vendredi 11 juillet 2008

66. Hocus Pocus : "Quitte à t'aimer"

Le groupe de Rap nantais Hocus Pocus existe, avec des hauts et des bas, depuis 1995. En 2007, dans son album Place 54, il consacrait une chanson à son pays en lui parlant franchement, dans les yeux. Si cette chanson sonne comme une déclaration d'amour, c'est un amour quelque peu désabusé. Désabusé par le peu de considération pour les exclus, notamment les sans-abris.
Dans ce pays, certains ne trouvent pas leur place, parce que leurs mots ne sont pas ceux qu'on attend, parce que leur apparence est différente. Tout le monde ne se reconnaît pas dans les paroles de l'hymne national ("Qu'un sang impur abreuve nos sillons" ?).
Nous tairons le nom de ce pays, mais vous l'aurez sans doute reconnu... Pas besoin non plus de gros dessin pour comprendre les allusions à l'élection présidentielle de 2002, je vous laisse identifier les protagonistes.
Hocus Pocus parle également de l'amnésie sur les erreurs du passé. Cette amnésie concerne ici l'esclavage. Nantes fut en effet le premier port français de la traite et cette histoire a longtemps été occultée ("J'te reconnais pas, qui sont ces hommes enchaînés ?"). Précisons qu'il n'y a probablement pas de cliché sépia de cette période de la traite et que le port de Nantes n'a pas dû voir beaucoup d'esclaves enchaînés. Dans le système du commerce triangulaire, les bateaux de la Traite partaient des ports européens chargés de biens à échanger contre des esclaves sur les côtes africaines puis vendaient ces esclaves aux Antilles ou sur le continent américain d'où ils revenaient avec des produits de ces territoires (voir la carte de ce commerce). A Nantes, l'association "Les anneaux de la mémoire" mène depuis les années 1990 un travail contre cette amnésie. Sur l'histoire et la mémoire de l'esclavage dans les ports de la traite et à La Réunion, consultez le dossier réalisé en octobre.


Je vous laisse apprécier cette chanson, accompagnée par la flûte traversière de Magik Malik. Petite devinette, le refrain contient un sample. Saurez-vous me donnez les noms de l'artiste (facile) et du compositeur (un peu plus dur...) ?

Un grand merci à Clément qui m'a fait découvrir ce groupe !

Petit pays je t'aime beaucoup
Petit pays je l'aime beaucoup

Petit pays j'voulais te dire deux mots,
J'te Parle en ami vu qu'on se connaît depuis l'berceau,
J't'aime bien mais laisse moi juste te dire
Que parfois tu délires, et souvent tu fais pire.
T'as 60 millions d'gosses à assumer,
Des petits anges, de petits diables,
Ça fait un paquet de monde pour dîner,
J'comprends que parfois à table tu pètes un câble.
Petit pays tout le monde te dit que tu déconnes
Quand tu les laisses dormir dehors alors que c'est tes mômes.
La rumeur court sous les ponts et sur les trottoirs,
Il paraît qu'ils portent ton nom et qu'tu ne veux pas les voir.
Ton histoire est bien plus que celle d'une vie,
Tu ne comptes plus les erreurs que t'aimerais oublier,
Alors trop souvent tu simules l'amnésie
Et comme mes frères et sœurs je continue de t'aimer.

Petit pays je t'aime beaucoup
Petit pays je l'aime beaucoup

Petit pays tu m'as vu pousser
Depuis 28 ans, toi t'as pas vraiment changé.
A peu de choses près tu tiens les mêmes propos,
Les mêmes défauts cachés sous le même drapeau,
Tiens regarde, j'ai retrouvé de vieux clichés,
On y voit le port de Nantes en couleurs sépia,
J'te reconnais pas, qui sont ces hommes enchaînés ?
Au dos de l'image cette liste c'est quoi ?
Petit pays pourquoi dans ton journal intime,
Avoir déchiré des pages et effacé des lignes ?
Pourquoi la main sur le cœur, cette étrange chanson
"Qu'un sang impur abreuve nos sillons" ?
Avec ta langue maternelle et celle de tes ancêtres,
Tes enfants n'en font qu'à leurs lettres.
Ils te parlent et tu restes blême
Quand ils disent " J'te kiffe" pour te dire "Je t'aime"

Petit pays je t'aime beaucoup
Petit pays je l'aime beaucoup

Petit pays tu as du caractère,
Tu sais dire "Non" et on ne peut pas te la faire à l'envers,
T'as des valeurs, une culture métissée, et qui sait...
Demain tu mangeras peut-être épicé.
On se lasse au bout d'un moment,
Difficile de partager l'ordinaire,
Alors du coup, toi, tous les 5 ans
Tu dégottes un nouveau partenaire.
Parfois à cette occasion tu bois comme un ivrogne
Et tu te réveilles au lit avec un borgne,
Tu l'mets dehors mais comme t'es accro, tu bois trop
Et finis sous les draps d'un escroc.
Petit pays ne le prend pas mal
Car tu sais qu'au fond je t'apprécie,
Mais il fallait que tout mon sac je te déballe,
S'il te plaît, dis-moi que tu m'aimes aussi.

Petit pays je t'aime beaucoup ...
Petit pays je l'aime beaucoup ...



[Le graphique vient de l'excellent Atlas des esclavages publié chez Autrement en 2006 par Marcel Dorigny et Bernard Gainot]

2 commentaires:

blottière a dit…

Excellent morceau (et article). Pour le sample, ce doit être la grande Cesaria, quant au compositeur, je donne ma langue au chat.
A +

E.AUGRIS a dit…

Exact pour l'interprète, pour le compositeur, j'avoue que je ne le connaissais pas non plus. Réponse sous peu...