En juin 1940, l'armée française subit une désastre militaire sans précédent. Le régime de Vichy, né de cette défaite, instaure un régime réactionnaire, antidémocratique, antisémite et de collaboration avec l'Allemagne nazie. Dès lors, la
vie quotidienne des Français sous l'Occupation devient particulièrement difficile. Le pillage organisé
de la France impose aux habitants de nombreuses restrictions
alimentaires ainsi que le rationnement. La pénurie s'installe. Dans le même temps, les libertés
fondamentales sont bafouées. Or de ce contexte désespérant jaillit pourtant de la
plume des poètes une extraordinaire poésie de résistance. C'est dans les pas d'Aragon que nous abordons ici la résurgence poétique des "années noires". Celui qui n'avait plus écrit de poèmes depuis le début des années 1930, renaît à la poésie avec la guerre.
Pierre
Seghers avec Aragon et Elsa Triolet à Villeneuve-lès-Avignon à la fin
de l'été 1941. Par Pierre Seghers [CC BY-SA 3.0
(https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wiki C.
Le
2 septembre 1939,
Louis Aragon est affecté comme médecin auxiliaire sur la ligne de front. En mai 1940, à l'issue de la drôle de guerre, la débâcle des armées françaises
le conduit de Belgique à Dunkerque où il embarque en catastrophe le 1er juin. De
retour en France, il parvient à rejoindre Elsa Triolet, son épouse, entre Charente et Dordogne. Démobilisé le 31 juillet alors qu'il se trouve en Périgord, il se réfugie avec Elsa chez Renaud de Jouvenel, qui possède un château près de Brive. Aragon évoque les jours heureux passés en ce havre de paix dans son poème Zone libre:
"J'ai bu l'été comme un vin doux
J'ai rêvé pendant ce mois d'août
Dans un château rose en Corrèze"
Très vite cependant, le couple doit changer de domicile. En
septembre, à Carcassonne, ils retrouvent Germaine et Jean Paulhan, puis font la connaissance de Pierre Seghers. Ce dernier les accueille bientôt aux Angles, à Villeneuve-lès-Avignon. Ils se rendent ensuite à Nice (décembre 1940), Lyon, de nouveau Nice... En
contact avec le Parti communiste clandestin depuis 1941, Elsa Triolet
et Louis Aragon regagnent Paris vers la fin juin 1941 pour organiser la
coordination avec les intellectuels qui agissent en zone occupée. Au
passage de la ligne de démarcation, ils sont arrêtés par les Allemands,
puis emprisonnés à Tours. Libérés à la mi-juillet, ils entrent en
contact dans la capitale avec Jacques Decour et Jean Paulhan, avec
lesquels seront mis sur pied le projet d'édition des Lettres françaises et la création du Comité national des écrivains.
A
l'annonce de l'occupation de l'occupation de Nice par les Italiens, en novembre 1942, Triolet
et Aragon quittent la ville et plongent dans la clandestinité. Munis de
faux-papiers, ils se réfugient dans la Drôme, à Saint-Donat. "La planque se trouvait [...] dans la montagne, on ne pouvait l'atteindre qu'à pied. [Nous étions] coupés du monde, enfouis dans la neige de l'hiver 1942, introuvables." Ils y resteront cachés jusqu'à la Libération, faisant de fréquents voyages à Valence, Lyon, Paris. La
résistance littéraire prend alors une forme collective avec la création
du Comité national des écrivains, en zone sud, au début de 1943. Le
parti communiste clandestin confie cette mission à Louis Aragon.
Tout au long
de ces pérégrinations, Aragon ne cesse d'écrire de la poésie. Il semble
même ne jamais avoir été aussi inspiré. En pleine débâcle, alors qu'il a échoué à Ribérac (1), l'écrivain engage une intense réflexion sur sa pratique poétique. Dans le village périgourdin où vécut au XIIème siècle le troubadour Arnaut Daniel, Aragon plonge aux racines de la poésie médiévale. (2) Daniel était un des maîtres du « Clus
Trover », la poésie fermée, un style hermétique permettant au poète de chanter sa dame en présence même du seigneur.
Or pour Aragon, les poètes en 1940 doivent se souvenir de cette leçon des troubadours et faire passer leur message en déjouant la censure des nouveaux seigneurs nazis et de leurs valets vichyssois. A posteriori, il expliquera d'ailleurs que la censure de l'occupant et des collaborateurs l'a "conduit à retrouver des formes anciennes de la poésie française". En puisant aux sources de la littérature, l'écriture
poétique pourra, selon lui, réaffirmer l'identité culturelle du pays face à
l'occupant.
Les poèmes des années noires sont donc truffés d’allusions voilées aux événements du
temps. Paradoxalement, cette "poésie de contrebande" doit être accessible, "parler à tous le langage interdit de la Patrie". (3) Aux temps mauvais, Aragon chante à pleine voix
pour le peuple de France. L'ancien surréaliste qui exécrait le
patriotisme en vient à exalter la grandeur du pays. Pour Aragon,
il faut renouer avec le passé culturel de la nation. "Je m'étais juré que si mon pays devait être entraîné dans une nouvelle guerre (...), au moins quelqu'un dans mon pays élèverait la voix contre. Et la forme que ma poésie a pris était une forme destinée à être entendue par le plus grand nombre de gens possible, en essayant de baser mon expression sur les formes profondément nationales de la poésie française. Cela a servi à quelque chose car, de cette poésie qui commence dès la drôle de guerre, est née, je puis le dire sans me vanter particulièrement, ce qu'on a appelé ensuite la poésie de la Résistance. Et effectivement, je suis parvenu à surprendre le pouvoir public de Vichy qui ne croyait pas que des vers patriotiques pouvaient être une arme, pour lui, dangereuse. Ce qui fait que j'ai pu jusqu'à l'automne de 1942 vivre légalement, quoique lié aux mouvements de Résistance", se souvient le poète après guerre. [source B: Poésie et histoire]
Tout au long de la guerre, Aragon ne cesse d'écrire et publier plusieurs recueils de poèmes ou de textes inspirés de son expérience personnelle et des malheurs du temps (le Crève-Coeur en avril 1941, Cantique à Elsa, Brocéliande en 1942, La Diane française en 1944, mais aussi trois poèmes dans L'Honneur des poètes sous le nom de Jacques
Destaing ou le Musée Grévin en 1943 en tant que François la Colère). En 1942, les 21 poèmes formant le recueil Les yeux d'Elsa composent un hymne à
l'amour et à la France. Plus que jamais, l'écrivain conçoit la poésie comme une
arme dans le combat contre la barbarie. L'exécution par les nazis de 27 prisonniers détenus à Chateaubriant, le
22 octobre 1941, lui inspirent les Martyrs. La Rose et le Réséda, ou la Ballade de celui qui chantait dans les
supplices – dédiée à Gabriel Péri - disent la peine et l'espoir partagés, tout en célébrant le courage des résistants.
