Au lendemain de la Première Guerre mondiale, avec la victoire du Bloc National, la France se dote d'une majorité très conservatrice (en 1919). Cette "Chambre bleu horizon" a une obsession nataliste. Il s'agit de repeupler le pays après l'hécatombe de la grande guerre. Pour les parlementaires, cette mission incombe aux femmes, qui doivent se montrer à la hauteur des sacrifices consentis par les hommes au cours du conflit, au cours duquel ils n'ont pas hésité à verser l'impôt du sang.
Cette chambre vote ainsi en 1920 une loi réprimant « la provocation à l'avortement et à la propagande anticonceptuelle ». Elle assimile la contraception à l’avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite.
Avec la loi de 1920, la femme qui avorte est passible des Assises puisque l'avortement est assimilé à un crime. Or, paradoxalement, les inculpées bénéficient souvent de l'indulgence des jurés qui acquittent dans 80% des cas. C'est la raison pour laquelle, les pouvoirs publics correctionnalisent l'avortement par la loi du 23 mars 1923, dans l'espoir que les juges professionnels soient plus sévères. De fait, entre 1925 et 1935, les acquittements tombent à 19% des affaires.
Cependant, la répression de l'avortement est une goutte d'eau par rapport aux avortements réalisés (supérieur à 100 000 par an d'après les spécialistes. Or, entre 1925 et 1932, on recense 400 à 500 poursuites par an).
Or, cette politique s'avérera d'une grande inefficacité, puisque la baisse de la natalité, déjà amorcée en 1870 et en 1920, se prolonge jusqu’en 1941. Le taux de natalité atteint son point le plus bas au cours des années 1930. Comment l'expliquer? La pratique du coït interrompu reste très usitée. Par ailleurs, le préservatif, reste autorisé, car il permet de se protéger des maladies vénériennes. Surtout, ces mesures obligent des milliers de femmes à avorter clandestinement dans des conditions sanitaires déplorables. Ces lois contribuent avant tout à l'ignorance en matière sexuelle.
Affiche de propagande. La petite fille apprend sa future "mission".Durant toute l'entre-deux-guerre, c'est le modèle de la femme au foyer qui domine, alors même que la part des femmes actives augmente. Rappelons également que dans ces mêmes années apparaît aussi le modèle de la "garçonne" des "années folles", une femme libérée, aux robes et cheveux courts, qui vit de manière indépendante. Le conservatisme, l'influence de l'Eglise, empêche toute évolution significative au cours des années 1920. D'ailleurs, même le Front populaire, malgré l'hostilité déclarée des radicaux et des socialistes à ces lois, n'ose pas abolir cette législation rétrograde.
La loi de 1939, qui promulgue le Code de la famille, renforce la répression. Avec la capitulation de 1940, la propagande exalte plus que jamais les femmes au foyer, qui s'épanouissent dans leur rôle de mères. La famille devient l'institution clef du régime et la répartition des rôle en son sein ne souffre aucune exception. Le père détient l'autorité et s'exprime dans le travail, tandis que la mère reste la gardienne du foyer. Elle s'épanouit dans la maternité et dispense son amour à sa progéniture. Dans ces conditions, tout ce qui éloignerait les femmes de la maternité doit être réprimé. L'avortement est qualifié de "nuisible au peuple français" et la loi du 15 février 1942 punit très sévèrement ceux qui aident les femmes à avorter (l'avortement devient crime d'Etat). Des sections spéciales de policiers sont créées. Les tentatives sont punies comme les avortements. Pour l’exemple, une avorteuse est condamnée à mort et guillotinée en juillet 1943. Plus de 15 000 condamnations à des peines diverses sont prononcées jusqu’à la Libération.
Propagande nataliste, sous le régime de Vichy.
Le préambule de la Constitution de 1946 pose le principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes dans tous les domaines. Mais, il s'agit avant tout d'une déclaration d'intention. Il faut attendre la seconde moitié des années cinquante pour voir la situtation évoluer véritablement.
Le dr Marie-Andrée Lagroua Weill Hallé, la fondatrice de l'association "Maternité heureuse", bientôt rebaptisé Planning familial (photo AFP).
