mardi 15 novembre 2022

La salsa : bande son du barrio new-yorkais.

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Au début des années 1950, une importante communauté latino vit à New York. Arrivés à la faveur de différentes vagues migratoires, fuyant l'extrême misère, les révolutions ou l'insécurité, ces immigrés sont principalement originaires des Caraïbes. Les Portoricains sont les plus nombreux. Devenus Américains en 1917, ils n'en restent pas moins des citoyens de seconde zone. Les lois sur l'immigration de 1965 voient également affluer des Dominicains, Mexicains, Panaméens, Cubains. Ces populations résident dans les quartiers les plus déshérités de New York : le sud du Bronx et l'est de Harlem. La vie est rude dans le barrio. Pour tenir, ils se réfugient dans leur culture d’origine, et en particulier la musique. De nombreux dancings ouvrent leurs portes.Le plus connu se nomme le Palladium. De grands orchestres y popularisent les rythmes cubains (mambo, cha-cha-cha) au cours des années 1950. 
 
Neodop, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
 

En 1959, à Cuba, Fidel Castro et ses barbudos chassent le dictateur Battista et s'emparent du pouvoir. Les États-Unis placent bientôt l'île sous embargo. Cuba cesse alors d’être la place forte des musiques latines, statut désormais assumé par NY. Les musiciens latinos y forgent progressivement une musique hybride, qui puise ses influences à la fois dans les rythmes caribéens (son, mambo, chacha cubains, merengue dominicaine, bomba et plena portoricaines), mais aussi dans les musiques afro-américaines (jazz, soul). A la fin des années 1960 apparaît le boogaloo (« I like it like that » de Pete Rodriguez)

Une nouvelle musique émerge peu à peu. Jouée par les percussions (congas, bongos, timbales), la clave sert de repère rythmique syncopée aux pas des danseurs. Les instruments utilisés comme le güiro ou les maracas témoignent des emprunts aux différents folklores caribéens, mais les jeunes générations innovent en introduisant la basse électrique, le synthétiseur, le trombone. Un instrument mis à l'honneur dans le titre la Murga.


Le barrio des années 1960 abrite une densité phénoménale de musiciens exceptionnels. Parmi eux se trouve Willie Colon. Né dans le Bronx de parents portoricains, ce jeune tromboniste prodige produit une musique abrasive. Les enregistrements de celui que l'on surnomme El Malo, « le méchant », reflètent la dureté des conditions de vie du ghetto. Il chante « Je suis le méchant / parce que j'ai un cœur ».

Très vite, Colon tape dans l’œil de Johnny Pacheco, multi-instrumentiste talentueux et compositeur brillant, originaire de Saint-Domingue. Frustré de ne pouvoir trouver une maison disque à la hauteur de son talent, Pacheco fonde en 1964 la Fania records avec l’avocat italo-américain Jerry Masucci. Au premier le volet artistique, au second le business. Fania réunit bientôt les musiciens les plus doués de la ville : le claviériste Larry Harlow, le bassiste Bobby Valentin, le conguero Ray Barretto, mais aussi des chanteurs capables d'improviser comme Ismael Miranda, Hector Lavoe, Cheo Feliciano. 


La musique jouée par tous ces talents n'a pas encore de nom, mais les différents ingrédients sonores qui la compose donnent du liant, comme la sauce donne son caractère à un plat. L’appellation salsa s'impose peu à peu pour désigner cette musique de danse aux rythmes endiablés, une musique qui revendique fièrement ses racines et sa culture de rue. Le 26 août 1971, Masucci a l'idée d'organiser un grand concert filmé à la gloire de la salsa au Club Cheeta. 'Our latin thing : Cosa nuetra', c'est son nom, obtient un immense succès, qui fait de l'événement l'acte de naissance officieux de la salsa.


Dès lors, la Fania connaît un essor prodigieux et finit par exercer un quasi monopole sur la salsa. Les stars de la maison de disques se produisent désormais en groupe sous le titre de Fania All stars. Sur scène, les musiciens improvisent, instaurant un dialogue avec l'auditoire, jusqu'à atteindre un paroxysme sonore. Le 24 août 1973, 50 000 spectateurs assistent à un concert géant au Yankee Stadium de New York. Au bout de quinze minutes de concert, le public franchit les barrières, envahit la pelouse et se précipite vers la scène. Peu importe, les étoiles de la Fania tournent désormais dans le monde entier. En octobre 1974, ils se produisent ainsi à Kinshasa, dans le cadre du « combat du siècle » entre Mohamed Ali et George Foreman. Sur scène, la chanteuse cubaine Celia Cruz interprète Quimbara. Les percussions, les cuivres incendiaires constituent un écrin sonore à la hauteur de cette véritable reine de la salsa. 

 

Tout au long des années 1970, la salsa témoigne du processus d'affirmation identitaire des latinos new-yorkais. Les textes des morceaux chroniquent la vie de quartiers déshérités, ces ghettos où violence et trafic de drogue sévissent sans partage. Les titres font souvent l’éloge du voyou, du cador hâbleur, frimeur, sapé de manière ostentatoire. Le plus célèbre de ces personnages, inventé par le chanteur panaméen Ruben Blades a pour nom Pedro Navaja (1978). Le texte, très travaillé, tient l’auditeur en haleine. « Pedro Navaja porte, incliné, un chapeau à larges bords et des espadrilles pour s’envoler, en cas de problèmes ; des lunettes noires, pour qu’on ne sache pas ce qu’il regarde et une dent en or, qu’on voit briller quand il rit. » 

 

Dans une Amérique toujours dominée par les WASP, la salsa est une manière de clamer en rythmes sa différence. Dans le contexte déprimé du ghetto, elle insuffle un sentiment de fierté, célébrant les barrios et leur négritude. A l'occasion, les titres se font revendicatifs, dénonçant les pratiques discriminatoires à l'encontre des Portoricains. Sur un morceau d'Eddie Palmieri intitulé Revolt La Libertad Logico, Ismael Rivera chante : « La liberté, Monsieur, ne me l'enlève pas. Moi aussi, tu sais, je suis humain. Et c'est ici que je suis né. » 

 

C° Au fond la salsa, « c'est une frangine portoricaine qui vit dans le spanish harlem, les reins cambrés au bon endroit. Elle est superbe, c'est la salsa. » (Titre Salsa enregistré par Bernard Lavilliers avec Ray Barretto), une frangine qui est parvenue à fédérer au cours des 1970's toute l'Amérique hispanophone, réalisant enfin le vieux rêve de Bolivar. Une frangine installée à Nueva York, mais qui a essaimé partout, et notamment en Colombie

Également victimes de la ségrégation, les Portoricains se rapprochent du combat des Noirs américains. Sur le modèle des Black Panthers, il se dote de leur propre organisation: les young lords, particulièrement actifs de 1968-1973. Le barrio s'embrase. Les poubelles débordent. Les youngs lords y mettent le feu. C'est l'offensive citoyenne des poubelles de 1969. Ils mettent en place des programmes sociaux (distribution gratuite de petits déjeuners, bilans de santé, collecte de vêtements). Eddie Palmieri organise des collecte de fonds pour des organisations militantes.

Sources :

A. « La salsa au sommet »

B. « Pop n' Salsa : une latine de Manhattan  »

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