mardi 10 juin 2008

50. Fela:"ITT".

Fela Hildegart Ransome est sans doute un des musiciens les plus influents du XXème siècle. Il naît en 1938, dans une famille bourgeoise nigériane, très engagée. Il se passionne pour la musique et s'impose comme un saxophoniste hors-pairs. Au sein du groupe Koolas lobitos, il mélange le jazz et le rythm and blues aux musiques africaines telles que le highlife et la ju-ju music.  En 1969, sa rencontre avec une militante noire des Black Panthers, Sandra Smith, l’influence considérablement. Il change le nom de son groupe qui devient Africa 70. Il chante désormais en pidgin (l’anglais du petit peuple), et plus en yoruba. Cuivres envoûtants, percussions hypnotiques, envolées de saxophone deviennent la marque de fabrique de sa musique: l’Afrobeat. L'artiste adopte enfin nouveau nom, celui de Fela Anikulapo ("celui qui porte la mort dans sa gibecière") Kuti. 

Dans ses chansons, Fela Kuti fustige les militaires qui accaparent le pouvoir et imposent la dictature. Il y dénonce aussi la collusion de ces derniers avec les grands groupes pétroliers étrangers qui ont fait main basse sur l’or noir nigérian. Son aura est immense dans le pays, notamment dans les ghettos de Lagos. Ses attaques frontales contre les militaires lui valent de nombreuses arrestations. Sa résidence - la Kalakuta Republic où il vit en roi au milieu de ses nombreuse femmes - est saccagée par les militaires, qu'il compare à des Zombies. Ces derniers qui “ne parlent pas si tu ne leurs demandes pas de parler/ qui ne pensent pas si tu ne leurs demandes pas de penser”.”Dis-lui de tuer et il tue, dis-lui de marcher droit et il marche droit”. L’audience accrue de Fela, notamment à l’étranger, pousse les autorités à faire taire cette voix rebelle à toute concession. Une fois sorti de prison, l'artiste s’exile au Ghana, d’où il est chassé, car il prend le dictateur local pour cible. Avec le retour d’un gouvernement civil au pouvoir au Nigeria, Fela pense pouvoir se lancer dans l’arène politique, en vain. Il passe de nombreuses années en prison (pour possession de cannabis, puis pour une affaire de corruption), avant d’être libéré en 1986. Affaibli et malade, il s’éteint, victime du sida, en 1996,Plus de dix ans après sa disparition, l’héritage de Fela reste immense, à commencer par ses compositions hypnotiques, qui s’étirent fréquemment au-delà du quart d’heure et qui n’ont pas pris une ride: Lady, Sorrow tears and blood, Shakara, Rofofo fight, Truth don die. 




Dans son titre International Thief Thief Fela utilise l'acronyme d'International Telephone and Telegraph (ITT), une multinationale qu'il accuse de piller les ressources de l'Afrique. Le saxophoniste-chanteur critique aussi la collaboration de nombreux Africains avec ces compagnies. Selon Fela, ces firmes occidentales contribuent par ailleurs aux violences récurrentes qui sévissent dans le delta du Niger. Au bout du compte, il assimile la mainmise des grands groupes pétroliers sur les ressources nigérianes à une spoliation. L'exploitation des ressources du pays n'enrichit que les groupes pétroliers et les dirigeants du pays (corrompus par ces mêmes compagnies), quand la grande majorité des habitants de la région vivent dans une grande pauvreté.



I.T.T. (International Thief Thief (1979) 
"Long time ago / Africa man we no dey carry shit /We dey shit inside big big hole (...) / But during di time dem come colonize us / Long time ago (...) / Dem come teach us to carry shit / Long long long time ago / Africa man we no dey carry shit / Many foreign companies dey Africa carry all our money go (...) / Dem get one style dem wey dem dey use / Dem go pick, one African man / A man with low mentality / Dem go give am million naira bread (...) / To became one useless chief / Like rat dey do dem go do from / under under -pass pass / Up up pass -Pass out - out pass (...) / Dem start start dem confusion / Start start dem corruption / Start start dem inflation / Start start dem oppression / Start start dem confusion / Start to steal money like Obasanjo and Abiola / International Thief Thief / We go fight dem well now (...)

***
 
Il y a longtemps / Nous les Africains ne portions pas la merde / Nous faisions dans un très grand trou (...) / Mais à l'époque où on nous a colonisé / Il y a longtemps (...) / On nous a appris à porter de la merde / Il y a bien bien longtemps / Nous les Africains ne portions pas la merde / Beaucoup de compagnies étrangères en Afrique / Prennent notre argent et s'en vont en courant (...) Ils utilisent la même méthode: / Ils prennent un Africain / Un homme de peu de morale / Ils lui donnent un million de nairas (...) / Pour en faire un chef inutile / Comme des rats, / Ils s'introduisent par en dessous / Par-ci par-là, en haut en bas (...) / Et ils commencent à semer leur confusion / Ils commencent à semer leur inflation / Ils commencent à semer leur corruption / Ils commencent à semer leur oppression / Ils commencent à voler de l'argent comme Obasanjo et Abiola / Maintenant il faut se battre contre eux (...)

Source:

- François Besignor:"Fela Kuti, le génie de l'Afrobeat", Éditions Demi-Lune, collection Voix du monde, 2012.

2 commentaires:

E.AUGRIS a dit…

Je ne connaissais pas ce titre, merci pour cet éclairage.
Signalons que les fils ont pris la relève. Même s'ils ont longtemps refusé de se parler (l'un des inconvénients d'avoir une nombreuse cour...), les choses ont changé récemment. Femi suit depuis longtemps les traces de son père tout en s'en distinguant. Quant à Seun, qui dirige l'orchestre de Fela, Egypt 80, il vient de sortir son premier album, Many Things. Pour les amateurs, il est en concert à Nancy en octobre lors du NJP !

blottière a dit…

Merci pour ces informations. L'album de Seun semble très prometteur. La jeune scène nigérienne, tous genres confondus, est en pleine effervescence.
Exemple: Nneka, dont voici la page Myspace = http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=79496565