Il y a déjà plusieurs semaines, la Une de Télérama titrait « Féministe parce qu’il le faut bien ! », l’illustration sur fond jaune montrait une ouvrière montrant ses muscles (ou esquissant un bras d'honneur ?), un foulard rouge sur la tête et du rouge sur ses lèvres. Cette image reprenait une affiche de propagande de Miller datant de 1942, intitulée elle-même We can Do it ! Cette femme était l’une des représentations les plus marquantes de la mobilisation des femmes américaines durant la 2nde GM, une certaine Rosie surnommée la riveteuse !
Les Etats-Unis en guerre
Depuis décembre 1941, les EU sont en guerre et mobilisent toutes leurs forces pour le combat. L’armée, bien sûr, l’industrie militaire mais aussi les populations. Les hommes partis sur le front (près de 16 millions de mobilisés), la propagande en appelle aux femmes afin qu’elles quittent leur foyer et compensent le manque de main d’œuvre dans les différents secteurs de l’industrie.
L’Oncle Sam en appelle également à l’impressionnante industrie des loisirs américaine pour mobiliser la population et stigmatiser les nouveaux ennemis (les Japonais mais aussi les Allemands). Il ne faut pas plus de dix jours pour que a première chanson donne le ton : Remember Pearl Harbor de Sammy Kaye un véritable appel à la vengeance et dès janvier 42, elle est 3ème au Hit-Parade.
Une avalanche de titres arrivent sur les chaînes de radio, tous plus violents (et aux accents vengeurs) les uns que les autres. Les musiciens noirs (Lester Young ou Count Basie par exemple) ne sont pas en reste et proposent aussi des titres avec le même esprit. .
On connaît aussi bien sûr les dessins animés qui n’ont pas échappé aux excès du patriotisme ambiant, Betty Boop, Mickey, Dingo et autres bestioles de Disney ainsi que les Tex Avery.
Convaincre la société de la nécessité de mettre les femmes à l’usine
Ce qui était inenvisageable avant guerre, l’est avec le conflit. Près de 6 millions de femmes sont appelées à travailler. La propagande doit aider à convaincre les dernières réticences des Américains les plus conservateurs.
Pour incarner cette nouvelle femme, le Quartet, les Four Vagabonds interprète la chanson Rosie the Riveter écrite en 1942 par Redd Evans et John Jacob Loeb. Ce Quartet vocal très en vogue à l’époque nous propose une chanson légère qui met en scène une jeune femme travaillant à l’usine s’appelant Rosie. Elle assemble des fuselages de l'avion Boeing B-19 alors que son boy-friend est au front. Elle incarne ainsi le nouvel idéal féminin durant la guerre : cette jeune femme abandonne les futilités et les plaisirs de la vie pour participer à l’effort de guerre tout en surveillant les éventuels saboteurs. En effet, après le 7 décembre 1941, les Etats-Unis se réveillent avec de nouveaux ennemis, la suspicion et la paranoïa à l’égard de certains américains (d’origine allemande ou pire japonaise) devient le nouveau sport national.