Si
les poètes jouissent en ces années d'Occupation d'une grande audience,
c'est que la poésie s'impose alors comme une nourriture spirituelle
presque aussi nécessaire que le pain. "En des temps devenus
difficiles, où tout est rationné (...) et contrôlé (...), le texte poétique, court, rapidement recopié et
diffusé, facilement mémorisable, devient le sésame de la liberté
d'expression." (source A: Anne Bervas-Leroux p 13) Diffusés sous forme de tracts, appris par cœur et recopiés, les poèmes se répandent à travers le pays; leur impact est immense. D'autres, destinés à la publication légale, sont chargés de double sens
par des auteurs pratiquant ce qu'Aragon nomme une "poésie de contrebande". Pierre Seghers rappelle que "les Français avait appris à lire en filigrane", comprenant le langage codé des poètes. En zone sud, de petites revues éditées légalement sous visa de censure telles que Poésie, Fontaine, Confluences, (4)contribuent
à l'effervescence poétique du temps. Ce renouveau incite d'ailleurs les
responsables des éditions de Minuit clandestines, Pierre Lescure et
Vercors, à commander à Eluard L'honneur des poètes. Cette anthologie poétique clandestine rassemble 42 poèmes composés par Desnos, Ponge, Aragon, Vercors, Pierre Emmanuel, Jean Tardieu, Edith Thomas...
Les risques encourus (5) par les "combattants de plume" obligent les poètes à se cacher. Les contraintes imposées par la guerre contribuent également à modifier le langage poétique. Comme le rappelle Georges-Emmanuel Clancier: "La
poésie a évolué à ce moment là. D'abord elle s'est faite, je crois,
plus orale avec des poèmes assez chantants, mais très mélodieux, très
rimés, très rythmés. Le fait aussi d'écouter avec passion chaque soir
les voix qui venaient de Londres, l'importance de nouveau donné à l'oral
et à la voix, je crois, a incité - même si ce n'était pas conscient au
début - les poètes a redonné davantage le sens du chant, et à revenir à
la source de la poésie qui a été longtemps chantée, parlée, dite". [Source B: "Poésie et histoire"] C'est tout à fait le cas de la poésies de guerre d'Aragon dont les vers s'imprègnent d'une grande musicalité. Ceci explique sans doute qu'ils aient été par la suite souvent mis en chansons.
Feu! Chatterton en concert. Par Xfigpower [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wikimedia C.]
Le groupe français Feu! Chatterton s'est prêté à l'exercice sur son deuxième et merveilleux album: "l'oiseleur". "Dans le disque, il y a ce poème d'Aragon, Zone libre, qui dit le malaise qu'on peut ressentir à vivre la douceur quand on est en temps de guerre. J'aime les vers solubles mais effervescents; la poésie est partout, elle peut durer tout une vie. On veut faire des chansons qui soient comme un refuge", explique le chanteur de Feu!. [Source G: "Par les temps qui courent"]. "J'ai trouvé Zone Libre très beau parce qu'il raconte ce moment du 'fading'. Cela vient de l'anglais 'fade', quand les choses s'amenuisent. Il parle de l'intensité de la douleur, de la mélancolie. 'Fading de la tristesse oubli / Le bruit du cœur brisé faiblit / Et la cendre blanchit la braise', je trouve ça merveilleux! Cela signifie exactement ce sentiment qu'on peut avoir quand quelque chose en nous est très intense, comme un sentiment amoureux, et qu'il vient gentiment, tranquillement, s'éteindre", explique Arthur Teboul. [Source H: Feu! Chatterton, avec le retour du printemps"]
"Un château rose en Corrèze". Par Père Igor [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], de Wikimedia Commons
Aragon écrit Zone libre en septembre 1940, alors qu'il se trouve à Carcassonne, en zone libre. Le poème prend place dans le "Crève-Cœur", un recueil de 22 poèmes écrits par Aragon entre octobre 1939 et octobre 1940. Les strophes ont une structure en sizains, tandis que les vers sont écrits en octosyllabes. Leurs rimes sont suivies d'abord, puis embrassées. Réfugié "dans un château rose en Corrèze" (6), l'auteur semble éprouver un sentiment ambivalent. Alors que la violence sourdre dans le pays, lui, est heureux. "J'ai bu l'été comme un vin doux / J'ai rêvé pendant ce mois d'août". "La cendre blanchit la braise", mais le feu continue de couver. "Il m'avait un instant semblé / entendre au milieu des blés / confusément le bruit des armes". De son abri, le poète perçoit "un sanglot lourd dans le jardin", l'écho assourdi de la fureur guerrière alentour. Ce" sourd reproche dans la brise" lui fait éprouver de la culpabilité, le "grand chagrin" de connaître la félicité intérieure alors que dehors la fureur fait rage. L'auteur ne peut néanmoins s'empêcher de chercher à prolonger ses instants heureux: "je cherchais à n'en plus finir / cette douleur sans souvenir". "Ah ne m'éveillez pas trop tôt / rien qu'un instant de bel canto", implore-t-il. Ce répit lui semble accordé: "J'ai perdu je ne sais comment / le noir secret de mon tourment". "Quand parut l'aube de septembre", le charme se rompt et le poète est tiré de sa douce torpeur "par "une vieille chanson de France". Il est désormais temps d'affronter la triste réalité d'un pays traumatisé. "Mon mal enfin s'est reconnu / et son refrain comme un pied nu / troubla l'eau verte du silence".
