Lorsque le rap émerge du Bronx à la fin des années 1970 et au début des années 1980, c'est d'abord la musique qui permet au breakdancers de faire la fête et de s'éclater sur le break que le DJ fait tourner en boucle. A ce petit jeu, Sugar Hill Gang, les Funky 4+1 More, les Cash Crew, les Treacherous Three ou West Street Mob sont les plus doués. Les grands labels ne produisent pas encore de rap au contraire de labels indépendants comme Enjoy Records ou Sugarhill Records, dirigé par Sylvia Robinson (celle qui a lancé "Rapper's Delight"). Les pionniers du rap comme Grandmaster Flash, au départ réticents, finissent par signer eux aussi des contrats. Avec ses Furious Five, Flash signe chez Sugarhill. Mais les labels, en enregistrant du rap, vont consacrer la suprématie du MC sur le DJ en essayant de faire du premier l'équivalent du chanteur d'un groupe de rock. Aussi, si le titre dont je vous parle est bien un maxi de Grandmaster Flash et des Furious Five, Flash n'apparaît quasiment pas sur le morceau (il quitte le label peu de temps après) et des cinq rappeurs, seul Mel Melle déverse son "baratin" (les quatre autres, Rahiem, Scorpio, Cowboy et Kidd Creole ne font qu'une apparition). L'autre rappeur que l'on y entend est donc Duke Botee. Côté musique, le Sugarhill Band assure un fond sonore (contrairement à l'usage auparavant) qui s'éloigne du son très funky des premiers morceaux enregistrés. Ce morceau est donc plein de paradoxe, mais il va marquer un tournant capital dans l'histoire du rap.
Nous sommes en 1982, les Etats-Unis se sont donnés pour Président l'ancien acteur et gouverneur républicain de Californie Ronald Reagan. Elu avec plus de 8 millions de voix d'avance face au président démocrate sortant, Jimmy Carter, il incarne une Amérique sûre d'elle-même ("America is back"), notamment face à l'URSS qualifiée d'Empire du Mal. Sur le plan intérieur, Reagan mène une politique de désengagement de l'Etat et de réduction des impôts inspirée notamment par Laffer ("Trop d'impôt tue l'impôt") et Margaret Thatcher au pouvoir au Royaume-Uni. Cette relance par l'offre agit comme un traitement de choc. L'économie redémarre après le marasme des années 1970, mais les inégalités flambent et la pauvreté gagne du terrain, notamment dans certains quartiers comme le Bronx.
Le 18 février 1981, lors du discours sur l'état de l'Union (celui où il prononce la fameuse phrase : "The government is not the solution, government is the problem"), Reagan annonce une diminution de 41 milliards de $ dans le budget de l'Etat et une réduction de 10% des impôts pendant 3 ans. Le déficit se creuse et les dépenses sociales sont réduites. Dès l'été 1982, le taux de pauvreté atteint 14% de la population (il est fixé à 8414$ pour un foyer de 4 personnes), chiffre en augmentation de 7,4% par rapport à 1980 et le plus élevé depuis 1967. La population noire est la plus exposée à cette politique d'abandon de l'Etat, déjà constatée dans le Bronx pendant les années 1970. Un noir a alors deux fois et demie plus de "chance" de se retrouver au chômage qu'un blanc. Les noirs représentent la moitié des prisonniers pour 6% de la population. Pour un noir de 15 à 24 ans, la cause principale de mortalité dans les grandes villes est l'homicide (48% contre 8% pour un blanc). La violence est en effet omniprésente, le plus souvent par des noirs eux-mêmes, ce qui est dénoncé par de nombreuses chansons (thème du Black on black crime). Le sida et la drogue font des ravages, le crack arrive en masse à partir de 1983.
C'est cette situation qui sert de décor à "The Message". Quelques rappeurs ont déjà évoqué les inégalités dont sont victimes les ghettos des inner cities. Citons par exemple Brother D. en 1980 avec son "How we Gonna Make the Black Nation Rise ?" dénonçant notamment le racisme et la peristance du KKK; Captain Rapp dans le titre "Bad Times (I can't Stand it)", The Rake dans "Street Justice" et Kurtis Blow dans "Hard Times" ou "The Breaks". Mais le succès de "The Message" fait entrer le rap dans l'ère de la revendication sociale, malgré le peu de goût de Mel Melle pour ce type d'engagement. L'univers décrit dans le titre ressemble beaucoup à un enfer où règne la drogue, la prostitution, la misère, l'ennui rythmé par la télévision, la violence, l'injustice.