All the day long, whether rain or shine
She's a part of the assembly line
She's making history, working for victory
Rosie, brrrrrrrrrrr, the riveter
Keeps a sharp lookout for sabotage
Sitting up there on the fuselage
That little frail can do more than a male can do
Rosie, brrrrrrrrrrr, the riveter
Rosie's got a boyfriend, Charlie
Charlie, he's a Marine
Rosie is protecting Charlie
Workin' overtime on the riveting machine
When they gave her a production 'E'
She was as proud as a girl could be
There's something true about, red, white, and blue about
Rosie, brrrrrrrrrrr, the riveter
Doo-doo-doo-doo
Ev'ryone stops to admire the scene
Rosie at work on the P-19
She's never twittery, nervous or jittery
(FEMALE VOICE: I'm Rosie, hm-hm-hm-hmm, the riveter)
What if she's smeared full of oil and grease
Doin' her bit for the old lend-lease
She keeps the gang around, they love to hang around
Rosie (Hm-hm-hm-hm, that's me, the riveter)
Rosie buys a lot of War Bonds
That girl really has sense
Wishes she could purchase more Bonds
Putting all her extra cash in National Defense
Oh, when they gave her a production 'E'
She was as proud as a girl could be
There's something true about, red, white, and blue about
Rosie the riveter gal
While other girls attend their favorite cocktail bar
Sipping dry Martinis, munching caviar
There's a girl who's really putting them to shame
Rosie is her name
Oh, Rosie buys a lot of War Bonds
That girl really has sense
Wishes she could purchase more Bonds
Putting all her extra cash into National Defense
Oh, Senator Jones, who was in the know
Shouted these words on the radio
Berlin will hear about, Moscow will cheer about
Rosie (Hah-hah-hah-hee-hee-hee), Rosie (Hee-hee-hee-hee)
Elle est sur la chaîne à son poste
Elle fait l’histoire, travaillant pour la victoire
Elle est vigilante contre le sabotage
Assise sur le fuselage
Cette frêle petite peut faire plus qu’un grand gaillard
Rosie a un chéri Charlie
Charlie est un Marine
Rose protège Charlie
En travaillant sans limite avec sa riveteuse
Quand elle fut récompensée
Sa fierté était à son comble
Il y a quelque chose de vrai dans nos couleurs rouge, bleu et blanc
Pendant que d’autres filles sont dans les bars
Bivant des Martinis, mangeant du caviar
S’il y en a une qui leur fait honte, c’est bien Rosie
Tout le monde admire la scène
Rosie au travail sur un B-19
Elle ne gazouille jamais, n’est jamais nerveuse ou irritable
Parfois elle est pleine d’huile et de graisse
Faisant sa part pour vivre
Elle garde l’équipe au travail
Eux qui adorent glander
Rosie achète des tas de War Bonds
Cette fille est pleine de bon sens
Elle voudrait en acheter encore plus
Elle met tout son argent pour la défense
Le Sénateur Jones qui est dans le secret
A crié ça à la radio « jusqu’à Berlin
On va en entendre parler »
A Moscou on l’acclamera
Rosie la Riveteuse
Des photos, une affiche, et l’illustration de Norman Rockwell
La chanson a du succès, la propagande cherche à donner un visage à cette Rosie. Une série de photographies de propagande montre Rosie la riveteuse mais aussi Wendy la soudeuse. Toujours en 1942, dans l’usine de Westinghouse, on commande à J. Howard Miller une image pour inciter les femmes à travailler. Géraldine Doyle, le modèle adopte une attitude de défi, avançant le coude.... avec un slogan « We can do It », défi aux ennemis mais peut-être aux hommes aussi.
On retrouve encore Rosie sous d’autres traits, le célèbre peintre et illustrateur, Norman Rockwell publie en mai 1943 sur la première page du Post, une autre Rosie. Son modèle Mary Keefe est très mécontente. Rockwell a fait de Rosie, un "titan femelle" s’inspirant d’une pose du prophète Isaïe de Michel-Ange. Elle est armée cette fois-ci d’un canon de mineur (erreur ou approximation du peintre ?), elle piétine le livre Mein Kampf. Là encore, cette version de Rosie deviendra célèbre grâce au peintre Norman Rockwell qui a un vrai talent pour peindre des personnages truculents et espiègles.
Pour conclure, soulevons un paradoxe, l’affiche (celle de J.H. Miller) de Rosie la riveteuse est devenue avec le temps une icône féministe alors que pour le moins, cette "bonne petite" Rosie était au départ un personnage qui incarnait d’abord les valeurs patriotiques, de la "bonne petite" américaine qui se sacrifie pour l’effort de guerre et qui, une fois la paix revenue doit retourner sagement dans son foyer sans pour autant devenir une Desperate Housewife ! Il est vrai que l'attitude frondeuse de Rosie sur l'affiche de J.H. Miller a sans doute aidé à la transformer en une icône de femme libérée mais à condition d'oublier vraiment le contexte historique dans lequel est née la figure de Rosie.
