Au cours du conflit, Albert Roche, simple poilu, a
multiplié les faits d'armes, ce qui lui valut, à la fin de la guerre une certaine renommée. Puis, la patine du temps aidant, son étoile pâlit, en tout cas jusqu'à ces dernières années. En lui
consacrant une chanson, le groupe de métal suédois Sabaton nous donne l'occasion de revenir sur ce parcours singulier.
Albert Roche. CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons |
L'homme naît à Réauville, en 1895, dans une famille de paysans de la Drôme. A sa grande déception, à 18 ans, il est refusé par le conseil de révision en raison d'une taille jugée trop petite (1,58m)et d'une faible constitution. Quand débute la guerre, en août 1914, il a 19 ans. Il se présente au 30ème bataillon de chasseurs de Grenoble, où il est accepté. Le jeune homme déchante vite. Lassé de croupir entre les quatre murs d'instruction, il se sauve et finit en prison. Tout commence mal pour notre héros. Finalement libéré, Roche intègre en tant que deuxième classe le 27e bataillon des chasseurs alpins.
Si l'on en croit les multiples anecdotes qui courent sur son compte, Roche se serait distingué au front par son courage et son intrépidité, multipliant les exploits les plus fous. Dans l'Aisne, il serait parvenu à détruire un nid de mitrailleuses, tuant ou capturant au passage des ennemis en nombre. Dans une tranchée de Sudel, dans le massif vosgien, seul survivant en première ligne, il aurait disposé en batterie les fusils Lebel de ses camarades décédés. Puis, passant d'un fusil à l'autre, tirant tous azimuts, il aurait incité l'adversaire à rebrousser chemin. Fait prisonnier lors d'une mission de reconnaissance, pour laquelle il s'est porté volontaire, il serait parvenu non seulement à se libérer, mais aussi à faire quarante-deux captifs allemands! Au Chemin des Dames, il aurait récupéré son capitaine blessé entre les lignes après avoir rampé pendant des heures dans la boue. A son retour, il aurait été accusé de désertion et envoyé devant un peloton d'exécution, avant d'être sauvé in extremis.
N'en jetez plus, la coupe est pleine. A y regarder de près, ces anecdotes ne sont jamais très précises et franchement difficiles à croire. On peut avancer l'hypothèse que beaucoup de ces récits relèvent du mythe ou qu'ils ont été très largement embellis, exagérés, réécrits a posteriori. Laconiques et dénuées de tout lyrisme, les nombreuses citations dont Roche fait l'objet dressent un portrait sans doute plus juste d'un soldat, dont la bravoure et l'intrépidité forcent l'admiration.
"A demandé à faire partie d'un groupe d'attaque pour suivre son lieutenant." (Citation à l'ordre du bataillon n°38 du 1/8/1916)
"Chasseur d'un courage frisant la témérité, toujours volontaire pour les missions périlleuses; au combat du 12/9/1916 a assuré la liaison d'une façon parfaite dans des circonstances dangereuses." (citation à l'ordre de la division n°115 du 13/10/1916)
"Chasseur dont la bravoure est légendaire qui a pris une part active à tous les combats livrés par le Bataillon. A été toujours dans les circonstances les plus difficiles un exemple de bravoure et d'intrépidité. S'est brillamment comporté au cours des combats du 23 au 27/10/1917 par son adresse et son mépris du danger." (Inscrit au T.S. de la Médaille Militaire pour prendre rand du 25/10/1917)
"Agent de liaison, modèle de courage, de bravoure et de dévouement, n'a pas cessé de circuler avant et pendant l'attaque, a travaillé en terrain violemment battu par des feux d'artillerie et de mitrailleuse. Blessé le 31 août 1918 par éclat d'obus au bras droit (...)." (citation à l'ordre de la brigade n°45 du 31/7/1918)
A l'issue des combats, Roche totalise douze citations à l'ordre de l'armée. Blessé neuf fois, il aurait capturé un total de 1180 soldats allemands... Sachant qu'il est envoyé aux armées en juillet 1915, cela équivaut à plus d'un prisonnier par jour de combat, ce qui, avouons-le, semble tout à fait improbable. Quoi qu'il en soit, l'indéniable courage et l'abnégation dont il a su faire preuve tout au long du conflit, finissent par interpeller la hiérarchie militaire. A l'issue des combats, Roche reçoit la monnaie de sa pièce. Son uniforme se couvre de décorations: Médaille militaire, Croix de guerre avec palmes, croix de Saint-Georges, Médaille militaire, chevalier (puis officier en 1938) de la Légion d'honneur.