Vous pouvez retrouvez la petite histoire du rap en cours avec des podcasts à télécharger et beaucoup d'autres choses (bibliographie, carte interactive, lexique, playlists).
Nous sommes en 1982, les Etats-Unis se sont donnés pour Président l'ancien acteur et gouverneur républicain de Californie Ronald Reagan. Elu avec plus de 8 millions de voix d'avance face au président démocrate sortant, Jimmy Carter, il incarne une Amérique sûre d'elle-même ("America is back"), notamment face à l'URSS qualifiée d'Empire du Mal. Sur le plan intérieur, Reagan mène une politique de désengagement de l'Etat et de réduction des impôts inspirée notamment par Laffer ("Trop d'impôt tue l'impôt") et Margaret Thatcher au pouvoir au Royaume-Uni. Cette relance par l'offre agit comme un traitement de choc. L'économie redémarre après le marasme des années 1970, mais les inégalités flambent et la pauvreté gagne du terrain, notamment dans certains quartiers comme le Bronx.
C'est cette situation qui sert de décor à "The Message". Quelques rappeurs ont déjà évoqué les inégalités dont sont victimes les ghettos des inner cities. Citons par exemple Brother D. en 1980 avec son "How we Gonna Make the Black Nation Rise ?" dénonçant notamment le racisme et la peristance du KKK; Captain Rapp dans le titre "Bad Times (I can't Stand it)", The Rake dans "Street Justice" et Kurtis Blow dans "Hard Times" ou "The Breaks". Mais le succès de "The Message" fait entrer le rap dans l'ère de la revendication sociale, malgré le peu de goût de Mel Melle pour ce type d'engagement. L'univers décrit dans le titre ressemble beaucoup à un enfer où règne la drogue, la prostitution, la misère, l'ennui rythmé par la télévision, la violence, l'injustice.
Vous pouvez retrouvez la petite histoire du rap en cours avec des podcasts à télécharger et beaucoup d'autres choses (bibliographie, carte interactive, lexique, playlists).
Une autre chanson de 1982 dans un autre genre musical, "Allentown" de Billy Joel, évoque la situation économique et sociale désastreuse de certaines parties du territoire américain à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Kery James sample "The Message" dans "Relève la tête" en 2004 (Feat Lino, A.P., Blacko, Kool Shen, Leeroy, Passi, Le Rat Luciano, Matt Houston, etc...) . Le rappeur de Chicago Common reprend le refrain dans son "Book Of Life" en 1994. Voici également un morceau récent de Psy4 de la Rime qui me fait un peu penser à "The Message".
Et voici les paroles en anglais puis en français :
Broken glass everywhere
People pissing on the stairs, you know they just don’t care
I can't take the smell, I can't take the noise no more
Got no money to move out, I guess I got no choice
Rats in the front room, roaches in the back
Junkie's in the alley with a baseball bat
I tried to get away, but I couldn't get far
'Cause a man with a tow-truck repossessed my car
People pissing on the stairs, you know they just don’t care
I can't take the smell, I can't take the noise no more
Got no money to move out, I guess I got no choice
Rats in the front room, roaches in the back
Junkie's in the alley with a baseball bat
I tried to get away, but I couldn't get far
'Cause a man with a tow-truck repossessed my car
It's like a jungle sometimes it makes me wonder
How I keep from going under
It's like a jungle sometimes it makes me wonder
How I keep from going under
Chorus:
Don't push me cause I'm close to the edge
I'm trying not to lose my head, ah huh-huh-huh
[2nd and 5th: ah huh-huh-huh]
[4th: say what?]