En 1956, quelques médecins, journalistes et femmes d’origine bourgeoise, médiatisent la question des grossesses non désirées. En 1956, un groupe de femmes fonde l'association La Maternité heureuse autour de Marie-Andrée Weil-Hallé. L’objectif est de diffuser la contraception en fournissant aux femmes les moyens d'espacer des naissances en fournissant des diaphragmes importés clandestinement de Suisse, d'Angleterre. L'association entend aussi faire modifier la loi de 1920. En 1960 l'Assemblée générale de l'association ajoute à "Maternité Heureuse", le sous titre "Mouvement français pour le Planning Familial ".
L'année suivante, les premiers centres d'accueil s'ouvrent à la population, en toute illégalité (jusqu'en 1967). Les membres du Planning familial fournissent une oreille attentive à toutes les femmes qui le souhaitent. Elles mesurent à cette occasion le poids de l'ignorance et du silence sur les comportements sexuels des hommes et des femmes, aggravés par la loi de 1920. De haute lutte, le MFPF parvient à s'imposer comme un acteur essentiel (en 1971 il est agréé comme mouvement d'éducation populaire). Le MFPF entend donc mieux renseigner les femmes afin que celles-ci puissent maîtriser leur propre corps.
Cette action connaît des réticences : l'Église catholique, les communistes (M. Thorez lance: « Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient-elles le droit d'accéder aux vices de la bourgeoisie ? »), l’académie de médecine, entre autres, freinent au maximum un mouvement pourtant inéluctable.
Il faut dire que depuis 1956, après des dizaines d'années de recherches et d'expérimentations, les scientifiques américains Gregory Pincus et John Rock ont mis au point une formule efficace pour empêcher l'ovulation chez la femme. La pilule est commercialisée aux Etats-Unis le 23 juin 1960. Or, en France, il faudra encore attendre sept ans, avec la loi Neuwirth, pour les petits comprimés à avaler soient légalisés.
Lucien Neuwirth défend son texte à l'Assemblée (photo AFP): "L'heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle et due souvent au seul hasard à une maternité consciente et pleinement responsable". Il y rencontre de très nombreuses résitances dans son camps. Jean Couramos, député de la Moselle, affirme péremptoire: "Les maris ont-ils songé que désormais c'est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d'avoir ou de ne pas avoir d'enfants en absorbant la pilule, même à leur insu ? Les hommes perdront alors la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus qu'un objet de volupté stérile."
Lucien Neuwirth, un ancien résistant et membre de l'UDR, le parti gaulliste, défend le texte à l'Assemblée. Il parvient à arracher l'appui du Général de Gaulle, qui s'était dans un premier temps opposé à toute légalisation ( en opposition avec François Mittterrand sur ce point lors des élections présidentielles de 1965). Neuwirth se charge alors de convaincre le président lors d'un entretien en 1965. Il raconte:"Pendant quarante minutes, alors que je m'efforçais d'argumenter sur l'enfant désiré et l'enfant non désiré, il n'a pas dit un mot, raconte l'ancien député. Puis, après avoir longuement réfléchi, il me dit : "C'est vrai, transmettre la vie, c'est important, il faut que ce soit un acte lucide. Continuez.""
L'adoption de la loi Neuwirth ne décrispe pourtant pas la situation au sein de la majorité présidentielle et Neuwirth trouvera ses soutiens les plus actifs dans l'opposition. Et il faudra attendre 1973, soit cinq ans après le vote de la loi pour que les décrets d'application paraissent enfin au Journal Officiel! En 1974, la contraception est remboursée par la sécurité sociale comme un autre acte médical.
Dans de nombreux milieux, les réticences et les résistances restent vives et la pleine et entière maîtrise de leur corps pour les femmes ne sera vraiment gagnée qu'avec la loi Veil qui abolit, en 1975, les poursuites judiciaires contre les avorteuses et les femmes qui avortent. Les débats seront alors particulièrement violents au sein de la société française, notamment au Palais Bourbon. Mais cela est une autre histoire sur laquelle nous nous pencherons très bientôt.
