Le drapeau rouge flotte sur Berlin (mai 1945).
Avec la révolution d'octobre 1917 et l'accession au pouvoir des bolcheviques, toute les références au tsarisme furent balayées. L'hymne tsariste "Dieu protège le tsar" fut ainsi abrogé en 1918 et remplacé par l'Internationale (ses paroles sont tirées d'un poème qu'Eugène Pottier écrit au lendemain de la répression de la Commune de Paris, en juin 1871), nouvel hymne du communisme mondial.
Jusqu'en 1944, l'hymne soviétique restera l'Internationale. Cependant, depuis l'année précédente, donc en pleine guerre contre le nazisme, Staline avait décidé de doter le pays d'un nouvel hymne. Cette décision s'inscrit dans l'exaltation patriotique d'alors, le "petit père des peuples" ayant joué à fond cette carte afin de remobiliser les Soviétiques malmenés au cours des premiers mois du conflit. Staline convoqua donc au Kremlin poètes et musiciens officiels. Après avoir rejeté 27 textes et plusieurs mélodies, il choisit une musique d'Alexandre Alexandrov (qui est aussi le fondateur des choeurs de l'Armée rouge). Pour les paroles, il retint un texte du poète officiel de l'époque Sergueï Mikhalkov. Ce dernier y loue les mérites de Lénine et surtout des Staline, puis il évoque également la grande guerre patriotique que l'URSS livre alors à la Wehrmacht: "Notre armée est sortie renforcée des combats / Nous libérerons notre pays de ses vils envahisseurs !".
Les trois auteurs de l'hymne soviétique (de gauche à droite: G. El'-Registan, A. Aleksandrov, S. Mikhalkov).
Lorsque Khrouchtchev, à la suite du XXè congrès du PCUS, engage le processus de destalinisation, les paroles initiales de l'hymne ne peuvent plus convenir puisqu'elles exaltaient la figure du dirigeant soviétique précédent. Désormais, les paroles de l'hymne ne sont plus censées être chantées. Dans les faits, et en l'absence de paroles de remplacement, les paroles de 1944 étaient souvent utilisées. Aussi, en 1977, les autorités demandèrent à Sergueï Mikhalkov de les modifier. Les références à Staline furent bannies ("Staline nous a éduqués .... nous à inspirés") et remplacées par un hommage à Lénine ("Et le grand Lénine a éclairé notre voie : / Il a élevé le peuple pour la juste cause, / Et nous a inspiré le travail et les exploits !"). D'autre part, les passages faisant référence à la seconde guerre mondiale, jugés obsolètes, furent eux aussi supprimés.
En 2000, neuf ans après l'explosion de l'URSS, la musique d'Alexandrov fut recyclée une nouvelle fois afin de créer l’hymne national de la Russie. Quant aux nouvelles paroles, elles furent confiées à ... Sergueï Mikhalkov. Elles furent bien sûr expurgées de toute référence à l'Union Soviétique (remplacée par la "Russie éternelle"), tandis que Lénine dut céder sa place à Dieu lui-même ("Tu [la Russie] es seule sur la terre! Tu es unique! / Terre natale gardée par Dieu.")!
Vladimir Poutine admirait particulièrement Mikhalkov. Il le récompense d'une médaille en 2003 (une de plus. Ses vestes devaient peser lourd).
On le voit, de Staline à Poutine, Sergueï Mikhalkov est resté en odeur de sainteté (si j'ose dire), ce qui relève de l'exploit dans un régime où les purges firent tant de victimes. Mikhalkov naquit à Moscou en 1913, alors que les Romanov continuaient de diriger l'Empire russe. Il a quatre ans au moment où éclate la révolution bolchevique. Issue d'une famille noble, il cache ses origines et devient employé au courrier des lecteurs du quotidien Izvestia. Il se fait remarquer en 1935 grâce à une nouvelle pour enfants extrêment populaire.
En 1936, alors que les terribles purges s'abattent sur le pays et que les procès de Moscou s'ouvrent, Mikhalkov accède à la gloire. Son poème Svetlana est publié dans la Pravda et séduit Staline, qui s'essaye lui-même à la poésie à ses heures perdues. Le nom du poème lui a sûrement rappelée sa fille qui s'appelle aussi Svetlana. Désormais, tout s'enchaîne pour Mikhalkov. En 1937, il intègre l'Union des écrivains, sorte de ministère de la littérature (en tout cas ce que les dirigeants soviétiques considèrent comme telle). Serviteur servile du régime et thuriféraire inlassable de Staline, les décorations pleuvent sur Mikhalkov.
Les canons esthétiques imposés par Jdanov ne posent aucun problème au poète officiel qui se découvre une nouvelle spécialité: la dénonciation et le dénigrement des écrivains dissidents. Par exemple, en 1958, quand l'écrivain Boris Pasternak reçoit le prix Nobel de littérature pour le Docteur Jivago, Mikhalkov le voue aux gémonies et le lynche dans les journaux du régime. Exclu de l'Union des écrivains, Pasternak est désormais considéré comme un "antipatriote". L'attribution du Nobel à Soljenitsyne en 1970 provoquera une fois encore l'ire de Mikhalkov.
Drapeau russe sur fond de Volga.