It's like a jungle sometimes it makes me wonder
How I keep from going under
It's like a jungle sometimes it makes me wonder
How I keep from going under
Standing on the front stoop, hangin' out the window
Watching all the cars go by, roaring as the breezes blow
Crazy lady livin' in a bag
Eatin' out of garbage pails, she used to be a fag-hag
Said she danced the tango, skipped the light fandango
The Zircon Princess seemed to lost her senses
Down at the peepshow, watching all the creeps
So she can tell the stories to the girls back home
She went to the city and got Social Security
She had to get a pimp, she couldn't make it on her own
[2nd Chorus]
My brother's doing bad on my mother's TV
Says she watches too much, it’s just not healthy
“All My Children” in the daytime, “Dallas” at night
Can't even see the game or the Sugar Ray fight
The bill collectors they ring my phone
And scare my wife when I'm not home
Got a bum education, double-digit inflation
Can't take the train to the job, there's a strike at the station
Neon King Kong standin' on my back
Can't stop to turn around, broke my sacroiliac
A mid-range migraine, cancered membrane
Sometimes I think I'm going insane, I swear I might hijack a plane
[3rd Chorus]
My son said: ”Daddy, I don't wanna go to school
Cause the teacher's a jerk, he must think I'm a fool
And all the kids smoke reefer, I think it'd be cheaper
If I just got a job, learned to be a street sweeper
I’d dance to the beat, shuffle my feet
Wear a shirt and tie and run with the creeps
Cause it's all about money, ain't a damn thing funny
You got to have a con in this land of milk and honey"
They pushed that girl in front of the train
Took her to the doctor, sewed her arm on again
Stabbed that man right in his heart
Gave him a transplant for a brand new start
I can't walk through the park, cause it's crazy after dark
Keep my hand on my gun, cause they got me on the run
I feel like a outlaw, broke my last glass jaw
Hear them say: “You want some more?" livin' on a seesaw
[4th Chorus]
A child is born with no state of mind
Blind to the ways of mankind
God is smiling on you but he's frowning too
Because only God knows what you’ll go through
You’ll grow in the ghetto, living second rate
And your eyes will sing a song of deep hate
The places you play and where you stay
Looks like one great big alley way
You'll admire all the number book takers
Thugs, pimps, pushers and the big money makers
Driving big cars, spending twenties and tens
And you wanna grow up to be just like them, huh,
Smugglers, scramblers, burglars, gamblers
Pickpockets, peddlers even panhandlers
You say: “I'm cool, I'm no fool!”
But then you wind up dropping out of high school
Now you're unemployed, all non-void
Walking ‘round like you're Pretty Boy Floyd
Turned stickup kid, look what you’ve done did
Got sent up for a eight year bid
Now your manhood is took and you're a Maytag
Spent the next two years as a undercover fag
Being used and abused to serve like hell
'Til one day you was found hung dead in your cell
It was plain to see that your life was lost
You was cold and your body swung back and forth
But now your eyes sing the sad, sad song
Of how you lived so fast and died so young
[5th Chorus]
Partout du verre brisé,
Des gens qui pissent dans l'escalier mais je sais qu'ils s'en foutent,
Ras le bol de cette odeur. J'peux plus supporter cette fureur,
J'ai pas d'argent pour m'en sortir et je suppose que je n'ai pas le choix.
Les indics guettent devant, les dealers zonent derrière
Et ces junkies qui glandent avec une batte de base-ball.
J'ai essayé de me barrer, mais ça n'a pas marché,
Les flics m'ont enlevé ma tire j'suis obligé de rester
Refrain
C'est comme une jungle parfois et j'me demande
Comment je fais pour ne pas sombrer
Ne me poussez pas plus loin, je sens que je suis à bout, c'que je voulais
pas surtout, c'est devenir cinglé
Posé sur le rebord extérieur de la fenêtre
Je regarde toutes ces voitures circuler avec fracas comme un vent soufflant
Cette femme folle, vivant dans un carton
Mangeant dans les poubelles, c’est une ancienne Fag hag [Femme préférant la compagnie d'homosexuels]
Elle dit qu'elle dansait le tango, sautait sur le ‘'light fandango'' [Rituel de séduction espagnole sous forme de danse très sensuelle]
La princesse en Zirconium semblait avoir perdu sa tête
En bas près du peep-show, regardant tout ces sales types
Alors elle peut raconter ses histoires aux filles en retournant à la maison
Elle alla en ville et elle obtint la sécurité sociale
Elle devait se trouver un mac, elle ne pouvait pas être à son compte
Refrain
Mon frère a mal tourné, à ma mère il a piqué la télé,
Disant qu'elle marchait trop qu'c'est pas bon pour le cerveau,
"All my children" l'après-midi, "Dallas" la nuit, [séries télévisées]
Il pouvait jamais voir le match ou le combat de "Sugar Ray", le roi noir.
