***************
La société française du début des années 1950 connaît un coup de jeune qui s’explique par la reprise de la natalité depuis 1943. On entre alors dans le baby boom. Les millions de bébés nés au lendemain de la guerre sont enfants dans les années cinquante, puis adolescents au cours de la décennie suivante. Aussi en 1968, sur 49,7 millions de Français, 25% ont moins de 16ans et 15% entre 16 et 25 ans.
* Les baby boomers entrent en adolescence.
Or, jusqu'au lendemain de la seconde GM, "la jeunesse" ne se distingue pas réellement entre l’enfance et l’âge adulte. On quitte l’enfance assez brutalement avec le mariage (souvent après le service militaire pour les garçons) et l’entrée dans la vie active. Après 1945, en revanche, les jeunes deviennent un groupe social nettement identifié. Pour la première fois se constitue un âge de transition, l’adolescence, en lien notamment avec l'allongement et la démocratisation de la scolarité. La loi Berthoin de 1959 rend obligatoire l'école jusqu’à 16 ans. Le nombre d'élèves poursuivant leurs études dans le secondaire, puis le supérieur explose. Alors qu'en 1950, on comptait 32 262 bacheliers, ils sont 139 541 vingt ans plus tard. Par conséquent, les jeunes rentrent plus tardivement dans la vie active (le taux d’activité des jeunes hommes de 15-19 ans passe de 70% en 1930 à moins de 30% en 1975). Il y a donc un phénomène d’ « allongement de la jeunesse ». Ce poids accru se ressent à tous les niveaux de la société et modifie comportements, valeurs et pratiques culturelles. Par conséquent l'entrée dans l'adolescence de la génération du baby boom à la fin des années 1950 représente un public potentiel considérable qui permettra, entre autres, l'essor du mouvement yéyé en France.
* Civilisation des loisirs et société de consommation.
Au cours de la seconde moitié des années cinquante, la France connaît de profondes transformations. Le pays reste encore largement rural en dépit d'un exode rural massif. A la phase de reconstruction succède l'entrée dans les Trente Glorieuses. Or, jusqu'à la fin de la décennie, il n'existe guère de programmes culturels spécifiques pour les jeunes. Leur poids démographique nouveau change la donne et permet l'affirmation d' une culture, d'un style de vie autonomes.
Plusieurs facteurs expliquent aussi ces transformations. Étudiants, ils ont du temps pour lire, écouter de la musique. Le contexte de croissance économique leurs permet de grandir dans une civilisation du loisir, dans une société plus prospère qui devient aussi celle de la consommation matérielle. Ils ont de l’argent de poche, représentent désormais à eux seuls un marché et se dotent de toute une panoplie d'objets auxquels ils s'identifient: radios, tourne-disques, 45 tours, guitares. Ces dernières, pourtant encore onéreuses, se vendent comme des petits pains: en 1966, 1,2 millions d'instruments sont recensés en France alors que son coût oscille entre 1 et 2 SMIC... Les ventes de disques explosent elles aussi: 18 millions de disques vendus en 1952, 62 millions en 1966, dont les deux tiers achetés par des adolescents (à leur apogée, les yéyé représenteront jusqu'à 65% des ventes de disques). Le marché potentiel est inouï et les publicitaires adaptent très vite leurs messages.Au coeur de la vague yéyé, des quantités impressionnantes de produits dérivés sont alors commercialisés. On s'habille yéyé, on boit yéyé... L'obsession consumériste débute vraiment alors.
Les innovations techniques et l'intérêt bien compris des industriels parachèvent ce phénomène avec la mise sur le marché du Teppaz, un pick up transportable et pas très cher qui révolutionne la manière d'écouter la musique. L'essor des transistors à pile, portatifs, permettent même bientôt de s'échapper du domicile. En 1966, 46% des jeunes possèdent une radio, 42% un tourne disque. Les jeunes peuvent désormais écouter leur musique dans leur chambre, loin du regard parental, seuls ou entre copains et copines.
Publicité pour le Teppaz.