1. La leçon de Ribérac ou l’Europe française
qui paraît en 1941. 2. "J'en
reviens à Ribérac. Il y régnait un grand désarroi d'hommes de toute
sorte: des familles débarquées dans des voitures antiques, on ne sait où
racolées, avec leurs matelas sur la tête, et qui y campaient, quand ce
n'était pas dans les granges avec leurs bêtes, les vestiges de notre
division qui n'étaient que vingt pour cent des hommes entrés en
Belgique, de petites unités. (...)" 3. D'aucuns critiquent l'utilisation partisane de la poésie. Dans "Le déshonneur des poètes",
Benjamin Péret critique violemment cette poésie qui, selon lui, s'est
laissée prendre aux pièges du discours patriotique pour devenir
réactionnaire. Selon Arthur Koestler, "la littérature de la Résistance française, celle par exemple d'Aragon et
Vercors, n'est que charlatanisme littéraire, marché noir sur lequel le
sacrifice humain, la lutte et le désespoir sont mis en vente." Pour Pierre-Jean Jouve, au contraire, "personne
ne peut se tenir hors du jeu des puissances qui s'affrontent. Le
bouleversement, par sa violence et son universalité, oblige quiconque
exerce la parole, qu'il en soit conscient ou non, à choisir sa place." D'autres (René Char, Jean Guéhenno...) refusent d'écrire ou de publier sous la botte nazie. 4. Poésie est dirigée par Pierre Seghers depuis Villeneuve-lès-Avignon, Fontaine par Max-Paul Fouchet à Alger, Confluences par René Tavernier à Lyon. 5. En juin 1940, Saint-Pol Roux est tué par des soldats ivres. Le 30 mai 1942, Jacques Decour et Georges Politzer sont fusillés au Mont-Valérien. En 1944, Max Jacob meurt au camp de Drancy, Benjamin Crémieux à Buchenwald, Robert Desnos au camp de Terezín, Paul Petit dans la prison de Cologne. 6. Le château de Castel Novel se trouve à Varetz, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Brive-la-Gaillarde.
Aux Pays-Bas, 75 % de la population juive fut victime de la déportation et des camps d'extermination. 107 000 des 140 000 Juifs des pays-Bas ne survécurent pas à l'occupation. Pourquoi les Pays-Bas détiennent-ils en Europe occidentale le record du plus grand pourcentage de victimes juives? (1) Nous verrons d'abord que la persécution et les déportations des juifs aux Pays-Bas sont voulues et dirigées par les forces d'occupation allemandes. Or, pour mener à bien leurs exactions, ces dernières peuvent compter sur le soutien de l'administration et de la police néerlandaise. Enfin, l'attitude et les réactions de la population juive elle-même doivent être examinées avec soin. Afin de conférer un peu d'humanité au récit clinique des persécutions orchestrées par les nazis, nous emprunterons à la jeune Anne Frank des passages de son inestimable Journal. Tous les extraits insérés dans le billet figurent en bleu et sont précédés de leur date de rédaction.
Anne Frank en 1942.
L'invasion
allemande du 10 mai 1940 terrasse en 5 jours seulement la monarchie constitutionnelle des Pays-Bas. Après avoir capitulé, le gouvernement décide de s'exiler à Londres. Placé sous le contrôle d'Arthur Seyss-Inquart, Reichskommissariat für die besetzten Niederlande, le pays est entièrement occupé. Le commissaire du Reich pour les Pays-Bas dirige l'administration civile, en particulier les secrétaires
généraux que le gouvernement a laissé en place à la tête des ministères
néerlandais. Après quelques réticences, ces derniers collaborent avec l'occupant, dont ils font appliquer
les mesures décrétées, notamment celles conduisant à la persécution des juifs hollandais.
Anne Frank et sa famille trouvent refuge dans l'Annexe, une cachette située à l'arrière du bâtiment de l'entreprise familiale, au 263 Prinsengracht. Avec l'appui d'employés fidèles, le groupe survit dans la clandestinité pendant deux ans.
* Marginalisation, persécution et déportation des juifs.
8/11/1943
Je nous vois, tous les huit dans l'Annexe, comme si
nous étions un coin de ciel bleu, encerclé peu à peu de nuages sombres,
lourds et menaçants. Le petit cercle, cet îlot qui nous tient encore en
sécurité, se rétrécit constamment par la pression des nuages qui nous
séparent encore du danger de plus en plus proche. Les ténèbres et le
danger se resserrent autour de nous ; nous cherchons une issue et, de
désespoir, nous nous cognons les uns contre les autres.
