Le 19 décembre 1967, l’Assemblée nationale adoptait un texte de loi relatif à la vente et à la publicité des produits contraceptifs. L’autorisation de mise sur le marché de la « pilule » reste, dans la mémoire collective, un événement décisif pour la condition féminine. Cette conquête emblématique des évolutions de la société contemporaine ne fut cependant obtenue que de haute lutte.
Béria L. Rodríguez, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons |
* La loi de 1920.
Dans le domaine de la contraception, la France accusait un sérieux retard sur les pays anglo-saxons comme nous l'avons vu dans un précédent article. La loi de 1920 interdisait non seulement d'avoir recours à une contraception "non naturelle", mais aussi d'en faire la promotion. Adoptée au lendemain de la saignée de la grande guerre, elle témoignait de la hantise d'une chute irréversible de la population. La loi assimilait la contraception à l'avortement. Les contraceptifs disponibles jusque là (pessaires, "éponges de sûreté", préservatifs) disparurent des pharmacies. Bien qu'illégale, la contraception était pourtant déjà répandue comme l'indiquait la baisse de l'indice de fécondité des Françaises (de 2,7 à 2,1 enfants par femme entre 1920 et 1935). Au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour pouvoir faire l'amour sans faire d'enfants, les Français utilisaient différentes techniques: remèdes de grand-mère, méthode Ogino fondée sur le cycle menstruel, coitus interruptus (1), autant de procédés peu fiables que les médecins conseillaient pourtant à leurs patients. La contraception ne faisait alors pas partie des enseignements reçus en fac de médecine. Elle ne faisait pas non plus l'objet de travaux de recherche dans les labos français. Avec la perte de plus d'un demi-millions de Français au cours de la seconde guerre mondiale, l'heure était au repeuplement, non à la promotion de la contraception.
Dans ces conditions, de centaines de milliers de femmes se trouvaient contraintes à l'avortement, alors considéré comme un "crime" passible de la cour d'assises. Face à cette hypocrisie, des voix s'élevèrent. En 1955, France Observateur s'interrogeait: "600 000 avortements par an valent-ils mieux que le contrôle des naissances?" Près de 300 femmes mouraient chaque année des suites de curetages violents, sans anesthésie. Il n'était alors pas rare qu'une femme subisse un grand nombre d'avortements au cours sa vie. Face à ces chiffres alarmants, des médecins commencèrent à s'engager en faveur du contrôle des naissance, en s'inspirant des modèles anglo-saxons.
* Le planning familial.
Dans les années 1930, Marie-Andrée Lagroua assista au curetage sans anesthésie infligé à une avortée clandestine par un interne, afin de lui "ôter l'envie de recommencer". Dans La Cause des femmes, elle évoquait les brancards "où s'entassent, le samedi soir, les fausses couches qui ont mal tourné, avec leurs conséquences: hémorragies, péritonites et le reste; un de ces brancards essentiellement réservés à celles que l'on considère comme la plaie d'un service de chirurgie, et qui souffrent de la réprobation générale". En 1947, Lagroua assista à New York à une consultation de Margaret Sanger, puis rencontra Abraham Stone qui initiait ses patientes à l'usage du diaphragme. Le 8 mars 1956, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé (2) déposait avec la sociologue Évelyne Sullerot les statuts de la Maternité heureuse dont les objectifs étaient de "lutter contre les avortements clandestins, assurer l'équilibre psychologique et améliorer la santé des mères et des enfants". L'association, très attachée aux valeurs traditionnelles, bénéficiait du soutien de juristes, de médecins, de professeurs, de francs-maçons, de protestants... Elle rassemblait des bénévoles, des femmes surtout, appartenant aux couches diplômées des classes moyennes: avocat(e)s, médecins (3), enseignant(e)s. En 1960, Maternité heureuse devient le Mouvement français pour le planning familial dont les deux premiers centres ouvrirent en 1961. "Les femmes faisaient la queue pour obtenir les diaphragmes et les spermicides que nous rapportions illégalement de Suisse ou d'Angleterre", se souvient Simone Iff, la première présidente de l'association. Vingt-six centres du planning virent le jour en 1962, tandis que le nombre d'adhésion explosait passant de 6 000 en 1962 à 95 000 cinq plus tard.
