vendredi 7 juillet 2023

Surf music

On ne sait pas exactement quand le surf fut inventé, mais il était déjà pratiqué à Hawaï depuis plusieurs décennies quand il fut décrit en 1777 par un des membres du navire de James Cook. Au cours du début du XIX° siècle, de terribles coups de boutoir sont portés au surf par le puritanisme de missionnaires calvinistes américains et par la chute dramatique d'une population hawaïenne ravagée par le choc microbien. Le surf est désormais proscrit, pourtant certains insulaires continuent à chevaucher la houle en catimini, comme pour mieux résister à l'acculturation, préserver les traditions. On doit la survie du surf moderne a de valeureux missionnaires de la glisse cette fois-ci. Ainsi, George Freeth ou Duke Kahanamoku préserve la pratique à Hawaï, et en assure également la diffusion aux États-Unis ou en Australie à la faveur d'exhibitions.     

En quête de vague. Surfeur, île d'Oléron. Photo perso.

 L'annexion forcé de l'archipel par les États-Unis en 1893 contribue à l'essor du tourisme balnéaire. Dès lors, de jeunes locaux se spécialisent dans la prise en charge des touristes étrangers comme sur la plage de Waikiki.  C'est l'un de ces beach boys qui initie Jack London au surf. En 1907, l'écrivain dépeindra d'ailleurs en de très belles pages les surfeurs autochtones. 

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Dans "Jours barbares", William Finnegan écrit: "Le sport prit - lentement - sur diverses côtes, là où il y avait des vagues surfables et des gens disposant d'assez de temps libre pour les traquer." Le littoral californien répondait à ces deux critères. Au début du XX° siècle, à la faveur du désenclavement ferroviaire, des cités balnéaires comme Santa Cruz, Redondo Beach ou Santa Monica sortirent des sables. Problème, ces beach cities manquent de sauveteurs et de garçons de plage, ce qui occasionne de nombreuses noyades. Pour palier à ce problème, des magnats de l'immobilier recrutent les beach boys hawaïens. En 1925, Duke Kahanamoku  s'illustre en sauvant huit personnes de la noyade grâce à sa planche. L'exploit convainc les municipalités d'équiper les sauveteurs de planches similaires. Le surf s'impose ainsi lentement au sein de petits groupes d'initiés.  

Les Californiens sont fascinés par cette capacité à marcher sur l'eau, à dompter la houle et à se jouer des courants les plus capricieux.

Uncredited staff photographer, Los Angeles Times, Public domain, via Wikimedia Commons

Au cours des années 1950, le surf devient un sport de masse en Californie. Une nouvelle classe moyenne découvre les joies de la glisse. Les plages sont le lieu de rencontre d'une jeunesse qui rêve d'une vie de liberté, affranchie des contraintes, et rythmée par la seule quête de la bonne vague. Les techniques évoluent. De nouveaux matériaux permettent de fabriquer des planches ultra-légères en polyuréthane, ainsi que des combinaisons en néoprène. 

La proximité de Hollywood et de l'industrie musicale californienne propulsent le surf en phénomène de culture populaire. En 1959, le film Gidget marque le début des films de plage. S'y dessine le portrait d'une jeunesse californienne insouciante. Le surfer, éphèbe hâlé aux cheveux longs, devient la personnification du cool et de la décontraction. Un pratiquant qui prend du bon temps, au contact des éléments naturels, rejetant le monde du travail et la société de consommation. 


Les premiers groupes de surf music s'inspirent des stars du rock instrumental de la fin des fifties tels Link Wray ou Duane Eddy. Les Ventures, originaires de la région de Seattle, bien loin du soleil californien, influencent la plupart des groupes de surf music avec leur son de guitares doté d'un très fort écho. A partir de 1960, et tout au long de la décennie, ils obtiennent toute une série de tubes. C'est le cas de "Walk don't run" ou de Wipe out des Surfaris, un disque autoproduit par des musiciens de 16 ans. Le riff de guitare est simple et entêtant, tandis que la caisse claire de la batterie est mise en avant. Citons encore "Bustin 'surfboards" des Tornadoes, avec un son de vague introduisant le morceau.

Le surf rock débute véritablement en 1960 avec la sortie d'une série de 45 tours explosifs, expédiés en deux minutes chrono. La musique surf dérive du télescopage entre le rythm'n'blues et le rock'n'roll des pionniers. La guitare est, plus que tout autre instrument, mise en valeur, une Fender si possible. Robert J. Dalley, spécialiste de ce style, identifie plusieurs critères caractéristiques de la surf music. Le morceau est un instrumental. La guitare solo passe par une boîte de réverbération, avec un son aussi «dégoulinant» d'écho que possible. La musique se doit d'être crue, brutale, énergique, avec un tempo rapide. "Chaque fois que vous passez le disque en question, il doit donner la chair de poule à votre planche de surf", écrit-il. Géographiquement, le genre s'épanouit principalement au sud de la Californie. Dès 1960, les Belairs font danser les teenagers au cours de fêtes sur les plages de Hermosa et de Redondo avec leur morceau "Mr Moto"

Sur la péninsule de Newport Beach, Dick Dale, un jeune surfer d'origine libano-américaine, s'impose comme la star du genre grâce à son jeu de guitare virtuose. A la tête des Del-Tones, il sort le morceau "Let's go trippin'" en septembre 1961. Dale est gaucher, il n'en utilise pas moins un instrument pour droitier, dont il n'inverse pas les cordes. Sur sa Stratocaster, il joue vite, avec énormément de réverbération, et si fort que les amplis n'y survivent pas. Au point que Leo Fender élaborent à sa demande un modèle d'une puissance inédite: le Showman.