En 1939, le
royaume néerlandais compte 9 millions d'habitants, dont 1,4% de Juifs. Selon les définitions
établies par les lois de Nuremberg, le recensement ordonné par les
Allemands aboutit à une population juive de 140 000 personnes, dont 14
500 Allemands ayant fui les persécutions nazies (c'est le cas de la famille d'Anne Frank). La plupart habite les grandes agglomérations, en
particulier Amsterdam (80 000) et Rotterdam (16 000). Avant-guerre,
aucune distinction n’est faite sur le plan légal entre Juifs et
non-Juifs. Certes, un antisémitisme latent existe au sein de la société
néerlandaise, mais il ne s'exprime pas dans la législation ou par le
biais de mesures gouvernementales. Il est surtout le fait des mouvements d'extrême-droite, qui n'acquièrent une véritable influence qu'avec l'instauration du régime d'occupation allemande. Le pays semble plutôt tolérant et
offre, en principe, aux Juifs la possibilité de s’intégrer, à la différence de l'Europe orientale et de l’Allemagne d'après 1932. Tout change avec l'invasion du pays par les Allemands. La politique anti-juive est mise sur pied aux Pays-Bas dès le début de l’occupation, mais de manière progressive. L'emprise de l'occupant sur les citoyens juifs se renforce fortement au début de l'année 1941. Dans les quartiers juifs d'Amsterdam, de violents échauffourées opposent les habitants à des nazis néerlandais dont l'un d'entre eux est tué. En réaction, les Allemands procèdent à une première rafle. C'est l'élément déclencheur d'une vague de grèves massives dans le pays, du 25 au 27 février 1942. L'occupant brise aussitôt ce mouvement avec une brutalité inouïe, multipliant les arrestations. Les rafles de février, juin et septembre 1941 conduisent à la déportation de 1700 juifs vers le camp de concentration de Mauthausen (aucun n'en reviendra). On ne manquera pas de faire connaître leur décès aux Pays-Bas, afin de terroriser la population et d'étouffer toute velléité de résistance. Dans le même temps, les Allemands imposent à Amsterdam un Conseil juif (Judenrat),
sur le modèle de ceux créés précédemment en Pologne occupée. Les mesures anti-juives se poursuivent à un rythme de plus en plus rapide: renvoi des fonctionnaires, recensement obligatoire des individus et de leurs entreprises en septembre 1941. Désormais dépossédés de leurs biens, les juifs sont totalement marginalisés et dépendants de complicités éventuelles. Otto Frank (le père d'Anne) doit par exemple abandonner la direction de son entreprise. Il demande à ses associés, MM. Kleiman et Kugler, de lui servir de prête-noms pour conserver son usine.
5 juillet 1942
Père reste souvent à la maison les derniers temps. Officiellement, il s'est retiré des affaires. Quelle semaine désagréable pour lui que de se sentir iutile! M. Koophuis a repris la maison Travies et M. Kraler la firme Kolen & Co.
Début 1942, de nombreux hommes juifs (18-55 ans), devenus chômeurs à cause des mesures d'exclusion, sont internés dans des camps de travail situés au nord et à l'est du pays. L'isolement et la stigmatisation des populations juives sont aggravés par l'introduction de l'étoile de David fin avril 1942. Dans l'optique des déportations à venir, le camp de réfugiés juifs de Westerbork est alors converti en camp de transit (Judendurchgangslager ).
La police juive encadre des personnes à l'arrivée au camp de Westerbork.
9 juillet 1942
Depuis
des mois et des mois, ils [les parents] avaient fait transporter pièce
par pièce une partie de nos meubles, ainsi que linge et vêtements; la
date prévue pour notre disparition volontaire avait été fixée au 1er
juillet. A la suite de la convocation [de Margot, la sœur aînée], il avait fallu avancer notre
départ de dix jours, de sorte que nous allions devoir nous contenter
d'une installation plutôt rudimentaire.
Les déportations en tant que telles peuvent être divisées en 4 grandes phases: 1. Pour la mise en place de la "Solution finale" aux Pays-Bas, l'Office central de sécurité du Reich (RSHA) s'appuie à Amsterdam sur une "Centrale pour l'émigration juive". En juillet 1942, cette dernière convoque 4000 juifs au camp de rassemblement pour une "prestation de travail", l'Arbeitseinsatz. L'opération se solde par un échec (la moitié seulement des personnes convoquées se présente), ce qui conduit la police allemande à procéder à l'arrestation de plus de 500 individus. Menacés de déportation vers Mauthausen, ces captifs servent d'otages. Le Conseil juif convainc alors un certain nombre de personnes convoquées de se manifester auprès des Allemands. Ceux qui se rendent finalement au point de rendez-vous sont alors transférés à Westerbork avant d'intégrer les convois de
déportation à destination d'Auschwitz (15, 16 juillet).
9 octobre 1942
Aujourd'hui je n'ai que des nouvelles déprimantes à t'annoncer. Beaucoup de nos amis juifs sont petit en petit embarqués par la Gestapo, qui ne les ménage pas, loin de là; ils sont transportés dans des fourgons à bétail à Westerbork, au grand camp pour les juifs dans la Drenthe. (...) Si cela se produit déjà en Hollande, qu'est-ce que ce doit être dans les régions lointaines et barbares dont Westerbork n'est que l'antichambre? Nous n'ignorons pas que ces pauvres gens seront massacrés. La radio anglaise parle de chambre à gaz. Peut-être est-ce encore le meilleur moyen de mourir rapidement? J'en suis malade.
2. Le système de la convocation ne fonctionne guère et on passe aux arrestations systématiques sur liste. De septembre 1942 à avril 1943, l’Ordnungspolizei allemande, épaulée par des unités de police néerlandaise, procèdent ainsi aux rafles à
domicile, le soir. Compte tenu de l'importance de la
population juive aux Pays-Bas, les déportations sont envisagées sur une
longue période. En déportant d'abord de petits groupes ciblés, les forces d'occupation cherchent à ne pas provoquer trop d'inquiétudes et de résistance parmi les victimes. C'est ainsi que le
système de Sperren, dit des "listes bloquées", voit donc le jour. Il consiste en l'élaboration de listes spéciales d'individus théoriquement exemptés de déportation: les membres du Conseil juif et leurs familles, les ouvriers travaillant dans les usines d'armement, les Juifs mariés à des non-Juifs... (2) Les camps de travail juifs sont liquidés au cours
du mois d'octobre 1942. En quelques jours, 12 000 juifs internés en sont déportés. (3) En
avril 1943, les juifs de toutes les régions néerlandaises sont transférés de force à Amsterdam.
27 Mars 1943: Rauter, un des grands manitous boches, a tenu un discours : « Tous
les juifs devront quitter les pays germaniques avant le 1er juillet. La
province d'Utrecht sera épurée du 1er avril au 1er mai (comme s'il
s'agissait de cafards) ; ensuite les provinces de la Hollande du Nord et
du Sud, du 1er mai au 1er juin. » L'on mène ces pauvres gens à
l'abattoir comme un troupeau de bêtes malades ou malpropres. Mais je
préfère ne plus en parler, ça me donne des cauchemars.