Le but du Planning familial restait le droit à la contraception, beaucoup plus que le droit à l'avortement car pour ses fondatrices, la contraception devait venir en grande partie à bout des avortements.
* "Des enfants malgré nous".
La loi de 1920 interdisait la "propagande" sur les moyens de contraception, mais les informations données par une association à ses adhérents n'étaient pas assimilables au délit de propagande...
En donnant une large audience à l'association, les médias commencèrent à nourrir les débats à propos de l'abrogation de la loi. En 1955, Jacques Derogy, journaliste communiste de Libération, publiait une vaste enquête intitulée "les femmes sont-elles coupables?" Ses articles furent ensuite rassemblés et publiés l'année suivante aux éditions de Minuit sous un titre évocateur: Des enfants malgré nous. Dans un style sobre et percutant, Derogy décrivait le drame des grossesses subies, mais aussi l'ampleur des avortements clandestins. L'objectif était de créer un courant d'opinion favorable à la révision de la loi de 1920; pourtant la réception du livre fut très mauvaise.
Les catholiques refusaient toute évolution considérant que la contraception signifierait le vieillissement de la population et l'adoption de mœurs débridés... La droite endossait le même discours, et le Conseil de l'ordre des médecins restait hostile. La vieille génération féministe - les suffragistes de l'entre-deux-guerres - se montrait ouvertement critique.
Il n'empêche, dès la fin des années 1950, la "pilule américaine" était devenue un sujet de société en France. Le contexte général semblait pourtant propice au changement. Ainsi, la hausse quasi générale de la fécondité au cours des Trente glorieuses apaisait les Cassandre natalistes. En outre, le pays connaissait de profondes mutations sociales avec l'augmentation du taux d'activité féminine et le recul du modèle de la femme au foyer.
* Hypocrisie.
Les relais politiques manquaient toujours à droite, mais aussi dans une partie de la gauche. Le parti communiste s'éleva alors contre le "néomalthusianisme réactionnaire". Pour le PCF, le contrôle des naissances représentait un "suicide la classe ouvrière". La sénatrice Jeannette Vermeesch déclarait ainsi en 1956 à l'Assemblée nationale: «Le Birth control, la maternité volontaire, est un leurre pour les masses populaires, mais c'est une arme entre les mains de la bourgeoisie contre les lois sociales». Dans l'hebdomadaire communiste "France nouvelle", elle déclarait: "Mais depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d'accéder aux vices de la bourgeoisie? Jamais." Le parti ne changera de position qu'en 1965.
Comme pour tout ce qui touche au corps des femmes, les débats furent d'une rare violence, dérapant constamment sur le terrain de la morale. La désinformation allait bon train. On attribuait alors tous les maux à la pilule: tantôt elle faisait pousser la barbe, tantôt elle rendait chauve ou donnait le cancer... Les médecins, quand ils ne se montraient pas hostiles, se heurtaient à l'impossibilité de prescrire des hormones hors protocoles thérapeutiques. En 1965, la pilule faisait néanmoins une timide apparition en France. Pour contourner la loi, il n'était pas fait mention de ses propriétés contraceptives. Officiellement, il s'agissait d'un médicament pour "régulariser les règles"...
* Lucien Neuwirth.
Au sein de la classe politique, certains voulurent mettre un terme à cette hypocrisie qui ne retombait, encore et toujours, que sur les femmes. Ce fut le cas de Lucien Neuwirth. En juin 1944 à Londres, alors qu'il avait rejoint les Forces françaises libres, il découvrit l'existence de la Gynomine, un spermicide effervescent vendu dans les pharmacies britanniques, une sorte de "pilule" à introduire dans le vagin. Neuwirth en rapporta des échantillons à Saint-Etienne dont il devient conseiller municipal en 1947, avant d'être élu député du département en 1958. "Un jour, une femme arrive à ma permanence. Elle était enceinte jusqu'aux dents. Elle se frappait le ventre en criant: «Je le mets où? Dans le tiroir de la commode?» (...) J'ai mesuré l'absurdité de nos lois. Il fallait autoriser la contraception. C'était une certitude."
