lundi 21 avril 2008

18. Keny Arkana:"Victoria".

Keny Arkana est une jeune rappeuse marseillaise dont le premier album, "entre ciment et belle étoile", a rencontré un beau succès. Après une enfance et adolescence difficiles (elle va de foyer en foyer, dont elle fugue fréquemment), elle intègre bientôt divers collectifs marseillais et commence à écrire des textes engagés.

Dans ce titre, Keny Arkana revient sur la situation de son pays d'origine, l'Argentine. Elle évoque la difficulté à vivre dans un pays pourtant riche et où les inégalités sociales sont immenses ("j'vois bien tout ces petits faire la manche, devant le mépris de ceux qu'on appelle les gens biens"). Lourdement endettée, l'Argentine a subi le traitement de choc classique prôné par l'es institutions financières internationales: privatisations, politique de rigueur budgétaire...

Une crise financière très grave touche le pays en 2001 et a plusieurs raisons: la surévaluation du peso, un taux d'endettement très élevé, la dénationalisation de l'économie argentine (les principales ressources du pays ont été confiées à des Firmes transnationales américaines et européennes comme le montre avec brio le documentaire "mémoire d'un saccage") , le manque de confiance des investisseurs dans l'économie du pays qui retirent leurs capitaux ce qui entraîne par ricochet un chaos bancaire inouïe ("la banque lui avait volé ses économies") et des dévaluations de la monnaie en cascade...

Les conséquences sociales furent désastreuses : au pire de la crise (au milieu de l'année 2002), le taux de pauvreté dépassa 57 %, et le taux de chômage atteignit 23% ("y a des orphelins qui vivent dans les décharges").

La crise accélère le mécontentement social et accroît l'audience du mouvement piquetero. Ils doivent leur nom aux barrages, les "piquetes", qu'ils dressent sur les routes pour protester. Initialement, il s'agissait d'une lutte sociale locale et spontanée, mais face à l'ampleur du marasme économique, les chômeurs multiplient les barrages routiers et se regroupent en association très actives dans tout le pays ("Ils bloquent les routes, pour bloquer l'économie du pays / c'est leur façon de se faire entendre").

A plusieurs reprise, K.A. fait aussi référence à la dictature militaire qui sévi sur le pays de 1976 à 1983 ("je pense à mes aînées qui ont connu le chant des mitraillettes"). Les puschistes argentins Viola, Videla et Galtieri imposent un pouvoir d’une brutalité inouïe qui provoque la mort de 30 000 personnes. Les opposants politiques (syndicalistes, communistes...) et leurs enfants sont traqués, éliminés. Le régime a recours aux enlèvements. Les Mères de la place de Mai manifestent régulièrement pour exiger du pouvoir en place de rendre des comptes concernant les milliers de personnes disparues sous la dictature ("les mères des disparus chantent toujours contre l'oubli"; "jamais ils ne pourront détruire la lutte des peuples qui ne peuvent oublier leurs disparus").
Moi c'est Victoria, née il y a 14 printemps
Dans un village près de Salta dans lequel je vivais avant
Cela fait maintenant, plus de 10 ans,
Qu'avec papa et maman
Mes frères et mes soeurs
On a quitté nos champs.
On est venu s'entasser dans une de ces cabanes, à l'entrée de la ville
C'est papa qui l'a construite, mais elle n'est pas finie
Je n'ai que des vagues souvenirs du village
Maman pleure quand elle m'en parle car elle n'aime pas la vie ici
Des étrangers ont brûlé nos maisons pour nous voler nos terres
Papa s'énerve moi je comprends pas, il parle d'agro-alimentaire
Il dit que les politiques sont des prédateurs qui sèment la peur
Et qu'ils ont un estomac à la place du coeur
Ici pas de travail, aucune prière ne s'exhauce
Après les cours avec ma soeur on va vendre des bracelets deux pesos
Et malgré tous ces efforts, demeurent ces jours sans repas
La nuit maman pleure, la nuit maman ne dort pas


Refrain :

No llores hija mia (ne pleure pas, ma fille)
Yo, no perdì las esperansas (moi, je n'ai pas perdu l'espoir)
Des los bandidos dictadores (des bandits dictateurs)
Jamàs podràn destruir la lucha de los peublos (jamais ils ne pouront détruire la lutte des peuples)
que no pueden olvidar a sus desaparecidos.(qui ne peuvent pas oublier leurs disparus)


Mon voisin m'a dit pendant la dictature c'était plus dur
Alors j'vais pas me plaindre même si ici y a pas de futur
Moi j'aime bien les études, on m'a dit c'est bien mais inutile
Ici beaucoup ont arrêté avant même de savoir écrire
Dans mon jardin secret, j'cultive le rêve d'être médecin,
Soigner tous ces enfants malades, qui ne mangent pas à leur faim.
J'comprends pas dans la ville j'vois bien tous ces petits faire la manche,
Devant le mépris de ceux qu'on appelle les gens bien.
J'm'interroge, ne voient-ils pas la misère ?
Il nous écrasent pour bénir l'homme venu de l'autre hémisphère.
Papa dit qu'on est traités comme des chiens
Dieu merci j'ai ma famille, plus loin y a des orphelins qui vivent dans les décharges.
Des fois je pleure en cachette,
Mais pas longtemps car j'pense à mes aînées qui ont connu le chant des mitraillettes.
Et puis grand-mère disait toujours, la vie c'est l'espoir,
Si t'en as plus, t'es comme mort, et vivre relève de l'exploit

(Refrain)

Papa est à bout, il a frolé la folie,
Quand un matin il a appris
Que la banque lui avait volé ses économies
Impuissant, tout le monde était affolé
Il était pas le seul, c'est la nation entière qui s'était fait voler.
Depuis ce jour, avec beaucoup de gens de la ville
Ils bloquent les routes, pour bloquer l'économie du pays
C'est leur façon de se faire entendre
Mais moi j'ai peur quand il s'en va, y'en a qui revienne pas, la police est violente,
Ils les appellent Piqueteros
Et les journaux sont des menteurs
Ils disent que c'est des bandits après il y a des gens qui ont peur
Papa dit, ils peuvent tuer des hommes, mais ils ne tueront pas la mémoire
Les mères des disparus chantent toujours contre l'oubli
On vit le fruit d'une démocratie ratée,
Dans un pays si riche tant d'enfants ont dans le ventre qu'une tasse de Mate.
Parce qu'on est dirigés par la mafia du crime,
Moi j'comprends pas et quand j'demande pourquoi
on m'répond toujours « parce qu'on est en Argentine »

liens:
- un dossier de la Documentation française sur la crise argentine.
- Critique du documentaire de Solanas "Mémoire d'un saccage".
- Beaucoup d'autres articles dans notre dossier sur l'histoire et la géographie du Rap


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