Pour conclure, laissons la parole à Thierry Blöss et Alain Frickey qui rappellent dans leur synthèse (voir sources): "L'ensemble de ces mesures ont été prises dans un laps de temps relativement court, à l'échelle de l'histoire. Elles témoignent d'un processus de libéralisation récent du statut des femmes, c'est-à-dire de leur émancipation par rapport aux tâches domestiques dans lesquelles elles ont été confinées pendant des siècles. Ces mesures n'ont en fait été rendues possibles qu'à partir du moment où les femmes sont devenues "majeures" sur le plan civique, "éclairées sur le plan de l'instruction et plus visibles sur le marché du travail, c'est-à-dire plus autonomes par rapport aux formes familiales d'activités. Elles ont pu ainsi prendre une certaine distance vis-à-vis des rôles conjugaux et maternels qui ont longtemps entièrement prédéfini leur identité sociale."
Antoine, lorsqu'il se lance dans la chanson au cours des années 1960, fait aussitôt figure d'électron libre. Alors que les chanteurs yé-yé, si populaire, chantent des airs inoffensifs, lui, préfère peindre avec ironie et humour la société qui l'entoure. Son titre le plus célèbre, les "élucubractions", illustre ainsi à merveille le fossé générationnel qui se creuse entre les baby-boomers devenus adolescents et leurs parents.
Accompagné de son groupe les Problèmes (futurs Charlots), le chanteur suscite la controverse. Certains lui reprochent sa longue chevelure, les thèmes de ses chansons qui se rapprochent de ceux des hippies aux Etats-Unis (il entonne par exemple "un éléphant me regarde" en référence à la consommation de substances psychotropes) et ses paroles provocantes. Ses "élucubrations" s'en prennent ainsi à quelques icônes nationales telles qu'Yvette Horner ou encore Johnny Haliday (il suggère qu'on le mette en cage au cirque Medrano).
Pourtant, très vite, il abandonne ses provocations et compose des bluettes sans intérêt. Depuis, il navigue sur les mers du Sud et vante les mérites d'une marque de lunettes, comme son ancien rival, précédemment cité.
Ici (nous sommes en 1966), Antoine nous narre une histoire sinistre, celle d'une mère de famille contrainte d'enchaîner les grossesses forcées. Pour Antoine, cela ne fait aucun doute, la responsable, c'est cette scélérate loi de 1920. Pour échapper à la misère, cette mère se suicide avec sa nombreuse progéniture.
Antoine: "LA LOI DE 1920". (1966)
Elle habite avec ses 9 enfants
Deux pièces ce n'est pas même un appartement
Le mari on ne le voit pas souvent
Et pourtant
On leur a appris à fonder une famille
Faire autrement leur serait difficile
Au mariage c'était le seul but dans la vie
Et pourtant
Chaque année un autre enfant naissait
Comment auraient-ils pu l'éviter
Il y a 365 nuits dans une année
Et pourtant
L'aîné aura peut-être quelque instruction
Pour les autres il n'en est pas question
Manger ça ne leur arrive pas souvent
Et pourtant
Il y a longtemps que leur taudis est classé
Assise folle elle s'est mise à penser
Elle n'en peut plus, ça ne peut plus durer
Et pourtant
Dans un coin il y a un fourneau
L'évier est mort, on leur a coupé l'eau
Elle s'approche du feu la folie sur la peau
Et pourtant
Il suffit de tourner un robinet
Ça me tremble, les enfants dorment à coté
Ils ne se sont plus jamais réveillés
Et pourtant
On aurait dû penser pourtant
On aurait pu penser pourtant
Penser à revoir enfin la loi de 1920
Sources:
- A.-M. Sohn: "Entre-deux-guerre: les rôles féminins en France et en Angleterre", dans G. Duby, M. Perrot (dir.): "histoire des femmes en Occident" (vol.V), pp187-189.
- Thierry Blöss et Alain Frickey: "La femme dans la société française", coll. Que sais-je?, PUF, 1996, pp39-42.
- Article de P. Roger: "Les hommes perdront la fière conscience de leur virilité féconde", dans Le Monde du 28 décembre 2007.
Liens:
- Des ressources intéressantes sur le site l'Histoire par l'image: "dénatalité".
4 commentaires:
Petite erreur au début des paroles :
"Elle habite avec ses 9 enfants
DEUX PIECES ce n'est pas même un appartement"
Attention, les liens ne sont pas à jour.
Merci cher inconnu. Je viens de mettre à jour.
J.B.
Je viens de découvrir ce blog par hasard. .. je vais m'y plaire. Un grand bravo à tous les enseignants et participants pour ce formidable travail.
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