L'essor des médias de masse constitue un facteur crucial dans l'émergence de cette nouvelle classe d'âge. La radio Europe n°1 créée en 1955, joue à cet égard un rôle pionnier. Afin de gagner les faveurs d'un public juvénile, les directeurs de la station lancent en 1959 l'émission quotidienne "Salut les copain" centrée sur la musique. Le ton de l'animateur maison tranche avec les voix compassées des autres speakers. Daniel Filipacchi tutoie l'auditeur qu'il appelle par son prénom et n'hésite pas à parler en même temps que la musique. Pour la première fois, le jeune public a une émission qui lui est destinée. Les transistors portatifs contribuent en outre au succès inouïe de SLC, diffusée à l'heure de la sortie de l'école, à partir de 17 heures. L'émission fait pénétrer les idoles et les hit-parade au sein d'un très grand nombre de foyers et joue un rôle décisif dans l'apparition du phénomène yéyé.
Daniel Filipacchi et Johnny Hallyday - emission... par teppazandco
En parallèle se développe une industrie du disque qui commercialise les 45 tours des idoles que SLC passe en boucle. D'autres médias s'engouffrent dans la brèche. A partir de 1961, on enregistre au Golf Drouot Age tendre et tête de bois, un programme télévisé destiné aux adolescents et animé par Albert Raisner.
De nouveaux magazines consacrés aux jeunes inondent les kiosques: Disco-Revue en 1961, une version papier de Salut les copains en juillet 1962 ou encore Mademoiselle âge tendre, déclinaison féminine de SLC. Autant de magazines calqués sur les supports de la presse américaine pour teenagers avec des interviews, des clichés en couleur. Le responsable de la photographie de SLC est le jeune Jean-Marie Périer. Ses posters ornent bientôt les chambres des adolescents français. Là encore le succès est au rendez-vous puisqu'après seulement un an d'existence Salut Les Copains tire à un million d'exemplaires.
La Une de SLC. De très nombreux clichés attestent de la fascination d'une partie de la jeunesse française pour les Etats-Unis, en tout cas l'idée qu'on s'en fait communément de ce côté de l'Atlantique.
* 22 juin 1963: La folle nuit de la Nation.
L'acte de naissance du Yéyé reste la "folle nuit de la Nation".
Pour célébrer le premier anniversaire du magazine Salut les copains, son fondateur et l'animateur de l'émission éponyme, Daniel Filipacchi, convie les jeunes auditeurs à venir applaudir les idoles de la chanson le 22 juin 1963, place de la Nation à Paris. Le concert, gratuit, est organisé par Europe n°1. Sylvie Vartan et Johnny Hallyday, amenés sur scène dans un car de police, s'imposent comme les vedettes du spectacle. En tout, pas moins de 150 000 jeunes spectateurs répondent à l'appel, très au delà des prévisions les plus optimistes qui tablaient au maximum sur 30 000 personnes. Pour mieux entendre et voir, le public grimpe sur les véhicules stationnés, les arbres, le mobilier urbain. Les organisateurs, totalement dépassés par ce flot humain ne peuvent empêcher les dégâts matériels. Dans les jours qui suivent, les quotidiens et hebdomadaires font leurs choux gras des débordements, somme toute très limités, et reprennent en chœur la vieille antienne sur le péril jeune. Pour France soir, "le festival des Copains [a dégénéré] en émeutes". L'éditorial de Paris-Presse consacré au concert s'intitule "Salut, les voyous".
Dans les semaines qui suivent le rassemblement de la Nation, les détracteurs des yéyés dénoncent le conformisme et l'apolitisme de cette jeunesse. Dans le Figaro, André Brincourt considère que "cette nouvelle mythologie a ses rites précis, ses interdits et ses lois. On y répudie avec insolence et sottise le monde des adultes."Dans le Figaro, Philippe Bouvard, quant à lui se lance dans une analogie douteuse, comparant le rassemblement de la Nation aux discours d'Hitler au Reichstag en 1933! De fait, un grand nombre d'adultes, ne comprend absolument pas les aspirations des jeunes générations.
Des grappes de spectateurs, perchés sur les arbres lors de la "folle nuit de la Nation".
* Émergence d'une "culture jeune".
