Il parvient à arracher l'appui du Général de Gaulle, qui s'était dans un premier temps opposé à toute légalisation ( en opposition avec François Mittterrand sur ce point lors des élections présidentielles de 1965). Neuwirth se charge alors de convaincre le président lors d'un entretien en 1965. Il raconte:"Pendant quarante minutes, alors que je m'efforçais d'argumenter sur l'enfant désiré et l'enfant non désiré, il n'a pas dit un mot, raconte l'ancien député. Puis, après avoir longuement réfléchi, il me dit : "C'est vrai, transmettre la vie, c'est important, il faut que ce soit un acte lucide. Continuez."" L'adoption de la loi Neuwirth ne décrispe pourtant pas la situation au sein de la majorité présidentielle et Neuwirth trouvera ses soutiens les plus actifs dans l'opposition. Et il faudra attendre 1973, soit cinq ans après le vote de la loi pour que les décrets d'application paraissent enfin au Journal Officiel! En 1974, la contraception est remboursée par la sécurité sociale comme un autre acte médical. Dans de nombreux milieux, les réticences et les résistances restent vives et la pleine et entière maîtrise de leur corps pour les femmes ne sera vraiment gagnée qu'avec la loi Veil qui abolit, en 1975, les poursuites judiciaires contre les avorteuses et les femmes qui avortent. Les débats seront alors particulièrement violents au sein de la société française, notamment au Palais Bourbon. Mais cela est une autre histoire sur laquelle nous nous pencherons très bientôt.
Pour conclure, laissons la parole à Thierry Blöss et Alain Frickey qui rappellent dans leur synthèse (voir sources): "L'ensemble de ces mesures ont été prises dans un laps de temps relativement court, à l'échelle de l'histoire. Elles témoignent d'un processus de libéralisation récent du statut des femmes, c'est-à-dire de leur émancipation par rapport aux tâches domestiques dans lesquelles elles ont été confinées pendant des siècles. Ces mesures n'ont en fait été rendues possibles qu'à partir du moment où les femmes sont devenues "majeures" sur le plan civique, "éclairées sur le plan de l'instruction et plus visibles sur le marché du travail, c'est-à-dire plus autonomes par rapport aux formes familiales d'activités. Elles ont pu ainsi prendre une certaine distance vis-à-vis des rôles conjugaux et maternels qui ont longtemps entièrement prédéfini leur identité sociale."   Antoine, lorsqu'il se lance dans la chanson au cours des années 1960, fait aussitôt figure d'électron libre. Alors que les chanteurs yé-yé, si populaire, chantent des airs inoffensifs, lui, préfère peindre avec ironie et humour la société qui l'entoure. Son titre le plus célèbre, les "élucubractions", illustre ainsi à merveille le fossé générationnel qui se creuse entre les baby-boomers devenus adolescents et leurs parents. Accompagné de son groupe les Problèmes (futurs Charlots), le chanteur suscite la controverse. Certains lui reprochent sa longue chevelure, les thèmes de ses chansons qui se rapprochent de ceux des hippies aux Etats-Unis (il entonne par exemple "un éléphant me regarde" en référence à la consommation de substances psychotropes) et ses paroles provocantes. Ses "élucubrations" s'en prennent ainsi à quelques icônes nationales telles qu'Yvette Horner ou encore Johnny Haliday (il suggère qu'on le mette en cage au cirque Medrano). Pourtant, très vite, il abandonne ses provocations et compose des bluettes sans intérêt. Depuis, il navigue sur les mers du Sud et vante les mérites d'une marque de lunettes, comme son ancien rival, précédemment cité. Ici (nous sommes en 1966), Antoine nous narre une histoire sinistre, celle d'une mère de famille contrainte d'enchaîner les grossesses forcées. Pour Antoine, cela ne fait aucun doute, la responsable, c'est cette scélérate loi de 1920. Pour échapper à la misère, cette mère se suicide avec sa nombreuse progéniture.
 
   
 
Antoine: "LA LOI DE 1920". (1966) 
Elle habite avec ses 9 enfants 
Deux pièces ce n'est pas même un appartement 
Le mari on ne le voit pas souvent 
Et pourtant
On leur a appris à fonder une famille 
Faire autrement leur serait difficile 
Au mariage c'était le seul but dans la vie
 Et pourtant 
Chaque année un autre enfant naissait 
Comment auraient-ils pu l'éviter 
Il y a 365 nuits dans une année 
Et pourtant L'aîné aura peut-être quelque instruction 
Pour les autres il n'en est pas question 
Manger ça ne leur arrive pas souvent 
Et pourtant 
Il y a longtemps que leur taudis est classé 
Assise folle elle s'est mise à penser 
Elle n'en peut plus, ça ne peut plus durer
 Et pourtant 
Dans un coin il y a un fourneau 
L'évier est mort, on leur a coupé l'eau 
Elle s'approche du feu la folie sur la peau 
Et pourtant 
Il suffit de tourner un robinet 
Ça me tremble, les enfants dorment à coté 
Ils ne se sont plus jamais réveillés 
Et pourtant 
On aurait dû penser pourtant 
On aurait pu penser pourtant 
Penser à revoir enfin la loi de 1920 
 
Sources:
- A.-M. Sohn: "Entre-deux-guerre: les rôles féminins en France et en Angleterre", dans G. Duby, M. Perrot (dir.): "histoire des femmes en Occident" (vol.V), pp187-189.
- Thierry Blöss et Alain Frickey: "La femme dans la société française", coll. Que sais-je?, PUF, 1996, pp39-42. 
 - Article de P. Roger: "Les hommes perdront la fière conscience de leur virilité féconde", dans Le Monde du 28 décembre 2007.  
 
Liens: - Des ressources intéressantes sur le site l'Histoire par l'image: "dénatalité".