Rosie et les luttes contre la réforme des retraites.
En 2023, la longue mobilisation dans les luttes contre la réforme des retraites a pris des formes diverses. Au sein des manifs, un collectifs de féministes (fondé en 2019) a voulu prendre une part symbolique de poids pour témoigner des métiers souvent pénibles qui sont "réservés" aux femmes. Ce collectif féministe a repris à son compte l'icône américaine dans sa dimension sacrificielle. Les femmes seront les perdantes de cette réforme. Habillées de bleu, d'un foulard à pois, elles envisagent de chorégraphier une chanson engagée sur un air de I Will Survive. Mais l'inspiration ne s'arrête pas en si bon chemin pour les collectifs engagés, les Effronté-es ont transformé une autre chanson phare des années 80, "A cause des garçons" du duo produit par Alain Chamfort, Laurence Heller et Hélène Bérard, en un "A cause de Macron, c'est la chute des pensions".
L'histoire de Rosie a ainsi franchi l'Atlantique après avoir défendu la patrie américaine, la liberté, elle se targue de défendre la cause des femmes dans les luttes sociales contemporaines. Les aventures de Rosie ne vont pas s'arrêter là, à n'en pas douter.
Aller plus loin
- BERTIN Jean-Christophe, Les racines de la musique noire américaine, Ed Carpentier, Paris, 2009.
- Rosie the riveter sur Wikipedia
- A propos de Géraldine Doyle, Le Monde
- https://www.nouvelobs.com/histoire/20230211.OBS69442/comment-rosie-la-riveteuse-est-devenue-une-icone-feministe.html
- https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/journee-des-droits-de-la-femme-les-rosies-des-feministes-dans-les-corteges-des-manifestations_5699726.html
- https://www.lejdd.fr/Societe/qui-est-rosie-la-riveteuse-revisitee-par-les-feministes-et-les-manifestantes-contre-la-reforme-des-retraites-3954734
Jean-Christophe Diedrich
7 commentaires:
Merci pour cet article documenté, qui remet la Rosie à sa place ;)
Merci pour cet article, passionnant comme toujours ici!
P.s. Un détail (mais je peux me tromper): "Depuis décembre 1941, les EU sont en guerre et mobilisent toutes ses forces pour le combat." ne faudrait-il pas dire plutôt 'les EU sont en guerre et mobilisent toutes leurs forces pour le combat." ?
je suis pas tout a fait d'accord avec votre conclusion car le fait de mettre les femmes au travail leur a donné le goût du travail et de l'indépendance. Beaucoup de Rosies ont eu du mal a rentrer à la maison par la suite et se sont émancipées ! La vraie force des Rosies vient de là !
Le paradoxe que vous ne soulignez peut être pas suffisamment, c'est que ce sont les deux guerres mondiales ont jeté massivement les femmes sur le marché du travail (et pas seulement industriel) pour palier le manque de main-d'oeuvre dû à la mobilisation des hommes. C'est de cette situation "extraordinaire" que naissent les revendications sociales féminines et finalement un certain affranchissement par-rapport au cadre familial patriarcal. Par ex, après la première guerre mondiale, en France, le combat des institutrices pour se syndiquer au même titre que les hommes et être sur un pied d'égalité salarial.
VOir aussi dans la même période que les rosies le film "Le Sel de la terre" sur la participation des femmes aux luttes sociales.
Oui, bien sûr, "leurs"....
Le paradoxe que je soulevais ici, c'est que l'affiche au départ, avait des intentions purement patriotiques. Elle extirpait la femme de son foyer (en espérant la remettre rapidement à sa place) . C'est a posteriori que l'image est devenue une icône féministe. C'est tout !
Très intéressant à lire aussi: http://lesvoyagesdejade.blogspot.fr/
qui pourras peut être vous intéresser! :)
Très intéressant en effet. Merci.
J.
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