En novembre 1918, dans le sillage du général Gouraud, le régiment d'Albert Roche fait une entrée triomphale à Strasbourg. Dans ce contexte, le maréchal Foch salue ensuite la foule depuis le balcon de l'Hôtel de ville, le 27 novembre. Puis, si l'on en croit les nombreuses notices consacrées au poilu, le
généralissime aurait appelé à ses côtés Albert Roche pour le présenter à la foule:"Alsaciens, je vous présente votre libérateur Albert Roche. C'est le premier soldat de France!" Cet hommage du plus haut gradé militaire à un simple soldat transforme le simple chasseur en héros des tranchées. Pour accréditer la véracité de la scène, la plupart des nombreux articles, pages internet ou vidéos consacrés au personnage (ce qui prouve qu'il est loin d'être oublié) utilisent une photographie (ci-dessous) sur laquelle le poilu se trouverait aux côtés de Foch. Or, il s'agit du général de Maudh'huy, des mains duquel il reçoit la croix de la légion d'honneur. A notre connaissance, aucune source fiable ne permet d'authentifier la scène du balcon. D'aucuns affirment que Roche faisait également partie des "huit braves" choisis pour porter le cercueil du soldat inconnu sous l'Arc de triomphe. Or, aucune photo de l'événement ne permet pourtant de l'identifier avec certitude. Là encore, la prudence s'impose.
Albert Roche au balcon aux côtés du général Louis Ernest de Maud’huy, le 22 novembre 1918. Public domain, via Wikimedia Commons. |
De retour à la vie civile, Roche se marie, travaille comme agriculteur, puis ouvrier cartonnier dans une usine de Valréas. Affecté dans les zouaves lors de la mobilisation partielle, en septembre 1938, il intègre finalement la poudrerie nationale de Sorgues en tant que pompier. Le 13 avril 1939, alors qu'il descend d'un bus, il est fauché par une voiture. Conduit à l'hôpital, il y décède le lendemain, à l'âge de quarante-quatre ans. Quelques entrefilets dans la presse régionale retracent la carrière militaire peu banale d'Albert Roche, simple soldat, sans orgueil ni vanité.
Depuis lors, sa commune natale entretient le souvenir avec l'érection de bustes et la pose d'une plaque commémorative. Mais ailleurs, la mémoire du chasseur s'estompe, tout au moins jusqu'à l'essor d'internet. L'intérêt constant que suscite la grande guerre fait redécouvrir à certains les exploits du soldat Roche, contribuant à la médiatisation de son épopée. Nota Bene, en collaboration avec Yarnhub, Le Petit théâtre des opérations, La Folle histoire consacrent ainsi un épisode de leurs chaînes respectives au Drômois. Mais la consécration suprême intervient lorsque Sabaton consacre son titre First soldier à Albert Roche. Passionné par la grande guerre, Joakim Brodén, le chanteur du groupe de métal suédois raconte: "Je me souviens de la première fois où j’en ai entendu parler. Je suis tombé sur lui par hasard en cherchant des histoires sur la Première Guerre mondiale et ma première réaction a été "Whaou, ce gars-là est plus dur que Rambo !" Nous voudrions mettre la lumière sur ces personnages qui sont parfois oubliés par l’histoire". Dans un style épique pompier, les musiciens retracent le parcours d'Albert la tête brûlée. "De fermier", "paria", "soldat improbable" "à héros de France", les paroles égrènent les exploits légendaires du poilu toujours "en quête d'aventures". " Devenant le survivant unique / Des tranchées en Alsace /Un seul homme a tenu la ligne de front". "Aligné pour l'exécution / Il a sauvé la vie de son capitaine"
"Glorieux, victorieux (...) / Il est un soldat décoré, il est la fierté de l'uniforme. Son histoire demeure l'écho du passé"; un passé revisité, parfois manipulé. "Il a servi sa nation avec courage et bravoure / En stoppant l'avancée du Kaiser". On ne fait pas dans la demi-mesure, mais c'est la loi du genre et, un mois après la sortie du morceau, le clip avait déjà été visionné 1,4 millions de fois!
Sources:
- Page Wikipédia d'Albert Séverin Roche.
- "Albert-Séverin Roche "premier soldat de France" héros de légende meurt victime d'un accident d'automobile - Le film sans gloire d'un brave", sur Paris-Soir, (consulté le )
- « Le Radical de Marseille », sur Gallica, (consulté le )
- Le dossier d'Albert Roche aux archives départementales de la Drôme.
- "Soldats de France n°17. Sortie de guerre 1919-1921"
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