* "Commission pilule"
En intégrant à son programme le combat pour la contraception lors de la campagne présidentielle de 1965, François Mitterrand fit entrer le débat sur la contraception dans le monde politique. Le candidat prévoyait dans son programme l'abolition de la loi de 1920. Désormais, le sujet ne pouvait plus être éludé. Réélu, de Gaulle, qui restait opposé à toute modification de la législation, comprit néanmoins la nécessité de lâcher du lest.
Sous
la pression de l'opinion publique, Raymond Marcellin, le ministre de la
Santé, nomma en 1965 une commission chargée d'étudier les conséquences
éventuelles sur la santé "de l'absorption de produits anticonceptionnels",
aussi appelée "commission pilule". 13 sages (professeurs de médecine et
députés) se penchèrent sur le sujet. Parmi eux, on ne comptait aucune
femme! A l'issue des travaux, la commission remit un rapport plutôt favorable à la
contraception. En
1965, un rapport de l'INED sur la régulation des naissances montra aussi
que les Français avaient depuis longtemps
adopté des procédés anticonceptionnels pour limiter leur descendance.
La fécondité des femmes françaises restait pourtant à un niveau élevé. L'introduction
de la pilule n'empêcherait donc en rien le
remplacement des générations. Là était l'essentiel aux yeux des
politiques, hantés par le spectre de la dépopulation.
* "Continuez"
Neuwirth déposa son projet de loi en mai 1966. Pour le député de la Loire, "l'heure est désormais venue de passer de la maternité accidentelle, et due souvent au hasard, à la maternité consciente et pleinement responsable." pour arriver à ses fins, le député comprit qu'il devait avant tout convaincre le chef de l’État. Il y parvint enfin à l'issue d'une audience: "Pendant
quarante minutes, alors que je m'efforçais d'argumenter sur l'enfant
désiré et l'enfant non désiré, il n'a pas dit un mot. Puis, après avoir
longuement réfléchi, il me dit: «C'est vrai, transmettre la vie,
c'est important, il faut que ce soit un acte lucide. Continuez.»." Une semaine après l'entrevue, le général demandait à Georges Pompidou de faire inscrire la proposition de loi Neuwirth à l'ordre du jour de l'Assemblée.
* "L'amour stérile des drogués"
Les réactions ne se firent pas attendre. Neuwirth suscita la haine de tous les opposants à l'avortement. Les tentatives de pressions à son encontre se multiplièrent: renvoi de sa fille de 13 ans de don collège privé, inscriptions insultantes sur les murs de son domicile ("assassin d'enfants", "fossoyeur de la France"), réception d'un colis contenant un fœtus accompagné d'un mot: "Salop! Voilà ce que tu as fait."...
En juin 1966, une commission parlementaire spéciale réunit experts, médecins, biologistes, démographes, politiques, représentants du monde religieux et associations familiales. Les représentants juifs et protestants se déclarèrent favorables à la contraception médicale, à la différence de l’Église catholique. Par l'encyclique Humanae vitae, le pape Paul VI affirmait que "tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie."De nombreux Français considéraient également que la contraception était contraire à la loi
naturelle. D'aucuns allèrent jusqu'à affirmer qu'elle poussait les honnêtes
femmes à l'adultère ou la prostitution. L'ordre des médecins restait hostile à la contraception médicale et donc à la pilule. Le
Dr Chauchard, fervent adversaire des "petites dames du planning
familial" écrivait: "la femme bouchée ou pilulée ne connaîtra que l'amour
stérile des drogués." D'autres
praticiens, en revanche, s’engageaient en faveur du recours à la pilule. Le directeur du collège médical du Planning
familial, Pierre Simon, formait depuis de nombreuses années les médecins à la
contraception. C'était aussi le cas d'Etienne-Emile Beaulieu, le futur inventeur de la pilule du
lendemain ou d'André Berger, médecin du Planning. Le Dr Weill-Halllé, quant à elle envisageait la contraception comme un moyen de favoriser l'harmonie et du couple. Elle parlait de la "grande peur d'aimer", c'est-à-dire de tomber enceinte en faisant l'amour, une peur qui paralysait bien des couples.