3. L'isolement et la concentration progressive des juifs des Pays
Bas, rassemblés par avance dans les camps de travail et de transit, en
font des proies faciles lorsque l'occupant décide de procéder aux
déportations. De mai à septembre 1943, les exemptions promises par le système Sperren sont abandonnées. Les juifs exemptés, y compris les membres du Conseil, sont à leur tour arrêtés. De grandes rafles conduisent plus de 28 000 individus à Westerbork ou Vught. Au cours de cette période, les forces d'occupation procèdent à la déportation d'un peu plus de 34 000 juifs des camps Westerbork ou Vught vers les camps d'extermination de
Sobibor et Auschwitz. 4. D'octobre 1943 à septembre 1944, l'étau se resserre sur les Juifs cachés. De nouvelles déportations ont lieu depuis les camps de transit. Auschwitz reste la destination principale de la plupart des trains, mais certains convois ont pour destination Sobibor (entre mars et juillet 1943) et, à partir de 1944, Theresienstadt et Bergen-Belsen. Au delà de l'implacable détermination des nazis à mener à bien leur entreprise d'extermination, l'environnement direct des populations persécutées - en particulier le fonctionnement de l'administration locale face à la politique anti-juive - mais aussi l'attitude et les réactions de la population néerlandaise, ont joué un rôle crucial.
La famille Frank avec, de gauche à droite, Margot, Otto, Anne, Edith.
* L'environnement. Dès la prise de possession du pouvoir par les Allemands et en dépit des réticences initiales, la haute administration néerlandaise s'implique directement dans la préparation et l'exécution des mesures anti-juives. Rapidement soustraite à l’autorité de la hiérarchie
administrative, la population juive n'en est pas moins victime de
l'implication des instances de niveau inférieur. La police néerlandaise
participe ainsi activement aux déportations à partir de juillet 1942.
Des sections spéciales chargées de la traque des juifs sont créées au
sein de la police communale d'Amsterdam. Inefficaces, elles sont
rapidement supplantées par des unités spéciales directement placés sous
les ordres de l’Ordnungspolizei (la police allemande). Cette Police auxiliaire volontaire (Vrijwillige Hulppolitie),
constituée presque exclusivement de membres de la SS néerlandaise, est
seule en charge de l’enlèvement des Juifs à compter du début de l'année
1943.
1/5/1943
Toute la Hollande est punie pour ses nombreuses
grèves. Elle est déclarée en état de siège, et sa ration de pain est
réduite de 100 gr par personne. Voilà pour les enfants qui n'ont pas été
sages !
Mis à part quelques protestations des Églises et des universités contre la mise à l'écart de fonctionnaires juifs à l'automne 1940, les mesures anti-juives ne suscitent guère d'émoi au sein de la société néerlandaise. En février 1941, la première rafle de juifs néerlandais provoque en revanche une grande grève à Amsterdam. Une répression sanglante et générale s'abat aussitôt sur les manifestants, contribuant à paralyser d’éventuelles protestations ultérieures contre l'occupant et sa politique anti-juive. (4) Aussi, lorsque les déportations débutent, il n'existe pas aux Pays-Bas de réseau de résistance national organisé. Les premières organisations illégales structurées n'apparaissent qu'au printemps 1943.(5) Or l'absence
de mouvement de résistance structuré rend difficile l'obtention d'un
lieu d'hébergement pour les clandestins, fautes de complicités. Jusqu'au milieu de 1943, les
Juifs qui tentent de se cacher, doivent compter sur la complicité
d’individus disposés à mettre un refuge à leur disposition. (6) Après les dernières grandes rafles, ce sont au total 25 000 juifs qui
vécurent en clandestinité, mais pour la majorité, il
est déjà trop tard.
11 avril 1944
La police allait revenir, j'y étais préparée. Il
faudrait dire que nous nous cachions. Ou bien nous tomberions sur de
bons Hollandais et nous serions sauvés, ou bien nous aurions affaire à
des N.S.B. [civils au service de la Gestapo. Indicateurs], que nous
essaierions d'acheter.
28 janvier 1944
Des organisations comme la « Hollande libre »,
qui fabriquent de faux papiers, procurent de l'argent aux personnes
cachées, leur préparent des abris, fournissent du travail clandestin aux
jeunes gens, de telles organisations sont nombreuses ; elles étonnent
par leurs actions désintéressées, aidant et faisant vivre d'autres au
prix de leur propre vie. Le meilleur exemple, je l'ai ici : celui de nos
protecteurs qui nous tirent d'affaire jusqu'ici, et qui, je l'espère,
réussiront à tenir jusqu'au bout, car ils doivent s'attendre à subir le
même sort que nous, en cas de dénonciation. Jamais ils n'ont fait
allusion, ou ne se sont plaints de la charge, que, certainement, nous
représentons pour eux.
Pour entrer en clandestinité, les Frank purent compter sur le courage de complices, des membres du personnel de l'entreprise du père d'Anne: Miep van Santen (en photo), Bep Voskuijl, Victor Kugler et Johannes Kleiman. Les deux derniers furent arrêtés lors de la découverte de l'Annexe et envoyés au camp néerlandais d'Amersfoort.
L'examen attentif de l'attitude et des réactions des juifs néerlandais face aux agressions successives, permet aussi de comprendre l'ampleur des victimes. * Victimes. Aux Pays-Bas, la majorité des Juifs habitent le pays depuis de nombreuses générations et sont en grande partie intégrés dans la société néerlandaise. A la veille de la guerre, il n'existe donc pas de communauté juive structurée et unitaire, comme en atteste la faible influence d'organismes de coordination d'ailleurs souvent concurrents. Les citoyens juifs se sentent plus hollandais que juifs et adhèrent aux courants politiques et aux organisations socio-culturelles en place aux Pays-Bas. Face
aux politiques de persécutions menées par l'occupant, leurs réactions ne diffèrent guère de celles du reste de la
population. Les premières mesures (mise à pied des fonctionnaires à
l'automne 1940, le recensement du début 1941) - aussi injustes
soient-elles - ne sont pas encore jugées trop sévères, ni brutales.