Mikhalkov revenait sur son existence dans une interview accordée en 2000 au magazine Faits et commentaires, il y affirmait: "Mon destin est heureux. J'ai traversé toutes les étapes de notre patrie. Contrairement à d'autres écrivains, j'ai échappé aux purges. J'ai vécu la grande guerre patriotique sans avoir été ni blessé ni prisonnier". Et lorsqu'un peu plus loin, la journaliste lui demande quel dirigeant communiste était le plus intéressant, il répond tout de go: "Staline"! Mikhalkov est mort le jeudi 27 août 2009, à 96 ans. Laissant derrière lui deux fils, tous deux cinéastes de renom, Andreï et Nikita.
Ci-dessous la version originelle de l'hymne, celle de 1944.
Союз нерушимый республик свободных
Сплотила навеки Великая Русь.
Да здравствует созданный волей народов
Единый, могучий Советский Союз!
Славься, Отечество наше свободное,
Дружбы народов надёжный оплот!
Знамя советское, знамя народное
Пусть от победы к победе ведёт!
Сквозь грозы сияло нам солнце свободы,
И Ленин великий нам путь озарил:
Нас вырастил Сталин — на верность народу,
На труд и на подвиги нас вдохновил!
Мы армию нашу растили в сраженьях.
Захватчиков подлых с дороги сметём!
Мы в битвах решаем судьбу поколений,
Мы к славе Отчизну свою поведём!
-----------------------------------------
L'Union indestructible des républiques libres
A été réunie pour toujours par la Grande Russie.
Que vive, fruit de la volonté des peuples,
L'unie, la puissante, Union Soviétique !
Sois glorieuse, notre libre Patrie,
Sûr rempart de l'amitié des peuples !
Étendard soviétique, étendard populaire,
Conduis-nous de victoire en victoire !
À travers les orages rayonnait le soleil de la liberté,
Et le grand Lénine a éclairé notre voie :
Staline nous a éduqués — il nous a inspiré
la foi dans le peuple, l'effort et les exploits !
Notre armée est sortie renforcée des combats
Nous libérerons notre pays de ses vils envahisseurs !
Nos batailles décideront de l'avenir du peuple,
Nous couvrirons notre pays de gloire !
_________________
La version remaniée en 1977 (les références à Staline et à la seconde guerre mondiale sont supprimées).
Союз нерушимый республик свободных
Сплотила навеки Великая Русь.
Да здравствует созданный волей народов,
Единый, могучий Советский Союз!
Славься, Отечество наше свободное,
Дружбы народов надёжный оплот!
Партия Ленина — сила народная,
Нас к торжеству коммунизма ведёт!
Сквозь грозы сияло нам солнце свободы,
И Ленин великий нам путь озарил:
На правое дело он поднял народы,
На труд и на подвиги нас вдохновил!
В победе бессмертных идей коммунизма
Мы видим грядущее нашей страны.
И Красному знамени славной Отчизны
Мы будем всегда беззаветно верны.
-----------------------------------
L'Union indestructible des républiques libres
A été réunie pour toujours par la Grande Russie.
Que vive, fruit de la volonté des peuples,
L'unie, la puissante, Union Soviétique !
Sois glorieuse, notre libre Patrie,
Sûr rempart de l'amitié des peuples !
Le parti de Lénine, force du peuple,
Nous conduit au triomphe du communisme !
À travers les orages rayonnait le soleil de la liberté,
Et le grand Lénine a éclairé notre voie :
Il a élevé le peuple pour la juste cause,
Et nous a inspiré le travail et les exploits !
En la victoire des idées immortelles du communisme
Nous voyons l'avenir de notre pays.
Et à l'étendard rouge de notre glorieuse Patrie,
Nous serons toujours infailliblement fidèles.
_______________________
L'hymne national russe (2000).
Россия — священная наша держава,
Россия — любимая наша страна.
Могучая воля, великая слава —
Твоё достоянье на все времена!
Славься, Отечество наше свободное,
Братских народов союз вековой,
Предками данная мудрость народная!
Славься, страна! Мы гордимся тобой!
От южных морей до полярного края
Раскинулись наши леса и поля.
Одна ты на свете! Одна ты такая —
Хранимая Богом родная земля!
Широкий простор для мечты и для жизни
Грядущие нам открывают года.
Нам силу даёт наша верность Отчизне.
Так было, так есть и так будет всегда!
-------------------------
Russie, notre puissance sacrée,
Russie, notre pays bien-aimé.
Forte volonté, grande gloire
Sont ton héritage à jamais !
Sois glorieuse, notre libre Patrie,
Alliance éternelle de peuples frères !
Sagesse de nos ancêtres !
Sois glorieux, notre pays ! Nous sommes fiers de toi !
Des mers du sud au cercle polaire
S'épanouissent nos forêts et nos champs.
Tu es seule sur la terre! Tu es unique!
Terre natale gardée par Dieu.
Espaces étendus pour les rêves et la vie
Nous ouvrent l'avenir.
Notre fidélité à la Patrie nous rend forts.
Ce fut ainsi, c'est ainsi, et ce sera toujours ainsi!
Sources:
-La nécrologie que le Monde a consacré à Sergueï Mikhlakov, le 2 septembre 2009.
- L'article de Wikipédia sur l'hymne soviétique.
Liens:
- Un article en anglis sur l'histoire de l'hymne soviétique.
- Le musée des hymnes russes.
- Ce site propose une foule de versions de l'Internationale (des choeurs de l'Armée rouge en passant par une version rap de Monsieur R!).
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1 commentaire:
Tout change parce que rien ne change...
Merci pour cet éclairage. Je ne savais pas que Mikhalkov était le père des deux cinéastes.
E.A.
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