Le guitariste est un adepte du double picking, qui consiste à répéter une même note de manière ultra-rapide grâce à un médiator en attaquant les cordes alternativement de haut en bas, puis de bas en haut. Il sait ainsi aligner les triples croches comme sur Misirlou, une chanson traditionnelle libanaise. A Balboa, sur la scène du Rendez Vous Ballroom, les riffs de Dale galvanisent  le public qui prend l'habitude de se livrer au surfer stomp, une sorte de pogo avant l'heure.

Le "king of surf guitare" influence de nombreux guitaristes et dans son sillage apparaissent une myriade de formations plus ou moins talentueuses: Tornadoes (que nous écouté en ouverture de cet épisode), Challengers ("Surfbeat"), Lively Ones, Surfaris ("Wipe out"). Pour monter un groupe il suffit alors de pouvoir tenir une guitare entre les mains.

Sur la planche, la recherche d'adrénaline fait prendre les risques les plus insensés. L'extase est atteinte lorsqu'on parvient à prendre un pipeline, à s'insérer dans un tube, ces tunnels formés par les rouleaux des grandes vagues, que seuls les surfers les plus audacieux et doués sont capables d'emprunter. En 1962, dans l'arrière boutique d'un magasin de surf de Santa Anna, les Chantays enregistrent le morceau pipeline, dont l'introduction n'est pas sans évoquer les vagues déferlantes s'abattant sur le rivage.

L'ère de la surf music ne dure guère. Inaugurée en 1960, elle prend fin dès 1964. Les fossoyeurs du genre se nomment les Beach Boys ou encore Jan and Dean. Si leurs chansons traitent du genre de vie des jeunes des bourgades californiennes, leur musique s'apparente à de la pop, simple et de qualité certes, mais nettement moins incisive et énergique que celle qui retient ici notre attention. Autre différence fondamentale, leurs compositions sont chantées, vocalisées. Au début de leur carrière, les Beach Boys consacrent de nombreux titres au sport de glisse. Le morceau Surf in USA , par exemple, énumère quelques uns des spots de surf les plus célèbres de Californie. En tout cas, si les Beach Boys exploitent le filon de la surfmania, posant sur les pochettes de leurs disques avec une planche sous le bras, ils surfent aussi bien que nage le poisson sur un tas de charbon.

Dans ces conditions, le surf-rock devient rapidement un objet de nostalgie. Le genre inspire longtemps après sa disparition et s'exporte. Nous venons d'entendre le groupe péruvien des Belkings, qui enregistre de nombreux titres surf au cours des années 1960. C'est aussi le cas au Japon du groupe de Takeshi Terauchi.  L'influence de la surf music resurgit de temps à autre comme dans le "Human fly" des Cramps en 1983. En 1990, les Pixies propose une relecture d'un instrumental des Surftones intitulé "Cecilia Ann". Enfin en 1994, la bande originale du film Pulp Fiction de Quentin Tarantino, qui comprend plusieurs titres de surf rock relance l'intérêt pour le genre.


Notes:

1. De nombreuses sources nous indiquent que le surf fut pratiqué d'un bout à l'autre de cette région, ainsi qu'en Afrique de l'Ouest et au Pérou.

Sources:

A. "Le nouveau dictionnaire du rock", (dir.) Michka Assayas, Robert Laffont, 2014.

B. William Finnegan: "Jours barbares. Une vie de surf", Éditions du Seuil, 2017. Formidable autobiographie dépeint avec brio la quête effrénée de la vague parfaite.

C. Jérémy Lemarié: "Surf: histoire d'une conquête", Arkhe poche, 2021.

D. "La surf music en trois vagues" [L'influx. Le webzine qui agite les neurones.] 

E. "Prendre la vie ou la vague du bon côté" [magazine Invitation au voyage sur Arte]

F. "Surf: l'éternel été 

G. "1966: la vague surf" [émission Métronomique, puis Jukebox sur France Culture]   

H.  Vincent Coëffé, Christophe Guibert et Benjamin Taunay, « Émergences et diffusions mondiales du surf »Géographie et cultures [En ligne], 82 | 2012, mis en ligne le 25 février 2013, consulté le 01 août 2021.

I. Le surf, une vague mondiale [La Série documentaire]. "Comment le surf a fait un tube"

J. "Le surf: histoire, culture et anthropologie" avec Jérémy Lemarié. [Conflits. Revue de géopolitique]

K. A la recherche de la culture surf. [Le magazine du week-end" sur France Culture]

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