Au téléphone, toujours des créanciers,
A ma femme, ils viennent casser les pieds quand je pars me balader.
Pour l'éducation je regarde juste galoper l'inflation
Pour pouvoir aller chercher un boulot faudrait p'tre qu'ai pas de grève dans le métro.
J'arrête pas de tourner en rond traqué par les pubs au néon. J’ai cassé mon sacro-illiaque
Ah cette barre dans la tête! Ce cancer qui me guette
Dès fois je pense que je vais devenir fou Je jure que je pourrais détourner un avion
Refrain
Mon fils m'a dit papa à l'école j'irai pas,
Le prof est un enflé, il croit que j'suis taré.
Là-bas tous les mômes fument de l'herbe, ça serait mieux pour moi
De trouver un boulot même à nettoyer les caniveaux.
Le soir j'irai danser pour m'réchauffer les pieds,
J'pourrais me fringuer et aller draguer.
Tout est question d'argent, c'est vraiment pas marrant,
C'est tout le temps un souci dans ce pays « où coule le lait et le miel ».
Cette fille poussée sous le métro puis emmenée à l'hosto,
On lui recolle les morceaux.
Ce type planté en plein cœur
Par une simple transplantation est en route pour un nouveau bonheur.
J'ose plus traverser le parc, la nuit y'a des raisons d'avoir le trac.
La main sur le flingue on peut toujours tomber sur des dingues.
J'me sens comme un hors-la-loi, y peuvent me casser la gueule,
Ecoute les dire : « T’en veux encore ? » en vivant sur une bascule
Un enfant né sans état d'esprit
Aveugle aux voies de l'humanité
Dieu te sourit mais Il fronce les sourcils aussi
Car seul Dieu sait directement ce que tu vas vivre
Tu vas grandir dans le ghetto, vivre médiocrement
Et tes yeux vont chanter une chanson de haine profonde
Les endroits où tu joues et où tu vis
Ressemblent à une grande ruelle
Tu vas admirer tous ceux qui comptent dans l’annuaire
Les voyous, les macs et les dealers et les grands faiseurs d'argent
Conduisant des grosse voitures, dépensant des mille et des cent
Et tu voudras grandir pour être comme eux
Les contrebandiers, les brûtes, les cambrioleurs, les parieurs
Les pickpockets, les colporteurs même les mendiants
Tu dis « Je suis cool, je ne suis pas bête »
Mais tu as déjà abandonné le lycée
Maintenant tu es au chômage, tout dépourvu
Tournant en rond comme si tu étais Pretty Boy Floyd [braqueur de banques des années 1920 ayant fait l'objet d'une chanson de Woodie Guthrie]
Transformé en enfant dépassé, regarde ce que tu as fais
Ridiculisé pour une tentative de huit ans
Maintenant que tu es devenu un adulte et que tu es une Maytag [marque de machines à laver]
Passe les deux prochaines années comme un pédé caché
A être utilisé et abusé, pour purger comme l'enfer
Jusqu'à ce que tu sois un jour retrouvé pendu dans ta cellule
C'était brutal de voir que ta vie a été gâchée
Tu étais froid et ton corps se balançait en arrière et en avant
Mais maintenant tes yeux chantent la triste, triste chanson
De comment tu a vécut si vite et de comment tu es mort si jeune
[sources principales : les ouvrages d'Olivier Cachin et de Jeff Chang, les références complètes ici. Pour la traduction, j'ai repris en partie celle de Manuel Boucher qui a pris le parti de restituer le sens global plus que le mot à mot. Lorsque cela me paraît trop éloigné du sens premier où pour les parties qu'il n'a pas traduites, je vous ai bricolé une traduction qui est loin d'être parfaite, n'hésitez pas à me suggérer des améliorations !]
3 commentaires:
Merci pour ce superbe article.
J.
C'est le rap qui m'inspire un peu de baratin...
j'ai le 45 t géant avec la traduction en français imprimer a l'interieur
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