Au delà du clivage entre pro et anti pilule, les revendications des militantes évoluaient. La bataille pour la pilule correspondit ainsi aux balbutiements d'un féminisme plus radical que celui du Planning familial. Il ne s'agissait plus seulement de sexualité, mais du droit des femmes à disposer de leur corps et de leur liberté sexuelle. Parce qu'elle se prenait en amont du rapport, la pilule permettait à ces dernières de prendre le contrôle de leur sexualité, de s'émanciper.
* "Les femmes ne seront plus qu'un objet de volupté stérile."
Le 12 avril 1967, Lucien Neuwirth déposait une deuxième version de sa proposition de loi. Le 1er juillet, lors de la lecture du texte devant les députés, l'atmosphère était tendue. En
dépit des nombreuses précautions prises par le rapporteur sur son
propre texte, les débats parlementaires furent houleux et les oppositions fortes. Le député mosellan Jean
Coumaros lança à la tribune: "les maris ont-ils songé que désormais c'est la femme
qui détiendra le pouvoir absolu d'avoir ou de ne pas avoir d'enfants en
absorbant la pilule, même à leur insu? Les hommes perdront alors la
fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus
qu'un objet de volupté stérile." A droite, Neuwirth avait tout de même quelques soutiens comme Simone Veil, Georges Pompidou, Jacques Chaban-Delmas, Jean-Marcel Jeanneney, mais la plupart des Gaullistes et des membres du gouvernement restaient hostiles à l'abrogation de la loi de 1920 et opposés la contraception médicale. Certains exigaient des amendements, réclamant de réserver la contraception aux mères d'au moins trois enfants ou en conditionnant l'accès à l'accord du mari. D'aucuns fustigèrent le laxisme, le "pourrissement des mœurs".
Le vote à main levée intervint le 19 décembre 1967, lors de la dernière session de l'année. Les opposants n'abdiquaient pas. Pour le ministre de la Santé Jean Foyer «la contraception, c'est de la fornication rationalisée!» "Il m'avait surnommé «l'Immaculé Contraception»!", rappelait Neuwirth. La loi fut finalement adoptée par les députés à main levée par 271 voix pour et 201 voix contre. Au Sénat, la loi pilule fut entérinée par 175 voix contre 34. Sans grand enthousiasme, une partie de la majorité gaulliste approuva finalement l'abrogation de la loi de 1920. " (...) Il faut dire qu'il y avait quand
même beaucoup d'absents à droite. C'est la gauche qui a voté massivement
en faveur de la loi!", constatait Lucien Neuwirth.
Le 28 décembre, le président de la République
signa le décret de promulgation. La loi demeurait restrictive. Un consentement parental était nécessaire pour obtenir des contraceptifs entre 18 et 21 ans. Les femmes adultes devaient également se munir d'une ordonnance du médecin. La loi instaurait encore l'utilisation d'un carnet à souche pour contrôler les achats dans les pharmacies, comme pour les stupéfiants. Toute propagande anticonceptionnelle restait interdite. Enfin, il ne s'agissait encore que d'une liberté en demi-teinte car les décrets d’application furent bloqués pendant plusieurs années. Il fallut ainsi attendre 1972 avant que les derniers décrets de la loi soient publiés, ouvrant la décennie de lutte pour la légalisation de l’avortement.
Dépité, Neuwirth affirmera que "sa loi avait été sabotée". « Nous nous sommes heurtés à un état d’esprit conservateur,
rétrograde et à un manque de clairvoyance, de discernement et peut-être
de générosité, expliquait le député gaulliste. On a placé les
femmes, les hommes devant l’alternative accouchement ou avortement, sans
leur expliquer qu’il y avait autre chose. ». Zancarini-Fournel et Christian Delacroix (source p 342) insistent néanmoins sur l'importance de cette loi: "malgré son peu d'effet immédiat pour les femmes, la loi Neuwirth est très importante sur le plan symbolique: elle reste une borne mémorielle forte dans la mesure où elle marque un tournant dans la politique nataliste constante des gouvernements français depuis le début du XX° siècle. (...) C'est surtout, en politique, un déplacement de la frontière entre privé et public, cette frontière devenant de plus en plus instable au fil des ans." En outre, la loi bouleversait la vie de couple,
permettant aux femmes de dissocier conception et sexualité, de planifier
leur vie de famille et professionnelle.