Certains, à l'instar d'Edgar Morin, tentent en revanche d'analyser le phénomène. Le sociologue dresse un portrait éclairant de cette jeunesse. Pour lui, le 22 juin correspond à l'affirmation d'une nouvelle classe d'âge adolescente. Dans tous les domaines, les jeunes entendent se distinguer des adultes et rompre avec les valeurs de leurs parents. Il voit dans "dans le yé-yé les ferments d’une non-adhésion à ce monde adulte où suinte l’ennui bureaucratique, la répétition, le mensonge, la mort(...)." Un groupe social se constitue par autonomisation progressive avec sa propre mentalité, ses pratiques culturelles, des comportements et modes de vie spécifiques… C'est qu'à partir du milieu de la décennie, la métamorphose du pays s'accélère. On assiste à une mutation des valeurs communes. "A la frugalité et la prévoyance se substituent peu à peu des valeurs et des comportements hédonistes (...). Mais déjà pointent une attitude nouvelle face à l'autorité -et donc aux normes- et un autre comportement face aux traditions et aux interdits -et donc aux valeurs." [cf: Sirinelli, voir sources]
Nombre de jeunes aspirent alors à soulever "le couvercle de plomb" d'une France gaulliste où le poids encore important de la religion (bien que déclinant) impose une éducation stricte. Au sein de la famille, ils récusent la prétention des adultes à jouer les censeurs et refusent d'être considérés comme des adultes en devenir. Ils rechignent à écouter leurs parents ressasser les souvenirs de la guerre. En retour, beaucoup d'adultes sont affligés par cette jeunesse qui "ne connais pas Hitler", pour reprendre le titre du documentaire de Bertrand Blier.
Ce portrait reste bien sûr schématique et il s'avère impossible de parler d'une jeunesse. Comme le rappelle Pascale Goetschel: "s'il existe bien, des "signes extérieurs de jeunesse [Anne-Marie Sohn], les pratiques culturelles diffèrent en fonction du sexe, de l'appartenance sociale, de l'éducation et les figures de la jeunesse n'ont pas toute le même visage (...). Il serait en outre schématique de limiter la jeunesse à cette 'cohorte dépolitisée et dédramatisée des Français de moins de 20 ans' dénoncée par François Nourissier dans Les Nouvelles Littéraires."
S'il ne faut certes pas voir en eux des rebelles, il semble tout aussi réducteur de les dépeindre comme une horde d'hédonistes décérébrés, une meute adolescente obsédée par la consommation et la danse, insouciante et évaporée. Rappelons, qu'au moins jusqu'en 1962, les garçons sont confrontés à la dure réalité, car, en tant qu'appelés, ils sont envoyés combattre en Algérie.
Comme jamais auparavant, les jeunes se distinguent de leurs parents. Pour Morin, ils existent, entre autres, par une panoplie vestimentaire, un langage, une consommation culturelle spécifique. C'est d'ailleurs le sociologue qui invente le terme yéyé (francisation de "yeah yeah") pour désigner ce phénomène musical et sociétal.
Dans le domaine vestimentaire, mini-jupe, blue-jean et tee-shirt s'imposent. Les garçons n’hésitent plus à laisser pousser leurs cheveux.
Pour se démarquer, ils se dotent de leur propre langage. Les copains (les jeunes dans le coup) s'opposent aux croulants (les parents) et aux PPH ("ne passera pas l'hiver" pour désigner les grands parents).
Autre critère d'identification et de ralliement: la musique, qui représente pour beaucoup le premier espace de liberté susceptible de sortir d'un carcan gaulliste étouffant. La déferlante du rock'n'roll américain touche l'hexagone à la fin des années cinquante. Les adolescents peuvent se procurer les 45 tours américains dans les PX de l'OTAN ou chez les rares disquaires qui les distribuent. Elvis Presley, Jerry Lee Lewis ou encore Vince Taylor fascinent des adolescents français happés par la culture populaire américaine.
Ces chanteurs font de très nombreux émules et dans leur sillage des centaines de groupe de rock se forment alors (1961-1962), à l'instar des Chats sauvages de Dick Rivers (15 ans en 1961), des Chaussettes noires d'Eddy Mitchell (1962). Le nouveau point de ralliement de cette nouvelle vague musicale est un ancien golf miniature: le Golf Drouot où se tient chaque fin de semaine un Tremplin à l'usage des groupes de rock.
Les pionniers du rock à la française (Dick Rivers, Mitchell, Hallyday) livrent une version pas encore trop aseptisée de son homologue américain, mais qui sera considérablement édulcorée par la vague yéyé. Les chanteurs en herbe adaptent à leur manière, souvent pittoresque, les paroles des originaux interprétés en "yaourt", caricature phonétique de l'anglais reproduite à l'oreille. Ce premier rock en français ne suscite d'abord que railleries. Danyel Gérard, un de ces proto-rockers atypiques, adopte sur scène les mimiques des vedettes américaines. Ses poses convulsives lui valent le surnom de "chanteur suffocant".
A partir de 1956, le Golf Drouot dirigé par Henri Leproux, devient le premier lieu où l'on peut entendre du rock'n'roll. Il organise chaque vendredi soir un Tremplin, véritable radio-crochet à l'usage des groupes de rock.
Pour la première fois, on a des chanteurs qui ont l'âge de leur public, auxquels il est facile de s'identifier. Ainsi, Johnny, qui modèle son personnage autour des personnalités de James Dean et d'Elvis Presley, devient "l'idole des jeunes" en France. Tout en lui irrite un establishment gaulliste incommodé par ses tenues (blouson de cuir noir, banane), sa fougue. Ses chansons, aux textes pourtant bien innocents à cinquante ans de distance, choquent les vieilles barbes ("laisse les filles" 1960). Les pouvoirs publics, inquiets de la popularité du rock, réagissent. La préfecture de la Seine utilise les incidents en marge de concerts pour empêcher l'organisation de ces rassemblements juvéniles. Très vite les éléments les plus durs du rock, assimilés aux dangereux blousons noirs, se voient marginalisés. Le cas Johnny est révélateur de ce phénomène. Après avoir incarné la jeunesse rebelle aux yeux de beaucoup d'adultes, il devient le modèle du good teen, une figure positive et jamais transgressive. Un phénomène similaire s'était d'ailleurs produit aux Etats-Unis où Elvis le Pelvis, menaçant et sexuel, cède le pas au King, bien plus consensuel.
Dans les semaines qui suivent le rassemblement de la Nation, les détracteurs des yéyés dénoncent le conformisme et l'apolitisme de cette jeunesse. Dans le Figaro, André Brincourt considère que "cette nouvelle mythologie a ses rites précis, ses interdits et ses lois. On y répudie avec insolence et sottise le monde des adultes."Dans le Figaro, Philippe Bouvard, quant à lui se lance dans une analogie douteuse, comparant le rassemblement de la Nation aux discours d'Hitler au Reichstag en 1933! De fait, un grand nombre d'adultes, ne comprend absolument pas les aspirations des jeunes générations.
Des grappes de spectateurs, perchés sur les arbres lors de la "folle nuit de la Nation".
* Émergence d'une "culture jeune".
Certains, à l'instar d'Edgar Morin, tentent en revanche d'analyser le phénomène. Le sociologue dresse un portrait éclairant de cette jeunesse. Pour lui, le 22 juin correspond à l'affirmation d'une nouvelle classe d'âge adolescente. Dans tous les domaines, les jeunes entendent se distinguer des adultes et rompre avec les valeurs de leurs parents. Il voit dans "dans le yé-yé les ferments d’une non-adhésion à ce monde adulte où suinte l’ennui bureaucratique, la répétition, le mensonge, la mort(...)." Un groupe social se constitue par autonomisation progressive avec sa propre mentalité, ses pratiques culturelles, des comportements et modes de vie spécifiques… C'est qu'à partir du milieu de la décennie, la métamorphose du pays s'accélère. On assiste à une mutation des valeurs communes. "A la frugalité et la prévoyance se substituent peu à peu des valeurs et des comportements hédonistes (...). Mais déjà pointent une attitude nouvelle face à l'autorité -et donc aux normes- et un autre comportement face aux traditions et aux interdits -et donc aux valeurs." [cf: Sirinelli, voir sources]
Nombre de jeunes aspirent alors à soulever "le couvercle de plomb" d'une France gaulliste où le poids encore important de la religion (bien que déclinant) impose une éducation stricte. Au sein de la famille, ils récusent la prétention des adultes à jouer les censeurs et refusent d'être considérés comme des adultes en devenir. Ils rechignent à écouter leurs parents ressasser les souvenirs de la guerre. En retour, beaucoup d'adultes sont affligés par cette jeunesse qui "ne connais pas Hitler", pour reprendre le titre du documentaire de Bertrand Blier.
Ce portrait reste bien sûr schématique et il s'avère impossible de parler d'une jeunesse. Comme le rappelle Pascale Goetschel: "s'il existe bien, des "signes extérieurs de jeunesse [Anne-Marie Sohn], les pratiques culturelles diffèrent en fonction du sexe, de l'appartenance sociale, de l'éducation et les figures de la jeunesse n'ont pas toute le même visage (...). Il serait en outre schématique de limiter la jeunesse à cette 'cohorte dépolitisée et dédramatisée des Français de moins de 20 ans' dénoncée par François Nourissier dans Les Nouvelles Littéraires."
S'il ne faut certes pas voir en eux des rebelles, il semble tout aussi réducteur de les dépeindre comme une horde d'hédonistes décérébrés, une meute adolescente obsédée par la consommation et la danse, insouciante et évaporée. Rappelons, qu'au moins jusqu'en 1962, les garçons sont confrontés à la dure réalité, car, en tant qu'appelés, ils sont envoyés combattre en Algérie.
Comme jamais auparavant, les jeunes se distinguent de leurs parents. Pour Morin, ils existent, entre autres, par une panoplie vestimentaire, un langage, une consommation culturelle spécifique. C'est d'ailleurs le sociologue qui invente le terme yéyé (francisation de "yeah yeah") pour désigner ce phénomène musical et sociétal.
Dans le domaine vestimentaire, mini-jupe, blue-jean et tee-shirt s'imposent. Les garçons n’hésitent plus à laisser pousser leurs cheveux.
Pour se démarquer, ils se dotent de leur propre langage. Les copains (les jeunes dans le coup) s'opposent aux croulants (les parents) et aux PPH ("ne passera pas l'hiver" pour désigner les grands parents).
Autre critère d'identification et de ralliement: la musique, qui représente pour beaucoup le premier espace de liberté susceptible de sortir d'un carcan gaulliste étouffant. La déferlante du rock'n'roll américain touche l'hexagone à la fin des années cinquante. Les adolescents peuvent se procurer les 45 tours américains dans les PX de l'OTAN ou chez les rares disquaires qui les distribuent. Elvis Presley, Jerry Lee Lewis ou encore Vince Taylor fascinent des adolescents français happés par la culture populaire américaine.
Ces chanteurs font de très nombreux émules et dans leur sillage des centaines de groupe de rock se forment alors (1961-1962), à l'instar des Chats sauvages de Dick Rivers (15 ans en 1961), des Chaussettes noires d'Eddy Mitchell (1962). Le nouveau point de ralliement de cette nouvelle vague musicale est un ancien golf miniature: le Golf Drouot où se tient chaque fin de semaine un Tremplin à l'usage des groupes de rock.
Les pionniers du rock à la française (Dick Rivers, Mitchell, Hallyday) livrent une version pas encore trop aseptisée de son homologue américain, mais qui sera considérablement édulcorée par la vague yéyé. Les chanteurs en herbe adaptent à leur manière, souvent pittoresque, les paroles des originaux interprétés en "yaourt", caricature phonétique de l'anglais reproduite à l'oreille. Ce premier rock en français ne suscite d'abord que railleries. Danyel Gérard, un de ces proto-rockers atypiques, adopte sur scène les mimiques des vedettes américaines. Ses poses convulsives lui valent le surnom de "chanteur suffocant".
A partir de 1956, le Golf Drouot dirigé par Henri Leproux, devient le premier lieu où l'on peut entendre du rock'n'roll. Il organise chaque vendredi soir un Tremplin, véritable radio-crochet à l'usage des groupes de rock.
Pour la première fois, on a des chanteurs qui ont l'âge de leur public, auxquels il est facile de s'identifier. Ainsi, Johnny, qui modèle son personnage autour des personnalités de James Dean et d'Elvis Presley, devient "l'idole des jeunes" en France. Tout en lui irrite un establishment gaulliste incommodé par ses tenues (blouson de cuir noir, banane), sa fougue. Ses chansons, aux textes pourtant bien innocents à cinquante ans de distance, choquent les vieilles barbes ("laisse les filles" 1960). Les pouvoirs publics, inquiets de la popularité du rock, réagissent. La préfecture de la Seine utilise les incidents en marge de concerts pour empêcher l'organisation de ces rassemblements juvéniles. Très vite les éléments les plus durs du rock, assimilés aux dangereux blousons noirs, se voient marginalisés. Le cas Johnny est révélateur de ce phénomène. Après avoir incarné la jeunesse rebelle aux yeux de beaucoup d'adultes, il devient le modèle du good teen, une figure positive et jamais transgressive. Un phénomène similaire s'était d'ailleurs produit aux Etats-Unis où Elvis le Pelvis, menaçant et sexuel, cède le pas au King, bien plus consensuel.
En France, l'industrie du disque, épaulée par le matraquage intensif de SLC, favorise l'essor du yéyé sentimental, expurgé de tout élément subversif, de toute potentialité de révolte. Franck Ténot, le bras droit de Daniel Filipacchi, livre la vision de la jeunesse de ce dernier: "Pour lui, la jeunesse doit respecter un certain cadre social. Tout comme moi, il n'a jamais apprécié les voyous, ni les casseurs. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous n'aimions pas beaucoup le chanteur Vince Taylor: parce qu'il ressemblait à la fois à un voyou et un casseur." Dans le magazine SLC, la parole des jeunes est habilement filtrée, le ton des articles très consensuel, voire paternaliste.
* Le yéyé.
Le célèbre cliché de Jean-Marie Perrier réunissant en 1966 les protagonistes principaux du yéyé. Il marque en fait la fin du yéyé. De nouveaux artistes, tels que Hugues Aufray, Antoine ou Dutronc apparaissent alors et donnent soudain un vrai coup de vieux au yéyé.
SLC privilégie donc les chansonnettes insouciantes des yéyé, variante très édulcorée de la fureur du rock'n'roll qui a le mérite de rassurer les adultes et de plaire à une majorité d'adolescents. Le hit parade de l'émission devient la bible "des copains". La plupart des morceaux, faciles à jouer et fondés sur la répétition, sont des adaptations de titres américains à succès (que la plupart des auditeurs français ne connaissent pas). Ces reprises s'intègrent alors, sans complexe, au patrimoine de la chanson française.
Au bout du compte une dizaine d'idoles yéyé tout au plus accèdent au rang de stars:
- Johnny Hallyday s'impose incontestablement comme le chef de file du mouvement et "l'idole des jeunes", sans véritable rival.
- Avec le précédent, Eddy Mitchell et Dick Rivers sont les pionniers d'un rock français bientôt rattrapé et phagocyté par la vague yéyé.
- Sylvie Vartan est encore au lycée et n'a que 17 ans lorsqu'elle fait son premier Olympia en 1961. Son titre "Tous mes copains" devient un hymne pour la génération yéyé.
- Richard Anthony rencontre très tôt (1959) un grand succès grâce à ses reprises d'originaux américains qu'il massacre la plupart du temps (pour s'en convaincre, il suffit d'écouter à la suite le "three cool cats" des Coasters puis l'adaptation "nouvelle vague" d'Anthony).
- En 1963, Sheila incarne à 16 ans la "petite fille sage de Français moyen". Elle s'impose très vite grâce à une série impressionnante de succès aux paroles d'une crétinerie rare. On lui doit aussi la mode des couettes crêpées ou gonflées qu'adoptent ses auditrices par mimétisme.
- Françoise Hardy, la troisième yéyé girl, a l'image d'une fille sage et mélancolique. Ses chansons distillent un spleen romantique qui lui vaut le surnom peu amène d'"endive du twist" (par Philippe Bouvard).
- Le bondissant Claude François, adepte du shout, se spécialise dans les reprises de succès de la Motown auxquels il réserve un traitement de choc, pas toujours du meilleur goût. Virevoltant, il s'impose néanmoins comme un véritable showman.
…
Tous contribuent au triomphe de cette musique de jeune, pour les jeunes, dont sont exclus les parents. Ces derniers assistent pantois à l'essor de danses, importées elles aussi des Etats-Unis. Le twist (avant le jerk, le hully-gully, le madison...) déferle sur l'hexagone à partir de 1960 et modifie le rapport à la danse dans la mesure où il s'agit d'une danse individuelle, très facile à maîtriser. Elle contribue à la libération des corps, plus qu'à la libération sexuelle. Comment comprendre sinon le scandale provoqué par "l'amour avec moi" de Polnareff en 1966? En comparaison des bluettes innocentes qui dominent la production yéyé, le morceau peut-être considéré comme obscène...
Les musiques et danses juvéniles sont le moyen d'échapper au carcan familial. Les jeunes se réunissent, loin du regard des "croulants", dans des surprises parties, lieu des premiers flirts où le pschitt orange coule à flot. Ces boums offrent aux adolescents un espace d'autonomie et de libertés, hors du regard des adultes.
Des castings et télé-crochets censés repérer les futurs talents se multiplient. Le triomphe des idoles impose progressivement le jeunisme et laisse accroire à une prise de pouvoir par la jeunesse.
* Le yéyé.
Le célèbre cliché de Jean-Marie Perrier réunissant en 1966 les protagonistes principaux du yéyé. Il marque en fait la fin du yéyé. De nouveaux artistes, tels que Hugues Aufray, Antoine ou Dutronc apparaissent alors et donnent soudain un vrai coup de vieux au yéyé.
SLC privilégie donc les chansonnettes insouciantes des yéyé, variante très édulcorée de la fureur du rock'n'roll qui a le mérite de rassurer les adultes et de plaire à une majorité d'adolescents. Le hit parade de l'émission devient la bible "des copains". La plupart des morceaux, faciles à jouer et fondés sur la répétition, sont des adaptations de titres américains à succès (que la plupart des auditeurs français ne connaissent pas). Ces reprises s'intègrent alors, sans complexe, au patrimoine de la chanson française.
Au bout du compte une dizaine d'idoles yéyé tout au plus accèdent au rang de stars:
- Johnny Hallyday s'impose incontestablement comme le chef de file du mouvement et "l'idole des jeunes", sans véritable rival.
- Avec le précédent, Eddy Mitchell et Dick Rivers sont les pionniers d'un rock français bientôt rattrapé et phagocyté par la vague yéyé.
- Sylvie Vartan est encore au lycée et n'a que 17 ans lorsqu'elle fait son premier Olympia en 1961. Son titre "Tous mes copains" devient un hymne pour la génération yéyé.
- Richard Anthony rencontre très tôt (1959) un grand succès grâce à ses reprises d'originaux américains qu'il massacre la plupart du temps (pour s'en convaincre, il suffit d'écouter à la suite le "three cool cats" des Coasters puis l'adaptation "nouvelle vague" d'Anthony).
- En 1963, Sheila incarne à 16 ans la "petite fille sage de Français moyen". Elle s'impose très vite grâce à une série impressionnante de succès aux paroles d'une crétinerie rare. On lui doit aussi la mode des couettes crêpées ou gonflées qu'adoptent ses auditrices par mimétisme.
- Françoise Hardy, la troisième yéyé girl, a l'image d'une fille sage et mélancolique. Ses chansons distillent un spleen romantique qui lui vaut le surnom peu amène d'"endive du twist" (par Philippe Bouvard).
- Le bondissant Claude François, adepte du shout, se spécialise dans les reprises de succès de la Motown auxquels il réserve un traitement de choc, pas toujours du meilleur goût. Virevoltant, il s'impose néanmoins comme un véritable showman.
…
Tous contribuent au triomphe de cette musique de jeune, pour les jeunes, dont sont exclus les parents. Ces derniers assistent pantois à l'essor de danses, importées elles aussi des Etats-Unis. Le twist (avant le jerk, le hully-gully, le madison...) déferle sur l'hexagone à partir de 1960 et modifie le rapport à la danse dans la mesure où il s'agit d'une danse individuelle, très facile à maîtriser. Elle contribue à la libération des corps, plus qu'à la libération sexuelle. Comment comprendre sinon le scandale provoqué par "l'amour avec moi" de Polnareff en 1966? En comparaison des bluettes innocentes qui dominent la production yéyé, le morceau peut-être considéré comme obscène...
