mercredi 18 janvier 2023

"El dorado" d'Hugo TSR ou la France des illusions perdues.

Dans le morceau "Eldorado", Hugo TSR dresse le portrait acerbe d'une France ingrate. Il y fustige les double-discours  et la trahison de valeurs et de principes sans cesse portées au pinacle par le "pays des droits de l'homme". Les paroles s'emploient à donner une lecture critique de son histoire, reflet de ses ambiguïtés et renoncements. 

Ricola67, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
 

Hugo TSR place l'origine du déclin de la France à la seconde guerre mondiale. La débâcle subie par une armée prétendument invincible plonge le pays dans un état de sidération dont saura profiter le "héros de Verdun" pour imposer l’État français, un régime autoritaire et  antisémite. Dès lors, de 1940 à 1944, "Hitler et Pétain marchent côte à côte". Le rappeur dresse un constat amer: "depuis rien n’a changé, peu d’résistants et beaucoup d’collabos".

La France libérée est enfin débarrassée de l'occupant. L'heure est à la reconstruction. La tâche à abattre semble immense, car "tout est détruit". "Quand il a fallu construire", et compte tenu du manque de main d’œuvre, "on a appelé l'immigration". Or, loin de fournir des conditions d'existence et de travail décentes aux travailleurs immigrés, ces derniers furent parqués dans une "nouvelle génération d'ghettos". Selon le rappeur, cette logique ségrégative était approuvée par une large frange raciste de la population française. "Foutez les moi là-bas, d’façons ils puent, la plupart sont gués-dro / C’est c’que pense tout bas beaucoup d’toubabs à cette époque / Donc tout-part en Europe, si t’es pas tout pâle, on t’écoute pas", vitupère Hugo TSR. Dans la décennie qui suit la fin de la Seconde guerre mondiale, les conditions de logements sont très difficiles pour tous les Français, mais les immigrés fraîchement arrivés, en souffrent tout particulièrement. Ils se concentrent dans des rues à garnis, des bidonvilles situés dans les centres anciens ou les vieux faubourgs ouvriers.

Le refrain dénonce l'emprise de la police sur le pays, mais aussi la désillusion ressentie par ceux qui voyaient dans le pays un Eldorado. Or, "la liberté c’était qu’un joli rêve". La déception ne peut qu'être immense pour ceux qui ont pris tous les risques pour rejoindre l'hexagone, comme s'accrocher au "train d’atterrissage" d'un avion." "Mais, une fois les pieds sur terre ils savent" qu'il n'auront rien à espérer. "Bienvenue en France: Terre d'asile psychiatrique", ironise le rappeur par un clin d’œil à l'association France Terre d'Asile, chargée d'aider les migrants.

Le processus de décolonisation et la fin de l'Empire se font dans la violence. Au cours de la guerre d'Algérie, l'armée pratique la torture. L'extrême-droite, nostalgique du "bon temps des colonies", s'illustre tout particulièrement. "Le Pen au garde à vous". Pendant ce temps là, "Aznavour parle d’amour". Une partie de la population française préfère détourner le regard de ce que les autorités nomment "les événements d'Algérie". Pourtant, les conséquences du conflit ont de nombreuses répercussions dans l'hexagone. "C’était la mode des arabes dans la Seine". Le 17 octobre 1961, la manifestation pacifique d'Algériens à l'appel du FLN se solde par un massacre. Les policiers, armés de leurs bidules frappent à tout va et jettent les corps inertes dans la Seine. 
Les conditions de logement des ouvriers immigrés ne s'améliorent guère. Entassés, ils occupent " des cages à poules", relégués dans des "cités dortoirs" sous équipées et enclavées. Le processus de ségrégation spatiale est encore accusé par la xénophobie ambiante. "Les étrangères : on les aime sous la table ou des bananes autour d’la taille". Selon Hugo TSR, le racisme vise particulièrement les femmes que l'on qualifierait aujourd'hui de racisées et dont les médias hexagonaux exotisent ou érotisent les corps. Le rappeur pourfend ici la prétendue lascivité attribuée à ces femmes. Il évoque également, sans la nommer, Joséphine Baker. Dans les années 1920, l'Afro-américaine triomphe dans la Revue nègre en arborant une ceinture de bananes autour des hanches. 

Le choc pétrolier et la crise économique mettent un terme à l'immigration de travail. Les entrées au titre du regroupement familial prennent le dessus. Aussi, "Les immigrés qu’on mettait à part ont eu des gosses". Dans les médias, la figure traditionnelle du vieux travailleur immigré censé retourner au pays à la retraite, cède la place à ses enfants, nés ici et décidés à y rester. Français par le droit du sol, ils n'en éprouvent pas moins le sentiment d'être des citoyens de seconde zone, sans cesse discriminés en raison de l'origine de leurs parents. "Problème identitaire, le cul entre deux chaises, c’est c’que les potos vivent / Ni complètement français, ni étrangers, des genres de prototypes".

Le dernier couplet s'intéresse à l'absence de perspectives pour cette jeunesse en déshérence. Pour ces enfants, l'ascenseur social reste bloqué au rez-de-chaussée. L'école n'offre aucun espoir, d'autant que "réussir en ZEP, c’est mille fois plus d’efforts". Le rappeur reproche en outre aux programmes d'histoire de faire le silence sur ses pages les plus sombres. "Pas une seule ligne sur l’esclavage". Dans ces conditions, "normal qu’ils enculent l’école". (1)

Ceux qui "voient leurs darons se casser l’dos pour un SMIC" refusent l'exploitation économique promise par un système créateur d'inégalités sociales abyssales. A leur arrivée en France, les immigrés occupent la plupart du temps des métiers difficiles, mal payés et peu valorisés. Les "parents à l’usine", leur enfant refuse de suivre cette voie toute tracée. "Il voit où sont les liasses, il prend son premier kilo d’afghan". Les mirages de l'argent facile incitent certains à vendre des produits stupéfiants et tombent dans un piège. Le rappeur décrit ainsi une sorte d'engrenage, conduisant de la "bicrave à la sortie des halles" au "premier serrage", puis au bouclage. Dès lors, "même après sa sortie, il s’ra toute sa vie attaché / c’est foutu, plus l’droit d’taffer, casier taché, une vie quasi gâchée". En vertu d'une sorte de loi d'airain, le contexte social conduirait les enfants de parents immigrés dans une sorte d'impasse. 


Pour conclure, laissons le mot de la fin à Hugo TSR qui revient sur la genèse du morceau: "J’ai fait un son qui explique en quelque sorte ce qui peut se passer dans la tête d’un jeune aujourd’hui par rapport à l’Histoire de France: la Guerre Mondiale, les Trente Glorieuses, l’immigration qui a reconstruit le pays puis la place des enfants d’immigrés et leur sort. C’était l’époque du débat soulevé par Zemmour, on se posait beaucoup de questions sur l’immigration. En fait ce morceau est une manière de justifier que c’est pas dans les gênes mais c’est l’histoire du pays qui fait que la jeunesse issue de l’immigration peut avoir des raisons d’être énervée contre le pays. C’est pour aller plus loin que «Nique la police». Je voulais expliquer ce qu’il y a derrière, ce ne sont pas que des crises d’adolescence."

Note:

1. Au collège, les programmes de 2008 prévoient un chapitre sur l'histoire de la traite et de l'esclavage à l'époque moderne en classe de 4ème.

 Sources:

- Page Genius consacrée au morceau.

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