Compte tenu des limites de la loi, les mouvements féministes exigeaient une nouvelle loi aménageant celle de 1967. La loi du 4 décembre 1974, fut votée avec le soutien de la gauche et d'une partie de la droite. Simone Veil, nouvelle ministre de la Santé, expliquait ainsi les enjeux de la nouvelle loi: "On
planifie sa famille. Un jeune couple sait le nombre d'enfants qu'il
veut avoir et la femme doit pouvoir faire appel à la contraception comme
un acte médical, n'importe lequel, elle peut aussi bien aller voir son
médecin qu'aller dans un centre de PMI. (...) La contraception n'est pas
un acte à part. On estime qu'au fond, un certain nombre de femmes se
méfie de la contraception, pensent que ce n'est pas une chose normale.
La pilule notamment a fait l'objet d'une certaine méfiance de la part
des femmes et le fait que ce ne soit pas remboursé, renforçait cette
méfiance." La nouvelle loi entendait donc corriger les défauts de celle de 1967. Désormais, les mineurs pouvaient accéder à la contraception sans autorisation parentale avec remboursement de la sécurité sociale pour toutes les femmes. L'information sur les contraceptifs et leur promotion étaient enfin autorisées.
* "Ni tabou, ni parti pris mais l'amour premier servi."
La pilule suscita l'intérêt précoce des chanteurs. Dans ses Elucubrations, Antoine proposait de mettre la pilule en vente dans les Monoprix. Sœur Sourire consacra une chanson à la pilule dont elle vantait les mérites avec ferveur. Avec l'apparition du petit comprimé contraceptif, "la biologie a fait un nouveau pas". Le temps ou l'épouse devait être "soumise à son mari" est bel et bien révolu. L'enfantement relève d'un choix amoureux réfléchi. En somme, "la progéniture doit être le fruit d'amour et non d'aventure." Au yeux de la religieuse, la pilule permettrait également de conjurer le spectre de la bombe humaine. "Face au problème de la démographie / Aux nations surpeuplées, aux affamés d'Asie / La pilule peut enfin lutter contre le destin." Pour Soeur Dominique, le choix mérite réflexion et peut être pris à la légère. "Le problème contraception attend notre réflexion / Ni tabou, ni parti pris, mais l'amour premier servi."
Jeanine Deckers naît à Bruxelles le 17 octobre 1933. Elle entre chez les Dominicaines du couvent de Fichermont en 1959 et prend le voile sous le nom de Sœur Luc-Gabriel. Férue de musique, elle compose des chants à la gloire de Dieu grâce à "soeur Adèle", sa guitare. Ses talents la font remarquer par la mère supérieure qui l'incite à enregistrer le morceau "Dominique", écrit en l'honneur du saint patron de la congrégation.
Liée par ses vœux d'obéissance et de pauvreté, la sœur accepte un contrat léonin avec Philips. Le couvent perçoit les droits d'auteur et les bénéfices des ventes des disques de Sœur Sourire, son nom de scène. Commercialisé en Belgique en 1961, le morceau connaît un succès considérable, se classant numéro un des ventes en 1963 aux Etats-Unis!
"Dominique, nique, nique / S'en allait tout simplement / Routier pauvre et chantant". Le refrain de ce tube fait aujourd'hui sourire, mais à l'époque, le terme niquer, dérivé de l'arabe, ne signifiait rien en France et en Belgique. Personne n'y voyait alors d'allusion sexuelle.