Les musiques et danses juvéniles sont le moyen d'échapper au carcan familial. Les jeunes se réunissent, loin du regard des "croulants", dans des surprises parties, lieu des premiers flirts où le pschitt orange coule à flot. Ces boums offrent aux adolescents un espace d'autonomie et de libertés, hors du regard des adultes.
Des castings et télé-crochets censés repérer les futurs talents se multiplient. Le triomphe des idoles impose progressivement le jeunisme et laisse accroire à une prise de pouvoir par la jeunesse.
A partir du milieu de la décennie 1960, le yéyé décline au profit des musiques pop anglo-saxonnes (Beatles et Rolling Stones). Salut Les Copains, concurrencée par les autres radios, disparaît dans l'indifférence générale en avril 1969. L'émission a sans doute contribué, plus qu'aucun autre média, à l'homogénéisation de la jeunesse française des années soixante. Cette dernière n'en reste pas moins très diverse. Sur le plan musical, les clivages ne manquent pas et "le phénomène copain" ne doit pas faire oublier que beaucoup de jeunes n'écoutent pas cette musique. Les amateurs de rock pionnier snobent les yéyé en qui ils ne voient que de pâles imitateurs des vedettes anglo-saxonnes. Et si, en France, n'existent pas d'antagonismes comparables à ceux qui opposent mods, rockers et teddy boys britanniques, on constate néanmoins une segmentation croissante de la scène rock, bientôt fragmentée en une multitude de sous-genres musicaux.
Les chanteurs yéyé en voie de respectabilisation sont également ringardisés par de nouveaux venus aux paroles bien plus sarcastiques que les gentilles romances des idoles (Les élucubrations d'Antoine, par exemple).
Surtout les fans du début de la décennie ont grandi et leurs centres d'intérêt évolués. D'aucuns mènent des études supérieures et aspirent "la brise contestataire (...) en train de se lever sur la culture juvénile française." [Sirinelli]
Dans le sillage de la guerre du Vietnam, la contestation et l'engagement d'une partie de la jeunesse sont ainsi perceptibles bien avant 1968. Le conflit joue en effet un rôle crucial dans "l'irrigation politique" de la partie engagée des baby boomers, dans le cadre notamment des comités Vietnam qui se forment alors et font office de nouveaux cadres d'apprentissage politique, en marge des partis politiques établis.
Pour Sirinelli (voir sources), Mai 68 apparaît davantage "comme un révélateur, un catalyseur et un accélérateur, que comme un événement fondateur. Révélateur de cette distorsion croissante entre un système d'autorité et de valeurs hérité d'une société en partie abolie, et cette France en pleine métamorphose."
Pour évoquer le yéyé, nous avons choisi ce grand succès de Johnny, une adaptation,comme l'immense majorité de ses chansons des années soixante, du Teenage idol de Ricky Nelson. Le scopitone ci-dessus met en scène la vie d'une idole en utilisant des photographies issues pour partie du magazine Salut les Copains. Ancêtres des clips vidéo, les scopitones se répandent dans les cafés au début des années 1960 et mettent en image les chansons des idoles. L'essor de la télévision précipite leur déclin rapide.
Sources:
* Ludivine Bantigny, Ivan Jablonka:"Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France XIXè-XXè siècle", PUF, 2009. Deux chapitres en particuliers:
-Sébastien Le Pajolec:"Le cinéma et les yéyés: un rendez-vous manqué?"
- Florence Tamagne: "'C'mon everybody' Rock'n'roll et identités juvéniles en France (1956-1966)".
* Alain Dister: "L'Age du rock", Découvertes Gallimard, n°160, 1992.
* Pascale Goetschel: "Histoire culturelle de la France au XXè siècle", la Documentation Photographique n°8077, septembre-octobre 2010.
* Yé Yé révolution 1962-1966. Documentaire diffusé sur Arte.
- Jean-François Sirinelli: "Génération 68", L'histoire n°274, mars 2003.
Liens:
- "Teppaz and co. Le site des années 60"
- Extraits de Paris Match et Salut les Copains dans les jours qui suivent la folle nuit de la Nation.
- "Il a été le premier des yéyés".