A l'instar du reste de la société, la plupart des Juifs obéissent aux
autorités et se plient à l'obligation de recensement. Dès
le début des déportations, en revanche, beaucoup craignent le
pire et cessent d'obtempérer aux injonctions de l'occupant. Ainsi près de la moitié des personnes convoquées ne se présentent
pas.
19 novembre 1942
Nombre d'amis ont disparu; leur destin nous fait trembler. Il n'est pas de soir que des voitures militaires vertes ou grises
ne sillonnent la ville; les Allemands sonnent à toutes les portes pour
faire la chasse aux juifs. S'ils en trouvent, ils embarquent
immédiatement toute la famille, sinon ils frappent à la porte suivante.
Ceux qui ne se cachent pas n'échappent pas à leur sort. Les Allemands
s'y prennent parfois systématiquement, liste à la main, frappant à la porte derrière laquelle un riche butin es attend. Parfois on leur paie une rançon, autant par tête, on dirait le marché
aux esclaves d'autrefois. (...) Ils ne ménagent personne, i les
vieillards, ni les bébés, ni les femmes enceintes, ni les malades - tous
sont bons pour le voyage vers a mort.
Les juifs étrangers vivant aux Pays-Bas adoptent parfois une attitude différente. La plupart de ces immigrés ont fui les persécutions antisémites de leurs pays respectifs. Ils savent donc parfaitement à quoi s'en tenir. Les Frank, qui ont quitté l'Allemagne dès 1933, font ainsi preuve d'une grande prudence. Ils plongent très tôt dans la clandestinité et se gardent bien d'obéir aux ordres de l'occupant. Il faut attendre la fin de l'année 1940 pour que voit le jour un organisme censé protéger les populations juives néerlandaises: la Commission de Coordination juive (Joodsche Coördinatie-Commissie). Pour contrer son influence, l'occupant impose, en février 1941, la création du Conseil juif d'Amsterdam (Joodsche Raad voor Amsterdam), dont dépend désormais la population juive. Dès sa création, l'institution placée sous les ordres de la police allemande locale, est intégrée dans la mise en œuvre du processus de déportation. Sans que ses responsables n'en soient toujours conscients, le Conseil sert de relais aux exigences de l'occupant. Il se charge ainsi du placement des Juifs dans les camps de travail, de la distribution de l'étoile jaune, de la distribution des exemptions provisoires de déportation.Cette disposition à la coopération du Joodsche Raad - compte tenu de la très faible marge de manœuvre dont il dispose - aura de funestes conséquences pour les juifs néerlandais. Pour beaucoup le salut passe par l'obtention de ce précieux document ou encore par un engagement volontaire pour les camps de travail juif. L'occupant laisse en effet miroiter aux membres du Conseil juif qu'un tel choix permettrait d'échapper aux déportations ou à la "mise au travail" en Pologne (Arbeitseinsatz). Les espoirs d'exemption et la constitution de listes promettant le report de la déportation sont utilisés avec une grande habileté par l'oppresseur qui cherche à forger une politique de ‘division par intérêts’. Ces méthodes perverses contribuent en outre à l'essor d'un sentiment de fausse sécurité. Selon Presser,“l’estampille de l’exemption fournit souvent à son propriétaire un faux sentiment de sécurité, ce qui entrave peut-être la recherche d’une cachette”. Ce
n’est qu’au cours de la troisième phase des déportations, alors que
l’occupant abandonne ses procédés trompeurs et procède ouvertement à
de grandes rafles, qu'un nombre important de Juifs encore en liberté essayent dans
l'urgence de trouver des cachettes. * Le sort des juifs de Belgique et des Pays-Bas, éléments de comparaison. Pour bien mesurer l'ampleur des déportations et donc des victimes juives installées aux Pays Bas lors de l'invasion allemande, il est intéressant de comparer avec la Belgique voisine. Mis à part un petit groupe de citoyens intégrés, la majorité des juifs de Belgique ne fait pas partie de l'environnement social belge. Ils forment un groupe uni, fédéré par des organisations spécifiques. Un grand nombre des juifs vivant en Belgique ont fui les mesures antisémites adoptées par leurs pays respectifs au cours des années 1930. "Par conséquent, ils connaissaient mieux les
méthodes et les conséquences des politiques de persécution. A la
différence des juifs néerlandais, ils établirent précocement leurs
propres organisations de résistance." (cf: Pim Griffioen et Ron Zeller) Ces
dernières voient le jour bien plus tôt, tandis que la
population juive étrangère se réfugie plus précocement dans la clandestinité que les Juifs néerlandais. Au total, 25 000 Juifs s'y cachent; un chiffre proportionnellement bien plus élevé qu'aux Pays-Bas. Aussi, pour Pim Griffioen et Ron Zeller, "les opportunités pour échapper à la machine exterminatrice apparurent
plus tôt en Belgique car les organisations de résistance y furent créées
plus précocement. Parmi les facteurs environnementaux, c'est l’ampleur
de l’entrée en clandestinité des Juifs qui semble avoir le plus influé
sur le cours des déportations." Au total, ce sont environ 107 000 personnes qui sont déportés des Pays-Bas (76% des Juifs des Pays-Bas), un chiffre record pour l'Europe occidentale. 5 200 déportés survivront (4,8% du total). L'implication et le rôle joués par l'administration du pays font aujourd'hui tardivement débat. "La mise en lumière de la conscience réelle, dès fin 1942, du sort véritable réservé aux déportés a profondément terni l'image d'une nation qui avait surtout jusque là célébré le comportement héroïque des résistants antinazis." (cf: Dictionnaire de la Shoah). A l'heure où l'on assiste à une recrudescence de l'antisémitisme aux Pays-Bas, le travail des historiens s'avère donc crucial. * Kitty: le journal d'Anne Frank.
20 juin 1942
"Le papier est plus patient que les hommes." (...) Oui, en effet, le papier est patient, et comme je présume que personne ne se souciera de ce cahier cartonné dignement intitulé Journal, je n'ai aucune intention de jamais le faire lire, à moins que je ne rencontre dans ma vie l'Ami ou l'Amie à qui le montrer. Me voilà arrivée au point de départ, à l'idée de commencer un journal: je n'ai pas d'amie.
Rédigé en néerlandais entre le 12 juin 1942 et le 1er août 1944, le Journal d'Anne Frank raconte la vie clandestine et l'enfermement de sa famille pendant deux ans dans une chambre secrète d'un immeuble d'Amsterdam. L'adolescente se lance dans la rédaction de Kitty par plaisir d'écrire, pour s'épancher - elle qui ne peut exprimer ses opinions autrement - sans doute enfin pour témoigner. La jeune fille répond ainsi à l'appel entendu à la BBC le 28 mars 1944:"Hier soir, lors de l'émission de la Hollande d'outre-mer, le ministre Bolkestein a dit dans son discours qu'après-guerre l'on ferait une collection des lettres et des mémoires concernant notre époque. Naturellement, tous les yeux se sont tournés vers moi: mon Journal semblait pris d'assaut. Figure-toi un roman sur l'Annexe publié par moi, n'est-ce pas que ce serait intéressant!?" Le Journal constitue un témoignage exceptionnel dans la mesure où il donne à voir de l'intérieur le quotidien de personnes traquées, contraintes de vivre dans la clandestinité. De nombreux passages du journal mettent en exergue l'insupportable hiatus entre ce qui devrait être le quotidien joyeux d'une adolescente et la vie étriquée de l'Annexe.
24 décembre 1943
Crois-moi, après un an et demie de vie cloîtrée, il y a des moments où la coupe déborde. Quel que soit mon sens de la justice et de la reconnaissance, il ne m'est plus possible de refouler mes sentiments. Faire du vélo, aller danser, pouvoir siffler, regarder le monde, me sentir jeune et libre: j'ai soif et faim de tout ça et il me faut tout faire pour m'en cacher.
Le Journal se termine le 1er août 1944 car, trois jours plus tard, la Gestapo fait une descente dans l'Annexe dont tous les habitants sont arrêtés, ainsi que leurs complices, Kleiman (Koophuis dans le Journal) et Kluger (alias Kraler). Les familles Frank (les parents Otto et Edith, leurs filles Margot et Anne) et van Pels (van Daan dans le Journal: Hermann, Auguste et leur fils Peter), Fritz Pfeffer (Dussel dans le Journal) sont conduits le 8 août au camp de Westerbork, avant leur déportation à Auschwitz en septembre. Transférées au camp de Bergen-Belsen, Anne et Margot y meurent du typhus en mars 1945. Des huit habitants de l'Annexe, seul Otto Frank survit. Quelques jours après le pillage en règle de l'Annexe par la Gestapo, Miep van Santen découvre les écrits d'Anne parmi les revues et livres qui jonchent le sol. Otto Frank décide en 1947 de faire publier 1500 exemplaires du journal intime de sa fille. Aujourd'hui, 31 millions d'exemplaires s'en sont vendus, dans toutes les langues! Dès les années 1950, des cercles néo-nazis cherchent à remettre en cause l'authenticité du Journal. Leurs affirmations ne résistent pourtant ni aux études indépendantes ni aux enquêtes menées sur le Journal à l'occasion des procès intentés par les révisionnistes. Dans les années 1950, une pièce de théâtre et un film à grand succès confirment la fascination exercée par Anne Frank et ses écrits. Depuis 1960, à Amsterdam, le 263 Prinsengracht abrite la Maison Anne Frank. * "Anne ma sœur Anne". Le Journal d'Anne Frank a également trouvé un écho dans la chanson. En 1985, Louis Chedid compose une chanson dans laquelle il prend à témoins la jeune disparue. Lointain écho du Barbe Bleu de Charles Perrault, Anne ma soeur Anne alerte l'auditeur sur les dangers qu'il sent poindre à l'horizon. La
chanson est écrite peu de temps après les élections européennes, marquées par une nette
progression de l’extrême-droite, qui dépasse la barre des 10% de voix. Chédid s’emploie à rafraîchir la mémoire
de ses auditeurs en convoquant « un passé qui ne passe pas », ainsi
que le fantôme d’Anne Frank. Au moment où les idées du Front National se
banalisent, le chanteur fustige les petits accommodements avec les idées mortifères véhiculées par l'extrême-droite ("Beaucoup trop d'indulgence, trop de bonnes manières"), la résurgence des mêmes "discours", "slogans", "aboiements", la complaisance à l’égard de la
« nazi-nostalgie». Le moins que l'on puisse dire et que, trente ans plus tard, les paroles restent d'une brûlante actualité.
Le Front national, devenu Rassemblement national, n'est pas le NSDAP (le parti nazi), l'histoire ne se répète jamais à l'identique. Pourtant, le fait que les sorties racistes et antisémites de certains de
ses membres n'aient pas définitivement déconsidéré la formation aux yeux
de l'opinion; le fait que ses dirigeants soient parvenus à faire d'un groupuscule un parti politique susceptible d'accéder au
pouvoir en France - en développant un discours anxiogène, populiste et
simpliste, faisant des immigrés les responsables de tous les maux de la
France - ne laissent pas d'inquiéter. Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, leader du FN, arrive en deuxième position au premier tour de la présidentielle. Vingt ans plus tard, en avril
2022, Marine Le Pen, fille et héritière de Jean-Marie échoue à son tour, mais non sans avoir
obtenu 45 % des suffrages exprimés, tandis que 89 députés du RN entrent au palais
Bourbon. Plus que jamais, l'extrême-droite se trouve aux portes de l'Elysée. La stratégie de dédiabolisation a fait son chemin contribuant placer les thèmes favoris du Rassemblement national au centre des débats. La "lepénisation des esprits" est en marche, comme le prouve l'adoption de la loi immigration de 26 janvier 2024, qui actait dans sa version initiale le principe de la préférence nationale, défendue depuis des décennies par l'extrême-droite.
Notes: 1. Plusieurs facteurs furent mis en évidence par les historiens pour
tenter d'expliquer l'importance du nombre des victimes juives aux
Pays-Bas: - la forte influence de la SS et l'important appareil policier allemand dans le pays auraient permis l'application rapide et déterminée des mesures anti-juives, -
l'obéissance scrupuleuse aux exigences de l'occupant par l'appareil administratif
néerlandais (au moins jusqu'au printemps 1943) aurait entraîné l'exécution minutieuse de ces mesures, - les spécificités géographiques néerlandaises auraient rendu très difficile la fuite des populations juives (avec une seule issue possible: l'Angleterre, via la mer du Nord), ainsi que la recherche d'un abri (absence de montagnes et de grandes forêts, densité de population) . - le développement tardif des organisations de résistances juives
et non-juives. -
l'intégration de population juive dans la société néerlandaise aurait
contribué à donner une fausse impression de sécurité. Toutefois, pour A. J. van der Leeuw "Tous
les facteurs énumérés dans les divers écrits, comme l’efficacité de
l’appareil allemand, la fidélité des fonctionnaires néerlandais à
l’ordre établi ainsi que l’attitude modérée du Joodsche Raad (le Conseil juif) et de la population juive, provoquée par la peur de la déportation vers le camp de concentration de Mauthausen
(méthode employée par l’occupant comme moyen d’intimidation), jouèrent
bien entendu un rôle, mais si on établit des comparaisons avec les
autres pays d’Europe occidentale, ils n’interviennent en fin de compte
que de manière marginale." Dans leur article synthétique, Pim Griffioen et Ron Zeller (voir sources) reviennent sur tous ces facteurs à la lumière des travaux historiques récents. Nous nous inspirons ici largement de leurs conclusions. 2.Au
total, à la fin de 1942, environ 45 000 Juifs (soit près du tiers de
tous les Juifs vivant aux Pays-Bas en 1940) disposent de l’une ou autre
forme d’exemption provisoire. 3.Le premier camp
de transit de Westerbork étant saturé, les Juifs sont envoyés à Vught,
un second camp de transit installé en janvier 1943. 4. Il faut attendre les grandes grèves d’avril et de mai 1943 pour que
renaisse une opposition massive et ouverte. Cette situation explique
aussi l'organisation très tardive de la résistance aux Pays-Bas. Au
cours de la première moitié de la guerre, le pays est relativement
épargné par l'occupant. La situation économique et le niveau de vie de
la population n'y sont pas encore trop mauvais. Bref, on assiste à une
relative passivité à l'égard de l'occupant comme en atteste un rapport d’atmosphère allemand de nature confidentielle daté du 7 juillet 1942 signale (“l’indifférence
politique de la majeure partie de la population, qui tolère cette
situation comme un fait acquis, même si beaucoup ne l’acceptent qu’avec
une certaine résignation”)." 5.Au lendemain
des grèves d'avril-mai 1943, la résistance néerlandaise s'organise
comme en atteste l'essor de l'Organisation nationale pour l'aide aux
clandestins (Landelijke Organisatie voor Hulp aan Onderduikers).
Statue d'Anne Frank.
Louis Chedid: "Anne, ma soeur Anne" (1985)
Anne, ma sœur Anne,
Si j ́ te disais c ́ que j ́ vois v ́nir,
Anne, ma sœur Anne,
J ́arrive pas à y croire, c ́est comme un cauchemar...
Sale cafard!
Anne, ma sœur Anne,
En écrivant ton journal du fond d ́ ton placard,
Anne, ma sœur Anne,
Tu pensais qu ́on n ́oublierait jamais, mais...
Mauvaise mémoire!
Elle ressort de sa tanière, la nazi-nostalgie:
Croix gammée, bottes à clous, et toute la panoplie.
Elle a pignon sur rue, des adeptes, un parti...
La voilà revenue, l'historique hystérie!
Anne, ma sœur Anne,
Si j ́ te disais c ́ que j ́entends,
Anne, ma sœur Anne,
Les mêmes discours, les mêmes slogans,
Les mêmes aboiements!
Anne, ma sœur Anne,
J ́aurais tant voulu te dire, p ́tite fille martyre:
"Anne, ma sœur Anne,
Tu peux dormir tranquille, elle reviendra plus,
La vermine!"
Mais beaucoup d'indifférence, de patience malvenue
Pour ces anciens damnés, beaucoup de déjà-vu,
Beaucoup trop d'indulgence, trop de bonnes manières
Pour cette nazi-nostalgie qui ressort de sa tanière... comme hier!
Anne, ma sœur Anne,
Si j ́ te disais c ́ que j ́ vois v ́nir,
Anne, ma sœur Anne,
J ́arrive pas à y croire, c ́est comme un cauchemar...
Sale cafard
. Sources:
- Journal de Anne Frank, Le Livre de Poche, 1964.
- Dictionnaire de la Shoah sous la direction de G. Bensoussan, J.-M. Dreyfus, E. Husson, J. Kotek, Larousse, 2015.
-
Pim Griffioen et Ron Zeller: "La persécution des Juifs en Belgique et
aux Pays-Bas pendant la Seconde Guerre mondiale. Une analyse
comparative." (PDF) - Encyclopédie mondiale de la Shoah: Amsterdam, Pays-Bas, Westerbork, Anne Frank. - Anne Frank: Ligne du Temps.
Laissons les mots de la fin à Anne Frank évoquant ses "jours de tombeau":
17 octobre 1943
"Indifférente,
j'erre d'une chambre à l'autre, montant et descendant les escaliers, et
je me vois comme l'oiseau chanteur dont les ailes ont été brutalement arrachées et qui , dans l'obscurité totale,
se blesse en se heurtant aux barreaux de sa cage étroite. Une voix
intérieure me crie: 'je veux sortir, de l'air, je veux rire!' Je n'y
réponds même plus, je m'étends sur un divan et je m'endors pour
raccourcir le temps, le silence et l'épouvantable angoisse, car je
n'arrive pas à les tuer.
Ce blog, tenu par des professeurs de Lycée et de Collège, a pour objectif de vous faire découvrir les programmes d'histoire et de géographie par la musique en proposant de courtes notices sur des chansons et morceaux dignes d'intérêt.