Forte de ce succès, la religieuse enregistre de nouvelles chansons. Dans le même temps, elle commence des études théologiques à l'Université catholique de Louvain, dans le but d'entamer une carrière de missionnaire. Seulement voilà, fin 1964, elle a un coup de foudre pour une jeune femme, nommée Annie Pécher. Aux yeux de l’Église, c'est pécher. Sœur Sourire quitte donc bientôt le couvent pour s'installer avec Annie. Les paroles de ses nouvelles chansons revêtent désormais une veine militante ou contestatrice. "La pilule d'or" (1967) constitue une ode à la pilule contraceptive. "Le temps des femmes" (1967) pourfend la société patriarcale. "Les façades" fustige les hypocrites qui se drapent dans le respect des conventions pour justifier leur conservatisme. Au sein d'une société belge lesbophone et réactionnaire, cette déclaration d'indépendance a forcément un coût. A partir de 1966, son ancien couvent lui interdit d'utiliser le nom de Sœur Sourire pour promouvoir ses albums. Désormais, le succès la fuit, mais pas les ennuis. Au faîte de sa gloire, la chanteuse avait abandonné tous ses droits à son couvent, oubliant que les impôts resteraient à sa charge. En 1974, les services fiscaux belges lui réclament les arriérés jamais versés. Ruinée, alcoolique, Jeanine Deckers se suicide avec sa compagne, le 29 mars 1985 à Wavre.
Conclusion:
La pilule reste aujourd'hui la méthode de contraception la plus utilisée, devant le stérilet, l'implant, le patch, l'anneau, le diaphragme, le spermicide ou le préservatif féminin. Dans les années 2000, une femme sur deux avait recours à la pilule. La polémique sur les risques liés aux pilules de 3ème et 4ème générations entraîne une désaffection pour ce moyen de contraception. Les femmes redoutent les effets secondaires (migraines) liés à sa prise ou refusent d'assumer seules la contraception du couple. Dans un contexte de défiance à l'égard des médicaments, cette tendance se renforce chez les plus jeunes. Ce désamour ne doit pas faire oublier à quel point l'adoption de la loi légalisant la pilule a pu être vécue comme une libération pour les femmes, à une époque où la hantise d'une grossesse non désirée faisait peser un poids énorme sur les femmes... Pour s'en convaincre, nous terminons avec le témoignage terrible d'une femme, lue par Ménie Grégoire dans son émission radiophonique sur RTL. [source B. Une transcription de cette lettre est consultable ici.]
Sois soumise à ton mari, mets au monde une grande famille
Les enfants que Dieu t'envoie, accueille-les dans la joie."
Seigneur, je rends grâce à toi.
Car l'humanité toujours grandit en âge.
La pilule, c'est épatant, même si elle a deux tranchants
Elle souligne la victoire des amoureux sur l'histoire.
Seigneur, je rends grâce à toi.
Doit être fruit d'amour et non d'aventure
Et qu'dans la vie en commun, l'essentiel, c'est d'être un
De bâtir son unité avant que d'enfanter.
Seigneur, je rends grâce à toi.
Des nations surpeuplées, des affamés d'Asie
La pilule peut enfin lutter contre le destin.
Gens comblés, gens saturés, puisse-t-elle nous inquiéter?
Seigneur, je rends grâce à toi.
Et vous, ne dites pas "Bravo, faisons la foire!"
Le problème contraception attend notre réflexion
Ni tabou, ni parti pris mais l'amour premier servi.
Seigneur, je rends grâce à toi.
Puisse l'humanité grandir dans la joie.
Seigneur, que l'amour soit roi, Seigneur, que l'amour soit roi.
Notes:
1. Les préservatifs existants, très épais et inconfortables, sont tolérés contre les maladies vénériennes.
A. Agnès Walch: "Promulgation de la loi Neuwirth", recueil des commémorations nationales.
B. "Allo Ménie!", émission "les pieds sur terre" sur France culture, 6/06/2013.
C. "Et la pilule vint aux femmes", Le Monde magazine, 29 mai 2010.
D. Affaires sensibles: "1967, la pilule, enfin!"
E. France culture: "Il y a 50 ans, la loi Neuwirth et l'accès à la contraception"
F. Le Monde: "La houle des débats parlementaires de 1967"
G. Retronews: «Margaret Sanger, initiatrice féministe du "birth control"»
H. "Grégory Pincus et l'invention de la pilule contraceptive", Les belles histoires de la médecine, 2019.
I. Léa Lootgieter, Pauline Paris, Julie Feydel: "Les dessous lesbiens de la chanson", éditions IXè, collection xx-y-z.
J. Sophie Chauveau, « Les espoirs déçus de la loi Neuwirth », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 2003. K. Yannick Ripa: "Histoire féminine de la France", Belin, 2020
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire